TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

Data entry: Alexis Witt
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Fn and Ft: OUVARC TEXT
Author: Ouvrard, René
Title: Architecture Harmonique
Source: Architecture Harmonique, ou Application de la Doctrine des Proportions de la Musique à l'Architecture (Paris: de la Caille, 1679).
Graphics: OUVARC 01GF

[-a-] ARCHITECTURE HARMONIQUE, OU APPLICATION DE LA DOCTRINE des Proportions de la Musique à l'Architecture.

A PARIS, Chez Robert Jean Baptiste de la Caille, ruë Saint Jacques, aux trois Cailles.

M. DC. LXXIX.

AVEC PRIVILEGE DU ROI.

[-1-] A MONSEIGNEUR COLBERT.

MONSEIGNEUR,

Les soins que vous prenez pour l'acroissement des Sciences et pour la perfection des Arts, vous donnent droit sur toutes les découvertes qui s'y font: et ceux qui s'appliquent à la recherche de ces découvertes, trouvent leur avantage dans l'obligation de Vous les consacrer; puisque sans vostre Protection toutes leurs Inventions sont en danger d'estre méprisées, ou tout-à-fait [-2-] négligées. Celles qui regardent l'Architecture vous appartiennent à double titre, et par l'élévation où vous l'avez portée dans le temps de vostre Surintendance, et par le digne choix que sa Majesté a fait d'un Successeur en vostre Famille, qui en continuant vos desseins, remplira pleinement vostre attente, et passera mesme vos desirs. Ainsi de quelque maniere que je considere, MONSEIGNEUR, le Present que je vous fais, il est à Vous de droit, et par mon propre interest, et par celuy de l'Art mesme, à qui il donne des regles qu'il n'avoit pas. Quoyqu'il soit plutost le Rétablissement d'une ancienne Doctrine que l'Invention d'une nouvelle, je ne crains point de dire, qu'il est préférable à beaucoup d'autres Inventions, et que quand sa Maiesté a propose un Prix pour celuy qui inventeroit un nouvel Ordre d'Architecture, Elle demandoit moins que ce que j'apporte auiourd'huy pour perfectionner ce bel Art; puisque sans la Doctrine des Proportions Harmoniques tous les Ordres d'Architecture ne sont que des amas confus de pierres sans ordre et sans regle. Les Anciens la possedoient et ne travailloient que sur ses Principes, comme je le fais voir par les mesures du Temple de Salomon, qui est le seul Edifice de l'Antiquité dont nous ayons l'entiere description. Les Grecs l'ont cultivée: Les Romains l'ont cherchée: Les Modernes en parlent [-3-] sans la mettre en pratique, et il n'y a plus que le hazard qui la fasse rencontrer dans les Bâtimens publics. Platon qui disoit que sa Republique finiroit quand la Musique seroit negligée, pouvoit bien assurer comme il faisoit-que tous les Arts periroient, quand on ignoreroit cette Science qui met l'ordre et l'harmonie partout. Vous, MONSEIGNEUR, qui parmi vos grandes occupations ne laissez pas d'appliquer vos soins au rétablissement des Arts et des Sciences, et qui voulez par l'autorité de Pere, que Monsieur le Surintendant des Bâtimens de sa Majesté, sçache tout ce qu'il doit sçavoir pour exercer dignement sa Charge, Vous ne soufrirez pas que cette Science que je vous presente, demeure plus long temps ensevelie, ou que mon peu de consideration la fasse mépriser par ceux qui la pouvoient découvrir, s'ils l'avoient cherchée dans les sources où je l'ay puisee. Du moins auray-je la satisfaction d'avoir indiqué à ceux qui viendront apres nous, les moyens de remettre en sa perfection le plus necessaire de tous les Arts, et d'avoir marqué à la Posterité, en vous dédiant ce petit Ouvrage, la passion que i'ay euë de luy estre utile, et ma reconnoissance pour l'honneur que vous m'avez bien voulu faire d'aprouver le Dessein de mon Ouvrage de Musique, et de m'exhorter à le donner bien-tost au Public. [-4-] C'est par là que i'espere faire mieux connoistre combien je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, et tres-obeïssant Serviteur, RENE OUVRARD.

[-5-] ARCHITECTURE HARMONIQUE, OU APPLICATION DE LA DOCTRINE des Proportions de la Musique à l'Architecture.

IL n'y a point de precepte plus commun dans tous les Arts, que celuy qui recommande la Proportion, Symmetrie, convenance ou rapport, que les differentes parties d'un même Corps doivent avoir ensemble, mais principalement dans l'Architecture. Les Maîtres de cét Art n'ont pas manqué de mettre ce precepte au rang de leurs principales Regles, comme a fait Vitruve dés l'entrée de son premier Livre, Chapitre 2. et du 3. Livre, Chapitre 1.

Neantmoins, quoy qu'ils ayent dit qu'il falloit imiter la Nature dans les Proportions qu'elle avoit si exactement observées dans la fabrique du Corps humain, ils semblent ne les avoir regardées dans la pratique, que comme arbitraires et dépendantes de la seule volonté de l'ouvrier, et nullement des principes de l'Art. En effet quand ils en ont voulu faire l'application, ils ont pris d'autres mesures, et n'ont eu aucun égard à l'harmonie des Proportions.

