TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: DENTRA TEXT
Author: Denis, Jean
Title: Traité de l'accord de l'espinette
Source: Traité de l'Accord de l'Espinette, Auec la comparaison de son Clauier à la Musique vocale. Augmenté en cette Edition des quatre Chapitres suiuants. I. Traité des Sons et combien il y en a. II. Traité des Tons de l'Eglise et de leurs estenduës. III. Traité des Fugues et comme il les faut traiter. IV. La maniere de bien jouër de l'Espinette et des Orgues.(Paris: Robert Ballard, 1601; repr. ed. New York: Da Capo Press, 1969).
Graphics: DENTRA 01GF-DENTRA 08GF

[-f.Aiv-] SIXAIN.

CE petit Liure icy present

Traitant l'Accord de l'Espinette,

Des Regale, Fluste et Trompette,

Je le dedie au Tout-puissant,

Et pour seruir en tout lieu

Je l'ay dedié à DIEV.

Vn lit ce Liure pour apprendre,

L'autre le lit comme enuieux,

Il est aisé de me reprendre;

Mais mal-aisé de faire mieux.

R.

[-f.Aijr-] A MONSEIGNEVR

Monseignevr

LE MARQVIS DE MORTEMART, CONSEILLER DV ROY en ses Conseils d'Estat et Privé, Cheualier des Ordres de sa Majesté, premier Gentilhomme de sa Chambre, Bailly et Capitaine de la Varenne du Louure, Chasteau de Madrid, Parc et Bois de Boulongne, la Muette, Pont Sainct Cloud, auec la Grurie desdits lieux, et Capitaine du Cours de Challiot.

MONSEIGNEVR,

Entre toutes les belles qualitez dont vostre Illustre Personne est ornée et que vous possedez parfaitement, je puis dire que la Musique Theorique et Pratique, est celle à qui vous faites tenir le premier [-f.Aijv-] rang, et qu'à juste raison on vous doit appeller le Pere de cette science, puisqu'elle vous est infuse si profondement, et que vous la pratiquez si naturellement, qu'il n'y en a point qui vous esgale, ny qui puisse auec tant d'addresse joindre sa voix auec le Luth ou le Tuorbe, ou le premier Instrument qu'il vous plaist de prendre, comme estant merueilleusement versé en la cognoissance des plus melodieux: I'ay eu tant de fois l'honneur d'augmenter le nombre de vos Admirateurs, lors que vous estiez dans cet aymable diuertissement, qu'il faut que je dise auec eux, n'auoir jamais rien oüy de si doux, ny de si rauissant, et qu'en cela comme en toute autre chose, vostre Esprit est incomparable, et vostre Addresse inimitable; aussi faut-il vn autre discours que le mien pour en publier la gloire, qui des-ja est si cognuë parmy les Nations voisines, que tout ce que l'on en pourroit dire, ne seroit que repeter ce qu'ils en ont des-ja dit, qui n'approche encore que bien peu de la verité que j'ay si souuent recognuë, et si doucement entenduë. C'est pour ce sujet, Monseignevr, que j'ay pris la hardiesse de vous offrir ce petit Traité de l'Accord de l'Espinette, comme vne recognoissance que je dois rendre à toutes vos perfections, que si vous daignez regarder, et fauoriser d'vn doux accueil ce petit Ouurage, qui n'est qu'vne partie de ce dont vous joüyssez si auantageusement [-f.Aiijr-] du Tout, j'oseray bien esperer que vostre Nom luy donnera l'entrée des meilleurs Maisons, et que sous vostre adueu il y sera joyeusement receu, comme sortant de la main de celuy qui fait gloire d'estre,

MONSEIGNEVR,

Vostre tres-humble et tres-obeissant seruiteur,

Iean Denis.

[-f.Aiijv-] Sur le sujet de l'Accord de l'Espinette.

Sonnet.

POur mettre au jour vne harmonie parfaite,

Tu veux, Denis, nous monstrer comme il faut

Pour bien joüer, accorder bas et haut,

Cordes et Tuyaux de l'Orgue et l'Espinette.

Et pour monstrer la science bien nette,

Tu dis qu'il faut que la basse soit haut,

Le dessus bas en nature vn defaut,

Esclaircis-nous et ne nous mets en queste?

Pour accorder faut auoir bonne oreille,

En la nature cela n'est pas commun,

Tu le sçais bien il n'y a doute aucun:

Ne t'esbahis de si haute merueille,

Mets bien le poinct de la Quinte affoiblie,

Tu trouueras la parfaite harmonie.

I.D.L.I

[-f.Aiiijr-] TABLE

ov sisthesme parfait povr mesvrer tovtes les intervales et consonances du Clauier de l'Epinette, tant bonnes que mauuaises.

[Denis, Traité de l'accord, f.Aiiijr; text: A, B, C, D, E, F, G, vt, re, mi, fa, sol, la, Fainte de, b, Semi ton mineur, maieur, superflu, TIERCE MINEVRE bonne. mauuaise, MAIEVRE, Le tri ton, La fausse quinte, 4. Cordes, 5.] [DENTRA 01GF]

Le ton est composé de deux semi tons, sçauoir vn mineur et vn maieur. La tierce mineure est composée pour estre bonne de trois semi-tons: sçauoir deux semi tons maieurs et vn mineur: La tierce mineure mauuaise est composée deux semi-tons mineurs et d vn maieur: la tierce maieure est composee pour estre bonne de quatre semi tons: deux maieurs et deux mineurs: La tierce maieure mauuaise est composée de quatre semi-tons, sçauoir trois maieurs et vn mineur: Comme vous pouuez mesurer de regle en regle auec le compas: ou de semi-ton en semi-ton par la Table presente: Vous pouuez mesurer par mesme moyen la difference qu'il y a du triton à la fausse quinte: le ton superflu est composé de deux semi-tons maieurs.

[-7-] TRAITÉ DE L'ACCORD de l'espinette:

Auec la comparaison du Clauier d'icelle, à la Musique Vocale.

L'Homme se plaist de son naturel à la Musique, laquelle plus elle est harmonieuse, plus elle rauit et delecte les esprits qu'elle touche.

