TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Author: Mersenne, Marin
Title: Livre troisiesme des Instrvmens a chordes
Source: Harmonie Universelle, contenant la theorie et la pratique de la musique, 3 vols. (Paris: Sebastien Cramoisy, 1636; reprint ed. Paris: Centre national de la recherche scientifique, 1965), 3:101-176.
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[-101-] LIVRE TROISIESME DES INSTRVMENS A CHORDES.

PREMIERE PROPOSITION.

DETERMINER QVELLE EST LA MATIERE, la figure, l'accord et l'vsage de l'Epinette.

L'Epinette tient le premier, ou le second lieu entre les Instrumens qui sont harmonieux, c'est à dire qui expriment plusieurs sons ensemble, et qui chantent plusieurs parties, et font diuerses consonances; ie dis le premier, ou le second lieu, parce que si on la considere bien, et si l'on iuge de la dignité des Instrumens de Musique par les mesmes raisons que l'on iugeroit de la bonté des voix, sans doute on la preferera au Luth, qui est son Compediteur; mais la commodité du Luth sa bonne grace, et sa douceur luy ont donné l'auantage.

Or pour parler comme il faut de l'Epinette, nous deuons considerer sa matiere, sa figure, ses parties, ses chordes, ses sons, son harmonie et son vsage tant ez concerts, que lors qu'elle est consideree toute seule, ce que nous ferons succinctement, et le plus clairement qu'il nous sera possible. Quant à la Matiere, il faut considerer trois choses aux Instrumens à chorde, et comme les Anatomistes diuisent le corps humain en la teste, au thorax et aux membres, dont la teste est le siege de la raison, et le domicile des sens, et le thorax est le lieu des parties vitales, aussi peut-on diuiser toute sorte d'Instrumens de Musique en corps, en table et en manche, comme font les ouuriers.

Le Corps du Luth est ce que l'on appelle les éclisses, le dos, ou la donte du Luth: mais en l'Epinette, c'est le coffre, qui se peut faire de toute sorte de bois: encore que l'experience et la raison ait appris aux ouuriers qu'il faut faire vne grande distinction entre les bois, parce qu'ils desirent d'estre employez et maniez diuersement, car les plus poreux, et les plus resineux, et qui par consequent tiennent plus de l'air, ont d'autres vsages en la fabrique des Instrumens que ceux qui sont plus denses, plus materials et plus terrestres.

Il faut donc que l'ouurier ait esgard à deux choses quand il fait les Instrumens, à sçauoir à l'harmonie ou resonance de l'Instrument, et à la force et solidité, qui sont deux choses qui demandent le bois contraire en qualité, car l'harmonie le demande delié, et consequemment fragile, et sujet à se dementir, et la solidité le demande espais et grossier, or ce qui est grossier est sourd.

Et les ouuriers qui donnent beaucoup de son aux Epinettes, les rendent de peu de duree, de là vient qu'il y faut perpetuellement trauailler; et ceux qui les font trop massiues, les rendent sourdes et incommodes. Par consequent si l'on veut faire le corps de l'Epinette, il faut imiter la nature en la structure de l'animal, qui fait les os durs et grossiers pour le soustien du corps, et les muscles molets et delicats pour l'vsage des mouuemens.

[-102-] Les deux barres du trauers, et tous les sommiers sont au lieu des os, et les quatre ais qui doiuent estre deliez, sont au lieu des muscles.

Quant aux sommiers ils sont ordinairement de bois de hestre, par ce que ce bois est bien dur et bien liant, ce que n'ont pas le buys, l'ebene, l'iuoire ou les autres bois durs.

Les ais du costé sont de tillot, ou de quelqu'autre bois blanc, afin que l'Epinette soit plus legere: autrement ils peuuent estre de tel autre bois que l'on veut, pourueu que l'espaisseur soit proportionnee à la dureté du bois, car le plus dur et le plus solide doit estre plus delié, et le plus tendre doit estre plus espais, afin qu'ils fassent autant de corps l'vn que l'autre.

Le fonds peut aussi estre de tel bois que l'on voudra, mais les ouuriers le font de sapin aux grandes Epinettes, et le font espais d'vn doigt, afin qu'elles soient plus legeres et plus portatiues.

Quant à la table, elle doit estre de bois resineux, comme de cyprez ou de cedre, et principalement de sapin, qui est le plus estimé de tous les bois pour cet vsage. Son espaisseur est d'vne ligne ou enuiron, et quand elle est bien collee et appuyee sur les tringles ou sommiers, c'est elle proprement qui compose l'instrument, car si l'on tend des chordes sur vne table de sapin de cette espaisseur, elle rend du son, encore qu'il n'y ait derriere ou dessus nulle boëte, nul coffre, ou corps d'instrumens, le reste ne seruant quasi que pour la tenir en estat, afin qu'elle puisse supporrer la tension des chordes.

Toutes fois les parois d'alentour en augmentent le son, et luy donnent quelque qualité, en le rendant plus doux, plus aigre, plus perçant, plus creux, ou plus sec, et mieux prononçant qu'il ne seroit autrement.

De chercher la raison pourquoy cela doit estre ainsi, ce seroit repeter ce qui a esté dit ailleurs.

Que si quelqu'vn demande si en faisant la table de bois de chesne, l'instrument n'auroit point de son, il luy faut respondre qu'il en auroit, pourueu que les parrois et le fonds de l'instrument fussent plus espais, et plus forts qu'à l'ordinaire, et que les chordes fussent beaucoup plus grosses, plus longues et plus fortes. Neantmoins le son seroit peu intelligible, et au dessous de la portee de la voix.

Car il faut que les chordes ayent la force d'ébranler la table de l'instrument, et l'air qui est au derriere, pour rendre du son; par consequent si la table est bien solide, il faut que la chorde soit bien forte: et si la table est immobile elle ne fera point de son.

L'on peut dire la mesme chose de toute autre sorte de matiere, comme du metal, des pierres, du verre, qui auroient par dessus le bois de chesne, qu'il seroit mal aysé de les assembler, à raison que ces matieres ne se lient pas bien ensemble: et tout au plus on pourroit faire vne meschante Epinette auec beaucoup de temps, d'industrie, de peine et d'argent: comme il est arriué à celuy de nostre temps, qui a fait vn tres-beau Luth d'or, et peu bon.

La table des Epinettes doit estre percee de plusieurs ouuertures arrangees en escharpe, ou en biais tout au trauers d'icelle pour faire passer les sautereaux qui touchent les chordes pour les faire trembler et sonner.

La prominence qui excede le corps de l'instrument, et qui semble continuer ledit corps en droite ligne, est appellee le manche par les ouuriers, et ioüeurs d'instrumens, et sert pour estendre les chordes dessus, afin qu'elles [-103-] ayent vne longueur suffisante, et que le Musicien pose les doigts dessus pour faire faire diuersitez de tons à vne mesme chorde; or il y a autant de cheuilles au bout des manches qu'il y a de chordes sur l'instrument, afin qu'on les puisse hausser ou baisser à volonté, comme l'on void au luth, aux violes, aux mandores, aux guiterres et aux violons; Et bien que l'Epinette semble manquer de manche, sa figure estant toute d'vne venuë et vniforme, et n'ayant aucune prominence, neantmoins si nous considerons l'vsage du manche, nous treuuerons que le sommier qui reçoit les cheuilles, fait le mesme office que la queuë du manche fait au luth; et les Clauecins ont vne queuë quasi toute semblable; finalement ledit sommier a deu estre vn manche continu et vniforme à la table, à raison de la multitude des chordes.

Nous parlerions icy des chordes de l'Epinette, de la matiere dont elles doiuent estre faites, et de leurs grosseurs, longueurs et tensions: mais il faut premierement expliquer comme elle doit estre touchee, car encore que l'on fasse l'archet qui sert à toucher la Viole ou le Violon, apres qu'ils sont montez de leurs chordes, il n'en est pas de mesme de l'Epinette, dont il faut faire le clauier, et les sautereaux qui luy seruent comme d'archet, auant que de poser et de coller la table en sa place.

Or ce que l'on appelle le Clauier en l'Epinette, est composé de plusieurs morceaux de bois longs et plats par le bout, qui sont arrangez selon l'ordre des tons et des demy tons de Musique, et se meuuent de haut en bas entrans dans le corps de l'Epinette; et sur l'extremité du bout, qui est caché au dedans, il y a vn autre petit morceau de bois qui sert à toucher les chordes, et qui se nomme sautereau, à cause de son vsage, car il saute quand on iouë de l'Epinette.

Quant au clauier, il a esté ainsi nommé à cause qu'il contient toutes les clefs de la Musique: mais il est difficile de l'expliquer, et malaisé à comprendre à ceux qui n'en ont point veu, c'est pourquoy i'en donneray la figure dans les Propositions qui suiuent.

Or l'on donne telle figure que l'on veut à l'Epinette, car il en arriue de mesme qu'aux horloges scioteriques, ou au Soleil, que l'on peut tracer et descrire de telle figure que l'on veut, sans preiudicier aux heures que l'on y a marquees. Mais pourueu que la figure de l'Epinette ne nuise point à la disposition des chordes necessaires, il importe fort peu qu'elle soit ronde, quarree, en ouale, ou parallelogramme, qui est sa forme ordinaire. Et la largeur de ce quarré longuet, ou parallelogramme est d'vn pied et demy ou enuiron, et sa longueur selon que l'on veut allonger la chorde, et baisser le ton auquel on la veut mettre. Certainement il ne seroit pas inutile de rechercher la figure la plus propre de toutes pour ayder les sons, et d'experimenter si la ronde, qui a tant de priuileges és autres choses, seroit la meilleure pour cet effet: ce qui se peut aussi rechercher pour la figure des autres instrumens, mais i'en laisse la curieuse recherche aux ouuriers.

Les chordes de l'Epinette sont pour l'ordinaire de leton et d'acier, car de 49. chordes que l'on tend sur l'Epinette commune, les 30. premieres ou plus grosses sont de leton, et les autres plus deliees sont d'acier ou de fer, parce qu'elles montent plus haut que celles de leton, encore qu'elles leurs soient esgales en longueur et grosseur, comme nous auons remarqué au discours de la difference des sons que font les chordes de toutes sortes de metaux.

[-104-] On peut aussi mettre des chordes de boyau, de soye, d'or et d'argent sur l'Epinette, mais l'on experimente que celles de boyau ne sont pas si propres que celles de leton, parce qu'elles changent trop facilement de ton en temps sec et humide, et ne sont pas si vniformes et si esgales en toutes leurs parties que celles de metal: et celles de soye sont encore plus inegales que celles de boyau. Quant à celles d'or et d'argent, il n'est pas necessaire de les employer aux instrumens, d'autant que celles de leton ne leur cedent en rien, et qu'elles montent plus haut.

Le nombre des chordes est esgal au nombre des touches, de sorte que si l'on augmente les vnes, il faut aussi augmenter les autres: par exemple, si l'on fait vne Epinette iuste, qui ayt toutes les consonances, et les dissonances en leur perfection, il faut 73. chordes, afin que chaque octaue en ait 19. comme nous monstrerons en expliquant les clauiers de l'Epinette, et au traicté de l'orgue parfait, où nous ferons voir qu'il faut 97. chordes sur l'Epinette, et autant de tuyaux sur l'orgue pour iouër à toutes sortes de tons, toutes sortes de pieces de Musique, et pour vser du genre chromatic et enarmonic.

Quant à la tension des chordes, elles doiuent estre tenduës sur les deux cheualets qui sont collez sur la table.

Or les ouuriers ont seulement de 7 ou 8 grosseurs de chordes, et consequemment font seruir vne mesme grosseur à 6. ou 7. sons differens. Mais si l'on vouloit monter vne Epinette auec toute sorte de perfection selon les regles harmoniques, il faudroit autant de differentes grosseurs de chordes, comme l'Epinette a de sons, à sçauoir 49; car la proportion de ces grosseurs et longueurs doit suiure la raison des interualles, qui sont entre les sons: de sorte que si la plus grosse a 16. parties en sa circonference, la moindre doit seulement auoir vne partie, parce que 16. est à 1. comme le son plus graue de l'Epinette est au plus aigu.

Il faut dire la mesme chose de la longueur des chordes, dont la proportion est vn peu mieux gardee par les ouuriers, que celle de la grosseur, mais non parfaitement. Or il n'est pas besoin d'expliquer ces proportions plus particulierement, parce qu'elles dependent de la cognoissance du monochorde, dont nous auons desia parlé dans vn autre lieu. Et qui sçait la raison des degrez de l'octaue, à sçauoir d'vt, re, mi, fa, sol, et cetera sçait la raison des grosseurs et des longueurs qu'il faut donner aux chordes; par exemple, si la plus longue est de quatre pieds, la plus courte doit estre d'vn demy pied.

Il faut dire la mesme chose de la Harpe, dont les chordes sont esgalement disposees, de sorte que l'on peut dire que l'Epinette est vne harpe couchee et renuersee, ou au contraire, que la harpe est vne Epinette renuersee quant aux chordes, car elles sont differentes quant aux autres choses: mais ie feray vn discours particulier de la longueur et grosseur que doiuent auoir les chordes de l'Epinette, et des autres instrumens pour rendre vne harmonie parfaite, et donneray deux tables pour ce sujet dans la suite de ce Liure.

Ie viens maintenant au temperament de l'Epinette, qui est semblable à celuy de l'orgue, aussi a-elle autant de touches sur chaque octaue comme l'orgue; c'est pourquoy ie diray seulement icy que l'on doit approcher le plus pres que l'on peut de la verité de chaque consonance, à laquelle butte toute sorte de temperament, car ie reserue le reste pour le traicté des Orgues.

Quant à l'accord, qui depend dudit temperament, il n'est pas aysé de le representer, [-105-] tant parce que les Maistres se seruent de differentes methodes pour accorder l'Epinette, que par ce que cet accord suppose vne oreille iuste et delicate, n'y ayant nulle science qui apprenne à accorder cet instrument sans le iugement de l'oreille, si ce n'est que les poids attachez au bout de chaque chorde nous donnent tous les sons iustes, mais les chordes s'aslongent tousjours, et ne peuuent subsister long-temps sans rompre; et puis elles deuroient auoir vne parfaite proportion en longueur et en grosseur, et vne parfaite esgalité, et finalement les poids apporteroient vn trop grand embarras et trop d'incommodité, neantmoins i'expliqueray apres ce qui appartient à ces poids, et aux tensions qu'ils donnent aux chordes.

Quelqu'vn pourroit dire que sçachant la grosseur des cheuilles, et la longueur des chordes, l'oeil sans l'oreille pourroit tesmoigner la tension de chaque chorde, en voyant combien de tours feroit la chorde autour de chaque cheuille, et par consequent combien chaque chorde auroit de tension, laquelle semble estre aussi grande comme le volume de la chorde s'est diminué. Car il faut remarquer que la chorde que l'on bande, deuient plus deliee à proportion que l'on la bande dauantage: de sorte que si, par exemple, elle deuient plus courte de moitié par la tension, elle sera aussi plus deliee de moitié qu'auparauant.

Mais ie responds que l'oeil n'est pas assez subtil quoy qu'aydé du compas, ou des autres instrumens, pour discerner combien la tension de chaque chorde la rend plus deliee que deuant, n'y quelle longueur de chorde enuironne les cheuilles. Et puis quand l'on sçauroit ces particularitez, elles ne suffiroient pas pour venir à l'accord de l'Epinette, d'autant qu'il y a des chordes qui font plus de tours de cheuille que les autres, et consequemment qui deuiennent plus deliees, encore qu'elles ne montent pas tant, comme demonstre l'experience aux chordes plus deliees, qui montent beaucoup plus haut à proportion, que ne font les plus grosses, encore qu'on ne leur donne pas tant de tours de cheuille: mais ie parleray encore de cette maniere d'accorder.

Or c'est chose asseuree qu'il n'y a point d'autre meilleur moyen d'accorder l'Epinette qu'en supposant vne bonne oreille, qui entende la iustesse des accords: ce que l'on fait en cette maniere. Premierement il faut commencer à la premiere touche ou chorde de la seconde octaue, et accorder les 10. ou 12. chordes qui suiuent en montant de Quinte en Quinte: de sorte que l'on approche le plus pres de la iuste Quinte qu'il sera possible pour treuuer les autres accords. Puis il faut tellement diuiser les Quintes en Tierces maieures et mineures, que les maieures soient vn peu affoiblies, et les mineures vn peu plus fortes que ne desire leur iustesse: et ces 10. ou 12. touches estant d'accord l'on doit mettre les autres à leurs Octaues: mais il faut expliquer plus particulierement de quelle methode l'on doit vser pour accorder cet instrument bien viste et iustement, ce que les ioüeurs estiment vn grand secret de l'art: car puis que nous traictons les sciences liberalement, nous ne deuons rien oublier de ce qui peut seruir à la perfection de la Musique. C'est pourquoy nous apporterons la maniere la plus iuste, et la plus prompte de toutes celles qui ont esté experimentees iusques à maintenant en expliquant la figure de l'Epinette.

Or le secret du temperament consiste à sçauoir qu'elles consonances l'on doit tenir iustes, fortes, ou foibles, afin de temperer tout le Systeme, ou le Clauier: c'est pourquoy chaque note, ou chaque son qu'il faudra fortifier, ou diminuer, [-106-] ou tenir iuste, aura pour marque l'vne de ces trois dictions, fort, iuste, ou foible. Il faut maintenant voir si l'on peut mettre les ieux differents, que plusieurs ont essayé d'introduire dans l'Epinette, comme l'on a fait dans l'orgue, afin qu'elle comprint toutes sortes d'instrumens à chorde, comme l'orgue contient toutes sortes d'instrumens a vent, mais l'vn n'a pas reüssi comme l'autre, quelques Panodions et autres instrumens que l'on ayt inuenté pour ce sujet.

Or le ieu des Violes est le plus excellent de tous ceux que l'on y peut augmenter, car quant à celuy des Luths et des Harpes, l'Epinette les imite assez, lors qu'elle est montee de chordes à boyau. Mais auant que de resoudre si l'on y peut ioindre le ieu des Violes, il faut considerer tous les ieux que l'on y pratique maintenant. Et premierement le ieu commun, qui est le fondement des autres, peut estre appellé ieu fondamental, auquel on adiouste quelquefois vn semblable ieu à l'vnisson, ou vn autre à l'octaue, afin de le rendre plus remply d'harmonie, et afin qu'il ayt vn plus grand effet dans les concerts et sur les auditeurs. L'on peut encore adiouster vn autre ieu de Tierce ou de Quinte, dont les vns pourront auoir des chordes de luth, et les autres de leton ou d'acier. Voila tous les ieux dont on s'est seruy iusques à present, lesquels on peut appeller double, ou triple Epinette. Et ces ieux se ioüent tous ensemble, ou separément comme l'on veut, en les ouurant ou fermant par de certains ressorts et registres que l'on tire, ou que l'on pousse selon la volonté du facteur et du Musicien.

Quant au ieu de Violes, l'on peut se seruir de chordes à boyau ou de leton, mais la difficulté consiste à treuuer le moyen de faire vn archet, qui touche les chordes aussi fort, ou aussi doucement que l'on desire. Or la main du Musicien peut suppleer à cela, car à proportion que l'on baissera ou que l'on haussera les chordes, afin de rencontrer l'archet, elles seront touchees plus rudement, ou plus delicatement. Et l'on peut s'imaginer vn mouuement par des ressorts, ou auec le pied, qui fera tousiours cheminer l'archet, afin qu'il touche chaque chorde aussi long-temps que l'on voudra. Mais ie ne croy pas que l'on puisse suppleer les gentillesses de la main gauche, ny les fredons, et les douceurs et rauissements des coups de l'archet, dont les excellens ioüeurs de Violes et de Violons, comme les Sieurs Maugards, Lazarin, Bocan, Constantin, Leger et quelques autres, rauissent l'esprit des auditeurs.

Les Allemans sont pour l'ordinaire plus inuentifs et ingenieux dans les Mechaniques que les autres Nations, et particulierement ils reüssissent mieux à l'inuention des instrumens de Musique: ce que ie peux confirmer par la maniere qu'ils ont treuuee depuis quelque temps, pour faire ouyr des ieux entiers de Violes sur les Clauecins, quoy qu'vn seul homme en touche le clauier, comme celuy d'vne autre Epinette.

Mais ils n'ont nul besoin d'archet, d'autant qu'ils mettent quatre ou cinq rouës paralleles aux touches, quoy que plus hautes que les touches: or on presse les chordes si peu que l'on veut sur lesdites rouës, qui font durer le son aussi long-temps que le doigt demeure sur la touche, et qui le renforcent ou l'affoiblissent selon que l'on presse la touche plus ou moins fort. La circonference des roües est couuerte de cuir bien collé pour seruir d'archet, et on les fait tourner auec le pied par le moyen d'autres roües et d'autres ressorts, qui sont cachez souz les rouës. Ce qui est mal aysé à comprendre sans en voir la figure, dont ie parleray apres.

[-107-] Quant à l'vsage de l'Epinette, elle a cela d'excellent, qu'vn seul homme fait toutes les parties d'vn concert, ce qu'elle a de commun auec l'orgue et le luth: mais ces accords et ses tons approchent plus pres de la iuste proportion de l'harmonie qu'ils ne font sur le luth; et l'on fait plus aysément plusieurs parties sur l'Epinette, que sur ledit luth.

Quant à la Harpe, elle semble surpasser l'Epinette, en ce qu'elle retient les sons de resonnement plus long temps, car ses sons s'amortissent par le drap qui est pres de la plume, quoy que l'on puisse dire que ce resonnement de la Harpe nuit plustost qu'il ne sert à l'harmonie, si le ioüeur ne l'esteint auec ses doigts, ausquels suppleent les petits morceaux de drap de l'Epinette, qui a cela par dessus l'orgue, qu'elle ne depend point du vent ny des soufflets, qui contraignent les Organistes à auoir de l'ayde pour ioüer, dont l'Epinette n'a nullement besoin, car elle represente sans beaucoup de bruit tout ce qui se fait sur l'orgue; et puis elle est plus aysee à toucher et à accorder, ioint qu'elle couste beaucoup moins.

Elle peut semblablement estre meslee auec toutes sortes d'instruments, comme enseigne l'experience, et mesme auec les voix, qu'elle regle et qu'elle maintient dans le ton; mais elle se mesle particulierement auec les Violes, qui ont le son de percussion et de resonnement comme l'Epinette.

On peut dire la mesme chose des Clauecins et des Manichordions, dont celuy cy est plus foible de son que l'Epinette, et celuy-là est plus fort pour l'ordinaire. A quoy l'on peut adjouster pour la façon et pour la forme, que le clauier est à l'vne des extremitez du clauecin, et que dans l'Epinette et dans le Manichordion il est au milieu. Or quant à la bonté de l'Epinette, elle depend de plusieurs conditions et particularitez, mais particulierement des barres qu'on met dessouz la table, d'autant qu'il est difficile de barrer parfaictement les Epinettes, et est l'vn des plus grands secrets de l'art, dont ie laisse la recherche aux Facteurs.

PROPOSITION II.

Expliquer la figure de l'Epinette, et la science du Clauier tant parfaict, qu'imparfaict, et quel il doit estre pour ioüer toutes sortes de compositions de Musique dans leur parfaicte iustesse, sans vser du temperament.

ENcore que le discours precedent soit assez clair, et aysé à entendre à ceux qui ont veu des Epinettes, et à ceux qui en sçauent l'vsage, il est raisonnable d'en mettre icy la figure, afin que ceux qui n'en ont iamais veu la comprennent entierement: car l'experience m'a souuent fait voir qu'il n'y a nul discours dont on puisse tirer tant de lumiere, que de la figure et de la representation des choses dont on parle, et dont on veut s'instruire.

Or i'ay choisi la moindre Epinette de toutes celles que l'on a coustume de faire, pour en representer icy la figure: car sa plus grosse chorde n'a guere qu'vn pied de long entre ses deux cheualets. Elle n'a que 31. marche dans son clauier, et autant de chordes sur sa table; de sorte qu'il y a cinq touches cachees à raison de la perspectiue, à sçauoir trois des principales, et deux feintes, dont la premiere est couppee en deux; mais ces feintes seruent pour descendre à la Tierce, et à la Quarte de la premiere marche, ou du C sol, afin d'arriuer [-108-] iusques à la 3. octaue, car les 18. marches principales font seulement la Dix-huictiesme, c'est à dire la Quarte sur deux octaues.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 108; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, d, f, A, C, D, E, F, G] [MERHU3_3 01GF]

Cette figure estant regardee de son point de perspectiue est si facile à comprendre, qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours. Il faut seulement remarquer que l'on se met au milieu pour en sonner, au lieu que l'on se met au bout du clauecin, comme l'on void dans sa figure: mais la disposition des clauiers monstre assez de quel costé l'on se doit mettre pour les toucher.

Or A C B D monstrent le corps de cet instrument, dont le couuercle est Z Y A C, qui se ioint à l'ais du derriere auec des crampons mis en A, et en [-109-] C. Les chordes H N M sont attachees par vn bout aux petites pointes de fer que l'on void au long du dos sur la table E G M C, et de l'autre bout elles sont entortillees aux cheuilles de fer E F: mais leur longueur qui sert à l'harmonie est bornée et determinée par le cheualet E N, dont les deux bras font vn angle obtus, et L M monstre l'autre cheualet chargé de petites pointes qui bornent la longueur, et l'harmonie des chordes. G H fait voir les mortaises par où passent les sautereaux. Le P et l'O seruent de couuercle aux deux petits coffres, esquels on met les chordes, le marteau de l'Epinette, ou ce que l'on veut. Quant au Clauier, (qui contient toutes les marches, dont les principales ou diatoniques sont marquees de leurs propres lettres) i'ay osté l'ais de dessus, qui se pose sur la ligne V X, afin que l'on veist le bout des petites pointes de fer qui attachent les marches, dont les Chromatiques ou les Feintes sont beaucoup plus etroites.

Or chaque Octaue de l'Epinette a 13. notes, comme l'on void aux 13. qui sont grauees sur l'ais Q R, lequel se leue pour fermer le clauier, et qui appartiennent à la premiere octaue marquee par C sol vt fa: ce qui est si aysé à entendre qu'il n'est pas besoin de nous y arrester: car il suffit d'auoir des yeux pour voir les 12 demytons esquels cette octaue est diuisée par le moyen des dieses, qui sont entre les notes diatoniques, et qui representent les feintes du clauier. Mais il ne faut pas oublier l'accord de cet instrument qui sert aussi pour le Clauecin et pour le Manichordion, et qui monstre la methode et la pratique dont vsent les plus grands Maistres de cet art.

Ie dis donc premierement que l'on peut prendre le ton, ou le son de Fa vt pour le fondement de l'accord. En second lieu qu'il faut faire le quinte foible en haut, c'est à dire que la 2. note qui est en C sol ne monte pas iusques à la quinte iuste du monochorde. Cette diminution est signifiee par la lettre d, qui enseïgne que toutes les notes, sur lesquelles il se rencontre, doiuent estre affoiblies et diminuees. Quant aux Octaues qui paroissent entre les quintes, elles sont tousiours iustes. Or les cinq regles d'enhaut contiennent l'accord des marches diatoniques, comme celles d'en bas contiennent l'accord des feintes, c'est à dire des marches Chromatiques. Apres que l'on a accordé la premiere quinte de F à C, l'on accorde le C d'en bas à l'octaue, et de ce C on monte à la quinte en G, duquel on passe au G d'enhaut; et puis on accorde le D de dessus à la quinte auec le mesme G. En 7. lieu on descend de ce D à l'octaue en bas: et de ce D d'enbas on monte à l'A d'enhaut, auec lequel il fait la quinte, et de cet A l'on monte à l'A superieur pour faire l'octaue. En 8. lieu l'on monte du D inferieur à la quinte en E, duquel on descend à l'octaue, c'est à dire à l'E d'enbas: et finalement l'on monte de cet E à la quinte en [sqb] mi, qui fait le douziesme rang de ces cinq lignes.