Nous pretendons au contraire qu'il y a une telle analogie [-4 <recte 6>-] entre les Proportions de la Musique et celles de l'Architecture, que ce qui choque l'oreille en celle-là, blesse la veuë en celle-cy, et qu'un Bâtiment ne peut être parfait s'il n'est dans les mêmes Regles que celles de la Composition ou mêlange des accords de la Musique.

Pour bien entendre cette pretention, il faut supposer icy la Doctrine des Proportions, êtablie dans le Livre intitulé l'Art et la Science des Nombres, principalement dans le sixiéme Livre de l'Arithmetique Harmonique, dont nous allons rapporter les fondemens, en faveur de ceux qui n'ont point êtudié cette matiere, ou de ceux qui n'y ayant point fait de reflexion, pourroient prendre nôtre pensée pour une pure imagination. C'est à sçavoir que toutes les Harmonies ou Consonances possibles sont renfermées dans les six premiers nombres, pris selon leur valeur de proportion, et dans les multiples des ces six premiers, dont on a montré les rapports dans le 14. Chapitre de ce VI. Livre, et fait voir que dans les onze nombres suivans, il y avoit 55 harmonies ou consonances, en les comparant les uns aux autres,

1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 10, 12, 16, 20.

C'est à dire que ces nombres ou sons êtant entendus ensemble, font une harmonie agreable, composée de 55 accords de Musique, quoy qu'il n'y ait qu'onze sons ou voix.

Et comme ceux qui n'ont pas oüy parler du rapport des proportions des nombres avec les sons de la Musique, auroient de la peine à entendre ce que veut dire, par exemple, que l'octave est en proportion d'1 à 2, la quinte en proportion de 2 à 3 et cetera. Nous leur disons icy en peu de mots, que ces proportions ont esté renduës sensibles sur l'instrument appellé Monochorde, où l'on voit que la corde étant racourcie de sa moitié fait entendre à l'oreille un son, à l'octave de celuy qu'elle rendoit dans toute sa longeur; ou que mettant une partie de la même corde contre deux autres parties, elle fait l'octave: que les deux parties de la même corde, contre trois de ses parties font la quinte: et qu'ainsi on a raison de dire, que la proportion de l'octave est d'1 à 2, celle de la quinte de 2 à 3. De même pour avoir la proportion de la quarte, il faut partager la corde en sept parties égales, en mettre trois d'un côté et quatre de l'autre et les trois parties contre les quatre feront entendre la quarte, [-7-] parceque sa proportion est de 3 à 4. Et si l'on veut avoir la tierce majeure dont la proportion est de 4 à 5, il faut partager la corde en 9 parties égales, et en mettre quatre d'un costé et cinq de l'autre: et l'on aura aussi la tierce mineure dont la proportion est de 5 à 6, en partageant la corde en onze parties égales, et en mettant 5 d'un costé et 6 de l'autre. Ainsi de tous les autres intervalles. Ceux qui n'ont pas de Monochorde pour en faire l'épreuve, se doivent contenter de sçavoir que cette science est certaine et infaillible: et les Architectes qui ne sçauroient pas la doctrine des Proportions, en sçauront assez pour la mettre en usage, quand ils auront appris qu'ils ne doivent point employer d'autres mesures, qui ayent du rapport les unes aux autres, que celles qui suivent, ou qui s'y peuvent reduire, comme nous dirons en la page 11. Voicy donc les rapports des onze nombres precedens.

D'1 à 2, l'octave. 2 à 3, la quinte. 3 à 4, la quarte. 4 à 5, la tierce majeure. 5 à 6, la tierce mineure. 6 à 8, la quarte. 8 à 10, la tierce majeure, 10 à 12, la tierce mineure. 12 à 16, la quarte. 16 à 20, la tierce majeure.

D'1 à 3, la douziéme ou double quinte. d'1 à 4, la quinziéme ou double octave. d'1 à 5, la 17. majeure. d'1 à 6, la dix-neuviéme ou triple quinte. d'1 à 8, la vingt-deuxiéme ou triple octave. d'1 à 10, la vingt-quatriéme majeure. d'1 à 12, la vingt-sixiéme ou quadruple quinte. d'1 à 16, la vingt-neufviéme ou quadruple octave. d'1 à 20, la trente-uniéme majeure ou tierce au dessus de la quadruple octave.

De 2 à 4, l'octave. de 2 à 5, la dixieme majeure. de 2 à 6, la douziéme. de 2 à 8, la quinziéme. de 2 à 10, la dix-septiéme majeure. de 2 à 12, la dix-neuviéme. de 2 à 16, la vingt-deuxiéme. de 2 à 20, la vingt-quatriéme majeure.

De 3 à 5, la sixiéme majeure. de 3 à 6, l'octave. de 3 à 8, l'onziéme. de 3 à 10, la treisiéme majeure. de 3 à 12, la quinziéme. de 3 à 16, la dix-huictiéme. de 3 à 20, la vingtiéme majeure.

De 4 à 6, la quinte. de 4 à 8, l'octave. de 4 à 10, la dixiéme majeure. de 4 à 12, la douziéme. de 4 à 16, la quinziême. de 4 à 20, la dix-septiême majeure.