Or nos Peres ayans recognus que la voix de l'homme faisoit de beaux chants, ont pour plus grande commodité pris plaisir à faire quelque Instrument qui pûst contrefaire la voix, ou en approcher le plus que faire se pourroit. Tout consideré, ils n'ont sceu receuoir aucun Instrument plus propre que l'Espinette, quoy qu'elle ne fust pas encore cognuë: Mais comme ils ont par la voix recognu la difference des tons, ils ont commencé à faire le Clauier, qui est la plus belle Inuention (et parquoy on peut mieux comprendre la Musique) qui soit au monde; la Musique estant comprise sur six monosyllabes, sçauoir, vt, ré, mi, fa, sol, la, et toute la difference distinguée par deux de ces syllabes, mi, fa, qu'ils ont mise justement au milieu, comme voulant monstrer que tout dépend de ces deux. Ils ont commencé à faire vn Clauier, sçauoir des touches sans feintes ou diezes; et pour preuues, les feintes et diezes n'ont point de propres syllabes que celles qu'elles [-8-] empruntent des touches: Pour exemple le C sol, vt, fa, a vne feinte qui est nommée la feinte de C sol, vt, fa; celle de E mi, la, porte son nom d'elle-mesme, pource qu'en E mi, la, la touche, il ne se trouue point de fa, qui est le nom de la feinte, elle est marquée, comme celle de B fa, b mi, et a toutes ses proprietez pareilles, et sont marquées ainsi tous deux [rob], et toutes les autres sont marquées ainsi [x], vne en F vt fa, et vne en G ré, sol, vt: La feinte de B fa, b mi, porte encore son nom d'elle mesme, parce que la touche ne porte que la seule voix de mi en montant, et en descendant, et n'y a qu'elle seule qui n'a qu'vne voix dans la Gamme, disant B fa, c'est la feinte, et b mi, c'est la touche. Nos Peres ayans donc fait le Clauier sans feintes, et recognoissans qu'il estoit bon pour vn seul genre, qui est le Diatonique, et que dans la Musique vocale ils pouuoient chanter de trois genres: et de tous les tons ils chercherent l'inuention d'adjouster les feintes: Et comme ils auoient fait le Clauier sans feintes, ils adjousterent des feintes par tout, où ils furent bien empeschez, recognoissant vne confusion dans l'ordre, ne pouuant que faire des feintes qui se rencontroient entre le mi, et le fa, et resolurent de les oster tout à fait, estans inutiles: Et est vne chose admirable et loüable à eux, d'auoir donné à chaque touche sa feinte; si bien que l'on ne peut adjouster ne diminuer, et se rencontrant plus de touches que de feintes, auoir donné à chacune la sienne, dans vn si bel ordre qu'il ne se peut plus: sçauoir au C sol, vt, fa, sa feinte; au D la, ré, sol, point du tout, quoy qu'il ait trois voix distinctes pour vn seul son, en E mi, la, comme il est escrit cy-deuant: en F vt, fa, vne feinte: en G ré, sol, vt, vne feinte: A mi, la, ré, n'en a point: en B fa, b mi, comme il est escrit cy-deuant. La difference des b mols aux diezes, est, que les b mols font descendre [-9-] de leurs touches, et les diezes montent. Comme ils ont veu que les touches et les feintes estoient fort bien rangées selon leurs ordres, ils ont cherché l'accord, qui est le sujet de ce Traité.

Estant venu en cette ville de Paris vn homme, lequel est fort docte és Mathematiques, et croyant auoir trouué vn grand secret d'vn accord Arithmetique, qu'il a rencontré par les nombres, l'a presenté pour bon et meilleur que l'accord Harmonique, dont je feray voir le contraire, monstrant que son accord ne vaut rien, que c'est vn accord innocent, que toutes personnes sont capables de faire, ayant l'oreille bonne pour accorder vne quinte juste; qui est le contraire de l'accord Harmonique, lequel est si difficile, qu'il se rencontre beaucoup de personnes qui touchent fort bien de l'Espinette et des Orgues, et n'oseroient entreprendre d'accorder vne Espinette: Il y en a qui le font bien, mais ils sont peu. L'accord de l'Espinette et des Orgues est pareil et sans difference, les Ouuriers de l'vn et de l'autre en sont demeurez d'accord; et parlans de l'vn, j'entends parler de l'autre. Ie dis donc que l'Espinette est le plus parfait Instrument de tous les Instruments, ayans toutes ces cordes portant chacune son son, comme on peut monstrer toutes les nottes de la Musique selon leurs degrez. Dans la Musique par escrit, le Clauier de l'Espinette comprend tout, ce que pas vn des autres Instruments ne peut faire, si ce n'est par plusieurs personnes et plusieurs Instruments, ce qu'vn seul Organiste peut faire, soit Musique à 4. 5. 6. 7. 8. 9. et 10. parties, ayant dix doigts et deux pieds de quoy il se peut seruir, et qu'il n'y a point de Musique qui passe 4. et 5. parties, qui soit sans Pauses ou sans Vnissons.