L'on vient apres à l'accord des Feintes en commençant à l'F superieur, auec lequel il faut accorder le b fa à la quinte: mais cette quinte doit estre augmentee au lieu que les precedentes ont esté diminuées: c'est pourquoy i'ay mis la lettre f dessouz pour signifier qu'elle doit estre forte, de mesme que celle qui suit. Quant aux trois autres elles sont marquées par d, parce qu'elles doiuent estre diminuées. Le 71. ou dernier rang de notes signifie le defaut de l'accord ou du clauier. Or l'on peut faire les Epinettes aussi grandes que l'on veut, par exemple de 4. ou 5. pieds de long; mais ce que l'on pourroit desirer en cellecy, s'expliquera si clairement dans le traicté du Clauecin qui suit, qu'il n'est pas necessaire d'allonger ce discours.

[-110-] PROPOSITION III.

Expliquer la figure, les parties, le Clauier et l'estenduë du Clauecin.

CEtte figure represente le double Clauecin, comme l'on void aux deux rangs de chordes qu'il contient, dont le premier est entortillé aux premieres cheuilles Z Z, et l'autre aux secondes L L. De là vient qu'il y a quatre cheualets, à sçauoir deux droits N M, et P O: et les deux autres, à sçauoir S T et V X, qui determinent la longueur harmonique des deux rangs de chordes. On les appelle cheualets à crosse à raison de leur figure.

Les moindres chordes sont arrestées par les pointes T T, et les plus grandes par celles qui suiuent la ligne G B, dont celles de dessouz B H et cetera ne paroissent pas, à raison du costé du Clauecin qui les couure. G F E signifie le costé continué, lequel n'a peu estre veu sans mettre le Clauecin de biais et de trauers, comme il est icy en Perspectiue.

Quant aux sautereaux R Q, qui sont quasi paralleles au second cheualet droit, duquel ils sont fort proches, ils entrent par 49. petits trous, dont on perce vne regle de bois qui s'appelle mortaise; or chaque sautereau à deux morceaux d'escarlate ou d'autre drap, afin d'estouffer et d'amortir le son des deux rangs de chordes. Et parce que la perspectiue n'a pas permis de les representer de telle sorte que ceux qui n'en ont point veu puissent comprendre leur figure, i'en ay mis vn tout entier à costé gauche, à sçauoir K O, qui porte perpendiculairement sur le bout k de la marche g h k, dont g h est le bout, sur lequel frappe le doigt pour le faire baisser, et pour faire sauter le sautereau K O, mais l'on double le bout de la marche K d'vn morceau de drap, afin que le sautereau ne fasse point de bruit en retombant: i monstre le lieu de la pointe qui arreste la marche.

Quant au sautereau, il est difficile de comprendre toutes ses parties, si l'on ne le considere de bien pres, car il est composé de sept pieces, à sçauoir du bras K O, de la languette l m, qui a vn petit ressort fait de soye de porc, ou de quelque autre crin assez fort, lequel va rencontrer la pointe l, apres qu'il a esté passé par deux petits trous que l'on fait dans le sautereau, fort pres du petit bois l m. La quatriesme partie est vne pointe de fer qui passe à trauers le sautereau et le petit bois, auquel il sert d'essieu; la plume m est la cinquiesme qui touche les chordes et les fait sonner. La sixiesme consiste en vn petit morceau de cuir collé sur la graueure du bas de la vuideure, afin d'empescher le bruit de la pointe l, qui retombe dessus apres auoir frappé la chorde, et la septiesme est le morceau de drap n, qui est dans vn trait de sie fait au haut de l'vne des dents du sautereau.

Le coffre, ou l'assemblage du Clauecin est E F G H B D K, et C A I est le lieu sur lequel sont les marches, dont les branches esgales à la branche h k, sont cachées par la piece de deuant, sur laquelle i'ay mis l'estendüe du clauier par les lettres ordinaires de la main harmonique C D E F, et cetera qui signifient C fa vt, D sol re, et cetera et qui appartiennent aux 29. marches principales, ou Diatoniques, qui sont marquées des nombres 1, 2, 3, et cetera. Quant aux feintes qui sont entre les grandes marches, et qui seruent pour faire les demy tons, ou les degrez chromatiques, il y en a vingt, dont la premiere est la feinte de c,

[-111-] [Mersenne, Instrumens à chordes III, 111; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Z, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o, s, t, y, z] [MERHU3_3 02GF]

[-112-] c'est pourquoy il est marqué d'vn c auec vne diese, ce qui arriue semblablement aux feintes qui suiuent par exemple à celle de D, de F, et cetera.

Or apres auoir expliqué les principales parties du Clauecin, qui a ordinairement cinquante marches, il ne faut pas oublier le marteau f c d, puis qu'il sert à l'accorder et à la monter, car l'on fait les boucles de la chorde auec son petit crochet, comme l'on void à la chorde b. Sa teste c sert à frapper sur les cheuilles L L, et Z Z pour les faire entrer dans le sommier: a en marque la panne, et c f le manche qui est percé en quarré au bout f, afin qu'il torde les cheuilles qui sont rondes, sans qu'elles puissent couler.

L'estendüe du Clauecin, et consequemment de l'Epinette à grand clauier est marquée en bas par les cinq notes qui representent les quatre Octaues dudit clauier, car il y a vne Octaue de la premiere ou plus basse note à la seconde, et puis vne autre Octaue de la seconde à la troisiesme, et cetera ce que monstrent les nombres qui sont sur les notes, dont le 4. signifie que la note finale fait la Vingt-neufiesme, c'est à dire quatre Octaues auec la premiere: ce qui est tres-aysé à comprendre par le moyen des trois clefs differentes de cet accord.

Les instrumens antiques qui sont en haut, à sçauoir S Z Y, et p q r monstrent les formes particulieres de leurs Harpes ou Cithares, qui ont esté prises sur les marbres anciens d'Italie, comme i'ay desia dit en expliquant les autres. Mais celle qui a ses chordes disposées en triangles, et qui commencent à n, est extraordinaire. Or il n'est pas necessaire de remarquer que l'on fait maintenant des Clauecins, qui ont sept ou huict sortes de ieux, et deux ou trois clauiers, et que ces ieux se varient, et se tirent, se ioignent, meslent ensemble comme ceux de l'Orgue, par le moyen de plusieurs petits registres, cheuilles et ressorts, qui font que les sautereaux ne touchent qu'vn seul rang de chordes, ou qu'ils en touchent deux, ou plusieurs, par ce que la veüe et l'experience en fera plus comprendre que le discours: c'est pourquoy ie viens à l'explication d'vne autre sorte d'Epinette, dont on n'vse pas en France, et qui est en vsage dans l'Italie, apres auoir remarqué que plusieurs ayment mieux se seruir du seul Clauier qui se pousse, et se tire pour changer les ieux, que des susdits ressorts, qui ne sont pas ordinairement si iustes; que d'autres vsent de 2. ou 3. clauiers pour varier les ieux, et qu'il y a encore plusieurs inuentions qui se peuuent adiouster à cet instrument, dans lequel on a remarqué plus de quinze cens pieces toutes differentes. Mais i'expliqueray plusieurs autres choses qui appartiennent à l'Epinette dans le discours de la Pratique, dans lequel ie monstreray tout ce qui se peut faire dessus, et particulierement les plus grandes diminutions, dont les doigts sont capables pour les accords, qui se peuuent faire des deux mains, et toutes les gentillesses que l'on a coustume de pratiquer.

[-113-] COROLLAIRE.

Expliquer vne nouuelle forme d'Epinette dont on vse en Italie.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 113; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, M, N, O, P] [MERHU3_3 03GF]

CEtte figure monstre la forme de l'Epinette D A B C E, dont il n'y a que 19 marches qui se voyent mais il ne faut pas prendre garde à ce nombre, ny à celuy des chordes, par ce qu'il suffit qu'elle serue pour en comprendre la construction. Or elle se tient perpendiculairement comme la Harpe, lors que l'on iouë: de sorte que les sautereaux K N viennent par vn mouuement parallele de derriere en deuant, lors qu'on pese sur les marches D M. Il n'y a point d'autre table que F H G, dont I est la Rose, car les chordes sont toutes perpendiculaires en l'air, de sorte qu'elles [-114-] font vne tres-douce harmonie, quand le vent vient à les frapper, et qu'il ayde aux sons naturels que font les plumes des sautereaux. L'on peut faire vne infinité d'autres sortes d'Epinettes, dont ie laisse la recherche aux Facteurs, afin d'expliquer plus particulierement ce qui est en vsage, tant en la France, que dans les autres lieux de l'Europe Chrestienne.

PROPOSITION IV.

Expliquer la figure, la matiere, et les parties du Manichordion.

LE Manichordion a son clauier de quarante neuf ou cinquante touches ou marches, comme le Clauecin, quoy qu'il soit different en beaucoup de choses, comme l'on void dans cette figure A B C D, dont les deux costez sont A C E, et C H T B, et les deux autres, qui sont de B à D, et de D à E ne paroissent pas. La table R D M soustient les cinq cheualets, marquez par 1, 2, 3, 4, et 5, dont le premier est le plus haut, et les autres vont en se diminuant. Les 70. chordes sont entortillées aux 79. cheuilles R S, et toutes les chordes passent et sont appuyées sur les cheualets. Les sept petites mortaises M K seruent pour faire sortir les sons, et les chordes vont aboutir à P Q O.

Mais il faut remarquer ce qui est de plus particulier en cet instrument, à sçauoir les morceaux d'escarlatte ou d'autre drap, qui couurent toutes les chordes dans l'espace compris entre O N P M, et qui estouffent tellement leur son, qu'il ne se peut entendre de loin, et qu'il est fort doux: c'est pourquoy il est fort propre pour ceux qui desirent d'apprendre à ioüer de l'Epinette sans que les voisins le puissent apperceuoir; de là vient que l'on peut la nommer Epinette sourde, ou muette.

Or encore qu'il y ayt 70. chordes, neantmoins chaque marche ou sautereau n'a pas la sienne particuliere, d'autant qu'il y a plusieurs rangs de deux chordes à l'vnisson, et que le 37. et 38. n'ont qu'vn mesme rang de chordes: ce qui arriue semblablement à la 39. 40. 42. 43. 44. 45. 47. 48. et 49. Toutes les autres marches ont vn rang particulier de chordes. Quant aux cheualets, le premier porte six rangs de chordes, c'est à dire 12. Le second en a 9. rangs, ou 18. dont les 8. premieres sont redoublées et retorces, de sorte qu'il y a 20. chordes en double. Le 3. cheualet soustient 8. rangs de chordes, c'est à dire 16. Le 4. contient trois rangs, ou 6. chordes, et le cinquiesme en a 9. rangs: or l'on peut faire vn seul cheualet au lieu de ces cinq.

Il faut encore remarquer que la perspectiue cache les cinq premieres marches, car le clauier est esgal à celuy du Clauecin. Mais les marches qui sont attachees auec les pointes de fer I L, n'ont pas des sautereaux comme luy, mais ils ont des crampons comme celuy d'airain Y V, qui touchent et haussent les chordes. L'on void les 49. crampons dans la ligne M N. X monstre la pointe de la marche Z, que l'on met dans le diapason, qui paroist vn peu par delà les crampons, R L monstrent les pointes qui attachent les marches à vne barre de dessouz: et les lignes tortuës qui vont depuis ces pointes iusques aux crampons, signifient les branches des marches. A B I et H peuuent seruir de coffrets pour mettre des chordes, des cheuilles, vn marteau et plusieurs autres choses.

Quant aux chordes, leur son est determiné par la partie qui est depuis les

[-115-] [Mersenne, Instrumens à chordes III, 115; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Y, Z, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, I, II, III, IV, V] [MERHU3_3 04GF]

[-116-] crampons iusques aux cheualets, car la partie qui reste entre les crampons, et l'escarlate ne sonne point: de là vient qu'vne mesme chorde peut seruir à plusieurs crampons, dont chacun fait vn son different selon la distance du point où il touche la chorde, iusques au cheualet de ladite chorde.

Il n'est pas necessaire d'expliquer l'estenduë de cet instrument qui est en bas, par ce qu'elle ne differe qu'en disposition de clefs d'auec celle du Clauecin, c'est pourquoy ie viens à son estenduë d'enhaut, laquelle i'ay mise tout au long sans laisser aucune note: c'est à dire que i'ay remply les quatre Octaues d'en bas, en mettant onze notes entre les deux notes de chaque Octaue. Les 29. nombres, dont chacun est vis à vis de chaque note, monstrent l'ordre desdites notes, qui toutes sont esloignées l'vne de l'autre d'vn demy ton: de sorte que ie ne pense pas qu'il y ayt autre chose necessaire pour entendre tout ce qui appartient à cet instrument.

Il faut encore remarquer le petit cheualet droit O P, lequel est couuert de pointes de fer, qui determinent la longueur harmonique des chordes, qui passent iusques à Q O, où leurs boucles sont attachées a d'autres pointes de fer. Quant aux morceaux de drap qui sont signifiez par tous les points compris entre P O N, on les entortille autour des chordes, afin de les assourdir, et d'empescher qu'elles ne sonnent depuis le drap iusques aux crampons marquez dans la ligne N M, dont chacun est de leton semblable au crampon Y V. L'on a coustume de leuer le petit couuercle D S pour mettre des chordes dans son petit coffre: mais ces menuës pratiques dependent de la volonté du Facteur.

Ie viens au couuercle E G F D, sur lequel l'on void vne Octaue grauee, laquelle est remplie de tous les degrez Diatoniques, Chromatiques, et Enharmoniques que l'on peut s'imaginer, ou qui peuuent seruir à perfectionner et augmenter l'harmonie, et les gentillesses des instrumens: car chaque ton y est diuisé en quatre dieses, et chaque demy ton en deux. Par exemple le premier VT RE, qui est de C sol en D sol, comprend cinq notes, dont la premiere est esloignée de la seconde d'vne seule diese, c'est pourquoy i'ay marqué cette diese d'vne simple croix, comme la 3. note d'vne double croix, à raison qu'elle est esloignée de la premiere note de deux dieses. Semblablement vne triple croix precede la 4. note, par ce qu'elle en est esloignée de trois dieses; de sorte qu'il ne reste plus qu'vne diese de la 4. à la 5. note pour acheuer le ton. Mais il faut remarquer que i'ay vsé de trois sortes de notes, afin qu'elles monstrent la distinction de chaque degré, et que l'on voye dans vn moment à quel genre chaque note appartient: car toutes celles qui valent vne mesure, et que l'on appelle semibreues, ou blanches sans queuë, appartiennent au genre Diatonic, dont elles constituent les 8. sons. Les Minimes ou blanches à queuë signifient les cinq sons du genre Chromatic, et les douze noires appartiennent aux douze sons Enharmoniques: de sorte que cette Octaue à 25. sons, et consequemment 24. interualles: ce qui est si aysé à comprendre qu'il n'est pas besoin d'vn plus long discours.

[-117-] PROPOSITION V.

Expliquer trois sortes de Clauiers ordinaires de l'Epinette, qui font les Consonances, et les autres interualles dans leur plus grande iustesse.

IL est certain que l'on peut faire vne aussi grande diuersité de Clauiers, comme il y a de differens Systemes, mais ie veux icy me restreindre à la Practique, et monstrer premierement toutes les Consonances iustes qui se peuuent rencontrer sur les clauiers ordinaires, en quoy ils sont imparfaits, et quelles Consonances leur manquent: c'est pourquoy ie fais premierement voir la premiere Octaue du clauier de l'Epinette en sa propre grandeur, d'où l'on iugera facilement quelle est la grandeur de son clauier, qui contient 4. Octaues semblables à celle-cy, laquelle a treze marches, dont les cinq d'enhaut s'appellent Feintes, à raison qu'elles sont entre les degrez Diatoniques, dont la premiere commence par C qui est marqué de 3600.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 117,1; text: A, [sqb], C, D, E, F, G, 3600, 3375, 3240, 3000, 2880, 2700, 2531 1/4, 2400, 2250, 2160, 2025, 1920, 1800] [MERHU3_3 05GF]

Car i'ay mis les nombres Harmoniques de chaque son, ou de chaque chorde sur les 13. marches, afin que l'on sçache la distance des sons, et que l'on voye clairement qu'il est impossible de ioüer iustement de l'Epinette, si l'on ne met vn plus grand nombre de marches sur son clauier. Car soit que l'on dispose les interualles suiuant les nombres de ce premier clauier, qui sont sur chaque marche, ou selon les nombres de cet autre clauier qui suit, c'est chose asseuree que l'on ne peut trouuer les Tierces et les Sextes, tant maieures que mineures, en plusieurs endroits, où elles sont necessaires; ce que i'explique tres-clairement dans le liure des Orgues: c'est pourquoy ie n'en parle pas icy.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 117,2; text: A, [sqb], C, D, E, F, G, 3600, 3456, 3200, 3072, 2880, 2700, 2592, 2400, 2304, 2160, 2025, 1920, 1800] [MERHU3_3 05GF]

Ie diray seulement qu'il faut adiouster les deux Clauiers precedens, et n'en faire qu'vn des deux, si l'on veut auoir toutes les Tierces et les Sextes iustes, comme ie monstre dans la table qui suit, dans laquelle i'explique les interualles de chaque marche, et toutes les consonances qui sont iustes dans ce troisiesme Clauier composé des deux precedens; d'où il sera aysé de conclure ce qui manque à l'vn et à l'autre. Car la comparaison des nombres qui sont dessus auec ceux de ce troisiesme Clauier ou Systeme, monstre les raisons de [-118-] chaque interualle consonant ou dissonant, comme l'on void dans ce troisiesme Clauier qui a dix-sept touches, afin de contenir les Feintes des deux precedens:

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 118; text: A, [sqb], C, D, E, F, G, 14400, 13824, 13500, 12800, 12288, 12000, 11520, 10800, 10368, 10125, 9600, 9216, 9000, 8640, 7680, 7200] [MERHU3_3 05GF]

mais parce que tous ne sçauent pas comme il faut trouuer les raisons de ces nombres, ie les explique icy si clairement qu'il n'est pas quasi possible qu'on ne les entende.

C sol vt fa       7200
Semiton mineur 
[sqb] mi          7680
demiton moyen 
B fa              8100
demiton maieur 
A mi la re        8640
demiton mineur 
[x] a             9000
diese
[x] g             9216
demiton mineur 
G re sol vt       9600
demiton moyen 
[x] g             10125
diese 
[x] f             10368
demiton mineur 
F vt fa           10800
demiton maieur 
E mi la           1152
demiton mineur 
[x] e             1200
diese 
[x] d             12288
demiton mineur 
D la re sol       12800
demiton moyen 
[x] d             13500
diese
[x] c             13824
demiton mineur 
C sol vt fa       14400

Car l'on void les interualles, qui sont entre chaque note, ou diction, et consequemment les touches, qui font les Consonances, ou les Dissonances dans leur iustesse: ce que i'explique encore dans la table qui suit, et qui commence par le C sol vt fa d'en bas.

Vsage du Clauier, ou de l'Octaue qui a 17. marches.

De C

à [x] e Tierce mineure

à E Tierce maieure

à F Quarte

à G Quinte

à [x] a Sexte mineure

à A Sexte maieure

à C Octaue

De D

à F Tierce mineure

à [x] f Tierce maieure

La Quarte iuste manque

à A Quinte

à B Sexte mineure

La maieure manque

à D Octaue

De E

à G Tierce mineure

à [x] g Tierce maieure

à A Quarte

à [sqb] Quinte

à C Sexte mineure

à [x] c Sexte maieure

à E Octaue

De F

à [x] à Tierce mineure

à A Tierce maieure

à B Quarte

à C Quinte

à [x] d Sexte mineure

La maieure manque

à F Octaue

De G

La Tierce mineure manque

à [sqb] Tierce maieure

à C Quarte

à D Quinte

à [x] e Sexte mineure

à E Sexte maieure

à G Octaue

De A

à C Tierce mineure

à [x] c Tierce maieure

La Quarte manque

à E Quinte

à F Sexte mineure

à [x] f Sexte maieure

à A Octaue

[-119-] De [sqb]

à D Tierce mineure

à [x] d Tierce maieure

à E Quarte

La Quinte manque

à G Sexte mineure

à [x] g Sexte maieure

à [sqb] Octaue

De l'Vsage des Feintes pour les Consonances.

De [x] c

à E Tierce mineure

à [x] f Quarte

à [x] g Quinte

à A Sexte mineure

à [x] c Octaue

De [x] d

à F Tierce maieure

à [x] g Quarte

à [x] a Quinte

à B Sexte maieure

à [x] d Octaue

De [x] d

à [x] g Quarte

à [sqb] Sexte mineure

à [x] d Octaue

De [x] e

à G Tierce maieure

à [x] a Quarte

à C Sexte maieure

à [x] e Octaue

De [x] f

à A Tierce mineure

à [x] c Quinte

à [x] f Octaue

De [x] g

à [x] d Quarte

à [x] e Quinte

à F Sexte maieure

à [x] g Octaue

De [x] g

à [x] c Quarte

à [x] d Quinte

à E Sexte mineure

à [x] g Octaue

De [x] a

à C Tierce maieure

à [x] d Quarte

à [x] e Quinte

à F Sexte maieure

à [x] a Octaue

De B

à [x] d Tierce mineure

à F Quinte

à [x] g Sexte mineure

à B Octaue.

Il est bien aysé de marquer toutes les Dissonances, puis qu'elles se trouuent en tous les endroits que ie n'ay pas mis. Mais puis qu'il y a tant de touches ou de lettres qui n'ont pas toutes les Consonances, et que la Quarte ou la Quinte, ou l'vne des Tierces et des Sextes manquent si souuent, il est euident que ce Clauier n'est pas assez parfait, et qu'il y faut encore adiouster de nouuelles touches, si l'on veut pratiquer le genre Diatonic en sa perfection: comme il arriuera si l'on vse du Clauier, ou de l'Octaue qui a dix-neuf marches, dont i'ay expliqué l'vsage dans les discours que i'ay fait des trois genres de Musique: c'est pourquoy ie n'en parle pas icy, et l'on peut voir ce que i'en dis dans le Liure des Orgues.

Ie remarqueray seulement que le Clauier ne doit pas estre estimé parfaict iusques à ce que chacune des touches principales, ou chaque lettre Diatonique fasse toutes les Consonances iustes tant en bas qu'en haut. Mais ie le reserue pour le traité des Orgues, d'où l'on le peut icy transporter, si l'on desire auoir vne parfaite Epinette. Quant au Clauier imparfait et temperé dont on vse, il est representé par les deux premiers, dont chacun n'a que treze touches à l'Octaue: pourueu que l'on n'ayt nul esgard aux nombres qui sont sur les marches, et qui leur ostent le temperament, dont ie traicte si clairement dans [-120-] le liure des Orgues, qu'il n'est pas besoin d'en parler icy, l'Epinette n'ayant rien de particulier qui ne soit aussi dans leurs Clauiers.

PROPOSITION VI.

Determiner de quelle longueur et grosseur doiuent estre les chordes d'Epinette pour rendre vne parfaite harmonie.

IL y a ordinairement quatre Octaues entieres sur l'Epinette, et vingt-neuf touches sur son Clauier, sans conter les Feintes, qui sont simples ou doubles: quand elles sont simples, il y en a cinq sur chaque Octaue, de sorte que l'Octaue de l'Epinette est diuisee en treize sons, chordes, ou marches: par consequent il faut que les treize chordes soient toutes differentes en longueur et grosseur, si l'on veut auoir vne parfaite harmonie; et par ce qu'il y a quarante neuf marches en quatre Octaues, il faut quarante neuf sortes de chordes, dont les longueurs et les grosseurs diminuent tousiours depuis la plus grosse iusques à la plus deliee, car bien que la tension puisse suppleer la longueur ou la grosseur, comme l'on experimente sur les Epinettes, les Harpes, et les autres instrumens à chorde, dont on vse maintenant: neantmoins l'harmonie sera plus parfaite, si l'on obserue les raisons harmoniques à la longueur, et à la grosseur des chordes. Quant à la longueur, elle approche plus pres de cette proportion, quoy que la difference de ces longueurs ne soit pas harmonique, car la chorde qui fait C fa vt, n'est pas sesquidixiesme de celle, qui fait D sol re, et celle-cy n'est pas sesqulneufiesme de celle qui fait l'E la mi, et cetera. Quant à la grosseur, on obserue encore moins la proportion harmonique dans la difference des grosseurs, qu'en celle des longueurs, car les chordes de mesme grosseur seruent souuent à sept ou huict touches: au lieu qu'elles deuroient garder la mesme raison que les longueurs, pour rendre vne parfaite harmonie.

La table qui suit contient les grosseurs, et les longueurs que doiuent auoir les chordes; mais il faut supposer la longueur, et la grosseur de la premiere, c'est à dire de la plus grosse, afin de regler toutes les autres sur elle. L'on peut aussi prendre la derniere, c'est à dire la plus deliee, et la plus courte pour fondement de l'harmonie, car l'on peut commencer par telle chorde que l'on voudra. Or la table qui suit, et qui suppose que la plus grosse chorde a 1/5 de ligne, et 5. pieds de longueur, comme a pour l'ordinaire la plus grosse chorde des Epinettes et des Clauecins, monstre la grosseur et la longueur de chaque chorde; car la premiere colomne contient le nombre des chordes: la seconde, la proportion que les chordes ont entr'elles, c'est à dire la proportion des sons: la troisiesme, la longueur des chordes: la quatriesme, la grosseur desdites chordes diuisees en miliesmes, c'est à dire en mille parties: la cinquiesme reduit les grands nombres de la precedente en moindres termes: la sixiesme contient les diametres desdites chordes qui sont diuisez en miliesmes: et la septiesme les reduit en moindres nombres.

Or puis que le diametre de la 1, ou plus grosse chorde est 1/5 de ligne, soit la ligne diuisée en 1000. parties, le diametre de ladite chorde sera 200, et son Tour ou sa grosseur sera 629. et ainsi des autres chordes iusques à la 4. Octaue en haut, selon la proportion qui suit, auec la reduction en moindres parties de proche en proche.

[-121-] [Mersenne, Instrumens à chordes III, 121; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, I, Nombre des chordes. II, Proportion des chordes entr'elles. III, Lignes. Poulces. Pieds. Longueur. IV, Grosseur des chordes en 1000es. de lignes. V, Reduction. VI, Diametre en 1000. de ligne. VII, Reduction. 629, 566, 503, 472, 419, 377, 335, 314 1/2, 283, 251 1/2, 236, 209 1/2, 188 2/1, 167 1/2, 257, 141 1/2, 126, 118, 105, 94, 84, 79, 71, 63, 59, 52 1/2, 47, 42, 39 1/2, 33, 37, 40, 50, 53, 61, 67, 74, 80, 200, 180, 160, 150, 133, 120, 107, 100, 90, 75, 66 1/2, 60, 53 1/2, 45, 37 1/2, 33 1/2, 30, 16 1/2, 13 1/2, 12 1/2] [MERHU3_3 06GF]

Mais parce que les chordes sont quelquesfois plus grosses que de 3/5 de ligne, comme il arriue aux Clauecins de 12, de 15, ou de 20. pieds, ie mets icy vne autre table, qui commence par la plus grosse chorde de la table precedente de 3/5 de ligne, et contient toutes les chordes qui ont mesme raison entr'elles que les sons des instrumens; et parce qu'il ne se rencontre tout au plus que quinze differentes grosseurs de chordes, i'adiousteray deux autres Colomnes dans cette table, afin qu'elle ayt sept colomnes, dont la premiere est pour le nombre des chordes: la seconde pour la grosseur, dont la moindre est de 3/5 de ligne: la troisiesme donne la mesme chose en moindres termes: la quatriesme contient leur diametre en grands termes, et la cinquiesme les reduit en moindres termes; or toutes ces Colomnes appartiennent aux quatre dernieres colomnes de la table precedente, auec lesquelles elles pouuoient estre continuées.