De 5 à 8, la sixte mineure. de 5 à 10, l'octave. de 5 à 12, la dixiême mineure. de 5 à 16, la treziéme mineure. de 5 à 20, la quinziéme.

[-8-] De 6 à 8, la quarte. de 6 à 10, la sixte majeure. de 6 à 12, l'octave. de 6 à 16, l'onziême. de 6 à 20, la treziéme majeure.

De 8 à 10, la tierce majeure. de 8 à 12, la quinte. de 8 à 16, l'octave. de 8 à 20, la dixiême majeure.

De 10 à 12, la tierce mineure. de 10 à 16, la sixte mineure. de 10 à 20, l'octave.

De 12 à 16, la quarte. de 12 à 20, la sixte majeure.

De 16 à 20, la tierce majeure.

Et si l'on veut continuer à l'infiny les multiples doubles de ces premiers, on aura toutes les Consonances possibles.

Ces Proportions se notent ainsi en Musique, et êtant chantées ensemble, ou joüées sur un Instrument, on entendra 55 harmonies tout à la fois.

[Ouvrard, Architecture, 8; text: A, B, C, D, E, F, G, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 10, 12, 16, 20] [OUVARC 01GF]

[-9-] Et comme dans la Musique tous les sons qui ne sont pas dans ces proportions, ou qui n'ont pas ces rapports, sont desagreables à l'oreille et l'offensent, nous pretendons aussi que dans l'Architecture toutes les dimensions, ou mesures qui ne seront pas dans ces proportions, ou qui n'auront pas ces convenances, choqueront la veuë, et ne feront aucun agréement. Ce qu'il y a de difference, c'est que les proportions de la Musique consistent tellement dans un point indivisible, que sur le Monochorde l'epaisseur d'un cheveu qui manqueroit à la justesse du son harmonieux se fait sentir; au lieu que la veuë n'est pas si subtile pour appercevoir les petits defauts des proportions; et que l'accoûtumance d'en voir peu de regulieres, rend supportables celles qui ne le sont pas.

Pour faire la comparaison entiere du sentiment de ces deux sens en cette matiere, il faut sçavoir que comme dans la Musique il n'y a que les sons qui frapent ensemble, ou qu'on entend dans le même moment, qui doivent s'accorder et faire harmonie les uns avec les autres, et non pas avec ceux qui se succedent, ou qui ne s'entendent pas à même temps: de même dans l'Architecture il n'y a que ce qui se presente à la veuë dans le même temps qui doive avoir ces proportions: par exemple, les croisées, ou fenestres de la face d'un bastiment; la hauteur, et la largeur de la même face, ou du moins de chaque êtage.

Toutefois, comme la veuë embrasse beaucoup plus de choses à même temps que ne peut faire l'oüie, et qu'elle peut appercevoir tout d'un coup toutes les parties d'une même face de bastiment; si toutes ces parties pouvoient ensemble avoir leurs proportions dans les rapports que nous avons dit faire harmonie, la beauté en seroit charmante et se feroit sentir.

Quoy qu'il en soit, il est necessaire que la hauteur et la largeur d'une même partie ait sa proportion harmonique; c'est à dire l'une de celles que nous avons rapportées cy-dessus: Et si, comme nous venons de dire, toutes les parties qui se presentent ensemble à la veuë peuvent avoir des proportions consonantes, quoy qu'il n'y ait point d'autre ornement, la veuë sentirea des charmes qui pourront même estre representez [-10-] à l'oüie, comme nous l'allons voir dans l'exemple d'un bastiment élevé sur une Arcade avec toutes ces proportions harmoniques.

PREMIER EXEMPLE.

La face du bastiment, depuis le pied de l'Arcade jusques en haut, a 32 pieds de hauteur, et 24 de large; ainsi sa hauteur avec sa largeur est de 3 à 4.

L'Arcade a 10 pieds de haut, et 8 de large, sa proportion est donc de 5 à 4.

L'étage est de 16 pieds de haut, et de 24 de large, en proportion de 2 à 3.

Il y a une croisée au milieu, et deux demy-croisées aux extremitez. La croisée entiere a 12 pieds de haut, et 6 de large, en proportion de 2 à 1.

Les deux demy-croisées ont chacune 12 pieds de haut, et 3 de large, en proportion d'1 à 4. et avec la hauteur en proportion d'1 à 1. et avec la largeur de la croisée d'1 à 2.

Aux extremitez des deux demy-croisées, 2 pieds: Entre les croisées, 4 pieds de chaque costé, en proportion de 2 à 1.

Ce bastiment a donc ces harmonies, 2, 3, 4, 6, 8, 10, 12, 16, 24, 32, qui feroient en Musique ces accords, Vt, Sol, Vt2, Sol2, Vt3, Mi3, Sol3, Vt4, Sol4, Vt5: Ou plûtost, comme les plus grandes longueurs des tuyaux ou des cordes font les sons les plus bas, en retranchant le nombre 32 on aura dans cét ordre ces proportions, 24, 16, 12, 10, 8, 6, 4, 3, 2, qui feront en Musique ces sons, Ré, La, Ré2, Fa2, La2, Ré3, La3, Ré4, La4.