Parlons de nos Accords et de leurs differences, comme [-10-] nos Anciens voulurent accorder l'Espinette, ayant composé le Clauier dans sa perfection, comme il est maintenant, ils accorderent, comme j'ay dit cy-deuant, innocemment toutes les quintes iustes, qui est l'accord que cét homme nous presente, et venant à toucher, ils trouuerent que cét accord repugnoit fort à leurs esperances, et que les tierces maieures estoient trop fortes, et si rudes que l'oreille ne les pouuoit souffrir, et qu'ils ne trouuoient point de semitons ny maieurs ny mineurs, mais vn semi-ton moyen, qui n'est ny maieur ny mineur, estant plus foible que le majeur, et plus fort que le mineur; et que les cadences ne valoient rien, ne pouuant souffrir cette rudesse qui blessoit si fort le sens de l'oüye, qui donne le plus de plaisir à nostre ame; se resolurent de temperer si bien cét accord, que l'oreille fust aussi, contente de la Musique Instrumentale, que de la Vocale: Et voulant baisser les tierces majeures, se trouua que par necessité il falloit baisser toutes les quintes et les temperer en sorte que l'oreille le peust souffrir. De vous dire qu'ils ne se soient seruis de la Theorie de la Musique, et qu'ils n'eussent vn Monochorde pour trouuer les proportions; je ne nie pas cela. Ie ne desire point parler de la Theorie, mais seulement de la Pratique et vsage. Et comme nous accordons l'Espinette dans la perfection (je dis perfection, pource qu'on ne peut adjouster ne diminuër en cét accord sans gaster tout) nous baissons toutes les quintes d'vn poinct, et en telle sorte que la quinte paroist encor bonne, quoy qu'elle ne soit pas juste, et sur la quantite des quintes qui sont douze en tout, les autres n'estant que repliques, les baissant toutes d'vn point, faite le si petit que vous voudrez, il faut douze poincts, qui est la difference de la premiere à la derniere quinte, et toutes les quintes doiuent estre temperées [-11-] esgallement, et toutes pareilles, et la premiere corde est la feinte de E mi, la, et sa quinte B fa, qu'il faut tenir foible, et de la feinte B fa, à la touche F vt, fa, qu'il faut encore tenir foible, et ainsi des autres, comme la Pratique nous enseigne; et la derniere corde est la feinte de G ré, sol, vt, qui est la fin de l'accord. Faut faire les Octaues toutes justes, estant l'accord le plus parfait de tous. Or de ces deux accords le meilleur est celuy qui approche le plus de la Musique Vocale, lequel est nostre accord ordinaire et Harmonique, ayant tous les tons, semi-tons, majeurs, mineurs, et cadences en mesmes lieux et endroits, comme les Maistres de Musique escriuent leurs compositions sans aucunes differences, n'ayans qu'vn ton majeur et vn ton superflu, le ton majeur estant composé d'vn semi-ton majeur, et d'vn semi-ton mineur, et le ton superflu est composé de deux semi-tons majeurs, dont les Musiciens ne se seruent point du tout: et se rencontre en deux endroicts qui sont aux deux touches qui n'ont point de feintes sçauoir en D la, ré, sol, et en A mi, la, ré, qui ont des deux costez vn semi-ton majeur, et toutes les autres touches ont vne feinte d'vn semi ton mineur qui est le semi-ton qui ne sert qu'à la Cromatique; et quant à l'Harmonique on ne s'en sert point du tout, soit pour chanter, ou pour jouër des Instruments. Les Theoriciens trouuent trois sortes de tons, et trois sortes de semi-tons, sçauoir ton majeur, ton mineur, et ton superflu; et aussi trois sortes de semi-tons, semi-ton majeur, semi-ton mineur, et semi-ton moyen, cequi n'est point en vsage, sçauoir le ton mineur, et le semi-ton moyen; et pour faire le ton mineur, il est composé d'vn semi-ton moyen et d'vn semi-ton mineur plus foible que le ton majeur: Mais dans la pratique de la Musique, et en nostre accord Harmonique, il ne [-12-] se trouue point de ton mineur, ny de semiton moyen: la difference des deux accords est, qu'en l'accord qu'on nous presente, il n'y a ny semi-ton majeur ny semi-ton mineur, mais le semi-ton moyen et le ton majeur pareils aux nostres; car pour faire le semi-ton moyen, on baisse le semi-ton majeur, et ce faisant on hausse le mineur, et par ce moyen tous les semi-tons sont égaux. Or estant en l'assemblée de fort honnestes gens, et entendant cét accord que je trouuay fort mauuais et fort rude à l'oreille, leur disant mon sentiment, et que personne ne le pouuoit trouuer bon, ils me respondirent que ie n'y estois pas accoustumé: Et je leurs dis, que si on leur presentoit vn festin de viandes ameres et de mauuais goust, et qu'on leur donnast du vinaigre à boire, dont ils se pourroient plaindre auec raison: si on leur disoit qu'ils n'y sont pas accoustumez, ce ne seroit pas vne bonne raison et bien receuable, je voulus sçauoir à quoy cét accord estoit bon; celuy qui auoit accordé l'Espinette me dit qu'il estoit bon pour en jouër, et détonner de semi-ton en semi-ton, et que tous les accords se trouuoient bons par tout, et qu'il s'accordoit mieux que le nostre auec le Luth et la Viole: je luy dis qu'il auoit mauuaise raison de vouloir gaster le bon et parfait accord pour l'accommoder à des Instruments imparfaits, et qu'il falloit plustost chercher la perfection du Luth et de la Viole, et trouuer le moyen de faire que les semi-tons fussent majeurs et mineurs, comme nous les auons sur l'Espinette, ce qui ne se peut faire auec les touches des cordes dont on touche les Luths, pource qu'il faudroit qu'elles fussent faites en pieds de mousches; ce qui se peut faire par le moyen des touches d'yuoire, que lon peut mettre par le compas et par la proportion du Monochorde, et par ce moyen on accordera le Luth et la Viole, auec l'Espinnette, dans l'accord [-13-] musical et harmonique: mais de receuoir vn discord au lieu d'vn bon accord, je ne pense pas qu'vn homme bien sensé le reçoiue: quelques-vns ont creu que s'estoit bien parlé que de dire feintes, les autres que s'estoit mieux dit dieses; mais elles ont tous les deux noms, sçauoir du costé du semi ton majeur, faut dire diese, et du costé du semiton mineur la nommer feinte, pource que ce n'est qu'vn fa feint; et de la touche à sa propre feinte, n'y a qu'vn semiton mineur, les vns en montant, les autres en descendant. Voila tout ce qui se peut dire de l'accord du plus bel Instrument du monde, et le plus parfaict; veu qu'il ne se peut faire de Musique qu'il n'exprime et n'execute tout seul, ayant des Clauecins à deux Clauiers, pour passer tous les Vnissons; ce que le Luth ne sçauroit faire: et les Orgues en ont quatre pour jouër toute sorte de Musique. Autres ont dit que pour accorder l'Espinette en cét accord qu'on nous presenre, il faut accorder vt, ré, mi, fa, sol, la, de touche en touche, comme la voix nous enseigne; ce que je dis estre tres-faux, pource que c est accorder comme le flageoller, lequel s'accorde sans preuue: mais ayant vn Clauier où toutes les preuues sont, c'est faire tort à l'Instrument de ne se pas seruir de ses proprietez: et comme j'ay dit du flageollet, il n'a point de son qui se puisse preuuer contre l'autre, ny la voix seule. Aussi quand je me suis rencontré dans les Assemblées (pource qu'on me tient pour simple ouurier) il semble que s'estoit excés que de m'escouter: mais estant Organiste et ouurier, et voyant des personnes qui en parlent, et ne sçauent ce qu'ils disent; i'ay escrit ce petit Liure, lequel ie prie le Lecteur de receuoir d'aussi bon gré, comme son seruiteur le presente de bon coeur.

[-14-] Ordre pour bien accorder l'Espinette.

FAut commencer par la clef de F vt, fa, puis accorder son Octaue juste. Apres accorder le C sol, vt, fa, la Clef à la quinte de la Clef F vt, fa, et l'accorder toute juste, puis la baisser de si peu qu'elle paroisse encor bonne, et que l'oreille la puisse souffrir. De C sol, vt, fa, faut accorder son octaue en bas juste; puis accorder sa quinte G ré, sol, vt, en mesme esgalité, en la tenant foible au mesme poinct que la premiere: De plus accorder son Octaue juste, qui est la Clef de G ré, sol, vt; accorder en D la, ré, sol, apres accorder le D la ré, sol, sa quinte en mesme esgalité, toujours foible comme les autres: puis en demeurer là: et faire la preuue qui se fait de cette sorte: Faut accorder le B fa, proche la Clef de C sol, vt, fa, auec F vt, fa, proche la Clef de G ré, sol, vt, à la quinte; et tenir ce B fa, vn peu haut, afin que cette quinte soit temperée et esgale aux autres. Apres toucher le D la, ré, sol, que vous auez accordé, qui fait la tierce majeure contre B fa, et la tierce mineure contre F vt, fa: Et quand cét accord là se trouue bon, tout ce qu'auez accordé est bien, pource que l'accord ne se preuue que par les tierces; et quand elles se rencontrent bonnes par tout, l'accord est bon.

Apres il faut continuër et suiure l'ordre du commencement, et aller d'octaue en quinte jusques à la derniere corde, et ne point accorder de quinte depuis la premiere preuue cy-deuant, qu'on ne preuue si la tierce est bonne dedans, comme vous pouuez voir en l'exemple suiuant. La premiere corde sur quoy sont baissées toutes les quintes, est la feinte de E mi, la, et la derniere est la feinte de G ré, sol, vt; et ainsi [-15-] toutes les cordes du milieu du Clauier, tant touches que feintes, seront d'accord. Il faut suiure apres par octaues, de touches en touches, et de feintes en feintes par en bas et par en haut, et toûjours preuuer par tierces et par quintes.

Comme il faut accorder l'Espinette et le Prestan des Orgues.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 15; text: foible, juste, forte, 2. preuue, parfaite, derniere, des b mols. deffaut de l'accord.] [DENTRA 02GF]

Apres faut suiure d'Octaue en Octaue, comme il est desmonstré dans le narré cy-deuant.

[-16-] Prelude pour sonder si l'Accord est bon par tout.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 16] [DENTRA 03GF]

[-17-] [Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 17] [DENTRA 04GF]

[-18-] Aduis à Messieurs les Maistres de Musique et Messieurs les Organistes.