Quant à la 6. Colomne de cette table, elle contient le diametre des chordes [-122-] de l'Epinette diuisé en 80. parties; de sorte que chaque nombre represente combien le diametre de chaque chorde contient de 80. parties: et parce qu'il n'y a que quinze sortes de nombres, à raison qu'il n'y a que quinze grosseurs de chordes, le mesme nombre monstre à combien de sons, et pour combien de chordes chaque grosseur peut seruir: par exemple, 4. estant repeté trois fois, et 3. quatre fois, et cetera signifie que la chorde, dont le diametre est de 4/80 peut seruir pour trois chordes de l'Epinette, et celle dont le diametre est de 3/80, pour quatre chordes, et cetera. La septiesme Colomne contient la grosseur de chaque chorde, qui est semblablement expliquée par 80; de sorte que si la premiere contient 50/80, la seconde a, 45/80, et ainsi des autres iusques à la fin de la table.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 122; text: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, I, II, III, IV, V, VI, VII, 629, 670, 754, 838, 944, 1006, 1132, 1258, 1340, 1508, 1676, 1880, 2012, 2264, 2516, 2680, 3016, 3352, 3760, 4024, 4528, 5032, 5360, 6052, 6704, 7520, 8048, 9056, 10064, 200, 214, 240, 266, 300, 320, 360, 400, 428, 480, 532, 600, 640, 720, 800, 856, 960, 1064, 1200, 1280, 1440, 1600, 1712, 1920, 2128, 2400, 1560, 2880, 3200, 1 ou environ. 30, 34, 38, 40, 45, 50] [MERHU3_3 07GF]

Or ce que i'ay dit de la grosseur, et du diametre des chordes de l'Epinette, et de la Harpe dans ces deux tables, peut estre appliqué aux chordes du Luth, et des Violes, quoy que leurs chordes ne soient pas ordinairement differentes en longueur: car si l'accord des Violes va de Quarte en Quarte, la seconde doit estre moins grosse d'vn tiers que la premiere; c'est à dire que si la premiere chorde a quatre parties de grosseur, la seconde en doit auoir trois; et si l'accord [-123-] estoit de ton en ton, comme dans la Gamme, ou de demy ton en demy ton, comme sur l'Epinette, la seconde chorde doit estre moins grosse que la premiere d'vne huictiesme, ou d'vne quinziesme partie; c'est à dire que la diminution des grosseurs suit la raison des interualles harmoniques, si l'on veut que l'instrument rende vne parfaite harmonie, particulierement lors que l'on touche les chordes à vuide, comme l'on fait sur la Harpe, et sur l'Epinette, et quelquefois sur le Luth, sur la Viole, et sur la Guiterre.

PROPOSITION VII.

Vn homme sourd peut accorder le luth, la Viole, l'Epinette, et les autres instrumens à chorde, et treuuer tels sons qu'il voudra, s'il cognoist la longueur, et la grosseur des chordes: de là vient la Tablature des sourds.

L'On peut auoir de plusieurs sortes de chordes, qui soient esgales en longueur et grosseur, comme celle des Monochordes; ou inesgales en longueur et esgales en grosseur: ou inesgales en longueur et grosseur, comme celles des Harpes et de l'Epinette; ou esgales en longueur, et inesgales en grosseur, comme celles des Violes, et du Luth. Or de quelque maniere qu'elles soient differentes, l'homme sourd les peut mettre à tel accord qu'il voudra, pourueu qu'il sçache leurs differences tant en matiere, qu'en longueur, et grosseur. Ce que ie demonstre premierement aux chordes, qui sont esgales en toutes choses, afin de commencer par les plus simples, parce que lors qu'elles sont tenduës par des forces esgales, elles font l'vnisson, puisque choses esgales adioustees à choses esgales, les laissent esgales.

Or voicy les regles generales, dont il faut vser pour faire toutes sortes d'accords, lesquels seruiront icy de preuue, et de Demonstration, d'autant que nous auons fait voir ailleurs, qu'elles sont veritables et infaillibles.

Premiere Regle.

Si les chordes sont esgales en longueur et grosseur, et que l'vne fasse le son graue qui est en C fa vt, quand elle est tenduë auec le poids d'vne liure, il faut tendre l'autre auec quatre liures pour la faire monter à l'octaue, d'autant que les poids sont en raison doublée des interualles harmoniques, ausquels on fait monter les chordes; or l'interualle de l'octaue est de 2. à 1. dont la raison de 4. à 1. est doublée.

Seconde Regle.

Il faut encore adiouster au susdit poids la seiziesme partie du plus grand poids, ou 1/4 du plus petit, afin que l'accord soit iuste: par exemple, il faut adiouster quatre onces aux quatre liures precedentes pour faire l'octaue iuste: par consequent 4 1/4,liures contre 1, estant suspenduës à deux chordes esgales font l'Octaue parfaite.

Troisiesme Regle.

Quand les chordes sont esgales en grosseur, et inesgales en longueur, et que l'on veut les mettre à l'vnisson, les forces qui tendent les chordes, doiuent estre en raison doublée de la longueur des chordes: par exemple, si l'vne a deux pieds de long, et l'autre vn pied, et que celle-cy soit tenduë par vne force, il faut tendre celle-là auec 4. liures, et adiouster 1/4 de liure, comme i'ay dit dans l'autre regle, pour la faire monter de l'Octaue qu'elle faisoit en bas, iusques à l'vnisson de la plus courte.

[-124-] Quatriesme Regle.

Quand les chordes sont esgales en grosseur, et esgales en longueur, les forces qui ont mesme raison que les grosseurs, les mettent à l'vnisson; par exemple, si l'vne a 2. de grosseur, et l'autre 3. et que la premiere soit tenduë auec 2. forces, la 2. estant tenduë auec 3. forces sera à l'vnisson: et si la chorde estoit cent fois plus grosse, la force centuple la metteroit à l'vnisson.

Cinquiesme Regle.

Si les chordes sont esgales en grosseur et en longueur, il faut recompenser la longueur, et la grosseur pour les mettre à l'vnisson, suiuant la simple raison des interualles pour la grosseur, et la raison doublée des mesmes interualles pour la longuer; c'est à dire que la raison des forces doit estre composée de la simple raison, et de la doublée des interualles. Par exemple, si l'vne est grosse et longue comme 2, et l'autre comme 1, et que l'on vueille les mettre à l'vnisson, si celle qui est comme 1. est tenduë par vne liure, celle qui est comme 2. doit estre tenduë par 6 1/4 liures, par ce que la raison d'vn a 6 1/4 est composée de la raison d'vn à deux, qui recompense la double grosseur de la chorde, et de celle d'vn à 4 1/4, qui recompense la double longueur.

Sixiesme Regle.

Si les chordes sont esgales en longueur, et inesgales en grosseur: par exemple, si l'vne est grosse de trois parties, et l'autre d'vne, et que l'on vueille faire descendre, ou monter celle de trois à quelque interualle, comme à l'Octaue, il faut premierement les mettre à l'vnisson par la 4. regle, en tendant celle de 3. parties auec 3. liures, et celle d'vne auec vne liure; et pour faire monter la chorde de trois à celle d'vne, la raison de la force doit estre doublée de la raison de l'Octaue, et consequemment il la faut tendre auec la force, ou le poids de douze liures, et de douze onces, ou de la seiziesme partie de douze liures, comme i'ay dit dans la seconde Regle. Et si l'on veut la faire descendre à l'Octaue d'en bas, la force doit estre sousquadruple de trois, à sçauoir 11. 1/4 onces, car il faut diminuer douze onces d'vne seiziesme partie, comme il faut augmenter douze liures d'vne seiziesme partie. Finalement, si l'on veut faire monter la chorde 1. à l'Octaue en haut, de la chorde 3, quand elles sont à l'vnisson, il la faut tendre auec 4 1/4 forces, si l'autre est tenduë auec trois.

Septiesme Regle.

Si les chordes sont inesgales en grosseur et longueur, il les faut premierement mettre à l'vnisson, par la cinquiesme Regle; puis il faut prendre les 2. chordes de cette 5. Regle, qui sont à l'vnisson, quand l'vne est tenduë par vne liure, et l'autre par 6 1/4. En troisiesme lieu les forces doiuent estre en raison doublée des interualles, ausquels on veut faire monter l'vne des chordes: par exemple, si l'on veut monter la chorde tenduë auec 6 1/4 liures iusques à l'Octaue, il la faut tendre auec 26. liures, et 9. onces, car 26. 3/5 liures contiennent 4. fois 6 1/4 liures, et la seiziesme partie de 25. liures.

Huictiesme Regle.

Il faut obseruer la mesme Methode dans la diminution des forces, des poids, ou des tensions, quand on lasche les chordes pour les faire descendre, laquelle on garde à l'augmentation des poids, qui font monter les mesmes chordes; mais il faut que les raisons soient soudoublées des interualles pour recompenser les differentes longueurs, et non doublées, comme deuant: c'est à dire qu'il faut diminuer les forces en mesme raison que l'on les augmentoit, [-125-] de sorte que pour baisser les chordes, il faut faire en diminuant, ce que l'on faisoit en augmentant, pour les hausser.

Neufiesme Regle.

Si les chordes sont de differente matiere; par exemple de leton, de boyau, d'acier, d'or et d'argent, il faut premierement les mettre à l'vnisson auec des forces cogneuës, puis il faut suiure les regles precedentes. Or pour les mettre à l'vnisson, ie suppose l'experience, qui monstre que le son de celle d'acier tenduë auec 3 liures à mesme raison au son des chordes d'or, d'argent et de cuiure, que les nombres qui sont vis à vis de chaque chorde de la table qui suit, par lesquels on void que l'or fait la Quarte en bas auec celle d'argent, que celle d'argent fait le ton maieur auec l'acier, qui fait le semi-ton maieur en haut auec celle de cuiure, laquelle fait le Triton auec l'or, qui fait la Quinte auec l'acier;

Or fin      2886  E
Argent fin  2160  A
Cuiure      2025  B
Acier       1920  [sqb]

les lettres E, A, B, [sqb] monstrent que le son de la chorde d'or est en E mi la, de l'argent en A mi la re, du cuiure en B fa, et de l'acier en [sqb] mi. Mais pour les mettre à l'vnisson, supposé que la chorde d'acier soit tenduë auec 3 liures, il faut tendre celle d'or auec 6 3/4 liures, et 1/16: c'est à dire 6 onces, vn gros et demy, qui font 7 liures, 2 onces, vn gros, et 1/2: celle d'argent doit estre tenduë auec vn poids, qui soit à 3 liures, comme 81 est à 64, suiuant la raison doublée du ton maieur, et ainsi des autres. Or la tablature qui suit, contient 4 tables pour seruir aux sourds, laquelle est si facile qu'il n'est pas besoin de l'expliquer.

Tablature harmonique pour les sourds.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 125; text: 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 18, 24, 32, 43, 54, 58, 2 2/5, 4 4/5, 5 1/3, 6 2/<.> 7 1/5, 7 1/2, 9 1/5, Table I. La tension des chordes proportionnées selon la raison doublée des interualles. Table II. La grosseur des chordes proportionnée selon la raison simple des interualles. Table III. La longueur des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles. Table IV. La Tension des chordes proportionnées selon la raison simple des interualles. grains, gros, onces. liures. lignes. poulces. pieds. dixiémes. parties de ligne, Les 7 degrez de l'Octaue. Les 8 sons, ou notes de l'Octaue. VT, RE, MI, FA, SOL, ton mineur, ton maieur, semiton maieur] [MERHU3_3 08GF]

[-126-] L'Vsage des Tables precedentes.

Premierement si les chordes sont esgales en grosseur et longueur, il faut proportionner leurs tensions suiuant la premiere table. 2. si elles sont esgales en longueur et tension, il faut proportionner leur longueur suiuant la 2. table. 3. si elles sont inesgales en grosseur, longueur et tension, apres auoir proportionné la grosseur par la 2 table, et la longueur par la 3, il faut proportionner les tensions suiuant la 4. table. Or encore que la raison de la tension des chordes inesgales en longueur et grosseur doiue estre composée des raisons simples, et doublées des interualles pour estre mises à l'vnisson, neantmoins la raison simple suffit pour les mettre aux interualles de l'Octaue suiuant la 4. Table, sans que la pratique de la 5, et 6 regle soit necessaire: car si les chordes A et B esgales en grosseur sont tenduës de mesme force, et que B soit double d'A en longueur, la chorde B fait l'Octaue en bas auec A; et si la chorde C esgale à B en longueur, mais double en grosseur est mise à l'vnisson de B par vne double force, C fera l'Octaue auec A, si elle est tenduë d'vne force qui soit double de la force qui tend A.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 126; text: A, B, C] [MERHU3_3 08GF]

Quant aux chordes de differentes matieres, il ne faut point d'autre table que celle des tensions, qui les mettent à l'vnisson, parce que lors qu'elles sont à l'vnisson, il faut seulement obseruer ce que nous auons dit des autres.

PROPOSITION VIII.

Que l'on peut sçauoir la grosseur, et la longueur des chordes sans les mesurer, et sans les voir, par le moyen des sons.

L'On peut s'imaginer plusieurs façons pour treuuer la longueur, et la grosseur des chordes: premierement par le compas, dont on vse pour mesurer la grosseur, et la longueur de toutes sortes de corps, mais les chordes des instrumens sont si deliées, que le compas ne peut seruir pour treuuer leur diametre: 2. l'on iuge de leur grosseur par le toucher, car en les maniant on iuge à peu pres de combien les vnes sont plus grosses que les autres; mais cet examen est trop grossier, et trop incertain. 3. on les mesure par les trous des filieres, car les fils, ou les chordes qui passent, et qui sont tirées par vn mesme trou sont d'esgale grosseur; mais parce que l'on ne sçait pas la proportion des trous de la filiere, et que quand on la cognoistroit, on n'a point ordinairement de filiere, ny de trous pour mesurer la grosseur des chordes, et que cet instrument ne sert qu'aux chordes de metal, cette maniere ne peut estre vtile aux Musiciens. 4. on les peut mesurer par l'eau, ou par les autres liqueurs, car celle qui fera sortir deux fois autant d'eau d'vn vase plein, sera deux fois aussi grosse, si elles sont de mesme longueur: mais les chordes de boyau se gastent dans l'eau, et cette façon de mesurer les corps est trop difficile, et trop incertaine pour plusieurs raisons, que ie deduis ailleurs. 5. par les balances, car celle qui pesera deux fois autant, sera deux fois aussi grosse, si elle est de mesme matiere, et de mesme longueur: mais le poids d'vne chorde d'instrument, par exemple, de la chanterelle d'vn Luth, est si petit, que l'on a de la peine à [-127-] remarquer les differences du poids de telles chordes. C'est pourquoy il faut se seruir d'vne autre maniere pour mesurer la grosseur desdites chordes, car quant aux longueurs, il est tres-facile de les sçauoir par le seul compas, ou par la comparaison des vnes aux autres. Or cette maniere peut estre appellee harmonique, d'autant qu'elle se pratique par les sons en cette façon.

Si l'on veut sçauoir combien de deux chordes de mesme longueur, et de mesme matiere l'vne est plus grosse que l'autre, il faut tendre la plus deliée auec vne force, et il y aura mesme raison de sa grosseur à celle de l'autre, que de la force precedente à la force qui mettra la plus grosse à l'vnisson; par exemple, si la plus deliée est tenduë d'vne liure, et l'autre de 12, celle-cy sera plus grosse 12. fois. On treuuera la mesme chose si l'on commence par la grosse; et si on ne veut pas prendre la peine de les tendre, et de les mettre à l'vnisson, il suffit de remarquer l'interualle de leurs sons, et leurs poids, car si celle qui est tenduë d'vn moindre poids, a le son plus aigu, elle est plus deliée; or l'on treuuera la proportion de leurs grosseurs en considerant la raison des 2 poids, et des 2 sons; par exemple, quand elles sont tenduës par vn mesme poids, si le son de la plus deliée fait la Quinte en haut, sa grosseur sera à celle de la plus grosse comme 4 à 9, mais parce que nous supposons que leurs tensions sont inesgales, il faut treuuer la raison de leurs tensions; ie suppose donc que la petite ayt 3 de tension, et la plus grosse 4, leurs tensions seront comme 3 à 4, et consequemment leurs grosseurs seront comme 1 à 3, d'autant que la raison triple est composée de la raison doublée de l'interualle de leurs sons, et de la sesquialtere de leurs tensions.

Ces proportions sont fondées sur les regles de la precedente Proposition, c'est pourquoy il n'est pas necessaire de les expliquer plus amplement, car l'on peut se seruir desdites regles pour treuuer toutes sortes de grosseurs de chordes, sans vser d'autre mesure que de celle des sons, qui est la plus iuste de toutes, pourueu que l'on en vse comme il faut. Quant aux longueurs, elles ne sont pas plus difficiles à treuuer que les grosseurs, car supposé que l'on cognoisse la proportion des grosseurs, l'on treuuera les longueurs par les sons; par exemple, si les chordes de mesme grosseur sont à l'Octaue l'vne de l'autre auec mesme poids, celle qui fait l'Octaue en haut est plus courte de moitié: mais si les poids sont differents, il en faut sçauoir la difference, puis que toutes sortes de chordes differentes tant en grosseur qu'en longueur peuuent estre mises à l'vnisson, ou à tel interualle que l'on voudra, par le moyen des differentes tensions. Or la seule application des regles de l'autre proposition oste toutes les difficultez, qui peuuent se rencontrer sur ce sujet, et chacun peut dresser des tables semblables aux precedentes, pour treuuer toutes sortes de longueurs, et de grosseurs de chordes par leurs sons.

PROPOSITION IX.

A sçauoir si l'on peut cognoistre la grosseur d'vne chorde d' instrument de Musique sans en faire comparaison auec d'autres chordes.

LE son ne nous peut seruir pour la resolution de cette difficulté, d'autant que nous ne pouuons comparer la chorde auec d'autres chordes, ny auec d'autres sons; et les compas sont trop grossiers pour mesurer le diametre des [-128-] chordes, qui seruent aux instrumens, comme i'ay desia remarqué; il faut donc prendre plusieurs parties de la mesme chorde, et les arranger les vnes pres des autres, iusques à ce qu'elles couurent quelque partie notable d'vn pied de Roy, ou de quelqu'autre mesure cogneuë; par exemple, supposé qu'il faille 3 chordes pour couurir vne ligne, qui est la 1/12 partie d'vn poulce, la chorde proposée aura 1/3 de ligne de diametre: et ce qui n'estoit pas asez sensible pour estre mesuré, sera rendu tres-sensible, et facile à mesurer en cette façon: ce qui arriue semblablement à plusieurs autres choses; par exemple, l'on a de la peine à voir, et à mesurer vn grain de sable tres-menu, et quand on le prend auec plusieurs autres, il est facile à mesurer. Mais si l'on veut empescher que la chorde ne se gaste, il faut auoir vn cylindre, sur lequel le pied de Roy soit marqué et diuisé en lignes, afin d'enuironner ledit cylindre de plusieurs tours de chorde pour couurir tout le pied de Roy, ou vne partie notable, comme le poulce, la ligne, et cetera.

Si l'on veut se seruir de l'eau pour treuuer la grosseur d'vne chorde qui soit, par exemple, de cuiure, il faut remplir le vaisseau, dans lequel l'on veut enfoncer la chorde, ou marquer le lieu de dedans le vaisseau auquel touche l'eau, afin de voir combien elle fera sortir ou monter d'eau, car ayant treuué la base, ou le diametre du Cylindre d'eau esgal en hauteur à la chorde, l'on aura la grosseur de la chorde. L'on peut encore mesurer la grosseur des chordes de metal en les reduisant premierement en Cube, ou en globe, par le moyen de la fonte: mais puis que la premiere maniere conserue les chordes de metal, et de boyau en leur entier, elle est la plus vtile et la plus facile, encore qu'elle ne soit pas Geometrique, d'autant qu'en tournant les chordes autour du cylindre de bois, ou de metal, l'on peut plus ou moins presser leurs circonuolutions, et faire qu'il y en ayt plus ou moins sur le pied de Roy, selon la force dont elles sont pressées; neantmoins l'on approchera plus pres de leur veritable grosseur par ce moyen, que par nul autre, ce qui suffit en cette matiere, où les choses ne peuuent pas estre trouuées plus exactement par la mechanique. Mais ie parleray plus amplement de la differente maniere de peser toutes sortes de corps, et d'en sçauoir la grandeur par le moyen de l'eau dans le liure des Cloches: et l'on peut voir ce que i'en ay dit dans les liures de la Theorie.

PROPOSITION X.

Determiner si l'on peut accorder le Luth, la Viole, l'Epinette et les autres instrumens à chordes, sans se seruir des sons, ny des oreilles, par la cognoissance des differens alongemens que souffrent les chordes.

CEtte proposition a besoin de quelques suppositions, dont la verité depend de l'experience et de la raison, car il faut sçauoir qu'elle raison il y a des differens racourcissemens des chordes aux sons differens quant au graue et à l'aigu, c'est à dire qu'il faut cognoistre combien il faut tourner la cheuille pour faire monter la chorde au second, trois, et quatriesme ton, supposé que l'on sçache combien il la faut tourner pour la mettre au premier, ou au second: et si, par exemple, vne force la fait racourcir d'vn doigt, combien 2, 3, ou 4 forces, et cetera la feront racourcir: cecy estant posé, l'on peut marquer les chordes auec de petits points à chaque li<eu>, afin que les points respondent à [-129-] certains lieux de l'instrument, qui feront voir quand les chordes seront d'accord, mais vne seule marque imprimée sur la chorde suffit pour cognoistre de combien de tons elle monte, ou descend, pourueu que l'on puisse mesurer son racourcissement, ou son alongement par le moyen de cette marque, ou des tours de la cheuille; ce que l'on fera aysément si l'on compare la marque de la chorde auec quelqu'autre marque de la Table de l'instrument, qui fera recognoistre combien la chorde s'alonge, on se doit alonger à chaque ton, ou demy-ton.

Neantmoins parce que la chorde, dont on s'est desia seruy, et qui s'est estenduë et alongée, à souffert de l'alteration, et qu'elle s'estend plus facilement la seconde fois que la premiere, et la troisiesme fois plus facilement que la seconde, et ainsi consequemment, comme on remarque à toutes sortes de chordes, qui s'alongent de plus en plus auec le temps, encore qu'on ne leur donne point de nouuelle tension, il n'est pas possible d'accorder vn instrument par la cognoissance des premieres tensions que l'on a experimentées aux chordes, si quant et quant l'on ne sçait de combien l'extension de chaque chorde doit estre plus grande à la 2, 3, ou 5 fois, qu'à la premiere: c'est pourquoy il suffit icy de remarquer combien chaque chorde s'estend depuis son ton plus graue iusques à son plus aigu, auant qu'elle rompe, afin que l'on puisse conclure par la diuision de l'extension en esgales parties, combien chaque ton ou demy-ton fait plus, ou moins estendre la chorde: toutes-fois les extensions ne sont pas tousiours esgales, encore que l'on y adiouste des forces esgales, car les dernieres sont quasi tousiours plus grandes que les premieres. L'experience fait voir que les chordes de Luth s'estendent pour le moins d'vne vingtiesme partie, auant qu'elles rompent, car la chanterelle qui a cinq pieds de long, et que l'on tend auec vne demie liure, s'estend de trois poulces ou enuiron, depuis l'extension qu'elle reçoit de cette demie liure iusques à ce qu'elle rompe par la force de trois liures et demie. Et apres qu'elle est tenduë par vne demie liure, la seconde demie liure que l'on y adiouste la faict alonger d'vn demy poulce, et la troisiesme la fait encore alonger d'vn autre demy poulce, et ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se rompe, n'y ayant point d'autre difference, sinon que les derniers alongemens sont vn peu plus grands que les premiers.

Quant aux chordes de leton, et des autres metaux, elles s'alongent beaucoup moins que celles de boyau, d'autant que leurs fibres ne sont pas susceptibles de si grands alongemens, que les filamens de celles de boyau qui s'alongent quasi de la mesme façon que la glus, et les filets des arraignées, parce qu'ils sont composez d'vne grande multitude de parties spermatiques. Or puis que le racourcissement et l'alongement des chordes peut seruir pour cognoistre combien l'air est sec ou humide toutes et quantesfois que l'on veut l'experimenter, il faut suiure la methode qui est expliquée dans la proposition qui suit; quoy que ie ne doute nullement que l'on ne puisse prescrire quelqu'autre methode pour recognoistre ces deux qualitez, dont ie parleray plus amplement dans vn autre lieu, et dont on peut faire plusieurs obseruations pour l'esclaircissement des difficultez de la Physique, et particulierement pour remedier aux accidens qui empeschent que le mouuement et le ieu des machines ne reüssisse selon l'entreprise, et la volonté des Ingenieurs.

[-130-] PROPOSITION XI.

Determiner de combien l'air est plus sec, ou plus humide chaque iour par le moyen des sons, et des chordes.

L'Experience fait voir que les chordes de la Viole montent plus haut en temps humide que quand le temps est sec, car elles se haussent d'vn ton, d'vne Tierce, ou d'vne Quarte, quand le temps est humide et pluuieux; cecy posé, il faut voir si l'on peut dire que l'air, ou le temps soit d'autant plus humide que les chordes montent plus haut: c'est à dire, si quand vne chorde monte plus haut d'vne Tierce maieure, dont la raison est de 4 à 5, l'air est plus humide d'vne quatriesme partie qu'il n'estoit deuant; car le plus grand terme de la Tierce maieure est plus grand d'vn quart que son moindre terme, or la chorde qui faisoit le moindre terme de cette Tierce en temps sec fait son plus grand terme en temps humide, et consequemment elle bat cinq fois l'air en temps humide, qu'elle ne battoit que 4 fois en temps sec.

Ce qui arriue parce que le temps humide l'enfle et l'acourcit, ou la tend dauantage qu'elle n'estoit tenduë en temps sec, de sorte qu'on peut dire que l'humidité la racourcit d'vne quatriesme partie, puis qu'il faut qu'vne chorde soit plus longue d'vn quart pour faire la Tierce maieure, bien que ce racourcissement ne paroisse pas en longueur, d'autant qu'vne plus grande tension recompense ce racourcissement; car ie parle icy des chordes, qui sont arrestées par deux cheualets, et qui ne peuuent s'alonger. Il n'est pas besoin de considerer si la chorde est plus grosse en temps humide, car cela n'est pas sensible, et si peu de grosseur n'apporte quasi point de difference au son: c'est pourquoy il faut seulement considerer la plus grande tension de la chorde, à laquelle le temps humide apporte autant comme si on augmentoit sa tension, car quand vne chorde est tenduë par le poids d'vne liure, il faut la tendre par vne liure et 9 onces pour la faire monter à la Tierce maieure, d'autant qu'il faut doubler la raison de cette Tierce, comme i'ay dit ailleurs. Et si elle monte d'vn ton maieur, elle fait autant comme si l'on adioustoit 17/64 d'vne liure au poids de la liure qui la tendoit en temps sec.

Il est tres-aysé de treuuer toutes les autres tensions que font les differents degrez de l'humidité, en doublant les raisons comme i'ay dit: mais il est tres-difficile de sçauoir si les degrez de cette humidité suiuent les raisons des sons, ou des poids: c'est à dire si l'humidité est comme 9, et 8, quand elle fait les deux sons du ton maieur, ou si elle suit la raison doublée du ton, ou la raison triplée des solides, de sorte qu'on puisse dire que le temps est plus humide d'vne huictiesme partie, quand la chorde se hausse d'vn ton; ou plus humide de 17 parties sur 64, parce que la raison sesquioctaue estant doublée fait la raison sur dix-sept partissante soixante quatre: ou plus humide de 217 parties sur 512, parce que la raison sesquioctaue estant triplée donne la raison sur deux cens dix-sept partissante cinq cens douze.