Et pour les faire entendre à l'oüye, comme on les represente à la veuë, on pourroit creuser le bois des croisées en façon de tuyaux d'Orgue, et mettre aux extremitez des especes de goutieres ouvertes suivant ces proportions par un ordre renversé, en mettant l'Ut au 32 pieds, et les autres accords à proportion: Et comme cette Maison est exposée au grand air, on ne manqueroit pas d'entendre ces harmonies, quand le vent souffleroit dans ces tuyaux; où estant receu dans un portevent semblable à celuy des Orgues, et porté aux bras ou maineaux des croisées. Comme il faudroit [-11-] trop de vent pour un tuyau de 32 pieds; et même de 16 il suffira d'en fournir les tuyaux de 12, de 8, de 6, de 4, de 3 pieds, de 28 poulces et quatre cinquiémes de poulces, et de 2 pieds. Ce qui fera ces harmonies, Ut, Sol, Ut2, Sol2, Ut3, Mi3, Sol3. Cette harmonie est plus agreable que la precedente à cause de la Tierce Majeure qui est à celle-cy, Ut, Mi, Sol; au lieu de la Mineure qui est en celle-là, Re, Fa, La.

Quand nous avons dit que l'harmonie consistoit dans le rapport des six premiers nombres, et de leurs multiples doubles, il le faut entendre aussi des autres nombres qui y peuvent estre rappellez par reduction. Par exemple, 9, 18, 27, 36, 45, 54, 72, qui ne se rencontrent point dans la composition des six premiers, sont neanmoins la mesme chose par reduction qu'1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, par leur commune mesure qui est 9. Ainsi un Ouvrage, tel qu'est la nouvelle Porte de Ville ruë saint Martin, qui a 54 pieds de face, avec une ouverture de 18 pieds de largeur, accompagnée de deux autres de 9 pieds, a ces proportions, 1 et 1, qui est l'Unisson en Musique, 1 et 2, qui fait l'Octave, 2 et 6, ou par reduction, 1 et 3, qui fait la douziéme ou double quinte.

Mais il y a un secret en Musique expliqué dans l'11. Chapitre du 6. Livre de l'Art et Science des Nombres qui fait un merveilleux effet dans l'Architecture. C'est qu'encore qu'il y ait proportion harmonique entre des Nombres, ou Sons, neanmoins il faut que ces Sons puissent estre entonnez par une seule voix, sans faire des intervalles trop éloignez. Or la voix ne peut jamais faire un intervalle plus grand que celuy de l'Octave: Et la nature des Nombres a découvert ce secret sur ce principe, qu'il n'y avoit aucun intervalle qui pût estre entonné que ceux qui se rencontreroient dans les Nombres contigus, et non interrompus; et que le moyen de mettre en chant les Nombres interrompus, estoit de placer les Nombres harmoniques qui se trouvoient entre deux. Par exemple, 1 et 3, qui font en Musique la douziéme ou double quinte, qui est un intervalle qui ne peut estre entonné par une voix, à cause du trop grand éloignement qui passe l'intervalle de l'Octave, bien qu'il soit harmonique comme nous l'avons veu, se pourra entonner en mettant le nombre d'entre deux, 1, 2, 3, qui fait en Musique, [-12-] l'Octave d'1 à 2, et la quinte de 2 à 3. Ainsi dans l'Architecture la distance de 18 à 54, qui fait l'intervalle en Musique de la douziéme en proportion d'1 à 3, a besoin d'une mesure moyenne entre deux qui sera 36, pour faire à la veuë une distance agreable et dont la proportion ne soit pas trop éloignée: Et si l'on veut faire sur ce fondement un Arc de Triomphe, ou même une Porte de Ville qui ait toutes ses harmonies, on y fera rencontrer ces proportions, 9, 18, 27, 36, 45, 54, c'est à dire 1, 2, 3, 4, 5, 6, qui font en Musique tout ce qu'il y a d'harmonie, Vt, Vt2, Sol2, Vt3, Mi3, Sol3: Et si l'on a besoin de plus grandes mesures, on ira jusques à 72, en passant 63, qui est un intervalle discordant.

Les Anciens suivoient asseurément ces Regles en leurs Edifices.

SECOND EXEMPLE.