APres auoir traité de l'accord de l'Espinette et des Orgues, et démonstré comme il est parfait en ses accords, tous égaux en leur espece; il faut entendre que les Organistes ne doiuent point détonner, ny les tons de l'Eglise, ny les modes de la Musique, que sur les cordes ou touches naturelles, et que les Maistres de Musique ne doiuent et ne peuuent les y conrraindre, mais ils doiuent sçauoir détonner sur toutes les cordes pour monstrer qn'ils le sçauent faire, pource que de faire détonner du premier en E mi, la, il faut qu'il aduouë que la cadence finale ne vaut rien, la faisant sur vn semy-ton mineur, ny la tierce majeure de ladite cadance ne vaut rien aussi, estant plus grande que la tierce majeure: la tierce majeure est composée de deux tons entiers et égaux, et la tierce superfluë est composée d'vn ton majeur et d'vn ton superflu, et par consequent est trop forte et ne vaut rien, ny le battement de la cadence aussi. L'Organiste ne doit point du tout détonner ny toucher de ce ton là, ny aussi du deuxiesme en F vt, fa, pource que la tierce mineure, qui ne vaut rien estant trop foible, et composée d'vn ton majeur, et d'vn semiton mineur; et se faut seruir d'vn ton superflu touchant ré, F vt, fa, mi en G ré, sol, vt, fa la feinte de G ré, sol, vt, qui est le semiton mineur, qui ne vaut rien; sol en B fa, qui est le ton superflu, et la C sol, vt, fa. Or considerez que voila pour faire vne belle Musique enragée. Et puisque toutes les consonances harmoniques sont dissonantes et discordantes, il n'est pas raison que les Organistes les [-19-] touche, comme tierce majeure, tierce mineure, sexte maieure, sexte mineure, et le semiton mineur de mi, fa, sont tous discords qui blessent l'ouye. Les Organistes ne doiuent point du tout toucher de ces tons là, et les Maistres de Musique doiuent auoir la discretion et prendre garde de s'accommoder auec l'Organiste aux cordes et accords justes et harmonieux; et que pour vn simple faux-bourdon oster toutes les conceptions de l'esprit de l'Organiste, la liberté des mains, l'execution des beaux passages, les coups de main, les coulemens et accents qui donnent la grace au touchement, et mesme gaster l'accord de l'Orgue qui est si parfaict, cela n'est pas raisonnable. Et Messieurs les Chanoines des Chapitres où il y a Musique doiuent prendre garde pour leur contentement, que l'Organiste puisse toucher auec liberté, afin que le Seruice de Dieu soit fait par harmonieuse melodie en la saincte Eglise.

Cette leçon n'est point de moy, je l'ay apprise de mon maistre qui estoit le plus excellent homme de son temps pour toucher les Orgues, et aussi pour la composition de la Musique Vocale. Il estoit Organiste de la Saincte Chappelle de Paris, et se nommoit Florent le Bien-venu: Estant auec luy à son Orgue, je suy fis cette demande: Monsieur, pourquoy touchez vous l'Antienne de Magnificat d'vn ton, et le Magnificat d'vn autre? Il me dit, que pour le Plain-chant il le faisoit pour la commodité des Chantres; et pour le Magnificat, le Maistre de ceans m'a voulu assujettir à le toucher à sa commodité, ce que je ne voulus faire, et luy ay dit, Vous voulez chanter à vostre aise, et moy je veux toucher à la mienne; il viendra, ce me dit-il, des hommes, qui d'Italie, qui d'Allemaigne, qui d'Espagne, que sçay-je d'où, qui me viendront escouter, et entendront que je ne feray rien qui [-20-] vaille, quand je toucherois aussi bien que pourroit faire vn Ange, pource que l'Orgue est discordée de ces tons là. C'est pourquoy les Organistes ne le doiuent point faire, puis qu'il ne l'a pas voulu faire luy qui estoit si expert.

Fin du premier Liure.

De la quantité et diuersité des Sons.

APres auoir consideré et grandement recherché tout ce qui despend de tous les sons qui font harmonie, et qui peuuent faire accord et consonance, pour estre jugé par le sentiment de l'oreille, et desirant donner contentement à tous ceux qui ayment la Musique: Ie n'ay sceu trouuer rien que ce qui a esté fait et apres y auoir bien pensé, il ne se peut rien faire de nouueau qui ne soit pris des quatre sons vniuersels, qui sont: La voix de l'homme pour le premier: Le son des Orgues, qui est pris de l'air et du vent, pour le second: Le son des Cordes, tant d'acier, d'or, d'argent, de leton, que de boyau, pour le troisiesme: Et pour le quatriesme le son du Marteau, qui est le son des cloches et du tambour, apres ces quatre il ne s'en peut trouuer d'autres. On me pourroit objecter que les oyseaux ont vn son de voix fort agreable et delicieux, et mesme qu'il y en a qui parlent et chantent des chansons fort bien, ce qui est vray; Mais ils ne doiuent point estre mis au rang de la Musique, entendu qu'ils ne font et ne sçauroient faire aucune harmonie ny consonance: Car pour faire harmonie il faut deux ou trois voix qui fassent des accords differents et qui s'accordent juste par le jugement de l'oreille; et qui voudroit attribuer cela aux oyseaux ce seroit leur donner l'vsage de la raison. Vn homme voulut apprendre [-21-] à deux Perroquets à chanter la Musique il apprit à l'vn le Dessus d'vne chanson et à l'autre la Basse. Apres auoir pris beaucoup de peine pour les faire chanter le plus juste qu'il peust; celuy qui chantoit le Dessus le chantoit fort bien, et l'autre qui chantoit la Basse la chantoit fort bien aussi: C'estoit vne plaisante droslerie que de voir cét homme auecque ses deux Perroquets; je vous laisse à juger lequel des trois estoit le plus sage: car quand il commençoit à chanter le Dessus, pour faire chanter son Perroquet qui le sçauoit, il n'en vouloit rien faire: et comme il vit qu'il perdoit son Latin apres celuy-là, il se mit à chanter la Basse pour faire chanter le Perroquet qui la sçauoit; il luy prit enuie de chanter, mais son Camarade l'escoutoit et ne disoit mot: Cet homme se prit à chanter le Dessus pour s'accorder auec son Perroquet, afin de faire chanter l'autre; mais le Perroquet qui chantoit la Basse l'entendant chanter se mit à l'escouter, et apres s'estre bien donné de la peine, il ne sceut point du tout les faire chanter ensemble, il faudroit leur attribuer l'vsage de raison, comme j'ay dit cy-deuant.

En faueur de la Musique deux histoires admirables,

La premiere d'vn Paon blanc.