Ceux qui suiuront la simple raison des lignes, tiendront la premiere opinion; ceux qui choisiront la raison doublée des quarrez, suiuront la seconde; et ceux qui prendront la raison triplée des solides, suiuront la troisiesme. L'on peut encore voir s'il vaut mieux composer toutes ces raisons les vnes auec les [-131-] autres, que de les prendre en particulier. Mais il faut considerer d'autres choses dans la differente matiere des chordes, car les chordes de boyau, ou de fil de chanure s'alterent, et s'enflent plus facilement, et plus sensiblement que les chordes d'acier, d'airain, ou d'argent: d'autant que les metaux ne sont pas si poreux, et si mols comme les chordes de boyau, c'est pourquoy il faut se seruir de celles-cy, pour iuger si l'air est plus humide ou plus sec, parce que celles d'airain ne changent pas leur son si facilement sur l'Epinette, que celles de boyau sur la Viole. D'ailleurs la chorde de boyau peut auoir vne si grande humidité, qu'elle se laschera plustost qu'elle ne se tendra, ce qui monstre qu'il est difficile d'establir quelque chose de certain sur cet accident, et sur cette experience. Or l'on peut icy considerer deux ou trois accidens des chordes, car elles deuiennent plus courtes, ou plus grosses, ou elles font vn son plus aigu. Quant à leur racourcissement on remarque que les chordes, dont on vse pour sonner les cloches, sont plus courtes à l'hyuer qu'à l'esté, ce qui arriue semblablement à celles qui sont suspenduës aux voultes des Eglises pour abbaisser les lampes, comme l'on remarque dans les Eglises Cathedrales, dont les voultes sont fort esleuées, dans lesquelles lesdites chordes s'acourcissent à l'hyuer d'vne toise, ou enuiron. Busbeque Ambassadeur à Constantinople pour Ferdinand Roy des Romains, recite vne chose tres-remarquable sur ce sujet dans sa premiere Epistre, à sçauoir qu'vn ingenieur, qui auoit entrepris de leuer vn obelisque sur vn piedestal, ayant recogneu que les chordes de ses Machines estoient trop longues d'vn poulce, les arrosa d'eau, laquelle les feist accourcir autant comme il falloit pour faire reüssir heureusement son entreprise, ce qui luy donna vn grand credit parmy le peuple, qui commençoit à se mocquer de luy; et ce qui fait voir la difference d'vn ingenieur ordinaire, d'auec celuy qui cognoist la nature des choses.

Quant à la grosseur, on peut trouuer de combien elle s'augmente, lors que l'on sçait le racourcissement: car supposé, par exemple, qu'elle s'acourcisse d'vne 20. partie, elle se grossira aussi d'vne 20. partie; et si elle s'acourcit de moitié, elle se grossit de moitié; si ce n'est qu'elle reçoiue seulement des condensations differentes souz mesme volume, de sorte qu'elle soit tousiours de mesme grosseur, et que cette grosseur soit seulement plus rare en temps sec, et plus dense et solide en temps humide.

Quant à la tension, l'on en peut iuger en deux façons, premierement par le son, car si la chorde d'vn instrument de Musique monte plus haut d'vne Quarte, elle enseignera de combien sa tension s'est augmentée, c'est à dire que la tension de la chorde en temps humide sera à la tension de la mesme chorde en temps sec, comme 16 est à 9, car il faut que les tensions, et les forces qui font les tensions, soient doublées des simples raisons que gardent les interualles harmoniques, comme i'ay demonstré dans vn autre lieu.

Mais si l'on suppose que la chorde deuienne plus grosse en temps humide à mesme proportion qu'elle s'acourcit, il faudra autant augmenter sa tension, comme la grosseur s'est augmentée: c'est à dire que si sa grosseur s'est augmentée d'vne vingtiesme partie, il faudra augmenter sa tension d'vne vingtiesme partie pour expliquer les interualles, ausquels la chorde est montée. Par exemple, au lieu d'appliquer les tensions de 16 à 9 à la chorde susdite, si la chorde s'est grossie d'vne 20 partie, il faudra adiouster la raison de 21 à 20 à la raison de 16 à 9, pour sçauoir la tension de la chorde en temps humide, car les [-132-] simples raisons des tensions recompensent les differentes grosseurs des chordes. Si les sons montent à mesme proportion que les chordes des cloches, et que toutes les autres s'acourcissent en temps humide, ou en hyuer, il est facile de sçauoir combien les chordes des instrumens monteront, car si elles se racourcissent d'vne 8. partie, les instrumens auront monté d'vn ton maieur, d'autant que la chorde a 9 parties en temps sec, et n'en a que 8 en temps humide: il est facile d'adiouster plusieurs autres exemples.

L'on peut donc conclure combien les chordes des instrumens s'acourciroient, si elles n'estoient detenuës par les cheuilles; par exemple, elles s'acourciroient d'vne qninziesme partie, quand elles montent d'vn semiton maieur. Semblablement l'on peut dire de combien les chordes, qui s'acourcissent à raison qu'elles sont libres, receuroient vne plus grande tension, si elles estoient arrestées, car la raison doublée des longueurs de la chorde en temps sec et humide donnera la tension: par exemple, si la chorde s'acourcit d'vne quinziesme partie, la raison de sa longueur en temps sec et humide sera de 16 à 15, laquelle estant doublée donne la raison de 256 à 225, c'est à dire quasi de 17 à 15; par consequent la chorde de la Viole qui monte d'vn demy-ton, est plus tenduë de deux parties sur 15, qu'elle n'estoit deuant, supposé qu'elle ne grossisse point par la tension, autrement il faut adiouster autant de degrez à la susdite tension, comme l'humidité a adiousté de nouuelles parties à sa grosseur.

Or l'on peut disposer les chordes en deux manieres pour treuuer les proportions, et les differences des humiditez du temps; premierement en les suspendant, comme sont les chordes des cloches et des lampes, car si l'on graduë la muraille ou le bois, à qui elles respondent, c'est à dire, si l'on diuise le plan, vis à vis duquel elles sont suspenduës, en plusieurs parties esgales, dont la plus basse soit à niueau du bout de la chorde, quand elle a sa plus grande longueur, et la plus haute soit à niueau du lieu, où la chorde est la plus courte, les degrez du milieu marqueront les differents racourcissements de la chorde, et consequemment les differents degrez de l'humidité, ou de la seicheresse, comme les degrez du Verre Calendaire, que l'on appelle Themoscope, montrent les degrez du froid et du chaud;

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 132; text: A, B, C] [MERHU3_3 08GF]

ce que i'explique par la chorde A B C, dont la plus grande longueur est A C, et la moindre A B, de sorte quelle a l'espace B C, pour son racourcissement, lequel on peut diuiser en tant de parties que l'on voudra, afin de sçauoir si le temps est plus humide de 2, 3, ou 4, degrez, quand la chorde s'acourcit d'autant de parties.

Secondement, on peut se seruir des chordes, qui sont arrestées par les deux bouts, comme sont celles de la Viole, du Luth et des autres instrumens à chorde, car si on suspend vn poids au milieu de la chorde, et qu'on diuise le plan, vis à vis duquel la chorde descend qui tient le poids suspendu, de sorte que la plus basse diuision soit à niueau du poids, on verra les differents degrez de l'humidité par les differentes esleuations du poids, comme on recognoist les differents degrez de lumiere, et de chaleur par les differentes esleuations du Soleil. Mais parce que nous ne sçauons pas si de tous les degrez d'humidité chacun fait racourcir les chordes esgalement, c'est à dire si le 2 degré les fait autant racourcir comme le 1, le 3 comme le 2, et cetera l'on ne peut determiner cette difficulté qu'en general pour les differents degrez d'humidité.

[-133-] COROLLAIRE I.

Quelques-vns tiennent pour vn grand secret ce qu'il semble que l'on peut deduire de cette proposition, à sçauoir qu'on peut leuer toutes sortes de fardeaux par le moyen du Soleil, car si on attache vn chable à vn fardeau en temps sec, et au Soleil, la chorde s'acourcira lors que le temps deuiendra plus humide, et que la lumiere ne sera plus presente; et l'on pourra cependant arrester le fardeau à la mesme esleuation où il se rencontrera, afin de l'attacher de nouueau à la chorde, quand le Soleil l'illuminera; ce que l'on peut poursuiure iusques à ce qu'il soit esleué au lieu où il doit demeurer: par exemple, s'il le faut esleuer de 100. toises, et que la chorde s'acourcisse tousiours d'vne toise, le Soleil leuera le fardeau dans l'espace de 100. iours. Mais si le fardeau est trop grand, il y a grande apparence qu'il empeschera les acourcissemens du chable, et consequemment que ce secret est inutile.

COROLLAIRE II.

Quand les chordes s'acourcissent par l'humidité, il semble que toutes leurs parties se r'acourcissent esgalement, supposé que l'air qui les enuironne soit esgalement humide par tout, car il n'y a nulle raison qui empesche cette esgalité lors que la chorde pend librement en bas, ou qu'elle porte vn fardeau bien leger: mais lors qu'elle est arrestée et tenduë sur le Monochorde, ou sur les autres instrumens, elle peut s'enfler dauantage vers le milieu, où il semble qu'elle endure moins de violence, parce qu'elle est plus molle en ce lieu que pres des cheualets, et consequemment elle est plus susceptible de l'humidité de l'air; quoy que l'on puisse obiecter que la chorde est plus ouuerte et plus poreuse aux lieux où elle est la plus dure, et où elle est, ce semble, plus bandée, mais toutes ces difficultez sont traictées dans vn autre lieu.

COROLLAIRE III.

Il semble que l'enflement des chordes se fait par l'eau, ou par les vapeurs qui s'insinuent dans les pores des chordes, quand elles ne s'acourcissent point, ce qui fait que toutes les parties de la chorde endurent vne plus grande violence, parce que chaque partie d'humidité contraint chaque partie de la chorde de luy faire place, et de s'estendre plus fort que deuant, ou en d'autres lieux que celuy qu'elle occupoit, et qui luy estoient propres et naturels; mais quand elles s'acourcissent, il semble qu'elles fassent la mesme chose qu'vn homme qui se racourcit, et qui rassemble les parties de son corps le mieux qu'il peut lors qu'il a grand froid, ou qu'il se prepare au combat: ce que l'on remarque semblablement aux insectes, et aux vers qui rampent sur la terre, car ils se ramassent et s'acourcissent pour se rendre plus forts, pour euiter les coups et pour se conseruer.

Or apres auoir consideré toutes ces particularitez des chordes, il faut voir de quelle longueur elles doiuent estre sur l'Epinette, et sur les autres instrumens pour faire des sons dont l'oreille puisse iuger, et comme l'on peut determiner leur ton quand l'oreille ne peut l'apperceuoir.

[-134-] PROPOSITION XII.

Determiner quelle grosseur, et longueur doiuent auoir les chordes des instrumens pour faire des sons agreables, et dont on puisse iuger à l'oreille: et comme l'on peut sçauoir le ton, ou le son de toutes sortes de chordes, quand elle sont trop longues, trop lasches, ou trop courtes pour faire des sons, qui puissent estre ouys.

L'Experience fait voir que les chordes qui sont trop longues, ou trop courtes ne font point de ton sensible, ou qu'il n'est pas agreable si elles en font; par exemple, si l'on estend vne chorde de Luth de 12 pieds de long, elle ne peut faire de son dont l'oreille puisse iuger, c'est pourquoy ceux qui font les instrumens de Musique les proportionnent à la longueur et à la grosseur des chordes. Or la chorde dont le diametre est 1/6, ou 1/5 de ligne, comme est la plus grosse des Epinettes ordinaires, à 4, ou 5 pieds de long, et les autres sont longues et grosses à proportion de celle-la, qui leur sert de regle: de sorte qu'il faut que la longueur de la chorde soit à sa grosseur comme 3456 à 1, puis qu'il y a 3456/6 de ligne dans 4 pieds: et si l'on mesure les plus grosses chordes des plus grands Tuorbes, et des Luths, l'on trouuera qu'elles n'ont pas plus de 4 pieds de long depuis le sillet iusques au cheualet, et l'on sçaura la raison de leur longueur à leur grosseur, lors que l'on aura pris leur diametre. Mais pour sçauoir la vraye raison que doit auoir la longueur de la chorde à sa grosseur pour faire les meilleurs sons de tous les possibles, il faut supposer l'experience; et parce que les Epinettiers disent que les chordes de mesme grosseur que les plus grosses de l'Epinette, ou du Clauecin ordinaire sonnent parfaitement quand on leur donne 4, ou 4 et demy, ou 5 pieds de long, l'on peut retenir l'vne de ses proportions; et parce que la chorde de 5 pieds de long peut auoir 1/4, ou 1/3 de ligne en diametre, la meilleure proportion de la longueur à la grosseur sera de 2440, ou de 2160 à 1.

Quant à la seconde partie de la Proposition, elle est tres-aysée à resoudre, puis que nous auons expliqué la maniere de sçauoir combien chaque chorde donnée tremble de fois en vn temps donné, c'est à dire combien elle fait de tours et de retours; car puis que le graue, ou l'aigu du son est mesuré et determiné par les nombres des tremblemens de chaque chorde, l'on ne peut cognoistre ledit nombre, que l'on ne sçache quant et quant la qualité du son, c'est à dire quel lieu il tient dans le Systeme harmonic. Ce que l'on comprendra plus aysément par exemples, que par de plus longs discours. Ie suppose donc qu'vne chorde de Luth ou d'Epinette ayt 15 pieds de long, et qu'elle soit trop longue pour iuger auec l'oreille du son qu'elle fait: or si on la tend auec vne force de 6 liures, elle fera 10 retours dans vne seconde minute, et parce que le son qui respond au ton de Chappelle est fait par 60 retours dans l'espace de ladite seconde, l'on sçaura que le son de 10 retours est plus bas d'vne dix-neufiesme que ledit ton de Chappelle, puis que les sons sont aux sons, comme les retours aux retours, et qu'il y a mesme raison de 60 à 10, que de 6 à 1, qui contient la raison de la Dix-neufiesme.

Semblablement si la chorde est trop courte, et qu'elle n'ayt qu'vn poulce, c'est à dire que la douziesme partie d'vn pied de Roy, c'est chose asseurée que l'oreille ne pourra iuger du son qu'elle fera, mais si on luy donne l'estenduë [-135-] de 15 pieds, et que l'on treuue qu'elle tremble 10 fois comme deuant, l'on trouuera son ton par la regle de 3, car les retours de la chorde d'vn poulce de long sont aux retours de celle de 15 pieds, comme 15 est à 1/12, c'est à dire comme 180 est à 1, c'est pourquoy la chorde d'vn poulce fera, 1800 retours, tandis que celle de 15 pieds n'en fera que 10, et consequemment le son de la chorde d'vn poulce sera de 180, quand celuy de la chorde de 15 pieds sera 1, de sorte que ces deux sons feront la Cinquante-troisiesme, c'est à dire la Quarte augmentée d'vn comma sur 8 Octaues. Or il est tres-aysé d'accommoder ce discours à toutes sortes d'autres chordes, puis qu'il n'y a nul son si graue, ou si aigu, que l'on ne puisse treuuer par le moyen des tremblemens et des retours. Où il faut encore remarquer que l'oreille commence à iuger de l'aigu du son de la chorde, qui a deux poulces de long, et consequemment qui est 96 fois plus longue que large, supposé qu'elle ayt 1/4 de ligne en diametre; et parce que ce nombre approche de cent, l'on peut prendre pour fondement de ce discours, que la longueur des chordes doit estre centuple de leur diametre pour faire le premier son, c'est à dire le plus aigu, dont l'oreille puisse iuger.

Dabondant parce que la chorde n'a point de son qui puisse entrer dans l'harmonie en qualité d'agreable, ou de passable, qu'elle n'ayt pour le moins demy pied de long, il s'ensuit qu'elle doit estre 288 plus longue que large pour commencer à rendre de l'harmonie qui soit supportable; et parce que ce nombre approche de 300, l'on peut dire que la longueur des chordes doit estre trecentuple de leur diametre pour faire leur premier son: finalement parce que les mesmes chordes peuuent faire des sons dont l'oreille peut iuger, encore qu'elles ayent 12 pieds de long, l'on peut dire que les chordes font des sons, qui ne surpassent pas la capacité de l'oreille, quand leur longueur est à leur diametre, comme 6912 est à 1. Et parce que ce nombre approche de 700, l'on peut mettre ce nombre pour les bornes de la longueur des chordes, par où l'on peut determiner quelle raison il y a de la longueur qu'elles doiuent auoir pour faire le meilleur son, auec leur plus grande et leur moindre longueur.

PROPOSITION XIII.

Determiner pourquoy il y a des chordes meilleures les vnes que les autres sur les instrumens; ce qui rend les chordes fausses: comme l'on peut sçauoir si vne chorde sonne mieux sur vn instrument que sur les autres: et comme l'on cognoist les chordes fausses.

IL y a deux principales raisons pour lesquelles les chordes sonnent mieux les vnes que les autres, dont l'vne se tient de la part des chordes, à sçauoir lors qu'elles sont mal-faites, soit que la faute vienne de la part de l'ouurier, ou du temps mal propre dans lequel elles ont esté faites, ou de la matiere qui est trop seiche, ou trop humide, ou qui a d'autres mauuaises qualitez qui rendent la chorde inesgale et fausse: de là vient que l'on rencontre des chordes dont on ne peut nullement vser, à raison que l'on ne pout leur faire prendre vn ton qui soit propre à la Musique, parce que le son en est trop sourd et trop obscur. Or l'on cognoist qu'vne chorde est fausse auant que de la tendre sur les instrumens, lors qu'estant tirée par les deux bouts, elle ne fend pas l'air esgalement, et qu'elle ne fait pas paroistre vne figure semblable à vn plan parallelle [-136-] ou perpendiculaire à l'horizon, quand la tension de la chorde est horizontale ou perpendiculaire.

Mais l'oeil n'est pas souuent assez subtil pour remarquer la fausseté de la chorde, et la main qui la treuue esgale en toutes ses parties, se trompe souuent: car si elle est plus molle ou plus dure, plus rare, ou plus dense et plus seiche, ou plus humide en vn lieu qu'en vn autre, elle ne rendra pas vn son esgal et vniforme, parce que le boyau dont la chorde est faite, n'est pas esgal en toutes ses parties, soit qu'il y ayt vne plus grande multitude de fibres dans l'vne que dans l'autre, ou que la faute vienne de la part de l'ouurier.

Quant aux chordes qui sont toutes bonnes, et dont les vnes sonnent mieux sur de certains instrumens que sur les autres, cela peut arriuer à cause qu'elles sont mieux proportionnées aux vns qu'aux autres: de là vient que les plus grosses chordes rendent plus d'harmonie sur les grands Luths, que sur les petits; et qu'il se rencontre ordinairement vne chorde sur chaque instrument, qui sonne mieux que toutes les autres, et qui a vn ton entre tous ceux qu'elle peut auoir par ses differentes tensions, ou ses differens racourcissemens; qui surpasse tous les autres: ce qui arriue peut estre lors que la chorde est à l'vnisson de la table du Luth, et consequemment les meilleurs tons de ceux qu'elle fait apres doiuent estre à l'Octaue, et à la Douziesme de ladite table, ce qu'il faut entendre lors que la chorde est assez longue, car si elle estoit trop courte à proportion de sa grosseur, ou trop longue à proportion de ce qu'elle est mince et deliée, elle ne feroit pas ouyr le meilleur de ses tons, encore qu'elle fust à l'vnisson de la table du Luth, ou des autres instrumens.

Or i'ay monstré dans la douziesme Proposition, la proportion qu'il faut garder de la longueur des chordes à leurs grosseurs pour rendre vn bon son, et ie diray ailleurs comme il faut trouuer le ton de la table de toutes sortes d'instrumens; c'est pourquoy il suffit icy de conclure que l'on sçaura quelle chorde sonne le mieux de toutes les autres sur vn instrument proposé, lors que l'on cognoistra le ton de la table de l'instrument, car celle qui ayant la longueur, et la tension requise sera à l'vnisson de ladite table rendra le meilleur son: et s'il s'en rencontre plusieurs de mesme grosseur, longueur et tension qui soient à l'vnisson, celle dont les parties seront plus vniformes sonnera le mieux; et si toutes les parties des vnes sont aussi esgales que celles des autres, elles sonneront esgalement.

Si ceux qui font aussi grand estat d'vne bonne chorde que de tout l'instrument prennent la peine de treuuer le ton de la table, i'estime qu'ils auront du contentement à comparer ces deux vnissons, et qu'ils aduouëront que l'vnisson est le plus puissant, et le plus excellent de toutes les consonances, comme i'ay prouué dans les liures de la Theorie, puis que l'vnion qui se fait du ton de la table auec celuy de la chorde rend vne harmonie rauissante, car il ne se fait quasi qu'vn mesme son des deux; quoy que ie ne vueille pas reietter les autres raisons que l'on peut apporter de la bonté des chordes, par exemple que l'air enfermé dans le corps de l'instrument doit estre tres-bien proportionné à la longueur de la chorde, qui ne doit pas trouuer vne trop grande quantité d'air à esbransler, et cetera.

Or il est aysé de prouuer que l'instrument ayde à la bonté de la chorde, d'autant qu'elle n'est plus si bonne, quand elle est mise sur vn autre instrument d'esgale grandeur, quoy qu'il se rencontre d'autres chordes qui sont aussi [-137-] bonnes sur cet instrument comme estoit la premiere chorde sur l'autre: mais si cette raison ne plaist pas à ceux qui touchent le Luth et l'Epinette, il leur est permis d'en chercher vne meilleure. Il faut cependant remarquer que l'on tient que la troisiesme chorde de la Viole est ordinairement la meilleure, et que l'on remarque semblablement la mesme difference de bonté dans les tuyaux de l'Orgue, dont il y en a quasi tousiours quelqu'vn qui surpasse tous les autres: mais i'en parleray plus amplement dans le liure de l'Orgue. Quant aux chordes, il est assez facile de remarquer leur meilleur ton en les touchant à vuide, ou en vsant des touches, et lors que l'on a le ton de la table, l'on peut experimenter si le ton de la chorde qui se fait auec les touches est meilleur que celuy qui se fait à vuide, ou à l'ouuert, quand celuy des touches fait l'vnisson, ou quelqu'autre consonance auec la table: quoy que le doigt, qui touche la chorde sur le manche, puisse souuent estre cause qu'elle ne sonne pas si bien qu'a vuide, car il est difficile de toucher si bien de la main gauche, que ce contact ne nuise pas dauantage à son harmonie, que si elle estoit touchée à vuide sur vn nouueau sillet.

COROLLAIRE.

Si l'on veut sçauoir ce que les accords de la table apportent aux chordes, il faut remarquer de quelle maniere vne mesme, ou plusieurs sonnent à l'vnisson, à l'Octaue et à la Quinte de la table, et cetera et si la bonté de la chorde tenduë à l'vnisson surpasse autant la bonté de celle qui est à la Quinte, comme la bonté, ou la douceur de l'vnisson surpasse la douceur de la Quinte.

PROPOSITION XIV.

Determiner combien l'on peut toucher de chordes, ou de touches du clauier dans l'espace d'vne mesure, c'est à dire combien l'on peut faire de notes à la mesure sur l'Epinette; et si l'archet va aussi viste sur la Viole, et sur le Violon; ou si la langue et les autres organes qui font les passages, et les fredons peuuent faire autant de notes à la mesure que l'Epinette.

L'On peut toucher les chordes de Luth, et de l'Epinette en deux manieres, à sçauoir toutes, ou plusieurs en mesme temps, comme il arriue lors que l'on abbaisse plusieurs touches du clauier en mesme temps, pour faire plusieurs consonances ou dissonances; ou l'vne apres l'autre, comme l'on fait aux passages et aux fredons, et c'est de cette maniere que ie parle icy. Or il faut remarquer que les Musiciens ont inuenté des notes pour signifier toutes leurs mesures c'est à dire tous les temps, ou toutes les especes de durée qu'ils donnent aux sons et aux voix, done ils composent toutes sortes de chansons et de motets: et que celle qui signifie vne mesure est blanche, et sert comme de pied, de diapason et de regle à toutes les autres, qui augmentent ou diminuent ordinairement leurs valeurs de moitié en moitié, de sorte que la 2 vaut la moitié d'vne mesure, la troisiesme le quart, la 4 la 8 partie, la 5 la 16 partie, la 6 la 32 partie, et la 7 la 64 partie, qui est la moindre de toutes celles qu'ils ont inuentées, parce qu'ils ont iugé que l'on ne pouuoit pas chanter vne note en vn moindre temps qu'en la 64. partie d'vne mesure.

Il faut encore remarquer qu'ils font durer vne mesure plus ou moins comme [-138-] ils veulent: mais il est necessaire d'establir vn temps certain et determiné pour la mesure, si l'on veut sçauoir combien l'on peut faire de sons, c'est à dire combien l'on peut chanter de notes dans le temps d'vne mesure: et parce que les Astronomes ont diuisé chaque minute de temps en 60 parties, et que chaque 60 partie de minute, qu'ils nomment seconde, est esgale à vn battement ordinaire du poux, comme i'ay desia dit ailleurs,, ie suppose maintenant qu'vne mesure dure vne seconde minute, et dis qu'il n'y a point de main si viste qui puisse toucher plus de 16 fois vne mesme chorde, ou plusieurs, ny voix qui puisse chanter plus de 16 notes ou doubles crochuës dans le temps d'vne seconde minute, et consequemment que ceux qui font 32 notes à la mesure employent 2 secondes dans la mesure, et que ceux qui en font 64 font la mesure de 4 secondes ou de 4 battemens de poux: ce que i'ay obserué dans l'experience des meilleurs ioüeurs de Viole et d'Epinette, et ce que chacun remarquera en faisant reflexion sur le ieu de ceux que l'on estime auoir la main tres-viste et tres-legere, quand ils vsent de toute la vistesse qui leur est possible.

D'où il s'ensuit que nul ne peut toucher plus de 960 fois vne, ou plusieurs chordes dans l'espace d'vne minute d'heure, ou 17600 dans vne heure. Quant à la comparaison de la vistesse dont on vse sur la Viole, sur l'Epinette, ou sur les autres instrumens, il est tres-difficile d'en iuger autre chose, sinon que ceux qui en ioüent en perfection peuuent les toucher d'vne esgale vistesse. A quoy i'adiouste que la voix et la gorge ne peuuent aller si viste que les instrumens: ce que l'on sera contraint d'aduoüer apres auoir comparé vn excellent ioüeur d'Epinette ou de Viole, auec vn excellent Chantre.

PROPOSITION XV.

Determiner si l'on peut toucher les chordes des instrumens, ou leurs touches si viste que l'oreille ne puisse discerner si le son est composé d'autres sons differens, ou s'il est vnique et continu.

CEtte difficulté me semble tres-grande, car l'on peut acquerir vne tresgrande vistesse de main par vn long exercice, et l'on n'a peut-estre pas encore experimenté toute la puissance de l'art en cette matiere. Or nous pouuons iuger de quelle vistesse il faudroit toucher les chordes pour faire vn son composé de plusieurs sons de differentes chordes, par la vistesse des retours, qui representent tellement le son à l'oreille, qu'elle ne peut discerner s'il est fait d'vn seul tremblement, et s'il est continu, ou s'il est faict par plusieurs tremblemens interrompus. L'experience enseigne que les plus grosses chordes des plus grands instrumens, par exemple celles de l'Epinette et des Tuorbes, descendent iusques à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 8 pieds de long, et consequemment que leur son se fait par 30 retours ou enuiron; or l'oreille ne peut apperceuoir si ce son est fait de differents retours, c'est à dire par vn mouuement interrompu, ou par vn mouuement continu, d'où ie conclus que si l'on touche vne mesme chorde 30 fois, tandis que ces 30 retours se feront, que l'oreille ne pourra distinguer si elle est touchée plusieurs fois, et qu'elle apprehendera ce son comme s'il estoit vnique et continu, car puis que l'on ne peut discerner les battemens, ou les tours et retours de la chorde qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds, l'on ne pourra semblablement discerner les [-139-] mouuemens de l'archet, qui touchera vne mesme chorde aussi souuent, et aussi viste comme se font lesdits retours. Car si l'archet, ou le doigt qui se meut 30 fois dans vne seconde minute, faisoit vn son que l'on peust ouyr, c'est chose asseurée qu'il seroit à l'vnisson de ladite chorde, puis que leurs retours seroient esgaux, et consequemment l'on auroit deux sons à l'vnisson, à sçauoir celuy de la chorde, et celuy de l'archet, qui seroit beaucoup plus foible que celuy de la chorde, parce qu'il toucheroit moins d'air: quoy que l'on puisse dire qu'il ne se feroit qu'vn mesme son composé du mouuement de la chorde, et de celuy de l'archet: d'autant que ses allées et ses venuës responderoient iustement aux tours et retours de la chorde.

Si la chorde estoit si longue qu'elle fust à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 24 pieds, et qu'elle ne batist l'air que dix fois dans l'espace d'vne seconde, l'oreille pourroit apperceuoir que le son ne seroit pas continu, puis que l'oeil discerne tellement ces 10 retours que l'on les peut nombrer, supposé neantmoins que le son de chaque retour soit distinct et discontinu, et qu'il y ayt vn aussi grand nombre de sons differents qu'il y a de retours, car si le son du premier retour est continu auec le son du second, et que tous les sons des tours et des retours ne fassent qu'vn mesme son continu, l'oreille ne peut pas nombrer, ou cognoistre chaque partie du son que fait chaque tour et retour, si ce n'est qu'elle iuge de chaque partie du son par sa differente force ou grandeur.