Ainsi le Temple de Salomon fut basty harmoniquement. Il avoit, dit l'Ecriture Sainte, soixante coudées de long, vingt de large, et trente de haut; et cela faisoit en Musique, l'Octave, et la Quinte pardessus l'Octave, en ces nombres 1, 2, 3. Josephe dit qu'il avoit 60 coudées de haut, et que sur ce premier édifice du Temple il y en avoit un autre de pareille mesure, en sorte que toute la hauteur estoit de 120 coudées. Or comme chaque coudée vaut un pied et demy, les 120 coudées valent 180 pieds ou 30 thoises, qui est la hauteur des tours de Nôtre Dame de Paris. Le Portique qui estoit devant le Temple, faisoit encore harmonie avec les mesures du Temple, puis qu'il avoit vingt coudées de long, dix de large et six vingt de haut; ce qui faisoit l'unisson d'un costé de 20 à 20, l'octave de l'autre de 10 à 20. la douziéme de 10 à 30. la quinte de 20 à 30. la douziéme de 20 à 60. et la dix-neufiéme, ou quinte pardessus la quinziéme ou double octave, de 10 à 60. l'Octave de 60 à 120. la quinziéme ou double octave, de 30 à 120. la dix-neufiéme, de 20 à 120. la vingt-sixiéme, ou quinte pardessus la troisiéme octave de 10 à 120. L'Oracle aussi estoit dans les mémes proportions; et les Cherubins en leur hauteur, de 10 coudées, et dans l'étenduë de leurs aisles, de 5 coudées, faisoient de nouvelles harmonies [-13-] avec les premieres, l'octave de 5 à 10; la quinziéme de 5 à 20; la dix-neufiéme de 5 à 30; la vingt-sixiéme de 5 à 60; la trente-troisiéme, ou quinte pardessus la quatriéme octave de 5 à 120. Le grand Autel d'airain avoit aussi ses proportions harmoniques, de 20 coudées de long; autant de large, et dix de haut. Le grand Bassin rond, appellé la Mer, avoit trente coudées de tour, dix de diametre, et cinq de profondeur. De sorte que l'Autel, et le Bassin estant d'airain, et ayant ces proportions pouvoient resonner harmoniquement. Et comme ces proportions étoient d'accord avec celles du Temple, et du Sanctuaire, et que Salomon étoit trop sçavant en Musique pour n'avoir pas mis les Trompettes des Prestres, et les divers Instrumens des Levites sur le même ton du Bastiment, de l'Autel, et du Bassin; non seulement on entendoit une harmonie parfaite par cette résonnance, mais tout l'Edifice étoit ébranlé et faisoit un bourdonnement et fremissement agreable, tel que celuy qu'on entend dans les voûtes des degrez, lors qu'on sçait prendre leur ton. Nous voyons un exemple sensible de ce pouvoir de résonnance sur les pierres mêmes, dans un pilier en arcade de l'Eglise de Tours, qui tremble à veuë d'oeil, et se remuë dans l'espace de plus de demy-pied, au son d'une certaine cloche, et demeure immobile au son de toutes les autres, quoy que plus proches de luy, et plus grosses que celle qui le fait trembler. Ce qui fait voir que non seulement tout un bastiment estant proportionné, mais chaque partie separément, a son ton particulier prest à répondre aux voix, ou instrumens qui seront dans la même proportion.

Sur le Modele de ces Proportions harmoniques, on peut examiner les anciens et nouveaux bastimens, Eglises, Chapelles, Arcs de Triomphe, Portaux, Portes, Croisées et Fenestres, et l'on verra que ceux qui ne sont pas dans ces regles choquent la veuë, les uns plus sensiblement, les autres moins; et qu'au contraire, ceux en qui par hazard se rencontreront ces proportions, ont des beautez qu'on sent en les regardant. Je dis par hazard, car nous sçavons que la plûpart des Architectes ne se determinent à telle ou telle hauteur ou largeur, que parce-qu'ils ont pris leur modele sur d'autres [-14-] Bastimens qu'ils ont crû bien reguliers; ou parce que l'espace du lieu les y a determinez, ou mesme la fantaisie.

Neanmoins sa Majesté faisant refleurir les Arts en son Royaume, et sur tout l'Architecture, sous la Direction du plus éclairé Surintendant de ses Bastimens qui ait jamais occupé cette Charge, il y a lieu d'esperer, qu'au lieu qu'on n'avoit point de regle fixe et certaine, faute de cette Doctrine des Proportions, on travaillera desormais sur des principes inébranlables. On remetra sur pied l'ancienne Architecture des Grecs, dont nous n'avons que les noms des Ordres, et dont les proportions se sont perduës par l'ignorance de la Musique, que Vitruve jugeoit absolument necessaire à l'Architecte.

Quoyqu'on ait preparé pour le Public un Traité des Proportions, où cette matiere sera amplement expliquée: Cét Essay pourra suffire pour exciter la curiosité des Sçavans, et les porter à regarder cette Doctrine des Proportions Harmoniques comme l'Ame de tous les Ordres d'Architecture.

[-15-] ADDITION à l'Architecture Harmonique.