IL m'a esté raconté par vn homme qui me faisoit l'honneur de m'aymer, et dont je faisois grande estime, il estoit de mon mestier de faiseur d'Instruments de Musique, lequel me raconta qu'vn Seigneur proche de Paris luy enuoya vn lacquais, pour le prier de luy enuoyer vn Luth de Boulogne qu'il auoit veu chez luy, et de venir se rejouïr auec vn maistre Ioüeur de Luth qu'il luy nomma, dont je n'ay pas retenu [-22-] le nom, il donna le Luth au lacquais et promit de l'aller voir, et luy mener ce joüeur de Luth auec luy: Estans partis de Paris vn Samedy apres midy ils arriuerent au lieu du Seigneur dit, et furent fort bien receus, et ayans passé le reste du jour, le lendemain matin le joüeur de Luth estant leué plus matin que les autres et ce pourmenant au jardin, entendit sonner vne Messe en l'Esglise il fut l'entendre, estant de retour il prit son Luth pour s'entretenir estant seul, se pourmenant ne pensoit qu'à l'harmonie de son Luth, si tost qu'il fut entré dans le jardin il apperceut à son costé vn Paon blanc qui tournoit la teste de bonne grace, et le regardoit attentiuement, l'ayant consideré il voulut prendre garde si cét oyseau prenoit plaisir à l'harmonie, et ce destournant expres du iardin au clos, du clos à l'espalier, qui çà, qui là, par plusieurs et diuers endroits, s'en retourna au logis où le Paon ne manqua pas de le suiure toujours auec attention; ce joüeur de Luth ayant esté diligent apres auoir entendu la premiere Messe auoit eu ce contentement pendant que les autres estoient allez à la seconde Messe, comme il furent reuenus de l'Eglise, vous sçauez que c'est l'ordre de se mettre à table, entre la poire et le fromage, celuy qui auoit eu le plaisir du Paon se mit à raconter à la Compagnie ce que vous auez ouy cy deuant; ils se prirent à rire, et luy dirent, Que ne sçachant que faire il auoit inuenté vne bourde dont le menteur n'estoit pas loin, et rians à gorge desployée se mocquoyent de luy, apres leur auoir asseuré que ce qu'il auoit dit estoit vray au sortir du disner, il prit son Luth, et leur dit, Allons voir si le Paon est d'humeur à entendre le son du Luth, estant en la court on cherche le Paon, mais on ne le trouuoit point, se pensans mocquer de ce joüeur de Luth luy dirent, Ioüez, joüez de vostre Luth il viendra: aussi tost [-23-] qu'il toucha le Luth, le Paon qui estoit sur vne muraille entendant le son du Luth s'en vint à tire-d'aisle aupres de celuy qui joüoit, et ce mit à le suiure en la mesme posture comme il auoit fait le matin, sans manquer d'estre toujours à son costé; toute la Compagnie bien esbaye de voir cet oyseau si attentif en l'harmonie de ce Luth, estoit rauie, admirant comme il suiuoit cet homme par tout auec singuliere attention. Mais ce n'est pas cela qu'il faut admirer, il faut considerer que ce Paon ne prenoit pas seulement plaisir au son du Luth, mais aux accords et en l'harmonie, comme vous allez entendre; en suite de ce plaisir, la Compagnie passa le reste de la journée à d'autres diuertissemens, jusques au lendemain disner, comme la Compagnie estoit à table, il prit enuie à vn Page de se donner du plaisir du Paon, et prenant le Luth, il n'en sçauoit point joüer du tout, il racloit vn tran tran à sa mode, le Paon ne manqua pas à venir comme il auoit accoustumé, et suiuit quelque temps le Page: mais, chose admirable! quand il reconnut que le Page ne joüoit rien qui vaille, et n'entendant plus les accords et consonance, il se jetta sur le Page, auec ses griffes, son bec et ses aisles, de telle sorte qu'il luy fit quitter le Luth, et s'enfuir tout espouuanté au logis; ceux qui l'apperceurent si effroyé, luy demanderent ce qu'il auoit, et dequoy il auoit peur, il leur dit ce que le Paon luy auoit fait, et que le Paon c'estoit jetté sur le Luth pour le rompre, où ils coururent pour voir la verité qu'ils recognurent, et chasserent le Paon pour empescher le pauure Luth d'estre mis en piece, quoy qu'il eut des-ja les costes rompuës et la table cassée: Tous ceux de cette Compagnie ne croyoient pas ce qu'ils voyoient, tant la chose est admirable et incroyable; on me l'a asseurée veritable, c'est pourquoy je vous l'ay icy representée.

[-24-] Autre histoire d'vne femme melancholique.

VN jour que j'estois en vn logis où on m'auoit mandé pour accommoder vn Clauecin, vn honneste Gentilhomme me vint accoster, me disant que c'estoit vn bel Instrument que le Clauecin, et que c'estoit vne chose admirable que la Musique, et me raconta vne Histoire qui luy estoit arriuée: Il me dit qu'il auoit vne fort honneste femme, et de fort belle humeur, laquelle estant tombée en vne longue et griefue maladie, enfin ayant recouuert la santé, il luy estoit resté vne grande melancholie, et si estrange, qu'elle ne prenoit plaisir à quoy que ce fust, elle estoit toujours sur son lict les rideaux tirez, et ne vouloit voir personne, ce qui affligeoit bien fort son mary et tous ses domestiques, pource que deuant sa maladie elle estoit fort jouialle, et comme son mary se plaignoit à vn de ses Amis, luy disant que cela l'affligeoit fort, il luy demanda s'il n'auoit point consulté quelque bon Medecin sur ce sujet; il luy dit qu'il auoit essayé tous moyens et toutes sortes de medicaments, pour tascher de remettre sa femme en sa premiere santé, et qu'il n'esperoit plus la reuoir en sa premiere humeur; ce Gentilhomme luy dit, que puis qu'il auoit essayé toutes sortes de remedes, qu'il luy vouloit donner vne inuention qui reüssiroit selon sa croyance, et guariroit sa femme: Parlez (luy dit-il) au Maistre qui conduit le Concert des vingt-quatre Violons du Roy, et luy dites que vous desirez donner le plaisir de cette Musique à vne personne que vous voulez reiouïr, et qu'il prenne si bien son temps que leurs Instruments soient bien d'accords, afin que la personne à qui vous desirez faire entendre cette Musique, ne la puisse entendre que par vne surprise, sans qu'il soit besoin [-25-] de leur dire ce que c'est, seulement de leur bien recommander qu'ils ne sonnent point du tout leurs Violons, qu'ils ne commencent tout de bon et tous ensemble, ce qui fut fait si dextrement, que le tout reüssit merueilleusement bien: Et comme on eut fait tendre vne piece de tapisserie bien proche du lict, ayant pris le temps que la Damoiselle ne dormoit pas, les Violons commencerent tous ensemble, la force de ces Instruments, que vingt-quatre hommes font sonner de toutes leurs forces, et d'vne grande violence, tellement que la Damoiselle surprise, n'attendant rien moins que cette Harmonie, qui eut tant de force que de chasser tout à coup cette meschante melancholie, et reprit sa premiere santé et sa gaillarde humeur. Ce Gentilhomme me racontoit cette histoire presente, de telle vehemence et affection, et apres me l'auoir racontée de telle sorte, je l'ay creuë veritable. Voyez par ces deux histoires comme la force de l'Harmonie est aymable et admirable, qu'vn oyseau a recognu les beaux chants, les belles consonnances et l'Harmonie, contre les dissonnances, raclement et desordres que faisoit le Page: Et aussi de la Damoiselle qui fut guerie, de cette grande melancholie qui la detenoit de long-temps, démonstre bien que c'est vne chose bien excellente que la Musique: il y a eu des hommes qui m'ont dit qu'il courroient dix lieuës loing, pour entendre vne bonne Musique; d'autres m'ont dit trente lieuës, et toutes les fois qu'il s'est fait Musique de reputation, dont je suis fort curieux, je les y ay toujours rencontré, ce qui me fait croire que ce qu'ils disent est vray.

Des huict Tons de l'Eglise.

IE n'ay point rencontré d'Autheur qui ait escrit du Traité des Tons que l'on chante à l'Eglise, (et que l'Organiste [-26-] doit sçauoir, (qui puisse donner à entendre à ceux qui veulent apprendre ce qui est de leur estendue. C'est pourquoy je me suis resolu d'en escrire, comme je l'ay appris, et qu'il est obserué au Pleinchant que l'on chante aux Eglises: comme les Organistes les doiuent toucher et finir pour la commodité du Choeur; et en suite comme les Fugues et sujets ce doiuent traiter.

Premierement il faut sçauoir, que ceux qui ont composé les Antiennes et les chants de la Psalmodie, ne se sont seruis que du Diatonique, qui est vn des trois genres de Musique, comme vous pouuez voir cy-deuant, et par consequent ils ne se sont seruis que des touches du Clauier, sans s'assujettir aux feintes ou dieses, pour ne point tant donner de peine à ceux qui veulent apprendre à chanter le Pleinchant; or mis qu'ils ont obserué le [rob] mol, et ont donné à entendre que tout ce qui ce chante au dessus du la, ce doit chanter fa, ce qui est tres-faux, s'il n'est marqué, et toute personne qui chante soit Musique ou Plein-chant, n'est point obligé de chanter que ce qu'il voit escrit: car ce ne seroit pas chanter, mais ce seroit composer, ce que je pourrois prouuer par plusieurs exemples.