Par exemple, puis que le son de la chorde, qui fait 10 retours dans vne seconde, s'affoiblit en mesme proportion que les retours de la chorde se diminuent, si le second retour est moindre que le premier d'vne dix-neufiesme partie pour le moins, et que les autres retours se diminuent tousiours en mesme proportion, comme ie suppose maintenant, il s'ensuit que si la premiere partie du son a 20 degrez de force, que la 2 partie n'aura que 19 degrez de force, que la troisiesme n'en aura que 18 1/20, et ainsi des autres, et consequemment que l'oreille distinguera ces parties, comme si elles faisoient des sons differents, si elle est assez delicate pour apperceuoir ces petites differences.

Mais ie ne croy pas que l'on rencontre des oreilles si iustes qu'elles puissent remarquer la diminution de chaque partie du son d'vne chorde; c'est pourquoy ie viens à l'autre consideration de plusieurs chordes differentes en longueur, grosseur, ou tension, qui font des sons differents quant au graue et à l'aigu, et dis qu'il est plus aysé de remarquer la vistesse de l'archet, ou du doigt sur ces chordes differentes que sur vne mesme chorde, parce qu'elles ont de plus grandes differences, et que le graue et l'aigu de leurs sons ne peuuent tellement se ioindre que l'oreille n'en apperçoiue la difference, particulierement lors que les chordes font des dissonances; de là vient que l'on ne peut toucher les chordes d'vn instrument si viste, que l'oreille ne iuge que l'on en touche plusieurs, encore que la vistesse soit esgale au toucher qui se fait de plusieurs chordes en mesme temps. Mais elle peut estre si grande, que l'oreille ne pourra iuger si elles sont touchées les vnes apres les autres ou toutes ensemble, quoy qu'il soit difficile de determiner quelle doit estre cette vistesse pour tromper l'oreille, et pour faire qu'elle croye receuoir plusieurs sons en mesme temps, qui se font en des temps differents.

[-140-] PROPOSITION XVI.

Determiner de quelle vistesse les chordes des instrumens se doiuent mouuoir pour faire vn son.

CEtte proposition est l'vne des plus difficiles de la Musique, d'autant que l'oreille ne peut apperceuoir les sons qui sont trop foibles, comme l'on experimente en plusieurs, qui ont l'ouye plus ou moins subtile, quoy que l'on puisse dire que toute sorte de mouuement fait du son, particulierement lors que l'air est tant soit peu violenté. Mais parce qu'il est difficile, et peut-estre impossible de prouuer que le mouuement fasse vn son, quand nulle oreille ne le peut ouyr, il suffit de monstrer quel doit estre le mouuement des chordes pour faire des sons que l'oreille puisse apperceuoir, ce qui est tres-aysé si l'on comprend ce que i'ay dit ailleurs, car puis que l'experience fait voir que les retours des chordes se diminuent selon la proportion de 12 à 11; et que i'ay monstré que le 132 retour n'est que la cent milliesme partie de la premiere traction, et que l'on oyt assez clairement le son d'vne chorde l'espace de 2, ou 3 secondes minutes, quoy qu'elle soit touchée tres-foiblement, et que la premiere traction ou impulsion ne soit que du quart d'vne ligne, il s'ensuit que les chordes font des sons fort sensibles, encore que leur mouuement soit bien tardif, car supposé que l'on oye lesdits sons tandis que la chorde tremble 132 fois, elle ne fera pas l'espace d'vn poulce dans le temps d'vne seconde minute, et consequemment elle ne fera pas l'espace de cinq pieds dans le temps d'vne minute, qui dure assez long-temps pour faire vne promenade de soixante pas, encore que l'on marche assez lentement, comme chacun peut experimenter.

Il faut donc conclure qu'il suffit que les chordes se meuuent aussi viste qu'vne Tortuë, qui fait l'espace d'vn poulce tandis que le poux bat vne fois, veu mesme que l'on peut encore diminuer cet espace de moitié et dauantage: de sorte que si l'on prend la peine de calculer le chemin que font les retours des grosses chordes legerement touchées, l'on trouuera qu'il suffit qu'elles fassent le chemin d'vne ligne dans vne seconde minute pour faire vn son sensible.

PROPOSITION XVII.

L'on peut sçauoir combien de fois les chordes du Luth, de l'Epinette, des Violes et des autres instrumens battent l'air: c'est à dire, combien de fois elles tremblent, ou combien elles font de tours et de retours durant vn concert, ou en tel autre temps que l'on voudra determiner.

IL est tres-aysé de cognoistre le nombre des battemens, ou retours de toutes les chordes de tel instrument que l'on voudra, si l'on a compris ce que i'ay dit de ces tremblemens dans vn autre lieu, pourueu que l'on sçache le nombre des instrumens dont on vse, et l'espace du temps que dure le concert. Neantmoins ie veux icy repeter ce qui est necessaire pour l'intelligence de cette proposition; et premierement que la chorde, qui est à l'vnisson d'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, fait 48 retours dans l'espace de la trois mille [-141-] sixcentiesme partie d'vne heure, c'est à dire dans l'espace d'vne seconde minute, qui est la durée d'vn battement du coeur, ou du poux tres-lent et paresseux. Secondement, que les retours des chordes se multiplient en mesme proportion que les sons deuiennent plus aigus; et consequemment lors que l'on sçait le nombre des retours d'vne chorde, dont on cognoist le son, on sçait quant et quant le nombre des retours de toutes sortes de chordes, dont on cognoist les sons.

Or cecy estant presupposé, Ie veux dresser vne table, par le moyen de laquelle l'on cognoistra tout aussi tost combien les chordes de tous les instrumens d'vn concert font de retours, ou combien de fois elles battent l'air; et parce que chaque periode de la chorde comprend son allée et son retour, le nombre des battemens d'air est deux fois plus grand que celuy de ses retours, c'est pourquoy la table qui suit, monstrera seulement les retours, dont les nombres doublez donneront le nombre des battemens.

Et parce que les concerts à plusieurs parties contiennent ordinairement l'estenduë de 2, 3, ou 4 Octaues, et que tous les instrumens pris ensemble peuuent s'estendre iusques à 8 Octaues, comme i'ay monstré dans vn discours particulier; la table qui suit contient 8 colomnes, dont chacune a vne Octaue entiere. Mais il faut remarquer que la premiere colomne, qui est à la marge, sert de conduite aux 8 suiuantes, dont les nombres qui representent les retours, ou les battemens des chordes, sont en mesme raison que ceux de ladite colomne; quant à la premiere colomne des retours, elle comprend la plus basse Octaue, et la huictiesme contient la plus aiguë.

Or chaque Octaue a 19 chordes, notes, ou caracteres, d'autant qu'on ne peut marquer la Musique à plusieurs parties sans se seruir de ce nombre dans chaque Octaue, comme i'ay prouué dans vn autre lieu. Quant à l'vsage de cette table, il est si aysé, qu'il n'est quasi pas besoin de l'expliquer, car le premier nombre de la premiere colomne, à sçauoir 6, signifie que le son le plus graue de tous les instrumens, à sçauoir le son du tuyau d'Orgue de 32 pieds, se fait par les 6 retours de la chorde, qui bat 12 fois l'air dans l'espace d'vn battement de coeur; et les autres nombres qui suiuent, tant dans cette Octaue, que dans les 7 autres, representent tousiours le nombre des retours de chaque chorde, qui respond à chaque note, ou lettre de l'Octaue, qui est marquée à la marge: par exemple, le premier ou le moindre nombre de la 8 Octaue signifie que la plus basse chorde de la 8 Octaue fait 768. retours dans l'espace d'vn battement de poux, c'est à dire dans le temps d'vne seconde minute: et le 2 nombre de la mesme colomne, à sçauoir 800, signifie que la chorde qui a ce son, fait 800 retours dans le mesme temps.

D'où il s'ensuit que l'on sçaura combien de fois l'air est battu par chaque chorde en regardant cette table, car si l'on veut cognoistre le nombre des battemens de chaque chorde de l'vne des Octaues, par exemple de la Cinquiesme, qui monstre le nombre des retours, il faut prendre les nombres de la 6 Octaue, qui sont doubles de ceux de la 5, d'autant que i'ay desia dit que chaque periode de la chorde est composée du tour et du retour, et consequemment contient deux battemens d'air: mais si l'on prend l'vne des colomnes pour les battemens, et non pour les retours, la colomne precedente donnera le nombre des retours: par exemple, si la 6 colomne est prise pour le nombre des battemens, la 5. donnera le nombre des retours, qui sont tousjours [-142-] la moitié de chaque nombre des battemens, de sorte que les deux colomnes qui se touchent, sont reciproques.

Tablature du nombre des tremblemens que font les chordes.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 142; text: A, B, C, D, E, F, G, a, b, c, d, e, g, 5760, demy-ton maieur, 5400, demy-ton mineur, 5184, comma, 5120, 4800, 4608, diese, 4500, 4320, 4050, 4000, 3840, 3600, 3456, 3375, 3240, 3200, 3072, 3000, 2880, I, 12, 11 1/4, 11 3/10, 10 19/24, 10, 9 3/5, 9 3/8, 9, 8 11/24, 8 1/3, 8, 7 1/2, 7 7/40, 7 1/16, 6 3/4, 6 19/24, 6 17/40, 6 1/4, 6, II, 24, 22 1/2, 22 3/5, 21 7/12, 20, 19 1/5, 18 3/4, 18, 16 11/12, 16 2/3, 16, 15, 14 7/20, 14 1/8, 13 1/2, 13 7/12, 12 17/20, 12 1/2, III, 48, 45, 43 1/5, 42 7/6, 40, 38 2/5, 37 1/2, 36, 33 5/6, 33 1/3, 32, 30, 28 7/10, 28 1/4, 27, 26 7/6, 25 7/10, 25, IV, 96, 90, 86 2/5, 85 1/3, 80, 76 4/5, 75, 72, 67 1/2, 66 2/3, 64, 60, 57 2/5, 56 1/2, 54, 53 1/3, 51 1/5, 50, V, 192, 180, 172 4/5, 170 2/3, 160, 153 3/5, 150, 144, 135, 133 1/3, 124, 120, 114 4/5, 113, 108, 106 2/3, 102 2/5, 100, VI, 384, 360, 345 3/5, 341 1/3, 320, 307 1/5, 300, 288, 270, 266 2/3, 248, 240, 229 3/5, 226, 216, 213 1/3, 204 4/5, 200, VII, 768, 720, 691 1/5, 682 2/3, 640, 614 2/5, 600, 576, 540, 533 1/3, 496, 480, 459 1/5, 452, 432, 426 2/3, 400, VIII, 1536, 1448, 1382 2/5, 1365 1/3, 1280, 1228 4/5, 1200, 1152, 1080, 1066 2/3, 992, 960, 918 2/5, 904, 864, 853 1/3, 819 1/5, 800, 768] [MERHU3_3 09GF]

Or puis que les nombres de ces 8. colomnes suiuent, ou contiennent les raisons des degrez de la Musique, l'on en peut vser pour composer telle piece que l'on voudra, comme nous nous sommes seruis ailleurs d'autres nombres, qui ont les mesmes raisons, pour le mesme sujet; par dessus lesquels ceux-cy ont le priuilege de monstrer tous les [-143-] retours de chaque chorde, et tous les battemens d'air, dont se forment les sons et la Musique, et consequemment ils sont plus propres pour expliquer la nature de l'Harmonie, que nuls autres nombres.

Mais afin que l'on comprenne mieux l'vsage de cette table, par exemples que par discours, ie prends l'vn des airs du Sieur Boësset imprimé l'an 1630. qui commence par ces paroles, Diuine Amaryllis. qui est à 4 parties; dont chacune chante 22 mesures sans pauses.

La voix, ou la note la plus graue de la Basse est sur F vt fa; et parce que ceux qui font la Basse dans la chambre, ne vont pas ordinairement plus bas qu'vn tuyau d'Orgue de 4 pieds ouuert, qui est à l'vnisson de la plus grosse chorde de l'Epinette, qui a 3 pieds de long, il s'ensuit que la plus basse note de l'air susdit respond au premier, ou moindre nombre de la 4. Octaue, qui est dans la 4 colomne de la table precedente, c'est à dire au nombre 48.

Quant à la voix plus aiguë du Dessus, elle est plus haute d'vne Vingtiesme maieure que la voix precedente de la Basse, et consequemment les 4 parties de cet air comprennent la 4 et 5 colomne toutes entieres, et la 6 iusques à son A mi la re. Or la table qui suit, fait voir les mesures de chaque Partie, et les retours de chaque chorde, car la premiere colomne de chaque partie represente les chordes, ou les lettres d'où dependent les notes; la seconde contient le temps, ou la mesure des notes qui sont sur chaque lettre; et la troisiesme comprend le nombre des retours que font les chordes qui appartiennent à la mesme lettre. Or parce que toutes les parties chantent tousiours ensemble sans se reposer, elles ont chacune 22 mesures, comme l'on void en adioustant toutes les mesures de chaque partie.

Tablature des retours ou mouuemens que font les chordes, ou les voix qui chantent l'air d'Anthoine Boësset Intendant de la Musique de la chambre du Roy, et de la Reyne.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 143; text: Basse. Taille. Haute-contre. Dessus. retours, mesures, lettres, A, B, C, D, E, F, G, e, f, 1/3, 4 1/3, 1, 3 1/2, 3, 2 1/2, 32, 390, 90, 28 4/5, 280, 252, 192, 60, 136, 120, 1/6, 2, 5 1/6, 1 2/3, 4 1/6, 5 1/3, 2/3, 64, 30, 320, 764, 165 1/3, 500, 606, 33 1/3, 225, 7, 3 1/3, 6 5/6, 2 1/6, 320, 144, 1344, 600, 67 9/15, 994, 312, 3 2/3, 1/2, 4 9/12, 5 5/12, 106 2/3, 940, 133 1/6, 1232, 1280, 108, 66 2/3, 216, 120, somme 1579. 3007. 3781. 4202 1/2] [MERHU3_3 10GF]

[-144-] Or si l'on adiouste les battemens, ou retours de ces 4 parties, l'on en trouuera 12560 1/3, et l'on aura tous les retours de cette chanson: ce qui est si aysé à faire à ceux qui sçauent l'Arithmetique, qu'il n'est pas besoin de nous y arrester.

COROLLAIRE I.

Il faut icy supposer que le tremblement des chordes cesse apres la mesure, c'est à dire si tost que l'on a leué les doigts, ou l'archet de dessus les chordes, car si elles tremblent encore apres, comme il arriue ordinairement aux chordes des Luths et des Violes, et que l'on vueille sçauoir le nombre de tous ces tremblemens, il faut premierement cognoistre combien de temps elles tremblent apres leurs sons; car la durée de ces tremblemens estant supposée, il sera aussi aysé de treuuer le nombre de tous les tremblemens, comme de ceux qui se font pendant que les sons suiuent la mesure. Et si l'on chante cet air auec 24 Luths, Violes, ou Violons: de sorte que chaque partie ayt six instrumens, il faut multiplier le nombre precedent des retours par 6, et l'on aura 75362 retours que feront les chordes desdits instrumens dans le temps de 22 mesures. Or il faut remarquer que le temps d'vne mesure ne doit durer qu'vne seconde minute, c'est à dire la 3600 partie d'vne heure, et que si elle dure dauantatage, par exemple 2, ou 3 secondes, comme il arriue souuent, qu'il faut doubler ou tripler le nombre precedent des retours, comme il est tres-aysé de conclure de ces discours.

COROLLAIRE II.

L'on peut tirer de l'vtilité de ces tremblemens, et particulierement la comparaison des mouuemens du coeur et du poux, et de plusieurs autres choses naturelles auec lesdits tremblemens; or l'on peut considerer de combien chaque partie de Musique doit faire plus ou moins de retours l'vne que l'autre pour rendre vn concert parfait; quoy que cette difficulté ne soit pas differente de celle que l'on propose, lors qu'on demande combien les parties doiuent estre esloignées les vnes des autres, c'est à dire combien elles doiuent estre graues ou aiguës pour faire vne excellente Musique, puis que les sons plus aigus se font par la multiplication, ou l'addition des retours, comme les plus graues se font par la diuision ou la souz-traction des mesmes retours, car toute la Musique n'est autre chose que l'addition, ou la soubtraction desdits retours, ou des battemens de l'air, comme i'ay desia remarqué dans vn autre discours.

COROLLAIRE III.

Il y a de l'apparence que ceux qui prennent plaisir à esleuer leur esprit à Dieu, et qui desirent de luy offrir autant de mouuemens de leur amour et d'actes d'adoration, comme les chordes des instrumens qu'ils oyent, font de retours, ne diront pas que la cognoissance du nombre des battemens d'air soit inutile, et que ceux qui auront assez de iugement pour considerer que la Musique n'est autre chose que le nombre des differens battemens de l'air, et que le son, à proprement parler, n'est rien, si l'oreille ne luy donne la nature du son, et qu'il seroit plus veritable de dire que nous sentons des mouuemens d'air, que de dire que nous oyons des sons, aduoüront franchement qu'il [-145-] n'est pas possible d'auoir vne parfaite cognoissance de la Musique, et mesme que l'on ne peut cognoistre ses principes, si l'on ne sçait ce que nous auons dit des retours et des battemens.

COROLLAIRE IIII.

Or s'il faut conclure de cette proposition, que si quelques-vns pouuoient toucher 64 crochuës dans l'espace d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, qu'ils mouueroient les doigts, la main, ou l'archet autant de fois comme la chorde de B fa, qui est dans la 3. Octaue de la table precedente, fait de tours et de retours dans vne seconde minute, et consequemment qu'il ne seroit pas possible de distinguer ou de conter les mouuemens de l'archet, ou des doigts, ou les fredons de la gorge, que feroient lesdites 64 crochuës: car l'imagination ne peut conter distinctement que 10 battemens de la chorde dans vne seconde minute, quoy que l'on puisse iuger confusément d'vn plus grand nombre. Mais il est difficile d'expliquer comme se fait le son de la chorde que l'archet touche 64 fois dans vne mesure, car si cette chorde ne tremble pas dauantage de fois qu'elle est touchée, il semble que le mouuement de l'archet, ou du doigt qui touche la chorde, soit vne mesme chose auec lesdits tremblemens: en suite de quoy il faut dire que la chorde auroit le mesme son, quoy qu'elle ne tremblast point, d'autant que celuy qui la touche, s'upplée le tremblement qui vient de la tension de la chorde, puis qu'il luy fait faire 64 tours et autant de retours dans l'espace d'vne mesure: mais ie traicteray de cette difficulté dans le discours de la Lyre.

COROLLAIRE V.

Si l'on comprend la tablature du retour, ou du battement des chordes, l'on peut dire le son que peut faire chaque chorde, encore que l'on n'oye nullement le son qu'elle a, pourueu que l'on voye ses retours; car si, par exemple, elle fait seulement 6 retours dans l'espace de la mesure de ladite tablature, on est asseuré qu'elle fait la Vingt-deuxiesme contre la plus basse note de l'air precedent: et si l'on tendoit vn chable qui ne feist que trois retours dans le mesme temps, il feroit vn son plus bas de 4 Octaues que la plus basse note du dit air; mais i'ay desia traicté de cette difficulté dans la 12. Proposition.

COROLLAIRE VI.

Ce qui a esté dit iusques à present peut aussi seruir pour la tablature du tremblement ou fremissement des cloches, et du mouuement de tous les autres corps, par exemple du mouuement des fueilles d'arbres, des oyseaux qui vollent, et des autres corps qui battent l'air, parce que lors qu'vn corps bat autant de fois l'air que les chordes des instrumens, l'on peut dire qu'il fait l'vnisson auec lesdites chordes. De là vient que l'on ne peut apporter d'autre raison formelle et immediate, pourquoy vne cloche a le son plus graue ou plus aigu que l'autre, sinon parce que les parties de l'vne fremissent plus viste, et consequemment battent l'air plus souuent. Il faut neantmoins remarquer que l'on n'oyt pas les battemens d'air de toutes sortes de corps, quoy qu'ils soient [-146-] aussi frequents que ceux de la chorde du Luth, de la Viole & des Cloches, comme il arriue quand l'air battu n'est pas enfermé, et que ses mouuemens ne sont pas reflechis, comme ils sont par la table et par le corps des instrumens: de là vient que l'on a de la peine à ouyr les chordes de Luth qui se meuuent dans vn air libre, tandis que l'on les tient par les deux extremitez auec les doigts, d'autant que le son n'estant pas reflechy n'est pas assez fort pour estre ouy, comme i'ay desia remarqué dans vn autre lieu.

COROLLAIRE VII.

Il est aysé de conclure de tout ce discours que l'on peut determiner les sons, les consonances et les dissonances que font les mouuemens du vent, du tonnerre, de la gresle, des boulets de canon, et des flesches, pourueu que l'on cognoisse combien de fois l'air est battu par ces corps: car on cognoist le nombre de ces battemens, quand on oyt le son ou le bruit desdits corps, si l'on a l'oreille assez bonne pour iuger de la grauité, ou de l'aigu du son. Il faut conclure la mesme chose du bruit que fait la flamme de la chandelle, et des bruits differents que l'on remarque dans l'art, ou dans la nature: ce qui peut encore seruir pour iuger de la legereté et de la pesanteur des corps qui se meuuent, ou de la force dont ils sont poussez; comme ie monstre dans vn autre discours.

COROLLAIRE VIII.

Mais afin que l'on ne quitte pas ce discours sans en retirer quelque profit, il me semble que les Musiciens doiuent considerer que puis que les chordes qu'ils touchent, ne leur refusent iamais leurs mouuemens, et qu'elles obeyssent tres-promptement à leur volonté iusques à se rompre, quand il leur plaist, qu'ils doiuent imiter cette obeyssance si ponctuelle en suiuant la volonté de Dieu, et les bons mouuemens qu'il leur donne pour faire le bien et pour euiter le mal: car puis qu'il n'y a nul mouuement qui ne conduise au premier moteur, il est tres-raisonnable que les mouuemens, dont on reçoit de si grands contentemens, et d'où l'on tire vne si grande harmonie, nous menent à celuy, dont la Prouidence bat incessamment la mesure de l'harmonie de l'Vniuers, et gouuerne le grand concert de tout le monde, de peur qu'il soit dit dans l'Eternité que les Musiciens ont esté plus stupides et plus irraisonnables que les creatures inanimées, et qu'ils soient si mal-heureux que les chordes, dont ils ont tiré tant d'harmonie, seruent au grand iour du Iugement pour les lier et les affliger, s'ils ont si peu d'esprit et de iugement qu'ils ne rapportent pas l'harmonie de leurs chordes, et de leurs voix à la gloire de celuy qui seul merite les loüanges de toutes les Creatures, que le Prophete Royal exhorte à leur deuoir par ses dernieres paroles, omnis spiritus laudet Dominum.

[-147-] PROPOSITION XVIII.

Tous les Musiciens du monde feront chanter vne mesme piece de Musique selon l'intention du Compositeur, c'est à dire au ton qu'il veut qu'elle se chante, pourueu qu'ils cognoissent la nature du son. Vne nouuelle maniere de marquer, et de battre la Mesure est icy expliquée.

CEtte proposition est l'vne des plus belles de la Musique Pratique, car si l'on enuoyoit vne piece de Musique de Paris à Constantinople, en Perse, à la Chine, ou autre part, encore que ceux qui entendent les notes, et qui sçauent la composition ordinaire, la puissent faire chanter en gardant la mesure, neantmoins ils ne peuuent sçauoir à quel ton chaque partie doit commencer, c'est à dire combien la premiere, ou les autres notes de la basse doiuent estre graues ou aiguës, d'autant que si les Chinois, par exemple, ont la voix plus graue et plus basse que les François, ils commenceront chaque partie plus bas que nous ne faisons, et s'ils l'ont plus aiguë ils commenceront plus haut. Ie sçay que l'on peut aduertir au commencement de la piece de Musique qu'elle doit estre chantée au ton de Chappelle, ou plus haut ou plus bas d'vn demy-ton, et cetera. Mais plusieurs ne sçauent que c'est que le ton de Chappelle, et il est trop difficile de transporter vn tuyau d'Orgue, ou quelqu'autre instrument, et bien qu'on l'enuoyast en telle façon qu'il ne perdist nullement sa forme, il parleroit plus haut ou plus bas selon le vent que l'on luy peut donner, et consequemment l'on n'auroit pas vne entiere certitude du graue et de l'aigu du son. Or le Compositeur donnera vn signe certain et vniuersel du ton, auquel il desire que l'on chante sa Musique, ou telle autre qu'il voudra, s'il met vis à vis de l'vne des notes de la Basse, ou des autres parties, le nombre des battemens de l'air qui fait le son; par exemple s'il met 96 vis à vis de la premiere note de l'air du Sieur Boësset, dont i'ay parlé dans la Proposition precedente, tous ceux qui sçauront la nature du son, ou la maniere dont il se fait, chanteront la Musique proposée selon son intention, ou celle de quelqu'autre Compositeur, et chaque partie prendra le ton suiuant leur desir.

En effet l'on ne peut mieux representer le son que par le nombre desdits battemens, puis qu'ils ne sont nullement differens du son, que l'on appelle nombre sonant ou sonore, et si l'on vouloit composer auec des notes de mesme valeur, par exemple auec celles que l'on nomme semibreues, qui valent ordinairement vne mesure entiere, l'on pourroit vser de toutes sortes de temps, en faisant que la valeur des notes suiuist le graue, ou l'aigu des sons, c'est à dire la multitude des battemens de l'air; ce qui peut arriuer en deux façons, car l'on peut diminuer la valeur des notes en mesme raison que le nombre des battemens s'augmente; d'où il s'ensuiura que le Dessus ira plus viste que la Basse, car quand le Dessus chantera plus haut d'vne Octaue, la note semibreue ne vaudra qu'vne minime, c'est à dire vne demie mesure; et s'il chante vne Quinziesme, elle vaudra seulement 1/4 de mesure, d'autant que le nombre des battemens qui font le Dessus est 2 ou 4 fois plus grand que celuy des battemens qui font la Basse.

Mais il n'est pas necessaire de sçauoir le nombre des battemens pour faire seruir les mesmes notes à des temps differents, car il suffit de sçauoir combien [-148-] les notes sont plus hautes, et plus aiguës les vnes que les autres pour diminuer leur valeur d'autant de degrez, que l'on augmente leur aigu. L'on peut semblablement augmenter la valeur des notes à proportion que leur aigu s'augmente; et si l'on veut on augmentera ou l'on diminuera la valeur desdites notes en raison doublée, ou triplée du nombre des battemens de l'air, qui font les sons de chaque Partie: or la maniere la plus naturelle, dont on peut vser pour la valeur des notes, ou des voix et des sons, est celle qui donne les mesures les plus lentes et plus tardiues aux notes de la Basse, et les plus vistes à celles du Dessus, car puis que les battemens des sons du Dessus sont plus vistes que ceux de la Basse, il est raisonnable que le mouuement de ces notes soit aussi plus viste, afin que ces deux vistesses s'approchent de l'vnisson qu'elles feroient, si le mouuement des notes estoit aussi viste que celuy des battemens de l'air. Quant à la maniere dont on vse pour trouuer le son, lors que l'on a le nombre des battemens d'air dans vn temps donné, ie l'ay expliquée dans vn autre lieu, c'est pourquoy ie diray seulement icy qu'vne chorde longue de 48, ou de 24 pieds estant tenduë par vne force donnée, ou par vn poids cogneu tel que l'on voudra, monstre le nombre des battemens d'air, qui font chaque son, car les battemens se multiplient à proportion que l'on accourcit la chorde: de sorte que si elle bat trois fois l'air dans vn moment, lors qu'elle a 24 pieds de long, elle ne le bat que 72 fois quand elle n'a plus qu'vn pied de long.

COROLLAIRE I.