JE croyois m'estre assez bien expliqué dans l'Ecrit précedent sur le mariage de la Musique avec l'Architecture, en sorte que personne ne pourroit plus douter, que nostre Ame qui est aussi-bien harmonique dans ses yeux que dans ses oreilles, seroit satisfaite dans sa veuë par les mêmes harmonies qui contentent son oüye. Je craignois même qu'on ne m'accusast de m'estre trop defié de l'intelligence de mes Lecteurs, parce que je m'estois beaucoup étendu sur le rapport des Proportions des Nombres avec les Sons de la Musique, et que je devois supposer que tous les Sçavans à qui je parlois, connoissoient aussi-bien que moy ces rapports, et sçavoient assez d'Arithmetique, de Musique, et d'Architecture pour en pouvoir aisément et d'eux-mesmes faire l'application. Cependant il est arrivé que de tous ceux à qui j'en ay donné ou fait donner, et qui passent pour sçavans chacun en sa profession, les uns ont avoüé ne sçavoir ny Architecture, ny Musique, ny n'avoir jamais fait de reflexion sur le rapport des Nombres avec les Sons: D'autres qui sçavent l'Architecture et les Proportions, n'ont pas assez compris l'analogie des Sons avec les mesures de l'Architecture, parce que n'ayant point veu de Monochorde ils ont peine à concevoir que les Sons se mesurent par longueur. La plûpart des Architectes ont reconnu qu'il falloit observer quelques-unes de ces proportions dans les bâtimens; mais ils ne croyent pas qu'il soit possible de s'y assujettir pour toûjours, en sorte que tous les membres d'un bastiment ayent entr'eux ces Proportions, parce qu'il faut s'accommoder à la commodité des lieux, et rompre ainsi cette harmonie que cherche nostre Ame en tous ses sens. En effet, disent-ils, Vitruve, qui est devenu le grand Maistre de l'Architecture depuis que Monsieur Perrault l'a fait parler françois [-16-] et rendu intelligible par ses doctes Remarques, n'a jamais fait mention de ces Proportions Harmoniques, a donné des mesures qui semblent contraires, et a posé pour principe, que pour s'accommoder aux lieux il falloit changer les Proportions qu'il avoit prescrites; qu'ainsi les Proportions étant arbitraires, cette pretenduë beauté qui resulte du charme des Proportions Harmoniques, ne pouvoit estre qu'imaginaire. D'autres enfin estant persuadez de la verité de ma proposition et de l'utilité qui en doit revenir au public, ont desiré de moy que j'en convainquisse les autres par l'autorité même de Vitruve, que je leur asseurois avoir esté dans les mêmes sentimens. C'est ce qui m'a obligé de faire cette Addition, pour faire voir, que soit que Vitruve eût puisé la Doctrine des Proportions qu'il a répanduë en ses Livres, ou dans les Ouvrages des Grecs, ou dans les Monumens de l'Antiquité qui subsistoient encore de son temps; soit que la Beauté qui a son fondement dans la Nature, se presente d'elle-même et se fasse sentir à ceux qui ont le bon goust; soit qu'il eût assez de genie pour trouver luy-même le Beau de son Art, ou que l'experience d'une longue pratique le luy eust fait rencontrer, toutes les Proportions qu'il a prescrites, sont toutes Harmoniques, quoy qu'il ne leur ait pas donné ce nom, ou que peut-estre il n'en sçeust pas la qualité. Nous prenons icy ces termes de Proportions Harmoniques pour des distances ou intervalles qui estant reduites en Sons, font des harmonies ou Consonances en Musique. Nous allons donc voir que Vitruve ayant proposé pour modele des Proportions qu'on doit observer dans les Bâtimens, les Proportions du Corps humain, qui sont Harmoniques telles qu'il les rapporte, il a ensuite marqué, conformément à ce modele, toutes celles qu'il falloit observer en toutes sortes d'Edifices grands et petits, publics et particuliers. A cét effet, nous avons fait des Extraits de toutes les mesures qu'il a données dans ses Livres, que nous montrerons ensuite estre Harmoniques. Nous ne rapporterons pas celles des Colonnes, ny de leurs Piedestaux, ny de leurs Ornemens, entablement, ou couronnement. Nous considerons leur hauteur par l'étenduë depuis [-17-] leur Piedestal, si elles en ont, jusqu'à la Corniche: ou si l'on ne la veut prendre que jusqu'à leur Chapiteau, on fera une autre grandeur de leur entablement qui est composé de l'Architrave, de la Frise, et de la Corniche, qui devra avoir sa mesure avec la Colonne entiere en Proportion Harmonique. Nous ne regarderons aussi les entrecolonnemens que comme nous ferions des croisées ou fenestres, qui doivent de-même avoir leurs Proportions Harmoniques avec la hauteur des Colonnes.

En faisant voir ainsi que nostre doctrine est la même que celle de Vitruve, on jugera bien que nous quittons volontiers la gloire de l'Invention, pour nous contenter de celle du Rétablissement d'une ancienne Doctrine, que nous cederons encore de bon coeur à ceux qui la mettront [en in marg.] pratique. Nous esperons que les Architectes, n'ayant plus rien à desirer pour la perfection de leur Art, reconnoîtront pour l'utilité du public les avantages de cette doctrine, qui leur donne des Regles fixes et certaines pour les mesures de leurs Edifices, dont la place étant assignée, et l'Ordre determiné, la disposition de chaque membre sera facile; qui les delivrera de la contradiction de leurs émules; qui les exemptera de la dépense des Modeles, et fera que l'Architecture ne dépendra plus du caprice ou de la jalousie des Maistres, qui ne sont jamais convenus de la beauté d'un ouvrage où ils n'auront point eû de part, faute de Regles pour en estre convaincus.

Nous esperons aussi que non seulement les Architectes, les Peintres, et les Sculpteurs qui y ont interest; mais tous les Curieux se rendront sçavans dans la Science des Proportions et du rapport des Nombres avec les Sons, apres que nous l'avons renduë si facile que la seule lecture de cét Ecrit suffit pour leur en procurer l'avantage.