L'ordre des Tons, et leurs propres touches.

Le premier ré, la.

Le second ré, fa.

Le troisiesme mi, fa.

Le quatriesme mi, la,

Le cinquiesme fa, fa.

Le sixiesme fa, la.

Le septiesme vt, sol.

Le huictiesme vt, fa.

Il faut sçauoir les propres touches où il faut commencer et finir les Pseaumes, le Magnificat, et le Benedictus, selon les Tons que sont les Antiennes.

Le premier ton commence en D la, ré, sol, sa dominante [-27-] en A mi, la, ré, et sa mediante en F vt, fa.

Selon l'Antiphonié, le second ce deuroit commencer aussi en D la, ré, sol; mais pour la commodité du Choeur, l'Organiste le doit toucher en G ré, sol, vt, par [rob] mol, et ces cordes sont ré, en G ré, sol, vt, et sa dominante fa, en B fa, qui est vne quarte plus haut que son naturel.

Le troisiesme qui se chante mi, fa, faut entendre que le mi, qui est sa premiere touche est en E mi, la, et sa dominante en C sol, vt, fa, la Clef qui est vne sixte mineure contre la pensée de plusieurs qui croiroyent que ce fut vn semiton, et ce que dessus pour l'Antienne seulement, et pour le Magnificat et pour le Benedictus il se commence en G ré, sol, vt, et sa dominante en C sol, vt, fa, et finit en A mi, la, ré; Mais pour la commodité des chantres on le doit toucher en F vt, fa, par [rob] mol, sa dominante en B fa, et le finir en G ré, sol, vt.

La quatriesme commence au mi, d'E mi, la, et sa dominante en A mi, la, ré; et ce ton est nommé Arithmetique entendu qu'il a sa quarte en bas au contraire de tous les autres, et n'a point de cadence parfaite, et n'y a que luy seul qui n'en a point, et ce finit en E mi, la.

Le cinquiesme qui est fa, fa, commence en F vt, fa, et sa dominante en C sol, vt, fa, la Clef, et finit en A mi, la, ré; Mais pour la commodité du Choeur on le commence en C sol, vt, fa, et sa dominanre en G ré, sol, vt, et finit en C sol, vt, fa.

Le sixiesme commence en F vt, fa, et sa dominante en A mi, la, ré, et finit en F vt, fa, par [rob] mol.

Le septiesme en son naturel commence en G ré, sol, vt, sa dominante en D la, ré, sol, passe jusques en F vt, fa, proche la Clef de G ré, sol, vt, et se termine et finit en plusieurs sortes de façons et diuerses touches; mais l'Organiste le doit toujours finir en G ré, sol, vt, par [rob] mol, et laisser chanter les [-28-] Chantres comme il est escrit dans leurs Liures.

Le huictiesme commence en G ré, sol, vt, et sa dominante en C sol, vt, fa, et finit en G ré, sol, vt, par [sqb] quarre; mais pour la commodité des Chantres il faut le toucher et F vt, fa, par [rob] mol, et [rob] mol par tout

Il est bien difficile d'escrire d'vne science dont personne n'a point encore escrit, et que tous ceux qui la professe n'ont point de certitude, et mesme dans la conference que l'on peut faire auec les doctes, il y a de la difference aux opinions: Pour exemple, j'ay veu donner vne Fugue ou sujet à trois Organiste, dont la Fugue estoit celle qui suit.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 28; text: Le premier fit, Le second. Le troisiesme.] [DENTRA 05GF]

Auquel troisiesme fut jugé auoir le mieux fait, quoy qu'il sortit de son Diapason; mais il faut considerer que la touche qui surpasse le Diapason fait cadence pour la dominante: C'est pourquoy il a esté fort bien jugé; mais passant dans l'examen il deuoit estre rejetté.

Traité des Fugues, et comme il les faut traiter.

AYant cy-deuant desmonstré l'ordre et l'estenduë des tons, et desmonstré les touches, de leurs commencements, de leurs dominantes, et mediantes, s'ensuit de monstrer [-29-] l'ordre des Fugues, et comme il faut faire entrer la seconde Partie suiuant la premiere, et de combien de sortes il y en a.

Deux choses sont à remarquer et à obseruer diligemment à toutes sortes de Fugues, que la seconde Partie qui entre doit auoir autant de touches que la premiere en a sonné; de mesme accent, et de mesme mouuement: et en second lieu faut obseruer que le fa soit touché en mesme nombre et quantité que celuy du sujét.

Exemple.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 29,1; text: Premier sujet. Seconde Partie. Seconde fugue.] [DENTRA 05GF]

Comme vous voyez que le fa, de la premiere Fugue est la seconde notte, la seconde partie a son fa la seconde notte; et la seconde Fugue a son fa à la quatriesme notte, il y en a qui diront que je ne dis rien de nouueau, et qu'il ne se peut faire autrement: je vais monstrer le contraire d'vn Organiste, lequel fut mandé pour toucher les Orgues d'vne Parroisse, en l'Office de la Dedicace de l'Eglise, lequel Organiste deuoit estre disposé et preparé, fit cette faute en vn des versets de l'Hymne.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 29,2; text: Sujet. Seconde Partie.] [DENTRA 05GF]

Voyez donc par cét exemple que ceux qui croyent estre des plus doctes, ce sont ceux qui font les plus lourdes fautes: et qu'au lieu d'obseruer l'Harmonique au quatriesme Ton, il [-30-] veulent obseruer l'Arithmetique, et au lieu de commencer la seconde partie à la quinte, ils la veulent faire commencer à la quarte, comme vous voyez; que si cet Organiste eut commencé en [sqb] mi au lieu de commencer en A mi, la, ré, il eut trouué son compte; c'est pourquoy il faut bien obseruer la quantité des nottes et aussi le fa, en son nombre là où il doit estre comme j'ay monstré cy-deuant, et ne pas faire vn mi, pour vn fa. Voila pour seruir d'aduertissement à ceux qui entreprennent de faire des Fugues, et on verra en suite comme il faut faire pour faire et suiure des Fugues de tous les Tons. Faut remarquer que les Fugues ce peuuent commencer à l'vnisson, à la quinte, ou à l'octaue, à la discretion de celuy qui entreprend.

Pour le premier Ton que nous auons dit estre ré, la.

Exemple Premiere.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 30,1; text: Sujet. Seconde Partie.] [DENTRA 05GF]

Licence que l'on peut faire au milieu de la piece et non pas en commençant.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 30,2; text: Autre fugue du premier Ton. Seconde Partie.] [DENTRA 05GF]

Le second Ton est pareil au premier, horsmis qu'il est transposé d'vne quarte, et ce doit toucher en G ré, sol, vt, par B mol: S'ensuit deux Fugues du second Ton, qui est ré, fa.

[-31-] [Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 31,1; text: Sujet. Seconde partie. Autrement. Autre fugue.] [DENTRA 06GF]

Pour le troisiesme qui est mi, fa, ce doit toucher en G ré, sol, vt, par B mol, et est tout pareil au second Ton; c'est pourquoy je n'en feray point d'exemples ny de Fugues.