Puis que les Musiciens cognoissent combien il faut de battemens d'air pour faire toutes sortes de sons, par le moyen des propositions precedentes, il est raisonnable qu'ils offrent autant de mouuemens de leur coeur, et autant d'actes de reuerence et d'adoration à Dieu, qui est le premier moteur, et dont l'ordre et la conduite est necessaire à chaque tremblement de chorde, et à chaque mouuement d'air; et que le mouuement des chordes qui est si prompt et si viste que l'on ne le peut apperceuoir ou mesurer, nous fasse haster le pas pour nous approcher de celuy à qui appartiennent tous nos mouuemens et toutes nos pensées.

COROLLAIRE II.

Si l'on veut determiner le ton de la voix, auquel l'on veut que la note, ou la partie proposée se chante, il n'y a nul moyen plus general et plus asseuré que de donner vn nom propre à chaque ton, qui soit pris du nombre des battemens d'air qui font toutes sortes de tons, ou de sons. Par exemple, si l'on veut chanter l'air precedent du Sieur Boësset, et que l'on vueille commencer par la premiere note de la Basse, il faut dire qu'elle est au ton de 48, d'autant que la chorde qui fait ce son, tremble 48 fois dans le temps d'vne mesure, qui dure 1/60 de minute, c'est à dire dans vne seconde.

Et si ie voulois faire chanter ce vers hexametre François au mesme ton que ie le chante, lors que ie le commence à vn ton plus haut d'vne Tierce maieure que le plus bas ton de ma voix, et que ie voulusse que les Chinois le chantassent au mesme ton que moy, il suffiroit qu'ils cogneussent que le ton de la premiere note vaut 50, parce que la chorde qui est à l'vnisson de ce ton tremble 50 fois dans vne seconde; c'est pourquoy 50 est le propre charactere, ou [-149-] le propre nom de la premiere note de cet air: car il n'y a point de mesure si propre pour mesurer le graue et l'aigu des sons, que les nombres, par lesquels

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 149; text: O Seigneur mon Dieu que tu es grand en toute grandeur. 50, 14] [MERHU3_3 10GF]

les Medecins peuuent remarquer le temperament ou la complexion des hommes aux differens tons de leurs voix, ou aux differens battemens de leur poux. L'on peut donc conclure de ce discours que le nombre des retours estant marqué vis à vis de chaque note, que tous les hommes du monde commenceront et chanteront la mesme piece de Musique au mesme ton, et que si tost qu'ils verront 50 à la marge du papier, dans lequel le vers precedent sera escrit, qu'ils le chanteront en mesme ton que moy. Où il faut remarquer que ces nombres de tremblemens peuuent seruir au lieu des notes, ou de la Tablature ordinaire des voix et des instrumens.

COROLLAIRE III.

Puis que i'ay monstré la maniere de chanter toute sorte de Musique au mesme ton que le Compositeur desire qu'elle soit chantée en tous les lieux du monde, il faut encore expliquer comme l'on peut garder la mesme mesure suiuant l'intention du mesme Compositeur, quoy qu'il soit mort ou absent. Ce qui est tres-aysé par le moyen d'vne chorde suspenduë dont i'ay donné les vsages ailleurs, car il suffit que le Compositeur ou le Maistre de Musique marque la longueur de la chorde à la marge de la composition, dont chaque retour monstre le temps de la mesure. Par exemple, s'il veut que chaque mesure dure seulement vne seconde, il marquera 3 1/2 qui signifie que la chorde penduë à vn clou, et qui tient vn poids attaché à l'autre bout, fait chacune de ses allées, ou chaque retour dans vne seconde minute. Si l'on veut haster la mesure, et qu'elle ne dure qu'vne demie seconde, il faut accourcir la chorde en raison souz-doublée des temps ou des mesures, c'est à dire qu'il faut la faire 4 fois plus courte; et si l'on veut qu'elle dure 2 secondes, il la faut faire de quatorze pieds; si elle doit durer 3 secondes, elle aura 28 pieds 1/2, et pour 4 secondes, elle aura 52 pieds, et cetera car les longueurs des chordes sont en raison doublée des temps.

Or si tous les Musiciens du monde se communiquoient les differens temps de leurs mesures, et les tons de leurs compositions en cette maniere, ils sçauroient quels mouuemens sont propres pour donner du plaisir à toutes sortes d'hommes, dont ils pourroient sçauoir les inclinations: car 50, qui est à la marge du Chant du 2 Corollaire, signifie le ton, et 14 signifie le temps de la mesure.

COROLLAIRE IIII.

L'on peut encore marquer la mesure, selon laquelle on veut faire chanter la Musique, par les battemens ou les tremblemens des chordes, dont on vse pour representer le ton; par exemple, si l'on veut que chaque mesure dure 1/30 de minute, c'est à dire 2 secondes, et que le ton de la premiere note soit 50, il faut seulement marquer 100 à costé de la Musique, pour signifier que la mesure [-150-] dure cent tremblemens de la chorde: et si la mesure dure 3", il faut marquer 150.

COROLLAIRE V.

Or l'on peut faire seruir vne ligne droite pour faire entendre à toutes sortes d'hommes la longueur de la chorde qui marque les secondes minutes, car si l'on prend vne chorde ou vn filet, dont la longueur soit 14 fois aussi longue que la ligne A B, laquelle est esgale à la 4 partie d'vn pied de Roy, c'est à dire vne chorde de 3 pieds et demy, elle marquera iustement les mesures telles que l'on voudra.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 150; text: A, B] [MERHU3_3 10GF]

Mais puis que le Soleil fait les heures assez esgales, et que l'on peut les marquer aux Estoilles, et consequemment que tous les hommes du monde peuuent obseruer la longueur de la chorde, dont les tours sont esgaux à vne seconde, ou à telle autre partie de temps que l'on voudra, l'on peut vser de l'ombre ou des differentes hauteurs, et mouuemens du Soleil pour ce suiet, et pour signifier leton qu'il faut prendre.

COROLLAIRE VI.

Il n'importe pas que i'aye donné le nombre exact des retours de la chorde, dont i'ay parlé dans les 2 dernieres Propositions, et ailleurs, parce qu'il suffit de sçauoir la methode de le trouuer precisément. Or il est si aysé d'accommoder la tablature precedente des retours à tel nombre que l'on voudra, qu'il n'est besoin que de la regle de trois, ou de proportion pour ce suiet. Par exemple, si au lieu de 48, qui signifie le F vt fa de la Basse d'Amaryllis, l'on descend d'vne Octaue plus bas, il faut marquer 24, et prendre la 3 colomne de la tablature.

COROLLAIRE VII.

Il n'y a nulle difficulté à trouuer le nombre des retours de chaque chorde proposée, car si on l'estend de 10 ou 12 toises de long sur vn Monochorde, ou sur quelqu'autre plan, ou si on la suspend de haut en bas, de sorte qu'elle soit attachée et arrestée par les deux bouts, soit des deux costez auec deux cheualets, soit d'vn costé auec vn clou, et de l'autre auec vn poids, l'on contera aysément ses retours, d'autant qu'elle en fera vn fort petit nombre, par exemple 2 ou 3 dans chaque seconde. Mais il faut estre 2 ou 3 pour remarquer exactement le nombre de ces retours, dont l'vn conte les retours tandis que l'autre contera les secondes, car si l'on diuise le nombre des secondes par celuy des retours, l'on sçaura combien elle en fait en chaque seconde.

Et si l'on estend vne chorde d'Epinette ou de Luth de 100, ou de 120 pieds, comme i'ay fait, l'on trouuera que chaque retour de cette chorde se fait dans vne seconde, et que la moitié de la mesme chorde fait deux retours en vne seconde, que le quart en fait 4, la huictiesme partie 8, la seiziesme 16, la 32, trente deux, et ainsi des autres, car le nombre de ces retours croist en mesme raison que la longueur de la chorde se diminuë: de sorte que quand la chorde de 100. pieds de long fait vn retour dans vne seconde, ou dans vn battement du coeur et du poux, elle en fait 100. lors qu'elle n'a plus qu'vn pied de long, et 200. quand elle n'a plus qu'vn demy pied: mais i'ay expliqué ces retours si amplement dans vn autre lieu, qu'il n'est pas necessaire d'en parler icy.

[-151-] COROLLAIRE VIII.

Il faut encore remarquer que lors que i'ay dit qu'vne chorde de Luth fait vn certain nombre de retours, par exemple, quand celle qui est à l'vnisson d'vn tuyau de 8 pieds ouuert fait 24 retours dans vne seconde, que cela s'entend de 24 retours, dont chacun est composé d'vne allée et d'vne venuë, que l'on peut comparer au flux et reflux de la mer: ce que i'explique par cette figure A B C D,

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 151; text: A, B, C, D, E, F] [MERHU3_3 11GF]

dans laquelle la chorde A B estant tirée en C retourne en D, et de D en F, et ainsi consequemment iusques à ce qu'elle se repose: de maniere que le chemin qu'elle fait de D en C, et de C en D, se prend pour vn seul retour; d'où il s'ensuit qu'il y a tousiours deux fois autant de battemens d'air que de retours, et que quand la chorde A B frappe 24 fois le point D, ou l'espace qui est entre E et D, qu'elle bat 48 fois l'air au point E, puis qu'elle bat le point C autant de fois que le point D.

PROPOSITION XIX.

L'on peut monter l'Epinette de chordes d'or, d'argent, de cuiure et des autres metaux, dont les plus pesans descendre plus bas, c'est à dire font les sons plus graues, à raison qu'ils ont plus de mercure, et moins de souphre fixe.

IE prouue cette Proposition par l'experience que i'ay faite, et par la raison: quant à l'experience, elle fait voir que les metaux plus pesants ont le son plus graue, car si l'on tend des chordes d'or, d'argent, de cuiure ou de fer, qui soient parfaitement esgales en grosseur et en longueur, sur deux cheualets, et que l'on laisse pendre vn poids esgal à l'extremité de chaque chorde, afin qu'elles soient bandées esgalement, l'on trouue que le son de l'or est plus graue, et ainsi des autres. Voicy les experiences que i'ay faites auec des chordes passées par le mesme trou de la filiere, et qui sont aussi esgales en grosseur et longueur que l'art des hommes les peut esgaler: leur longueur est d'vn pied et demy de Roy: le poids que i'ay attaché à chaque chorde pour la faire bander et sonner est de trois liures; le poids de chaque chorde est dans la table qui suit; les balances auec lesquelles les chordes ont esté pesées sont si iustes, qu'elles ont le grain diuisé en 64 parties: en fin la qualité des metaux est telle que ie m'en vay la descrire. L'or fin, dont ie me suis seruy, est à 23 carats et demy, et vaut cette année 1625. à Paris, 36. liures l'once: l'or de trauail est à 22. carats, car il a deux deniers moitié de cuiure rouge et moitié d'argent, et vaut 32. liures l'once. L'argent fin, qui est à 12 deniers, vaut 24. liures le marc. L'argent de trauail, qui à 12 grains de cuiure sur vn marc, c'est à dire demy denier d'alloé, vaut 22. liures. Ie ne mets point la qualité du cuiure, ny du fer, car ie me suis seruy du commun. Voyons maintenant le poids, et les sons de toutes les chordes, dont chacune a son diametre de la sixiesme partie d'vne ligne: et la chorde de boyau, dont le diametre est de 3/7 de ligne, qui fait l'vnisson auec 2 liures et demie; et celle qui a 4/7 de ligne, le fait auec trois liures neuf onces et 1/2.

Metaux               Poids des chordes.   Sons des 
chordes.
Or fin.              24. grains, et 3/8   100 1/2
Or de trauail 
  ou meslé.          23. grains 15/16     98
Argent fin.          15. grains 1/8       76 1/2
Argent de trauail.   15. grains 1/16      76 1/2
Cuiure franc, 
  ou rouge.          12. grains 5/8       69 1/2
Cuiure iaune, 
  airain ou leton.   12. grains 1/12      69
Fer.                 9.  grains 8/15      66

Or il faut remarquer que les plus grands nombres signifient les sons plus sourds ou plus graues, et les moindres les plus aigus: et qu'il est tres-facile de sçauoir quelles consonances ou dissonances font tous ces metaux les vns auec les autres, car puis que l'on void les nombres qui representent leurs sons, il faut seulement considerer la raison de ces nombres.

Quant au iugement de l'oreille, la chorde d'or fait la Quinte forte auec la chorde de fer: auec lequel l'or meslé fait la Quinte foible. L'argent fait le ton maieur auec le fer, auec lequel le cuiure fait le semiton maieur: l'argent auec le cuiure fait le ton mineur. L'or fin fait la Quinte diminuée auec le cuiure, qui fait le Triton auec l'or meslé. Finalement l'or fin fait la Quarte iuste auec l'argent, et la diminuée auec l'or meslé: mais si l'on veut trouuer ces comparaisons plus iustement que par l'oreille, il se faut seruir des nombres qui ont tous esté marquez par le moyen de l'vnisson; ce que les Practiciens comprendront plus aysément par les notes qui suiuent, et qui monstrent le son de chaque chorde du metal, dont le nom est dessouz.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 152; text: Or fin. Or de trauail. Argent fin et de trauail. Cuiure et leton. Fer.] [MERHU3_3 11GF]

Il est facile de trouuer quel poids il faut adiouster aux trois liures susdites, pour faire monter les chordes d'or, d'argent, et cetera au son de celles de cuiure ou de fer; et combien il faut diminuer le poids de trois liures, afin que la chorde de fer descende à l'vnisson de la chorde d'or; et comme il faut proportionner les poids pour mettre toutes ces chordes à l'vnisson, ou pour les faire monter ou descendre à tel son que l'on voudra; car la table des poids qui font hausser les chordes à tous les interualles de la Musique depuis vn son donné iusques à son Octaue sert pour treuuer le poids qu'il faut adiouster à la chorde d'or pour la mettre à l'vnisson auec celle de fer, d'argent, ou de cuiure, et cetera. Vn seul exemple suffit pour faire entendre cecy: ie suppose donc que trois liures font monter la chorde de fer à vne Quinte plus haut que celle d'or, et prends la raison sesquialtere doublée, à sçauoir la sesquiquarte, qui est entre [-153-] 9 et 4, et dis, si 4. donnent 9. combien 3. (qui est le poids suspendu à la chorde d'or et de fer) me donnera-il? i'auray 6 liures 3/4 qu'il faut suspendre à la chorde d'or pour la faire monter à l'vnisson de celle de fer: par consequent il faut adiouster 3 liures 3/4 au poids de 3 liures. Il faut proceder de la mesme maniere pour trouuer les sons des autres metaux: et si l'on veut sçauoir combien il faut diminuer des 3 liures suspenduës à la chorde de fer pour la faire descendre à l'vnisson de celle d'or, c'est à dire vne Quinte plus bas, il faut prendre vn nombre qui soit souz-double souz-sesquiquarte des 3 liures, qui sont suspenduës au fer, et l'on treuuera vne liure 1/3, qui mettra la chorde de fer à l'vnisson de celle d'or: ce que l'on peut appliquer à la chorde d'argent et de cuiure, en diminuant les raisons des poids pour faire descendre les sons en mesme proportion que l'on les augmente pour les faire monter. De sorte que l'on peut tellement allonger ou accourcir lesdites chordes, qu'elles seront toutes à l'vnisson, car puis que la chorde d'or, par exemple, a le son plus bas d'vne Quinte que la chorde de fer, si l'on diuise celle d'or en trois parties, et que l'on l'accourcisse d'vn tiers; afin qu'elle n'en ayt plus que deux de longueur, elle sera à l'vnisson auec celle de fer; et si l'on diuise la chorde de fer en deux parties esgales, et que l'on l'alonge de l'vne de ces parties, afin qu'elle en ait 3. elle sera à l'vnisson de celle d'or.

Il faut dire la mesme chose des autres chordes suiuant le rapport qu'elles ont entr'elles, d'où il est aysé de conclure plusieurs choses en faueur de l'Epinette, et premierement quelles tensions les chordes des differens metaux, dont nous auons parlé, doiuent receuoir pour faire les 50 sons du Clauecin, soit qu'on les face toutes esgales en longueur, et differentes en grosseur, ou qu'elles ayent differentes longueurs, suiuant les raisons harmoniques, dont i'ay donné des tables. En second lieu l'on sçaura la pesanteur de toutes les chordes dont l'Epinette sera montée: et l'experience enseignera combien de temps chaque metal demeure sans changer de ton, et de combien le son de l'vn 'est plus agreable, et plus fort ou plus foible que l'autre. Ie laisse les autres considerations, afin de remarquer les sons differents des metaux qui ne peuuent se tirer par les trous de la filiere, à raison qu'ils s'eschauffent et se fondent; et bien qu'ils se peussent tirer, comme fait l'estain fin, que l'on appelle d'Angleterre ou de Cornüaille, neantmoins estant tirez, il n'est pas possible de les bander assez fort sur les cheualets pour faire quelque son, car ils se rompent apres s'estre allongez. C'est pourquoy i'ay fait fondre des pieces de tous ces metaux dans vn mesme moule, afin de treuuer la raison de leurs poids, et de leurs sons, que i'ay treuuée comme elle se void dans la table qui suit.

Or l'estain fin vaut 12. sols la liure: l'estain sonant a vne liure de cuiure rouge, et vne liure d'estain de glace sur cent liures de fin estain, et couste 14. sols. L'estain commun est composé de 14. liures de plomb, sur cent liures d'estain fin, et vaut 10 sols, et l'estain de glace vaut 22 sols la liure; les balances, dont ie me suis seruy, n'ont pas le grain diuisé, neantmoins elles sont assez iustes.

Metaux.             Poids.                            
Sons.
Estain fin.         vne once et demie.                19 
1/2
Estain sonant.      vne once et demie et 35.grains.   20
Estain commun.      vne once et demie, et 2. grains.  23
Estain de glace.    vne once, 6 gros, et 71. grain.   16
Plomb.              deux onces, et 16. grains.        35 
1/2

[-154-] Mais puis que les espreuues des estains ne peuuent estre comparées auec les chordes des autres metaux, il faut les comparer ensemble. Ie dis donc que l'estain de glace et le commun font la Quinte diminuée, l'estain de glace et le sonant font la Tierce maieure iuste, et l'estain de glace et le fin la Tierce maieure diminuée: l'estain commun fait la Tierce mineure diminuée auec le sonant, et auec l'estain fin la Tierce mineure iuste; en fin l'estain sonant faict le semiton mineur diminué, c'est à dire la diese à peu pres, et plus d'vn comma auec l'estain d'Angleterre ou de Cornüaille, c'est à dire le fin estain.

Or ie mets icy les sons de ces estains par les notes ordinaires en faueur des Practiciens, afin qu'ils n'ayent nulle peine à comprendre ce discours.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 154; text: Plomb. Estain de glace. Estain sonant. Estain fin. Estain commun.] [MERHU3_3 11GF]

Il faut maintenant expliquer la seconde partie de cette Proposition, laquelle enseigne que les sons des metaux qui ont plus de Mercure, ont leurs sons plus graues; que ceux qui ont plus de souphre fixe, rendent des sons plus aigus, et que le corps est plus pesant qui a plus de mercure, et que celuy qui a plus de souphre est plus leger, et consequemment que les sons aigus suiuent la legereté, et les graues la pesanteur des corps.

Ce que i'explique en supposant premierement qu'il y a des metaux, et d'autres corps qui participent plus du mercure ou du souphre les vns que les autres, comme l'on void par experience, quand l'on fait la viue anatomie et la separation des principes; encore qu'il soit tres-difficile de sçauoir quelle quantité il y a de souphre, ou de mercure en chaque corps, et particulierement dans l'or, qui est si parfaitement meslé, qu'il est impossible ou tres-difficile de separer son mercure de son souphre, encore qu'il se rarefie en vne tres-belle teinture separée de tout autre dissoluent et meslange, laquelle ne peut reuenir en corps ayant esté passée par la cornuë.

Ie suppose en second lieu que le metail est moins suiet à corruption, qui contient plus de mercure et moins de souphre, et que celuy qui contient plus de souphre et moins de mercure, est plus imparfait et plus corruptible. Car les qualitez du mercure, à sçauoir le froid et l'humide, sont directement opposées à celles du feu. D'abondant la nature separe tousiours les parties impures et souphreuses, tant qu'elle peut, et ne laisse que le poids de souphre qui suffit pour figer le mercure, et le reduire en vne paste capable de receuoir la dureté et la compaction metallique. Elle reiette semblablement l'excez des qualitez naturelles du mercure, pour arriuer à vn temperament si parfait de ces deux substances et de leurs qualitez, qu'elle puisse conseruer le corps contre la preuue et la violence du feu, et des autres choses qui tiennent de la nature du feu, comme de l'antimoine et de l'eau regale, et c'est ce que l'on appelle fixation. Mais quand la matiere metallique est figée par les accidens de la miniere auant qu'elle soit bien purifiée, le metal est trop remply de souphre superflu et combustible, lequel est cause que les parties du metal ne se lient pas bien ensemble, et consequemment qu'elles sont plus faciles à separer par [-155-] le feu ou par d'autres agens, plus ou moins selon le degré de leur imperfection. Cecy estant posé, l'on peut conclure que l'or estant le plus parfait des metaux a plus de mercure que de souphre; et que les autres metaux vont en diminuant selon leurs imperfections, et la plus grande quantité de souphre qu'ils contiennent. Or l'experience nous apprend que les metaux les plus parfaits sont les plus pesants, et qu'ils rendent des sons plus graues; et que ceux qui out plus de souphre, font des sons plus aigus, d'autant que le souphre est sec et chaud, et participe plus de la nature de l'air que le mercure, qui est aqueux, humide et froid: de là vient que les corps sont plus rares, et ont leurs parties plus esloignées et plus meslées d'impuretez et d'air, ce qui les rend propres pour le son: le mercure au contraire fait que les parties du corps sont plus compactes et plus serrées, et qu'elles ne sont pas meslées de tant de parties d'air, lequel est le principal suiet du son.

L'on peut neantmoins faire vne obiection en faueur du plomb, qui est plus pesant, et qui rend vn son plus sourd que les autres metaux, encore qu'il soit plus imparfait qu'eux, quant à sa solidité metallique; toutesfois il n'a pas cette imperfection à raison de l'abondance du souphre combustible, mais à cause de la crudité de son mercure qu'il a plus grande que les autres metaux imparfaits: c'est pourquoy il a le son aussi graue ou plus que l'or, car comme l'excez du chaud et du sec fait que le corps à le son aigu, de mesme l'excez de l'humide, du froid et de l'aqueux, qui se trouue au plomb, fait qu'il a le son plus graue et plus sourd.

Quant au cuiure franc, il est plus parfait et moins souphreux que le cuiure iaune, qui a plus de souphre aërien, impur et combustible: en suitte dequoy il doit, ce semble, auoir le son plus sourd, encore que l'on ne remarque pas de difference entre les sons de la chorde de cuiure et de leton, à cause, peutestre, qu'elle n'est pas sensible, non plus que la difference de leurs poids, comme l'on peut voir aux tables precedentes.

L'on peut encore obiecter que le mercure purifié est plus pesant que l'or, et neantmoins qu'il n'est pas si parfait, mais il suffit de dire que le mercure naturel ne pese pas tant que l'or, qui le surpasse d'vne sixiesme partie, car le mercure contient quelques parties souphreuses et inflammables, et d'autres aqueuses et humides par excez, qui se dissipent aisément au feu; l'on tient neantmoins que le mercure d'Espagne est le plus parfait.

Or ces impuretez font que les parties du mercure sont plus esloignées entr'elles et moins serrées, et que son corps est moins pesant souz mesme estenduë que s'il estoit purifié: mais l'art le peut tellement purifier, qu'il approchera de la pureté du mercure de l'or: car le feu peut consumer la crudité et toutes les ordures qui se rencontrent dans le mercure, encore qu'il ne soit pas fixé, puis qu'il faudroit que le souphre metallique l'arrestast, comme il fait dans les autres metaux: et ce mercure vulgaire peut tellement estre purifié qu'il pesera plus que l'or d'vne vingtiesme partie, d'autant que l'or a du souphre qui le rend moins pesant que s'il n'auoit que son mercure, c'est pourquoy il est moins pesant que le mercure commun parfaitement purifié, lequel est aussi pesant et aussi parfait que celuy de l'or qui est purifié par nature.

Si quelqu'vn en veut faire l'experience, il faut remplir deux tuyaux esgaux, l'vn d'or et l'autre de mercure sept fois sublimé, et peser l'or et le mercure chacun à part, mais il faut reietter les parties volatiles du mercure à chaque [-156-] sublimation, et reseruer seulement la partie la plus solide, massiue, chrystalline et metallique, qui se treuue à chaque fois separée d'auec l'autre au sublimatoire, iusques à la derniere sublimation, qui fait monter le mercure entierement sans aucune difference des parties.

COROLLAIRE.

Si les Alchymistes nous pouuoient donner la cognoissance certaine du temperament de chaque corps par leurs trois principes: par exemple, quel principe predomine en l'homme, qui a 4. degrez de cholere, de ioye, ou de tristesse; et supposé qu'vn homme pese cent liures, combien il a de liures de chaque espece de sel, combien de souphre et de mercure tant en poids qu'en grandeur; quel principe se diminuë, s'altere ou s'augmente en toutes sortes de maladies et de passions de l'ame, combien chaque repas augmente les trois principes, combien il s'en dissipe tous les iours; en quel poids et en quelle quantité les trois principes se doiuent rencontrer en celuy qui a les qualitez d'vn Musicien, et en quelle quantité et en quel poids ils sont en chaque metal, ils nous soulageroient grandement, et nous obligeroient à suiure la maniere de raisonner tant en ce qui appartient aux sons et aux pesanteurs, qu'aux autres qualitez des corps, dont i'ay desia traisté dans les liures de la Theorie selon leurs principes.

Mais si l'on veut donner la raison de la diuersité des sons sans sortir de la Philosophie, ou de la Medecine ordinaire, il faut dire que le son le plus graue vient du metal, ou du corps le plus terrestre et le plus pesant, et qui à plus d'eau meslée auec sa terre, et que le son aigu vient du feu et de la chaleur qui est dans chaque corps: car l'on experimente que plus vn homme à de bile et de cholere, et plus il parle haut et aigu; ce qui est representé par les chordes des instrumens qui sont les plus deliées et les plus courtes, et par toutes sortes de mouuements qui sont brusques et legers.

PROPOSITION XX.

Expliquer la proportion de toutes les parties de l'Epinette, et du Clauecin, et leur construction.

L'On fait des Epinettes de differentes grandeurs, mais elles sont peu differentes en leur façon, c'est pourquoy il suffit d'expliquer la maniere d'en faire vne de deux pieds et demy de long, et de 16 poulces en large dans oeuure, et de remarquer ce que les plus grandes ont de particulier. Ie dis donc premierement que celle que ie descris icy a son assemblage de quatre poulces et demy de hauteur, et que les ais dont on fait le fonds et le tour du coffre sont assemblez à queuë d'aronde. Et puis que l'on colle les deux barres B N, et A E à trauers le fonds vis à vis du bout des deux coffrets O et N, de sorte qu'elles sont vn peu plus esloignées que la longueur du clauier. Elles ont vn poulce d'espaisseur et 17 lignes de hauteur. En apres l'on place le sommier que l'on colle contre le costé droit de l'assemblage à hauteur du tringlage, qui sert à porter les cheuilles, et qui se colle à 14 lignes pres des bords du coffre. L'on attache encore le sommier et les tringles auec de petites pointes que l'on riue, [-157-] afin que tout en tienne plus ferme, et l'on met des cales sous le sommier pour le supporter. L'on colle aussi la piece à pointes, qui sert pour porter le clauier; on la fait de 2 lignes et demie d'espaisseur, et de 16 lignes de largeur: et apres l'auoir percée d'autant de trous que l'on fait auec vn poinçon, comme il y a de marches et de feintes qui doiuent porter dessus, on y met les pointes à trauers vn petit drap, et l'on perce quant et quant toutes les marches pour y faire entrer lesdites pointes bien à l'ayse, afin qu'elles fassent librement la bacule, lors qu'on les touche pour ioüer de l'Epinette, comme l'on void aux points qui sont entre E F. Mais on adiouste vne liziere de drap souz le bout du derriere des marches pour mettre le clauier à niueau. Et à la fin des mesmes bouts on met les petites pointes G H, qui entrent dans les traits de sie du Diapason I K, lequel tient le clauier droit et en estat, et lequel on fait de la hauteur des barres, et de 8 ou 10 lignes d'espaisseur.