Apres les Extraits, nous enseignerons ce que n'a pas fait Vitruve, le moyen dechanger les Proportions selon l'étenduë des lieux plus grands ou moindres, et nous croirons avoir ainsi satisfait pleinement à ce que nous avons promis, pour l'entiere perfection de cét Art.

[-18-] EXTRAITS DE VITRUVE touchant les Proportions des Bâtimens, par rapport aux Proportions de la Musique.

Des Proportions des Bâtimens par rapport à celles du Corps humain.

VITRUVE.

[Livre 3. Chapitre 1. in marg.] "Pour bien ordonner un Edifice, il faut avoir égard a la Proportion qui est une chose que les Architectes doivent sur tout observer exactement. Or la Proportion dépend du Rapport que les Grecs appellent Analogie. Ce Rapport est la Convenance de mesure (Commodulatio) qui se trouve entre une certaine partie de membres, et le reste de tout le corps de l'ouvrage, par laquelle toutes les Proportions sont reglées. Car jamais un Bastiment ne pourra estre bien composé s'il n'a cette Proportion et ce Rapport, et si toutes ses parties ne sont à l'égard les unes des autres, ce que celles du corps d'un homme bien formé sont, étant comparées ensemble.

[Nombres Harmoniques. 1, à 10. in marg.] "Le corps humain a naturellement et ordinairement cette Proportion que le visage qui comprend l'espace qu'il y a du menton jusqu'au haut du front où est la racine des cheveux, en est la dixiéme partie: la mesme longueur est depuis le ply du poignet jusqu'à l'extremité du doigt qui est au milieu de la main. Toute la reste qui comprend ce qui est depuis le menton jusqu'au sommet, est la huitiéme partie de tout le corps: la même mesure est depuis l'extremité inferieure du col par derrere. Il y a depuis le haut de la poitrine jusqu'à la racine des cheveux une sixiéme partie, et [-19-] jusqu'au sommet une quatriéme: [4, 3. in marg.] La troisiéme partie du visage est depuis le haut du menton jusqu'au dessous du nez; il y en a autant depuis le dessous du nez jusqu'aux sourcils, et autant encore de là jusqu'à la racine des cheveux qui termine le front: Le pied a la sixiéme partie de la hauteur de tout le corps; le coude la quatriéme, de même que la poitrine. Les autres parties ont chacune leurs mesures, et proportions sur lesquelles les excellens Peintres, et Sculpteurs de l'antiquité qu'on estime tant, se sont toûjours reglez: Et il faut aussi que les parties qui composent un Temple ayent chacune une correspondance convenable avec le tout. Le centre du corps est naturellement au nombril, (qui le partage ainsi en deux moitiez égales.) [1 à 2. in marg.] Si donc la Nature a tellement composé le Corps de l'homme que chaque membre a une proportion avec le tout, ce n'est pas sans raison que les Anciens ont voulu que dans leurs Ouvrages ce même rapport des parties avec le tout, se rencontrât exactement observé. Mais entre tous les Ouvrages dont ils ont reglé les mesures, ils ont principalement eu soin des Temples des Dieux, dans lesquels ce qu'il y a de bien ou de mal fait, est exposé au jugement de toute l'Eternité"

APPLICATION.

LEs Proportions du Corps humain, et qui doivent estre celles des grands Edifices, sont dans ces nombres 1, 2, 3, 4, 6, 8, 10, qui font en Musique ces harmonies, ou sons: Vt, Vt2, Sol2, Vt3, Sol3, Vt4, Mi4; C'est à dire, l'Octave exprimée par l'Vt second; la double Quinte exprimée par Sol second; la 15, ou double Octave, Vt troisiéme; la triple Quinte, Sol troisiéme; la triple Octave, ou 22, Vt quatriéme; la 24 majeure ou Tierce majeure par dessus la triple Octave, Mi quatriéme. Ce qui estant chanté ensemble rend toutes les harmonies de la Musique en même temps, comme un bâtiment construit dans ces Proportions representeroit à la veuë en même temps tous les agréemens qu'elle peut desirer.

[-20-] DE LA PROPORTION DES Temples, Places publiques, Basiliques, Hostel de Ville, Theatres, Bains, Maisons des particuliers, Vestibules, Aîles ou Galleries, Cabinets, Salles à manger, tant des Romains, que des Grecs.

VITRVUE.

[Livre 3. Chapitre 1 in marg.] "LA Proportion d'un TEMPLE doit estre telle que la largeur soit la moitié de sa longueur, [2 à 1 in marg.] et que le dedans du Temple comprenant la muraille où est la porte, [5 à 4 in marg.] soit plus long d'une quantriéme partie qu'il n'est large.

[Livre 5. Chapitre 1. in marg. "La grandeur des PLACES PVBLIQVES doit estre proportionnée au nombre du peuple. La largeur doit estre telle, [3 à 2 in marg.] qu'ayant divisé la longueur en trois parties, on luy en donne deux; car par ce moyen la forme en estant longue, cette disposition donnera plus de commodité pour les spectacles.

"Les BASILIQVES ou Palais, pour la Justice et autres affaires, qui sont dans les Places Publiques, [1 à 3. in marg.] doivent avoir leur largeur de la troisiéme partie de leur longueur ou de la moitié tout au plus, [2 à 3 in marg.] si ce n'est que le lieu ne permette pas d'observer cette Proportion. Car s'il y a beaucoup d'espace en longueur, on fera de grandes Chambres ou Bureaux aux deux bouts, comme on voit en la Basilique Julienne d'Aquilius.