Pour le quatriesme Ton, qui est mi la.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 31,2; text: Sujet. Seconde partie. Autre fugue.] [DENTRA 06GF]

Pour le cinquiesme qui est fa, fa, faut entendre qu'il commence en F vt, fa, et ce finit en A mi, la, ré, selon l'Antiphonié, mais l'Organiste le doit toucher en C sol, vt, fa, et le finir aussi en C sol, vt, fa.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 31,3; text: Premiere Partie. Seconde Partie.] [DENTRA 06GF]

[-32-] [Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 32,1; text: Autre fugue. Seconde Partie.] [DENTRA 06GF]

Pour le sixiesme qui est fa, la, ce touche en F vt, fa.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 32,2; text: Premiere fugue. Seconde Partie à l'Vnisson ou voix pareille. Autre fugue. Pour la troisiesme Partie.] [DENTRA 07GF]

Pour le septiesme qui est vt, sol, c'est le plus difficile à traiter, il y a de tres sçauans Organistes à qui je l'ay veu traiter par [sqb] quarre; Mais il le faut traiter par [rob] mol: car le chant de la Psalmodie est par [rob] mol, voyez vne fugue qui est de l'etenduë dudit Ton.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 32,3; text: Premiere Partie. Seconde Partie. Autre fugue.] [DENTRA 07GF]

I'ay fait cette seconde Partie pour exemple, auec le Contrepoint, pource qu'elle est fort difficile à traiter.

[-33-] Pour le huictiesme Ton qui est vt, fa, il le faut toucher en F vt, fa, par [rob] mol, et [rob] mol par tout: il faut entendre que ce Ton est plustost Arithmetique qu'Harmonique; car si on le traite Harmoniquement, ce ne sera pas du huictiesme Ton, ce sera du sixiesme; et pour donner à entendre la difference, c'est que le sixiesme a le C sol, vt, fa, pour sa dominante, qui est sa quinte en haut, et le huictiesme a sa quinte en bas en B fa, et toutes les fugues qui commencent en F vt, fa, la seconde partie ce doit commencer en B fa, pour le huictiesme: Voila la difference de ces deux Tons, voyez la premiere fugue.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 33; text: Premiere Partie. Seconde Partie. Premiere fugue.] [DENTRA 08GF]

Voila ce que j'ay pû recognoistre et obseruer en l'estenduë de tous les Tons: l'Organiste sera aduerty qu'aux Religions, pource qu'ils ont quantité de voix en leurs Choeurs qui peuuent chanter plus haut que les Chappiers des Parroisses, il faut toucher le huictiesme Ton en G ré, sol, vt, par [sqb] quarre, et aussi le troisiesme Ton en A mi, la, ré, par [sqb] quarre.

Traité des Fugues, et comme il les faut traiter.

IL faut desmonstrer maintenant combien il y a de sortes de fugues, et comment il les faut traiter: Le Pere Parran [-34-] a fait vn Traité de Musique dans lequel il donne à entendre qu'il n'y a que de trois sortes de fugues, dont il a raison pour la Musique Vocale; mais pour l'Instrumentale, et principalement pour l'Orgue, il y en a de quatre sortes; comme vous pourrez voir en ce qui suit cy-apres: La premiere, c'est la fugue simple, comme celles qui sont cy-deuant de tous les Tons: La seconde, c'est la fugue double, laquelle est nommée double, parce qu'il faut faire sonner deux fugues de mouuement contraire, l'vne quant et-quant l'autre, et quand on a entrepris de traiter les deux fugues d'abord, on est obligé de les continuër, et faire chanter les deux fugues toujours ensemble, comme vous pouuez voir par l'exemple qui suit.

[Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 34] [DENTRA 08GF]

Cette fugue est difficile, et n'est pas fort agreable, à cause des deux Parties qu'il faut toujours faire chanter ensemble, et est fort embarassante.

La troisiesme fugue c'est la fugue renuersée, qui est bien plus belle et plus facile à traiter que la precedente, pource que la precedente poursuit les deux fugues tout ensemble, et à celle-cy on n'est obligé qu'à les faire suiure l'vne apres l'autre, comme vous pouuez voir en cette exemple.

[-35-] [Denis, Traité de l'accord de l'espinette, 35; text: Premiere Partie. Seconde Partie.] [DENTRA 08GF]

La quatriesme fugue, c'est la fugue continuë, c'est cette fugue-cy qui n'est propre que pour l'Orgue: car à la Musique vocale elle ne se peut faire, principalement quand il y a texte; mais on la pourroit bien faire en cas qu'il n'y eut point de paroles

Faut entendre la nature de la fugue continuë, que depuis qu'on a commencé la fugue, et que la premiere Partie a fait la fugue, elle doit toujours chanter en quelque Partie que ce soit, et aussi-tost qu'elle est acheuée d'vne Partie, vne autre Partie la doit faire, et ainsi les parties les vnes apres les autres la doiuent toujours suiure de prés, et ne rien faire du tout entre deux fugues: car elle ne seroit pas fugue continuë si on la laissoit, et doit estre toujours entenduë depuis le commencement jusques à la fin, et c'est pourquoy on l'appelle la fugue continuë, et ne l'ay point entenduë toucher et poursuiure si bien qu'à Monsieur Bienuenu, qui est celuy qui m'a enseigné la Musique, et à toucher des Orgues: Elle doit estre fort courte, et ne doit auoir que quatre ou cinq nottes, on peut bien faire quelque passage au milieu de la piece, mais qu'il ne soit que d'vne mesure tout au plus, et reprendre tout aussi-tost la fugue: Voila ce qui ce peut dire des quatre fugues principales.

Voicy vne autre piece qui est bien belle et bien curieuse, et je ne sçay comment je la dois nommer, pource que l'on n'est point obligé de suiure aucun sujet, entendu que toutes les fugues sont differentes, et pour bien donner à entendre, faut prendre le Pleinchant de l'Hymne de sainct Iean Baptiste, [-36-] où il y a six syllabes qui representent les six monosyllabes de la Musique, desquelles nous nous seruiront pour donner à entendre comme il faut traiter cette piece: Faut premierement entendre qu'il faut prendre la premiere fugue du Plainchant, qui est Vt queant laxis, et faire chanter à la seconde fugue resonare fibris, comme est le Plainchant; la troisiesme chantera Mira gestorum, et la quatriesme famuli tuorum, comme le Plainchant: Voila quatre Parties entrées, qui sont quatre sujets differents, qui font quatre fugues; reste donc deux fugues à faire, qui sont Solue polluti labij reatum, que l'Organiste fera à sa liberté à telle Partie qu'il voudra, leur faisant chanter le Plainchant comme les autres: Il reste quatre nottes pour acheuer le Verset, où il y a Sancte Ioannes, l'Organiste doit faire poinct d'Orgues sur chaque notte, ou bien faire la fugue continuë, comme Monsieur Titelouze l'a faite dans son Liure des Hymnes. Cette maniere de couplet est fort peu vsité, pource qu'il y en a beaucoup qui n'y pense pas, et n'en ont pas l'intelligence, et est fort agreable à traiter et à entendre; quelque Organiste qui escouteroit ne prenant point garde à l'intention de celuy qui touche, pourroit dire à la vollée que c'est vn mauuais Organiste, et qu'il ne suit pas sa fugue, n'ayant pas la science de cognoistre l'intention de celuy qui touche. Voila tout ce que j'ay peu recognoistre et obseruer des tons et des fugues, pour en donner la cognoissance à ceux qui desirent d'apprendre, et contentement aux sçauants, qui auront le plaisir de voir si j'ay bien fait, et ceux qui aspirent à la science y pourront profiter, et m'en sçauront gré.