Les trous des pointes du clauier E F sont percez au tiers de la longueur des marches, afin de donner la bassecule au derriere: et puis l'on separe le clauier en 49. ou 50. touches, dont on retrecist le derriere de demie marche sur chaque costé. C'est auec le mitan de ses marches que l'on marque le Diapason pour la conduire du clauier; mais il faut que ses traits de sie finissent en s'eslargissant à queuë d'aronde, afin que les 50. pointes du bout des marches ayent du iour, et qu'elles ne touchent pas aux costez.

Or tandis que le clauier n'est encore que d'vne piece, il faut le poser sur la piece aux pointes, et l'arrester par les deux bouts auec deux pointes mises à la premiere et à la derniere marche, afin de le percer et de faire les trous au mitan des marches; quoy que les trous des feintes doiuent estre à quatre lignes plus haut que celles des marches. Il faut aussi marquer la piece aux mortaises sur les bouts des marches, et tracer les mortaises dessus et dessouz; et puis il la faut sier en deux, afin d'en coller vne moitié sur la table, et l'autre sur vne petite table de sapin, que l'on colle apres bien droit vis à vis de la premiere sur les deux barres du fonds: et pour ce suiet on fait cette piece, qui est de hestre bien doux, d'onze lignes de large, que l'on rabotte iusques à ce qu'elle soit tres-mince et deliée.

Il faut percer cette table de sapin, et eslargir vn peu les mortaises par le dedans: et puis on colle vn morceau de peau de mouton dessus, que l'on coupe nettement de la grandeur desdites mortaises auec vn petit fermoir: et parce qu'il n'y en a que 25, l'on y met de petits entre-deux de grosses chordes d'Epinette, que l'on fait entrer à trauers par des trous faits auec vn poinçon d'aiguille, et puis on les riue par dessouz la table. L'on met apres le cheualet droit F G le long de la piece à mortaise, dont la premiere pointe d'en bas F est esloignée de trois poulces de la plume du premier sautereau, ou de la premiere corde K. L'autre cheualet est brisé en deux, comme l'on void en B H I, dont le petit bout I est esloigné d'enuiron 3 poulces d'auec le bout du cheualet droit G. H I est de quatre poulces de long.

Apres que le Diapason a esté sié il le faut coller en sa place où il a esté marqué par le bout des marches: puis il faut arrester et coller la piece à mortaise de dessouz bien à plomb, partie sur le Diapason, et partie sur les barres, afin que les sautereaux n'empruntent point les vns des autres, lesquels il faut faire de cormier ou de poirier; et puis il les faut marquer par nombres, afin de les recognoistre quand ils se meslent ensemble: or il est aysé de les dresser [-158-] par le bout d'en haut, et de les tracer auec leurs languettes par le moyen d'vn eschantillon. Ces languettes doiuent estre de charme et leur ressort, qui se fait d'vn poil de porc, ne doit pas estre trop fort, afin qu'il les renuoye doucement. On fait apres vn trait de sie au haut du sautereau, afin d'y mettre vn morceau de drap pour amortir et esteindre le son de la chorde. Il faut tellement tailler les plumes qu'elles n'excedent les chordes que de leur espaisseur; et afin qu'elles soient toutes de mesme longueur, il faut espacer les chordes sur les cheualets pour y mettre les pointes le plus esgalement que l'on pourra.

Tout cecy estant fait, on barre la table de 3 barres sur le derriere, dont l'vne se met en bas le long de la piece à mortaise entre le cheualet, et ladite piece: elle a vn pied de long et 3/4 de hauteur: les deux autres plus petites biaisent par derriere le cheualet, l'vne d'vn costé et l'autre de l'autre. On y colle encore vne autre grande barre de mesme longueur qui commence vis à vis du milieu du clauier, et va iusques à 10 sautereaux pres du bout d'en-haut, mais on y fait trois petites eschancrures dessouz, et deux aux moindres barres, afin qu'elles donnent plus d'harmonie à l'instrument.

On met encore la piece de dessouz pour porter la table par le deuant vis à vis du clauier à la hauteur du tringlage: c'est pourquoy on la colle contre les coffrets, les triangles et le sommier, et on l'attache encore auec des pointes, afin qu'elle tienne mieux Apres que l'on a placé les feintes et que tout est bien sec, on releue le clauier afin de nettoyer les barres et les marches, et de les polir auec de la presle, et de coller la table à demeurer; et pour ce suiet on vse de poinçons et d'estraignoirs tout à l'entour pour la faire ioindre bien iustement: son espaisseur n'est que d'vne ligne. Quand elle est seiche, on y adiouste des moulures en haut et en bas: et puis on espace les pointes à tenir les chordes par leurs oeillets, et les cheuilles du sommier pour les bander. On a aussi coustume de ratisser la table et de la polir auec de la Presle, ce que l'on fait semblablement au clauier.

Il ne faut pas aussi oublier de mettre des morceaux de drap sur les endroits des marches, sur lesquels les sautereaux portent et battent, afin qu'ils ne fassent point de bruit, mais il faut seulement les coller par les deux bouts, afin qu'ils soient plus mols et plus doux au milieu qui touche les sautereaux. Cecy estant fait on remet le clauier en sa place, et puis on emplume les languettes, et l'on coupe les sautereaux à mesure qu'on les fait parler: de sorte qu'il n'y a plus qu'à monter l'Epinette de bonnes chordes iaunes et blanches. Les iaunes sont pour la premiere Octaue, dont les 4 premieres doiuent estre de la troisiesme grosseur, (que les Facteurs appellent du numero trois) les suiuantes de la seconde, et les dernieres de la premiere: et celle des autres Octaues plus hautes doiuent estre des 3 autres grosseurs des blanches. Or cette Epinette de deux pieds et demy est à l'Octaue du ton de Chapelle: et celle que l'on faict de 3 pieds et 1/2 de long, de 17 poulces de large, et de 5 poulces de haut en oeuure, est à la Quarte dudit ton de Chappelle, auquel descend celle de cinq pieds de long. Mais le sommier de ces plus grandes Epinettes n'est pas tout droit, car apres auoir costoyé l'ais du costé iusques à la moitié, il biaise et va trouuer la piece de derriere les tringlages 16 lignes plus bas que le bord d'enhaut. Ie laisse plusieurs choses qui sont si aysées dans la Practique, qu'on les comprend dans vn moment, par exemple, qu'il ne faut pas percer les trous des cheuilles, ou de la piece aux pointes auec vn vieil-brequin, parce que les [-159-] trous ne tiennent pas les pointes et les cheuilles assez fort, mais auec vn poinçon mis dans le bois d'vn vieil brequin, afin que le bois des trous ne se mange point, et qu'il se presse tellement qu'il reuienne contre les cheuilles, à la maniere d'vn ressort, pour les tenir plus fermes. Et puis qu'il faut limer lesdites cheuilles en tournant la lime en forme d'helice ou de vis, afin qu'elles tiennent mieux dans leurs trous, et qu'on les puisse tirer plus viste et plus aysément pour changer les chordes, et mille autres choses que l'exercice apprendra. Il faut seulement remarquer que l'vn des principaux secrets de l'Epinette consiste à barrer la table, dont la bonté depend de l'excellente barrure, qui a esté pratiquée en perfection par Anthoine Potin, et Emery ou Mederic, que l'on recognoist auoir esté les meilleurs Facteurs de France, ausquels les meilleurs Facteurs de maintenant, à sçauoir Iean Iacquet, le Breton, et Iean Denys ont succedé, lesquels sont excellents en leur art: et peut-estre que ce siecle en produira qui adiousteront de nouueaux secrets, et de nouueaux charmes aux instrumens: par exemple, l'on peut faire toucher les chordes par quelques corps qui imiteront la douceur des doigts, et l'harmonie du Luth: l'on peut imiter les battemens, le flattement et tous les autres charmes des autres instrumens sur l'Epinette, que quelques-vns montent de chordes de Luth, afin d'en rendre l'harmonie plus douce.

Quant aux Clauecins, puis qu'ils sont semblables aux Epinettes en plusieurs choses, il suffit de monstrer enquoy ils sont differents, ce que l'on void en partie dans les figures que i'en ay donné: ie dis donc premierement que le Clauecin doit auoir cinq pieds et trois poulces de long, deux pieds et trois poulces de large vers le clauier, sept poulces par la pointe, et dix-huiet poulces par le bout où commence l'eschancrure circulaire, ou la piece ronde: on luy donne sept poulces de hauteur, et l'on met vn coffret au bout. Son clauier a 14 poulces en bas, et 12 en haut. L'on met de petites calles sur le bout des marches où posent les sautereaux, afin de changer les ieux, et pour ce suiet on leur donne 10 lignes de long et 4 d'espaisseur, et puis on les colle à quatre lignes pres du bout des marches. Ledit clauier est porté sur vn chassis qui se tire; et pour ce suiet on fait la piece aux pointes qui est de bois de hestre, de 16 à 18 lignes en largeur, et de six en hauteur ou espaisseur. La piece a mortaises est aussi de hestre fort doux, et a 17 lignes en largeur, et 5 en espaisseur, afin d'estre siée en deux, apres auoir esté marquée sur le clauier à 4 lignes pres du bout des marches. Apres auoir estrecy le clauier de demie marche sur chaque costé du derriere, on le separe en 50. parties pour auoir la feinte coupée de B fa, et puis on trace les mortaises vis à vis des marches pour rapporter aux sautereaux, comme i'ay dit en parlant de l'Epinette.

COROLLAIRE.

Si l'on vouloit conter toutes les pieces differentes qui entrent dans le Clauecin, l'on en trouueroit plus de 1500, car il a cent chordes, dont les oeillets s'accrochent à cent pointes, il a cent cheuilles, et 200. pointes sur ses 4 cheualets; ses deux rangs de sautereaux ont 700. parties differentes. Le double rang des mortaises est diuisé par 50 fils de leton, le clauier a 50 marches posées sur 50 pointes, et les bouts du derriere des marches ont 50 pointes qui entrent dans les 50 traits de sie du Diapason, comme ceux de deuant ont 50 morceaux [-160-] partie d'iuoire & partie d'ebene: ausquelles si l'on adiouste les morceaux de drap et de peau de mouton, toutes les pointes qui seruent à faire tenir le sommier, le tringlage et les autres pieces de bois, et toutes les barres et moulures differentes, il n'y a nul doute que l'on trouuera plus de quinze cens pieces dans le Clauecin ou dans l'Epinette à deux rangs de chordes.

PROPOSITION XXI.

Expliquer les nouuelles inuentions que nostre siecle semble auoir adiousté à l'Epinette et aux Clauecins.

IL semble que ceux de l'autre siecle n'ont point eu de Clauecins, ny d'Epinettes à deux ou plusieurs ieux, comme nous en auons maintenant, qui ont quatre ieux, et quatre rangs de chordes, et que l'on nomme Eudisharmoste, dont le plus grand respond au 12 pieds de l'Orgue, le second est à l'Octaue, le 3 à la Douziesme, et le 4 à la Quinziesme en haut, soit qu'ils n'ayent qu'vn clauier, ou qu'ils en ayent doux ou trois. L'on peut encore y adiouster vn nouueau ieu à la Tierce maieure, ou plustost à la Dixiesme ou Dix-septiesme maieure, qui sont les repliques de ladite Tierce: ce qui pourroit seruir à la speculation de la nature, en considerant pourquoy deux chordes qui sont à la Quinte n'azardent, et quel effet ont celles qui font la Tierce soit maieure ou mineure, et cetera. Or encore qu'il n'y ayt que quatre ieux dans l'Eudisarmoste, neantmoins on les varie en plusieurs manieres suiuant le nombre des combinations, conternations et conquaternations qui se peuuent faire de quatre choses differentes, dont i'ay parlé fort amplement dans le liure des Airs et des Chants.

L'on peut encore rapporter à nostre temps l'inuention des tambours ou barillets, dont on vse pour faire ioüer plusieurs pieces de Musique sur les Epinettes sans l'industrie de la main, car les Allemands sont si ingenieux qu'ils font ioüer plus de 50. pieces differentes par le moyen de plusieurs ressorts, qui font mesme dancer des balets à plusieurs figures qui sautent et se meuuent à la cadence des chansons, sans qu'il soit besoin de toucher l'instrument, apres auoir bandé ses ressorts. Et ie ne doute pas que l'on ne puisse remplir vne ville toute entiere de Musique, de sorte qu'il n'y aura nulle maison qui n'ayt son harmonie, lors qu'on laschera quelque ressort, dont ie parleray peut-estre dans le liure des Orgues. L'on a semblablement inuenté des roüets harmoniques pour filer et pour deuider le fil, qui chantent ou se taisent quand on veut; et chaque artisan peut mesler la Musique dans ses ouurages par le moyen des roües, des maniuelles, des pignons, des lanternes et de plusieurs sortes de ressorts, qui composent les Automates, que chacun nomme comme il luy plaist, par exemple Mador et Angelique. Quelques-vns font parler deux rangs de chordes auec vne seule plume d'vn sautereau, et d'autres emplument les sautereaux si delicatement que l'harmonie des chordes en est beaucoup plus rauissante, et ie ne doute nullement que l'on ne puisse encore adiouster plusieurs delicatesses, et plusieurs ieux aux Clauecins, dont la recherche appartient aux Facteurs.

[-161-] PROPOSITION XXII.

Expliquer les figures des parties de l'Epinette, et la maniere de toucher le Clauecin, et tout ce que l'on peut iouër dessus.

AVant que d'expliquer la maniere de toucher le Clauecin, il faut icy mettre les figures qui seruent à l'intelligence de la construction de l'Epinette, d'autant qu'elles ne sont pas dans la 20. Proposition, qui ne peut estre entenduë sans elles.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 161,1; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O] [MERHU3_3 11GF]

Ie dis donc que la figure A B C D represente le dedans d'vne Epinette, c'est à dire qui n'est pas encore couuerte de sa table. En second lieu, que D B peut estre pris pour le sommier sur lequel portent les cheuilles, quoy que ie l'aye appellé la barre, dans la 20. Proposition, comme C A Les marches dont on nevoid que la moitié sont faites d'vn seul morceau de bois, lequel on diuise apres par les lignes qui sont icy marquees. Les noires signifient les feintes que l'on couure d'ebene, ou de bois noircy, C F monstre la piece aux pointes, et les petits points signifient le lieu des trous, et les pointes qui entrent dedans. M F est le tiers de la marche, dont F M comprend les 2/3: ces marches se retrecissent peu à peu en approchant du Diapason I K, qui a autant de petits traits de sie, dans lesquels les pointes que l'on void au mitan du bout des marches entrent à l'ayse. G H est la piece à mortaises, dont chacune est taillée de la largeur de deux marches, et diuisée en deux parties esgales par vn fil de leton, afin qu'elle serue à deux sautereaux. Tout le reste peut estre entendu par la 20. Proposition, dont l'intelligence depend en partie de celle-cy.

Quant à l'autre figure qui suit, elle represente le dedans et le dehors, car elle monstre le lieu, la largeur et la disposition des regles, dont sa barrure est composée, comme l'on void à sa plus grande barre, qui commence vis à vis du milieu des marches à p et va finir à q.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 161,2; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, n, o, p, q, r, s, t, u] [MERHU3_3 11GF]

Les 3 moindres sont n o, r s, et t u: les points G C, et C F monstrent les endroits des pointes qui tiennent les oeillets des chordes. F G est le cheualet droit, et D H B le cheualet brisé, qui bornent la longueur Harmonique des chordes. D B monstrent les endroits des cheuilles, et finalement E K D est la piece aux pointes esgale à celle du dedans, qui se void aussi dans la figure precedente.

Ie viens maintenant à l'autre partie de cette Proposition, et dis que les methodes et les manieres de toucher les instrumens sont aussi differentes que celles d'escrire, car l'on remarque que ceux qui touchent le Luth et l'Epinette [-162-] sont quasi aussi differens à leur toucher qu'à leurs vsages. Mais quoy qu'il en soit, il suffit de remarquer ce qui est necessaire pour le beau toucher du Clauecin; lequel consiste premierement à porter tellement les deux mains ensemble sur le clauier, qu'elles ne soient nullement forcées ny contrefaites, et que leur mouuement reglé ne donne pas moins de contentement que le son des chordes. En second lieu, que la gauche touche deux, ou trois bons accords, lors que la droite fait des diminutions et des passages, et au contraire. En troisiesme lieu, il faut faire les cadences tant simples que doubles et triples, si nettement que la confusion n'en obscurcisse point la beauté, et les charmes. En quatriesme lieu, il faut garder la mesure le plus iustement qui se puisse faire, et consequemment l'on doit passer 16 doubles, ou 32 triples crochuës en mesme temps que 4 noires dans la mesure binaire, et 12 doubles ou 24 triples crochuës dans la ternaire en mesme temps que l'on en fait trois noires. Quant aux tremblemens, battemens, martelemens, myolemens, accents plaintifs, et cetera l'on peut quasi les faire sur le clauier comme sur le manche du Luth, dont il n'est pas besoin de repeter les discours qui sont dans le liure precedent.

Or il faut encore remarquer que la legereté de la main est fort differente de sa vistesse, car plusieurs ont la main tres-viste, qui l'ont neantmoins bien pesante, comme tesmoigne la dureté et la rudesse de leur ieu. Or ceux qui ont cette legereté de la main peuuent estre appellez Maistres absolus de leurs mains et de leurs doigts, dont ils pesent si peu qu'ils veulent sur les marches, afin d'adoucir le son de l'Epinette comme l'on fait celuy du Luth: de sorte qu'ils font ouyr des Echo tres-doux, et d'autres-fois des sons si forts, qu'on les compare au foudre et au tonnerre, comme il arriue lors qu'ils triplent ou quadruplent la cadence en faisant 32 triples, ou 64 quadruples crochuës aux passages, ou aux cadences triples et quadruples, dont on void plusieurs exemples dans la piece qui suit, dans laquelle les tremblemens, qui se font en descendant, se marquent par cette virgule, et ceux qui se font en montant, par cette autre, qui ressemble à la lettre c: quoy qu'on les puisse marquer auec tels autres caracteres que l'on voudra. Ie laisse plusieurs gentillesses que les grands maistres font sur le clauier, par exemple de certains passages, dans lesquels deux sons conioints s'entendent en mesme temps, tandis que l'vn des doigts tient l'vne des marches abbaissées, afin que la chorde qui a esté touchée conserue son resonnement. Et cette industrie peut seruir pour faire entendre plusieurs accords tres-doux sur l'Epinette qui seront composez des seuls resonnemens, et consequemment qui esgaleront quasi la douceur du Luth.

PROPOSITION XXIII.

Expliquer la Tablature du Clauecin, et tout ce qui luy appartient.

L'On peut vser des lettres de la tablature du Luth, et des autres instrumens du second liure pour celle de l'Epinette, puis que tous ces instrumens diuisent l'Octaue en douze demy-tons, mais puis que l'on a coustume d'vser des notes ordinaires de la Musique, tant pour le Clauecin, que pour l'Orgue, ie ne veux pas changer cette pratique, quoy que ceux qui n'ont point apris la Musique se puissent seruir de nombres, ou de lettres, car puis [-163-] qu'il y a 50 marches dans le Clauecin, chaque nombre signifiera chaque marche, par exemple 40 representera le son de la 40, et ainsi des autres. Or la piece de Musique qui suit a esté composée par le Roy, et mise en tablature d'Epinette par Monsieur de la Barre Organiste et ioüeur d'Epinette du Roy et de la Reyne, dont le beau toucher peut seruir d'exemple et de regle à ceux qui desirent acquerir la perfection de cet instrument, dont on peut conclure l'excellence par cette composition, dans laquelle il y a plusieurs mesures à 32, et à 64 notes: c'est pourquoy i'vse de triples et quadruples crochuës pour marquer la grande vistesse de la main qui touche souuent 32, ou 64 notes ou touches du clauier dans le temps d'vne mesure, comme i'ay souuent experimenté, c'est pourquoy ie donne icy le temps de cette mesure qui dure vn peu moins qu'vne seconde minute, c'est à dire que la 3600. partie d'vne heure, de sorte que l'autheur de cette tablature touche souuent 32 notes, et quelquefois 64 dans le temps d'vn battement de coeur, ou de poux: ce qui est tres-remarquable.

Il y a encore plusieurs autres choses dans cette tablature qui doiuent estre considerées, et particulierement quantité de tremblemens, qui enrichissent la maniere de ioüer, et y apportent des charmes, qu'il est difficile de s'imaginer si l'on ne les a entendus: neantmoins l'on s'en peut figurer vne bonne partie par le discours que i'ay fait des tremblemens du Luth.

Ie laisse plusieurs choses qui appartiennent à l'Epinette, par exemple que l'on en peut mettre deux ou trois sur vne mesme table; qu'on les peut faire descendre aussi bas que les plus grosses pedales de l'Orgue: que la diuision du ton, ou de l'Octaue en douze demy-tons esgaux ne peut seruir à cet instrument, à raison que son accord depend de la seule tension des chordes, et se iuge par l'oreille, sans que la veuë ou le toucher y puissent remedier, si ce n'est que l'on suppose des chordes tres-esgales et inalterables, et que l'on vse de poids pour les tendre suiuant les proportions harmoniques dont i'ay parlé dans la tablature des sourds, qui monstre plustost la possibilité de cet effet que sa realité et son existence. Il y a semblablement plusieurs choses à considerer dans l'alteration que font les differentes impressions de l'air sur les chordes, et dans la diuersité des sons qui depend de la diuersité des mines dont on tire le cuiure et les autres metaux pour faire les chordes.

Quant à la maniere d'apprendre à toucher l'Epinette, il faut premierement comprendre l'estenduë du clauier, et accoustumer les deux mains à toucher toutes sortes de marches pour faire toutes sortes de sons aussi viste que l'on en peut auoir l'imagination. Et puis il faut apprendre à toucher les accords des deux mains, et à les faire promptement tant contre les marches Diatoniques et naturelles, qui sont ordinairement blanches, que contre les feintes ou Chromatiques qui sont noires. En troisiesme lieu, il faut s'accoustumer aux tremblemens, et à toutes sortes de martelemens, de coulemens, et d'adoucissemens, et à diminuer toutes sortes de suiets et de parties, tantost à 8 crochuës, et à 16, à 32, et à 64 pour la mesure binaire; et puis à 12, 24, et 48 pour la mesure ternaire.

L'on peut encore vser d'autres sortes de mesures, par exemple de la sesquialtere, et de la sesquitierce comme faisoient les anciens; surquoy il faut remarquer que l'on se trompe, lors que l'on croit que la mesure binaire est en raison double, et la ternaire en raison triple ou sesquialtere, car la binaire est en [-164-] raison d'esgalité comme l'vnisson, et la sesquialtere des Practiciens en raison double comme l'Octaue, de sorte que l'on n'vse maintenant que de ces deux especes de mesure. Car pour vser de la sesquialtere, il faudroit que le frapper durast vne fois et demie autant que le leuer: ou au contraire, c'est à dire qu'il faudroit faire deux notes contre trois, et consequemment que la mesure fust composée de cinq notes, pour respondre à la raison du Diapente que l'on appelle Hemiolia: et pour faire la mesure triple qui respond à la Douziesme, il faudroit que le battement durast trois fois autant que le leuer, et que l'on feist trois notes contre vne: et finalement pour battre la mesure sesquitierce, il faudroit faire 4 notes en baissant, contre 3 notes en leuant, afin de composer la mesure de 7 notes, et d'imiter la raison du Diatessaron dans le temps.

Et si l'on vouloit passer outre pour trouuer les deux Tierces, et les deux Sextes dans l'ordre des mesures et des diminutions, il faudroit faire cinq ou six notes en baissant contre 3, 4, ou 8 notes en leuant: ce qui n'est pas si malaysé que l'on ne puisse y accoustumer l'imagination et les doigts: et l'on en trouue desia quelques vns qui font tel nombre de notes que l'on veut en baissant contre tout autre nombre proposé en leuant. Mais le principal ornement depend du beau toucher, et de l'entretien que l'on fait des beaux chants qui doiuent perpetuellement seruir de sujet, tandis que l'on fait entendre les differentes parties, et les contre-batteries, autrement tout ce que l'on fait ressemble à vn corps sans ame, et à vn tintamare qui fait plus de bruit qu'il ne donne de plaisir à ceux qui cherchent la proportion dans l'harmonie, et qui preferent l'ordre à la confusion.

Or la perfection consiste particulierement à toucher de certains tons, et de certaines chordes si a propos que l'esprit de l'auditeur en soit charmé et rauy, et qu'il ne desire plus autre chose que d'aller au Ciel pour iouyr des plaisirs inexplicables que l'on a de voir Dieu tres-clairement, et pour ioindre l'harmonie de ses chants à celle des bien-heureux. Ce qu'il faut aussi entendre de tous les autres instrumens dont nous auons parlé, et dont nous ferons d'autres discours, car chacun a des graces si particulieres qu'il est difficile de sçauoir celuy que l'on doit preferer aux autres: quoy qu'il en soit ie donne icy la piece de Musique à 4 dont i'ay desia parlé, afin que l'on voye vne partie de ce que peut faire l'Epinette touchée des plus excellens Maistres; elle peut semblablement estre ioüée sur la Harpe, puis qu'elle n'est qu'vne Epinette renuersée, c'est pourquoy ie ne donneray point d'exemple pour cet instrument; et parce que le clauier de l'Orgue n'est pas different de celuy du Clauecin, il n'y a nul doute que les Organistes la peuuent toucher, quoy qu'il y ayt de certaines particularitez au toucher de l'Orgue qui ne sont pas à celuy de l'Epinette, comme ie diray dans vn liure particulier, dans lequel ie donneray vn autre exemple pour monstrer ce que peut faire l'Orgue, et ce qui luy est propre. Mais l'on ne peut apporter vne plus grande perfection à l'Epinette qu'en faisant durer ses sons autant que ceux de la Viole, ou de l'Orgue, et en rendant la diuision de son clauier, et de ses demy tons si iuste qu'elle responde à la Theorie. Quant à la durée de ses sons, i'en ay desia parlé, et les Allemans font voir par experience que les Clauecins sont capables de faire ouyr d'excellens concerts de Violes par le moyen des roües qui suppleent les traits de l'archet: ce qui se peut faire en plusieurs manieres, mais la iustesse des interualles et des degrez du clauier depend d'vne bonne oreille, et de plusieurs choses qui y [-169-] doiuent contribuer, par exemple de nouuelles marches, et feintes que l'on y doit adiouster, suiuant ce que i'ay remarqué dans le discours des clauiers; les chordes doiuent aussi estre bien choisies, car il s'en rencontre de si fausses et de si mauuaises, que l'on ne les peut mettre d'accord. Or plusieurs croyent que les chordes d'Epinette montent plus haut auant que de rompre, lors qu'on les bande peu à peu, et qu'elles rompent plustost quand on les veut monter tout d'vn coup iusques à leur ton, mais il se rencontre des Practiciens qui experimentent le contraire: quoy qu'il en soit, il est certain qu'il y a plusieurs choses dans la Practique qui dependent de la dexterité, et de la bonne main des Maistres et des Facteurs.

PROPOSITION XXIV.

Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, et l'vsage de la Harpe.

L'On peut former plusieurs difficultez sur cet instrument, par exemple, à sçauoir si la Harpe de Dauid, que les Hebrieux appellent [Hebrew: khinor] Cinor, estoit semblable à la nostre, et à la cithare des Grecs, mais puis qu'il ne nous paroist nul vestige de l'antiquité, d'où nous puissions conclure ce qui en est, il suffit de descrire icy la nostre, laquelle est representée par cette figure composée de trois parties, dont l'vne s'appelle le clauier, lequel est marqué par A B, et D L E I representent la moitié de la table, sur laquelle on void les deux rangs de cheuilles D H, dont chacune est semblable à S V: on les peut appeller boutons, et seruent pour tenir les chordes fermes dans leurs trous, que l'on bouche de ces boutons, apres auoir fait vn noeud au bout de chaque chorde, afin qu'elles ne puissent eschapper. Mais il faut remarquer que les chordes ne touchent pas leurs cheuilles à la sortie de leurs trous, comme elles font lors que l'on vse d'harpions, ou de cheuilles crochuës, qui les font n'azarder, dont on a quitté l'vsage pour euiter cette imperfection.