La maniere de bien jouër de l'Espinette et des Orgues.

VN Philosophe disoit à ces Disciples qu'il ressembloit à la queue, laquelle ne couppe pas; mais elle fait coupper: [-37-] on pourroit dire la mesme chose de moy disant, il veut enseigner ce qu'il ne doit pas, entendu qu'il y en a qui le deuroient entreprendre plustost que luy, et qui jouënt beaucoup mieux que luy de l'Espinette: il ne s'ensuit pas que pour ne pas jouër si bien, comme je sçay bien qu'il y en a qui jouënt mieux que moy, (mais il y en a peu, et qui ne veulent pas ce donner la peine d'escrire,) que je ne sçache bien donner à entendre comme il faut bien jouër et donner bon ordre à la position de la main, qui est le principe de bien jouër. Il y a des Maistres qui font poser la main en telle sorte, que le poignet est plus bas que la main, ce qui est tres-mauuais et à proprement dire vn vice, pource que la main n'a plus de force: d'autres font tenir le poignet plus haut que la main, qui est vne imperfection, pource que les doigts paroissent comme des bastons droits et roides; mais pour la bonne position de la main, il faut que le poignet et la main soit de mesme hauteur, s'entend que le poignet soit en mesme hauteur que le gros noeud des doigts de la main. Quand je commençay à apprendre, les Maistres disoient pour maxime, que l'on ne joüoit jamais du poulse de la main droite; mais j'ay recognu depuis, que si on auoit autant de mains qu'en auoit Briarée, on les emploiroit toutes, quoy qu'il n'y ait pas tant de touches au Clauier.

Apres la position de la main, faut parler des pincements, fredons et cadances parfaites: Les pincements se font selon la valeur des nottes, et par consequent il y a de deux sortes de pincements, le simple qui est de la valeur d'vne crochuë, et l'autre qui est double est de la valeur d'vne noire; Le fredon est de la valeur d'vne blanche, sans le fermer et conclure comme la cadance: et apres il y a la cadance parfaite qui est fermée et concluë entierement. Il y en a qui font de grandes fautes, principalement quand ils commencent vne fugue; [-38-] car quelque notte que ce soit, ils font le pincement tant que la notte vaut, qui est vne grande faute, par exemple s'il commence vne fugue en G ré, sol, vt, ils font le tremblement en G, et en A, et le faisant tant que la notte vaut, personne ne sçauroit juger s'il veut commencer en G ou en A, et par ainsi on ne sçauroit juger le commencement de sa fugue: Or pour se donner de garde de cette faute, il faut que vous soyez aduertis, que tout Organiste que ce soit ne commence point de fugues en pinçant, que le pincement ne soit que de la moitiée de la valeur de la notte qu'il veut commencer, afin que le reste de la moitiée de la notte soit tenuë ferme, et donne à entendre que c'est sur cette notte là qu'il a voulu commencer, et pour bien faire quand on veut commencer vne fugue, en touchant la premiere notte on doit abbattre sa voisine quant-et-elle et la laisser, tenant celle qui doit sonner: car quand aux animations du toucher de l'Orgue, ils sont pateils aux ombrages de la peinture, (que le Peintre doit bien prendre garde que l'ombrage qu'il pose pour faire paroistre le relief et la bosse, ne fasse pas vn broüillis qui blesse la veuë,) aussi l'Organiste doit bien prendre garde de ne pas tant remuër et fretiller des doigts, qu'il fasse confusion et vn broüillis qui empesche d'entendre les consonnances et les mouuements: car celuy qui fait bien les pincements, tremblements, fredons et cadances bien à propos, doit estre tenu bien sçauant: S'il y a quatre nottes de suite, il faut prendre garde de n'en pincer que deux; sçauoir, que si vous pincez la premiere, il faut pincer aussi la troisiesme, et ne pas pincer la seconde ny la derniere; et si vous voulez pincer la seconde, il faut aussi pincer la quatriesme, et ne pas pincer la premiere ny la troisiesme, autrement ce seroit confusion et broüillement: On ne doit point pincer les crochuës qui sont en passages que fort rarement, et si les nottes descendent il faut pincer [-39-] au dessus, et si elle monte il faut pincer au dessous, de deux l'vne comme j'ay dit cy-deuant.

Cela est beau de voir vne personne qui joüe bien et de bonne grace, et qui a la main bien posée; mais il faut bien prendre garde de ne pas toucher de force ny de contrainte: car qui que ce soit qui est contraint ou forcé en ses mains, ou en son corps, ne touchera jamais bien; c'est pourquoy les Maistres qui enseignent, doiuent bien considerer la capacité de la personne à qui il monstre, si elle est capable de toucher selon les Regles, et si les doigts le peuuent faire: car de vouloir contraindre vne personne de faire la cadance des deux doigts de derriere, et ces doigts ne le peuuent pas faire que par contrainte, il faut le laisser faire la cadance des deux premiers doigts, et couper la cadance, et la fermer auec le premier doigt subtilement comme je la fais, et si j'eusse voulu me contraindre de la faire comme on la doit faire, je n'eusse jamais bien joüé de l'Espinette ny de l'Orgue.

Des mauuaises coustumes qui arriuent à ceux qui joüent des Instruments.

EStant du mestier de faiseur d'Instruments de Musique, je suis obligé de receuoir toutes sortes de personnes en ma boutique, aucuns viennent pour voir et entendre mes Ouurages, d'autres viennent pour achepter, et par ainsi j'ay le contentement de voir toucher toutes sortes de personnes, et de voir toutes les simagrées et postures qui se font, dont plusieurs personnes ne se donnent point de garde, et les Maistres qui enseignent ne peuuent pas voir si bien, parce qu'il faut que leurs Escoliers fassent ce qu'ils leurs enseignent; mais moy je remarque tout sans leur rien dire; autresfois je [-40-] leurs disois auec liberté, mais j'ay recognu qu'il y en auoit qui le prenoient de mauuaise part, je me suis retenu de cette grande liberté, et l'ay bien voulu faire dire au papier, peut-estre que quelqu'vn ne s'en offencera pas si tost que de la parole. Il viendra quelquefois vn jeune enfariné me demander vn bon Clauecin ou vne Espinette, lequel pensant faire des merueilles a plus de peine à tourner la teste, et regarder si je prends garde à ce qu'il joüe, qu'il ne prends garde à ce qu'il fait, et pour ce faire entendre il fera plus de bruict auec son pied, pour battre la mesure, que l'Instrument qu'il sonne. Autres font bien plus plaisamment, qui font la moitiée de la cadance en l'air, et font sonner le reste: Autres branles la teste à chaque moment auec vn grondement qui est assez drolle. I'ay veu vn jeune homme qui joüoit sort bien, et de trois mesures en trois mesures il faisoit vn clacq auec sa langue, si haut que j'eus bien de la peine à m'empescher de rire: Vn Organiste qui touche fort bien l'Orgue et l'Espinette, qui n'est point Organiste de Paris, quand il veut joüer quelque chose qui croit estre bien fait, il jette ses deux jambes tout d'vn costé, et met son corps de trauers auec vn renfrongnement de visage, ce qui est presque insupportable à ceux qui le voyent toucher. I'ay escrit toutes ces choses cy-dessus, pour aduertir ceux qui sont des-ja accoustumez à ces imperfections, de leurs en donner de garde, et aux Maistres qui enseignent, de prendre garde que leurs Escoliers ne prennent point de mauuaises habitudes.

FIN.


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