L'on adiouste encore vn fil de leton ioignant chaque bouton, pres duquel on l'attache sur la table à l'issuë de chaque trou, afin que les chordes portent dessus, et que le bois de la table ne s'vse pas. Or la longueur des chordes se prend depuis ces fils de leton, comme depuis autant de cheualets iusques aux cheuilles de fer que l'on void dans le clauier A B, qui en a trois rangs, dont le premier monstre comme les chordes s'entortillent. Leur figure est semblable à la cheuille [alpha][beta], dont la premiere partie [alpha] est quarrée, et se met du costé du clauier qui ne paroist pas, par lequel on tourne lesdites cheuilles auec la clef A B C: ce que l'on fait en prenant les deux branches C B de la main droite pour mettre le bout quarré de la cheuille [alpha][beta] dans le trou A de la troisiesme branche. Quant aux chordes, celles du premier rang des boutons s'attachent au premier rang des cheuilles du clauier, celles du second rang au second, et celles du troisiesme au troisiesme: mais le troisiesme rang des boutons ne paroist pas, parce que la moitié de la table est cachée.

Les deux autres rangs de chordes ne paroissent pas aussi entortillez aux 2 et 3. rang des cheuilles du clauier, afin d'euiter l'embarras et la confusion des chordes, dont il n'y a icy que deux rangées, à sçauoir les ordinaires des simples Harpes, dont chaque ton n'est pas diuisé en deux demy-tons, lesquelles sont entortillées au premier rang des cheuilles, par le bout [beta], qui est rond, et

[-169v-] [Mersenne, Instrumens à chordes III, 169v; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, [alpha], [beta], [delta], [gamma]] [MERHU3_3 12GF]

[-170-] qui est percé d'vn petit trou, par lequel on passe la chorde, de peur qu'elle n'eschappe, comme l'on fait aux cheuilles du Luth, et des autres instrumens.

Les quatre pans de bois qui sont entre E et H, monstrent la moitié du corps exterieur, sur lequel la table est posée, et consequemment signifient qu'il est composé de huict pans, quoy que l'on le puisse faire rond, ou de telle autre figure que l'on voudra. F et G monstrent les ouyes, qui sont faites en forme de treffle. Or il y a 29 chordes dans ce premier rang, lesquelles font 4 Octaues entieres, comme celles de l'Epinette; de sorte que l'on peut dire que la Harpe est vne Epinette renuersée, à laquelle l'on peut accommoder vn clauier semblable à celuy du Clauecin, afin de la faire seruir d'Epinette, comme font quelques Italiens, qui la nomment Graue-cymbale, et d'imiter l'Epigone d'Ambraciotte, ou le Simice, dont Vincent Galilée donne les figures à la 40, et 41. pages de ses Dialogues de la Musique.

Le second rang de chordes qui font les demy-tons paroist icy, et est attaché au 2. rang des boutons, de sorte que l'on a 57 chordes dans cette Harpe: mais les 29 du 3. rang, qui sont à l'vnisson des 27 du premier, ne sont pas marquées, d'autant qu'elles sont du costé de la table qui est caché; de sorte que cette Harpe, que l'on appelle triple, auroit 86 chordes, n'estoient les demy-tons qui se rencontrent dans le Diatonic, qui diminuent le nombre des chordes du second rang, car puis que chaque Octaue a deux demy-tons, et qu'il y a quatre Octaues sur la Harpe, il s'ensuit qu'il faut oster huict chordes du second rang, et par consequent qu'il ne faut que 78 chordes pour monter la Harpe à trois rangs en perfection.

L'on pourroit encore adiouster vn 4. rang de chordes à l'vnisson du second, ou à l'Octaue du premier, pour augmenter l'harmonie, mais l'embarras des chordes seroit si grand que les doigts ne pourroient fournir à vne telle multitude, si l'on n'vsoit d'vn ou deux clauiers, comme on fait sur les Clauecins, qui ont trois ou quatre rangs de chordes differentes, que l'on varie en six ou sept manieres pour auoir plusieurs ieux differents, comme i'ay dit cydessus. Ceux qui ont ouy Flesle qui touche la Harpe en perfection, ne sçauent s'ils la doiuent preferer au Luth, sur lequel elle a cette prerogatiue, que toutes ses chordes se touchent à vuide, et que son accord peut approcher de plus pres de la iustesse que celuy du Luth; car quant à l'imperfection que l'on experimente dans le son de ses chordes, qui ne s'esteignant pas assez viste fait souuent des dissonances auec les autres chordes que l'on touche, il est aysé de le faire cesser comme celuy des chordes de l'Epinette, par le moyen des doigts dont on touche les chordes.

Ie laisse toutes les mignardises, et les delicatesses dont on peut vser en ioüant de la Harpe, d'autant qu'on luy peut appliquer vne partie de celles qui se pratiquent sur les autres instrumens, quoy que la maniere de la toucher, et de pinser ses chordes soit fort differente de celle dont on touche les autres, car les deux mains la touchent de mesme façon. Certes si l'on considere les tremblemens du manche du Luth, dont la Harpe est priuée, ie croy que l'on auoüera qu'il est plus charmant, et qu'il merite d'estre appellé le Roy des instrumens, quoy qu'il soit libre à vn chacun d'en croire ce qu'il voudra.

Quant à l'accord de la Harpe, il est semblable à celuy de l'Epinette, car toutes ses chordes vont de demy-ton en demy-ton, de sorte qu'elle contient 28 demy-tons, dont il n'est pas aysé de determiner les grandeurs, qui peuuent

[-170v-] [Mersenne, Instrumens à chordes III, 170v; text: CITHARA NOVA ET ANTIQVA, [Gamma], A, [sqb], C, D, E, F, G, a, b, c, d, e, f, g, aa, bb, [sqb][sqb], cc, dd, ee, fff, ggg, subassumpta, assumpta, principalis principalium, iuxta principalis principalium, index principalium, principalis mediarum, iuxta principalem mediarum, index mediarum, media, tertia coniunctarum, penultima coniunctarum, ultima coniunctarum, iuxta mediam disiunctarum, tertia disiunctarum, iuxta ultimam disiunctarum, ultima disiunctarum, tertia excellentium, penultima excellentium, ultima excellentium, cc sol fa ut, dd la sol re, ee la mi, fff fa, ut, ggg sol re ut. 243, tonus minor, 270, semitonium maius, 288, 320, 360, 384, semitonium medium, 405, 432, 480, tonus maior, 540, 576, 640, 720, 768, 810, 864, 960, 1080, 1152, 1280, 1440, 1536, 1728, 1920, Hodiernae Musicae, Graecorum Notae. Iugum Lyra antiqua] [MERHU3_3 13GF]

[-171-] estre esgales ou differentes selon le temperament qu'on leur donne, dont il n'est pas besoin de parler icy, d'autant que i'en ay traité amplement dans les discours du Luth, de l'Epinette, et de l'Orgue: d'où l'on conclura si l'on peut mettre le genre Enharmonique sur la Harpe. Sa tablature ordinaire n'est pas differente des notes de Musique, quoy que l'on puisse vser du nombre de ses chordes pour ce suiet: par exemple, l'on peut marquer l'Octaue par 1 et 13, la Quinte par 1 et 6, et cetera d'autant que la premiere chorde fait l'Octaue auec la 13, et la Quinte auec la 6; et parce qu'il y a 49 chordes, à sçauoir celles des deux premiers rangs, qui toutes ont leurs sons differents, il faut vser de 49 nombres, dont chacun signifiera tousiours sa propre chorde; or l'on peut commencer par la plus courte, que l'on appelle chanterelle, et finir à la plus longue A K, qui sert de bourdon et de Proslambanomene, comme parlent les Grecs, afin de suiure l'ordre que l'on garde aux autres instrumens; quoy que l'on puisse semblablement commencer à conter 1, 2, 3, et cetera par la plus grosse chorde, comme font les Italiens, puis qu'elle sert de base et de fondement aux autres chordes, comme l'vnité aux nombres.

Quant aux pieces qui se ioüent sur la Harpe, elles ne sont point differentes de celles qui se iouent sur le Luth et sur l'Epinette, c'est pourquoy l'on peut icy repeter celles que i'ay mises cy-dessus. Mais ie donne encore vne autre figure d'vne simple Harpe, afin que l'on considere la façon des anciens Harpions qui donnent vn certain fremissement desagreable aux chordes, et les raisons de 23 interualles des 24 chordes qui font la Vingt-quatriesme; car les nombres qui sont à la droite sur le corps les expliquent. L'on void aussi les noms que les Grecs ont donné à chaque chorde dans l'escriture qui est entre lesdites chordes: les characteres qui sont au haut des lignes ont esté pris de Porphyre et des autres Auteurs Grecs anciens: mais i'ay mis les lettres de nostre Eschele ordinaire sur les cheuilles, afin que l'on comprenne par cette seule figure comme Guy Aretin a accommodé les characteres de l'Alphabet Latin aux chordes des Grecs, dont les vnes estoient mobiles, à sçauoir toutes celles vis à vis desquelles ie n'ay pas mis la diction Grecque [estos], qui signifie immobile, parce que les chordes qui ont cette diction demeuroient tousjours au mesme ton sur les instrumens, au lieu que toutes les autres pouuoient estre haussées ou baissées selon la difference des genres et de leurs especes.

Quant aux Musiciens de nostre siecle, ils alterent toutes les chordes en mettant des b mols en toutes sortes de clefs, quoy qu'ils retiennent quasi tousiours quelques tons inuariables, par exemple les chordes principales du mode qu'ils traitent, et qu'ils appellent Modales, comme i'ay dit ailleurs. D'où l'on peut conclure que cette Harpe peut seruir pour apprendre vne bonne partie de la Musique des Grecs, et de celle des Modernes. Ie laisse la Harpe antique grauée au bas de celle-cy, d'autant que i'en donne plusieurs autres figures beaucoup mieux faites dans la Proposition qui suit: mais l'on peut icy considerer les notes ou caracteres des nouueaux Grecs, auec leur interpretation que l'on void vis à vis, encore que nous n'en sçachions pas l'vsage et la vraye explication. I'adiouste encore que l'on fait les Harpes de telle grandeur que l'on veut, par exemple de quatre ou de cinq pieds; et que le Luth a pardessus elle qu'il est plus portatif, mais en recompence l'on touche vn plus grand nombre de parties sur la Harpe que sur le Luth.

[-172-] PROPOSITION XXIV.

Expliquer les figures antiques de la Harpe, et des autres instrumens des Grecs et des Romains.

PVis que plusieurs desirent sçauoir les coustumes de l'antiquité, ie ne veux pas obmettre les instrumens dont les Grecs, les Romains, et les AEgyptiens se sont seruis, si les marbres antiques d'Italie, et les medailles ne nous trompent, dont les figures qui suiuent ont esté prises, et m'ont esté enuoyées par Messieurs Gaffarel et Naudé, tous deux excellens Personnages. Or les trois premieres figures qui sont en bas, à sçauoir f d g, h i, et m n l o, et les deux d'en haut I K L, et M N O monstrent les differentes figures de leurs Cithares, ou Harpes, ou des instrumens qu'ils appelloient Testudo, Chelys, Phormynx, et cetera. e et m font voir le ventre et le dos de la Tortuë, ou le dessus et le dessouz de sa coquille, car l'on rapporte la premiere inuention de cet instrument à Mercure, lequel ayant vuidé la Tortuë en perça la coquille, la monta de chordes de boyau, et y adiousta les deux branches que l'on void dans nos figures, afin d'y attacher les chordes, au son desquelles il accorda sa voix, comme Homere remarque dans son hymne. Horace luy donne le nom de Lyre dans la 10 Ode de son premier liure: mais il est tres-difficile, et peut-estre impossible de sçauoir si leur Cithare, que quelques vns croyent estre la Guiterre, estoit differente de leur Lyre à sept ou à neuf chordes; c'est pourquoy il suffit de lire ce qu'en rapporte Vigenere dans ses notes sur l'Amphion de Philostrate, où il met deux figures antiques, et où il donne vn sens Moral et Physique à toutes les parties de cet ancien instrument. Il faut seulement remarquer que le ton n'est pas consonance, comme il suppose pour trouuer son septenaire dans les consonances, car il est l'vne des dissonances de la Musique: il eust deu mettre l'vnisson, au lieu du ton; ce qui n'empesche pas que nous ne soyons grandement redeuables à cet excellent homme, qui a enrichy nostre langue d'vn si grand nombre d'ouurages tirez de l'antiquité, et de plusieurs experiences qu'il donne. Ceux qui desirent sçauoir les notes de plusieurs instrumens et de leurs inuenteurs, peuuent lire le traité que Plutarque a fait de la Musique, Athenée, Pollux, et tous les Autheurs anciens, et attendre le traité particulier qu'en a fait le sieur Saumaise.

Quant aux parties de ces instrumens anciens d, h, l, et I est le trauers, qui est lié aux branches, ou aux cornes f, g, n, o, et qui tient les cheuilles h l, dont on bande les chordes. La coquille sert de table, laquelle est droite dans la figure h i, pres de laquelle on void le Plectrum des anciens, lequel n'est autre chose qu'vn baston dont ils frappoient les chordes, comme l'on fait maintenant au Psalterion, duquel ie donneray la figure et l'vsage.

Les trois instrumens du milieu sonnent lors que la main qui les empoigne par leurs manches R, V, et a les secouë et les esbranle: R Q et Z a font voir la forme des Cistres anciens, vsitez en AEgypte. Mais il faut remarquer que les barres de fer, ou de leton, ou de quelqu'autre matiere S T, et b c se meuuent horizontalement de S en T et de T en S, afin de frapper le corps du Cistre Q et Z, et de faire des sons à l'vnisson, comme font les anneaux des Cymbales, ou triangles d'acier dont on vse maintenant. L'instrument V X se meut [-173-] perpendiculairement de X en V, et d'V en X, afin que les petits morceaux de leton ou d'acier Y, et cetera se frappent et meinent le bruit auquel ils sont destinez et appropriez.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 173; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, V, X, Y, Z, a, b, c, d, e, f, g, h, i, k, l, m, n, o] [MERHU3_3 14GF]

Monsieur Naudé m'a enuoyé vne figure d'vn sacrifice ancien, dans laquelle l'vn de ceux qui y sont representez, tient cette figure par le manche V. Quant à l'animal representé sur le Cistre R Q, à sçauoir si c'est vne chate, vn lyon, ou vn boeuf, suiuant les differentes opinions que l'on [-173v-] a de ce que les AEgyptiens representoient dessus pour honorer leur Isis, i'en laisse la recherche aux Critiques, car il suffit que ie donne fidelement tout ce que i'ay peu trouuer dans les marbres et dans les medailles antiques.

Les flustes A C et B D sont esgales, et peuuent estre toutes deux embouschées par A B. Leurs lumieres sont representées par E F, elles n'ont chacune que cinq trous, et sont attachées et arrestées ensemble par les barres G et H. L'on peut encore voir d'autres instrumens antiques dans les Dialogues de Vincent Galilée, page 40 et 41, où il met vne forme de Harpe de 35 chordes, qu'il appelle Simique, et vne autre de 40 qu'il nomme Epigonion: et l'on trouuera encore d'autres remarques que i'ay faites dans le premier liure Latin des instrumens. Pour le nombre des chordes de la Lyre antique, dont nous auons icy mis les figures qui sont aussi rapportées à la 129. page de cet Autheur, il n'y en a que sept: et parce qu'elles ne pouuoient estre sonnées qu'à vuide ou à l'ouuert, elles ne pouuoient pas faire d'autres varietez, que celles qui dependent de leurs sept sons, ou de leurs six interualles, des lieux differens où elles estoient touchées, et des percussions plus fortes ou plus legeres, comme il arriue maintenant à nostre Psalterion, dont ie m'en vais expliquer la figure, puis qu'il semble estre l'vn des plus anciens de tous les instrumens.

PROPOSITION XXV.

Expliquer la figure, l'accord, l'estenduë, la Tablature, et l'vsage du Psalterion.

IL est souuent parlé dans l'Escriture saincte de cet instrument, que les Hebrieux appellent [nebel] nebel, mais nous ne sçauons pas la forme qu'il leur donnoient, ny le nombre de ses chordes: car encore que le Decachorde precede le Psalterion, et qu'il semble qu'il luy serue d'epithete, neantmoins plusieurs croyent que ce sont deux instrumens differents. Quoy qu'il en soit, cette figure represente celuy dont on vse maintenant, sur lequel on met treize rangs de chordes, dont chacun à deux chordes à l'vnisson ou à l'Octaue, ausquelles on en pourroit adiouster d'autres à la Quinte, et à la Quinziesme pour augmenter l'harmonie. Sa figure triangulaire G H K C monstre vn triangle tronqué, lequel on peut faire equilateral ou isoscele, ou de telle autre maniere que l'on voudra. Les nombres qui vont en montant signifient les 13 rangs des chordes, qui en contiennent 26. Leur accord est marqué par les lettres de la Gamme, qui sont à main gauche, dont la premiere signifie le G re sol, qui est plus bas d'vne Quarte que la seconde lettre C, afin que le second G re sol ayt son Octaue en bas. Mais les autres lettres se suiuent par degrez conioints, et monstrent les sons et les interualles de chaque chorde, comme l'on void dans la table qui suit, laquelle monstre la iustesse de tous les degrez, et des interualles tant consonans que dissonans.

Les deux costez du Psalterion E G, et K D monstrent les triangles de bois, qui seruent de cheualets aux chordes, excepté la derniere C G, qui a vn cheualet à part marqué de la lettre B. Or cette chorde sert de bourdon, et est attachée à l'vne des pointes de fer qui sont tout au long du costé K C, comme les autres chordes, et de l'autre costé aux cheuilles, qui sont semblables à celles des Epinettes, et qui seruent pour bander les chordes auec le marteau [alpha][beta][delta]; ce qui se fait en tournant [beta][delta] lors que l'on a fait entrer la cheuille dans le [-174-] trou quarré [alpha]. D'où l'on peut conclure que ce marteau se rapporte au Guindax ou Cabestan, ou à l'vne des autres machines dont i'ay traité dans les mechaniques.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 174; text: a, b, c, d, e, f, g, A, B, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, [alpha], [beta], [delta], [gamma], [epsilon], [zeta]] [MERHU3_3 15GF]

g re sol     80
                   ton maieur
f vt fa      90
                   demy-ton maieur
e mi la      96
                   ton maieur
d la re sol  108
                   ton mineur
c sol vt fa  120
                   ton maieur
B fa         135
                   demy-ton maieur
A mi la      144
                   ton mineur
G re sol     160
                   ton maieur
F vt fa      180
                   demy-ton maieur
E mi la      192
                   ton maieur
D la re      216
                   ton mineur
C sol fa vt  240
                   quarte
G re sol vt  320

Or ce marteau peut estre de fer, ou de leton, ou de telle autre matiere que l'on voudra. Le haut de son manche, à sçauoir [gamma] sert pour tordre les chordes, et pour faire leurs boucles ou anneaux qui s'attachent aux pointes de fer. M et L monstrent les deux roses de cet instrument, encore que l'vne des deux puisse suffire: mais il faut remarquer que la maniere de sonner de cet instrument est differente de celle des autres, d'autant que l'on vse du baston [epsilon][zeta], que l'on tient de la main droite par le manche, ou la poignée [epsilon] pour en frapper les chordes auec le bout courbé [zeta], que l'on laisse tomber doucement sur les chordes, afin qu'il fasse de petits bonds, qui suppleent en quelque façon les tremblemens des autres instrumens; de sorte que l'on peut mettre le Psalterion [-174v-] entre les instrumens de percussion, encore que l'on puisse toucher ses chordes auec la plume ou les doigts, comme la Harpe, la Mandore, et le Cistre. La lettre P signifie la profondeur, ou l'espaisseur du Psalterion, que l'on peut faire de toutes sortes de grandeurs, car l'on peut donner cinq ou six pieds d'estenduë à la plus grosse chorde, comme l'on fait à celle des plus grands Clauecins, quoy que l'on leur donne seulement vn pied de longueur de chaque costé ou enuiron, afin qu'ils soient portatifs.

Les petits fers N O, qui ont trois trous, et qui sont faits en forme de lis, attachent le couuercle qui ferme le Psalterion, lequel a ce priuilege par dessus les autres instrumens, que l'on apprend a en sonner dans l'espace d'vne ou deux heures, ce qui le fait estimer de ceux qui n'ont pas dauantage de temps pour l'employe à cet exercice. Or ces premieres chordes sont de leton, et les autres d'acier, lesquelles ont vne certaine pointe et gayeté qui ne se rencontre pas dans les autres instrumens, tant à raison des petits sauts et reiallissemens du baston, que de la briefuetè et tension des chordes, qui sont capables de toutes sortes de chansons, pourueu que l'on y mette toutes les chordes necessaires; car encore que cettuy-cy soit accordé par b mol, il est tres aysé de l'accorder par [sqb] quarre, si l'on veut sonner deux ou plusieurs parties ensemble sur cet instrument, l'on peut auoir deux bastons, ou toucher vne, deux, ou plusieurs parties de la main gauche, tandis que la main droite frappe les chordes auec le baston.

Quant à sa fabrique et à sa matiere elle n'est pas differente de celle de l'Epinette, dont ie parleray apres. Mais l'on peut faire le Psalterion double ou triple, par le moyen de trois ou plusieurs cheualets trauersans, afin de sonner les trois genres de Musique sur vn mesme instrument; il peut aussi seruir pour apprendre à chanter et à entonner iuste. Or on le peut toucher auec tant d'industrie et d'adresse, qu'il ne donnera pas moins de plaisir que les autres instrumens. Quant à sa Tablature on la peut marquer par les notes de la Musique, ou par les lettres de la main Harmonique, A, B, C, et cetera ou par les nombres dont se seruent quelques-vns en chantant vn, deux, trois, quatre, cinq, et cetera au lieu d'vt, re, mi, fa, sol, et cetera de sorte que les treize premiers nombres peuuent seruir pour tous les chants, dont cet instrument est capable: car pourueu que l'on sçache le son de chaque chorde, l'vnité seruira au plus graue, le binaire au second, le ternaire au troisiesme, et ainsi des autres iusques au treziesme qui signifie le son le plus aigu.

Certes l'harmonie de ce Psalterion est fort agreable, à raison des sons clairs et argentins que rendent ses chordes d'acier: et ie ne doute nullement que l'on n'en receust autant ou plus de contentement que de l'Epinette, ou de la Harpe, s'il se rencontroit quelqu'vn qui le touchast auec autant d'industrie comme l'on touche le Clauecin. Quoy qu'il en soit, l'on peut receuoir du plaisir de cet instrument à bon marché et bien commodément, puis que l'on le peut auoir auec toute sa science pour vn escu, et que l'on peut le porter dans la poche. Or quelques-vns mettent vne diuision de haut en bas par le milieu, ou par tel autre lieu des chordes qu'ils veulent, afin d'auoir deux Psalterions dans vn, et de toucher des Duo dessus, et l'on peut le monter de chordes de tous les metaux dont i'ay parlé dans la 19. Proposition de ce liure, afin d'experimenter de combien le son des vns est plus harmonieux que celuy des autres. L'on peut aussi le monter de chordes de boyau, ou de soye, [-175-] comme les autres instrumens. Or apres auoir parlé des instrumens que l'on touche des doigts, et qui ont des clauiers, il faut expliquer tout ce qui appartiens à ceux qui se touchent de l'archet, ce que nous faisons dans le liure qui suit. Car quant à la Harpe, et au Psalterion du Prophete Royal, et de tous les autres instrumens, dont il est parlé dans la saincte Escriture, les plus sçauans Rabins confessent qu'ils n'en peuuent sçauoir les vrayes figures, ny la maniere dont on les touchoit: et ie n'ay pas entrepris ce traité pour le remplir de coniectures, ou pour deuiner, mais pour demonstrer ce qui subsiste, et ce qui ne peut estre nié par ceux qui ne renoncent pas aux sens, à l'experience, et à la raison.

PROPOSITION XXVI.

Expliquer la figure, la matiere, les parties, l'accord, et l'vsage des Regales de bois, que l'on appelle Claquebois, Patoüilles, et Eschelettes.

PVis que les Flamands se seruent de morceaux de bois pour faire des Regales semblables aux Epinettes, et que ie ne veux rien obmettre de tout ce qui est en vsage chez nos voisins, il est raisonnable de representer cet instrument composé de dix-sept bastons, afin qu'il ayt l'estenduë d'vne Dix-septiesme, dont le son le plus graue est fait par A C, qui doit estre cinq fois aussi long que B D, puis que leurs deux sons suiuent la raison de cinq à vn;

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 175; text: A, B, C, D, E, F, G, H, I, [alpha], [beta]] [MERHU3_3 15GF]

quoy qu'on y puisse adiouster autant de bastons comme il y a de chordes sur l'Epinette.

A B G H monstre le parallelogramme qui contient les dix-sept marches du clauier, dont chacune est semblable à la marche E F que i'ay mise à part, afin que l'on comprenne comment la teste F frappe les bastons de ce Claquebois lors que l'on abbaisse la palette E. Or les bastons sont attachez à des clous, ou à des cheuilles en [alpha] et [beta], et sous A et C, afin qu'ils tiennent ferme lors qu'ils sont tendus en l'air. Quant à la matiere on les fait d'vn bois resonnant, comme de hestre, ou de tel autre bois que l'on veut; mais si on les faisoit d'acier, de leton, ou d'argent, ils rendroient vne harmonie plus agreable. L'accord de ces bastons depend de leurs grandeurs qu'il faut proportionner selon les loix que i'ay prescrit dans les liures de la Theorie: mais leur vsage peut apporter de la lumiere à la Physique, encore que ceux qui en vsent se contentent du plaisir qu'ils reçoiuent des sons, ou de l'apprentissage qu'ils font auec cet instrument pour toucher apres les carillons des cloches, dont [-176-] ils se seruent en Flandre pour ioüer toutes sortes de chansons et de concerts, comme ie monstreray dans le liure des Cloches; d'autant que l'on peut determiner quel est le ton de toutes sortes de corps par le moyen de ces Regales, et par consequent l'on peut sçauoir la raison que leur pesanteur à auec leurs sons, afin de conclure de nouuelles choses de leurs qualitez manifestes ou ocultes; par exemple si l'on fait des Cylindres de plusieurs sortes de pierres, les sons plus aigus feront voir celles qui seront plus dures, plus seiches, ou plus legeres, et cetera l'adiouste encore la figure B D E pour representer l'eschelle dont les Turcs et plusieurs autres se seruent en frappant dessus auec vn petit baston au bout duquel on met vne petite boule.

[Mersenne, Instrumens à chordes III, 176; text: A, B, C, D, E, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12] [MERHU3_3 15GF]

Cet instrument est composé de douze bastons qui vont tousjours en se diminuant depuis le 12 D E iusques au premier A B. Le plus grand baston a ordinairement 10 pouces de longueur, et consequemment le dernier doit estre de trois pouces et 1/3, afin de faire la Douziesme dont la raison est de 3 à 1, encore que les Facteurs les diminuent si peu que le premier est seulement double du dernier, parce qu'ils recompensent la longueur par l'espaisseur; mais ie monstreray plus exactement dans les liures de la Theorie, quelle proportion il y a entre les corps solides et leurs sons.

Quant à la base de ces bastons Cylindriques, elle a coustumé d'estre Elliptique, quoy qu'elle puisse auoir telle autre figure que l'on voudra: par exemple la ronde, ou la quarrée, car on les peut faire parallelepipedes, en forme de prismes, et cetera. L'on peut sçauoir la quantité de chaque baston en trouuant l'aire de l'ellipse de leurs bouts, dont le plus grand diametre est 1/9, ou 1/10 partie de longueur, et le moindre est sesquialtere du plus grand, car la hauteur ou longueur du Cylindre multipliée par sa base donnera la solidité, et consequemment la quantité du baston.

Il faut aussi remarquer que l'on perce chaque baston vers ses deux extremitez, afin de les attacher tellement ensemble qu'ils soient separez par le moyen d'vne petite patenostre ou boule, de peur qu'ils ne se touchent, autrement l'on ne pourroit pas les frapper si distinctement les vns apres les autres comme il est requis pour en distinguer leurs sons, qui donnent autant de plaisir que ceux des autres instrumens, lors qu'on fait les diminutions et les fredons dont cette eschelle est capable. Or ie viens aux instrumens qui se touchent auec l'archet, afin qu'il ne manque rien dans cet oeuure.


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