"La hauteur des Colonnes des Basiliques sera égale à la largeur des Portiques, ou aisles à costé de la grande voute du milieu, et cette largeur sera la troisiéme partie de l'espace du milieu. Les Colonnes d'en haut doivent estre plus petites que celles d'en bas.

"Les Basiliques sont capables de toute la majesté et de [-21-] toute la beauté de l'Architecture; J'en ay fait bâtir une en la Colonie Julienne de Faro, où j'ay observé les proportions qui suivent. La voute du milieu est longue de six vingt pieds et large de soixante. [12, 6. in marg.] Les Portiques, ou aîles, qui sont au côté de la grande voute entre les murs et les colomnes, ont vingt pieds de largeur. [2, 5. in marg.] Les Colomnes avec les Chapiteaux ont toutes cinquante pieds de hauteur et cinq de diametre, elles ont derriere elles des pilastres de vingt pieds de haut, larges de deux pieds et demy, et épais d'un pied et demy, pour soûtenir les poutres qui portent les planchers des Portiques. Il y a aussi dans le Temple d'Auguste, qui est placé au milieu de la face de la Basilique, qui regarde le milieu de la Place publique et le Temple de Jupiter, un Tribunal en demy cercle, qui n'est pourtant pas entier, parceque le demy cercle qui a de front quarente cinq pieds n'en a de profondeur que quinze, [3 à 1] afin que les gens qui sont dans la Basilique pour trasiquer, n'incommodent point les Plaideurs qui sont devant les Juges.

[Chapitre 2. in marg.] "Le Tresor public, la Prison, et L'HOSTEL DE VILLE, doivent estre sur la Place, en telle sorte que leur grandeur soit proportionnée à celle de la Place; sur tout il faut avoir égard à l'Hôtel de Ville, et faire qu'il soit proportionné à la dignité de la Ville. Sa proportion doit estre telle, que s'il est quarré, il soit plus haut de la moitié qu'il n'est large, [2 à 1. in marg.] que s'il est plus long que large, il faut assembler la longueur et la largeur, [2, 3, 4. in marg.] et prendre la moitié du tour pour la hauteur au dessous du plancher: il faut que les murs en dedans ayent tout autour, à la moitié de la hauteur, une corniche de menuiserie ou de stuc. Car autrement la voix de ceux qui parlent avec action dans ces lieux, s'éleveroit si haut qu'elle se perdroit; ce que la corniche empêche: car elle ne permet pas à la voix de s'élever et de se dissiper en l'air, mais elle la renvoye aux oreilles.

[Chapitre 3. in marg.] "Les fondemens des THEATRES posez, on élevera les degrez qui seront bastis de marbre, ou de pierre. Les Palliers en forme de ceinture, doivent estre faits selon la proportion que l'on donne à tous les Theatres, [-22-] afin qu'ils ayent une hauteur convenable à leur largeur: parce que s'ils estoient trop relevez ils rejetteroient la voix en haut, et empêcheroient qu'elle ne pût frapper les oreilles, et se faire entendre distinctement à ceux qui sont assis au dessus des Palliers: et ainsi il faut que les degrez soient tellement disposez, qu'une ligne estant conduite depuis le bas jusqu'au haut, elle touche les angles de tous les degrez, afin que la voix qui fait des cercles en l'air comme une pierre jettée dans un étang, ne soit point empêchée, et que ses cercles ne soient point confus. C'est pourquoy les anciens Architectes ayant examiné la nature de la voix, et considerant comme elle s'éleve en l'air par degrez, ont reglé au juste l'élevation que les degrez du Theatre doivent avoir; et suivant la proportion Canonique des Mathematiciens, et la Proportion Musicale, ils ont tâché de faire que tout ce qui seroit prononcé dans la Scene fût entendu clairement et distinctement des spectateurs. Car comme les Anciens ont mesuré les instrumens de Musique, et ont marqué sur des lames de cuivre ou de corne les intervalles des Dieses, (ou moindres intervalles de la Musique,) afin que les sons que rendroient les cordes fussent justes: ainsi par le moyen de la Science Harmonique ils ont étably certaines Proportions pour aider à faire entendre la voix dans les Theatres."

Et le reste qu'on peut voir en sa source.

[Chapitre 10. in marg.] "La grandeur des Bains publics doit estre proportionnée au nombre du peuple; [2 à 3 in marg.] mais leur proportion doit estre telle qu'il leur faut de largeur un tiers moins que de longueur, sans comprendre le Reposoir qui est autour du Bain, et le Coridor.

[Livre 6. Chapitre 2. in marg.] "Le plus grand soin qu'un Architecte doit avoir, c'est de proportionner tout son Edifice avec toutes les parties qui le composent; et il n'y a rien qui fasse tant paroistre son esprit que lors que sans se departir des regles generales qui sont établies pour la Proportion, il peut oster, ou ajoûter quelque chose selon que la necessité de l'usage et la nature du lieu le demandent, sans que l'on y puisse rien trouver à redire, ou que la [-23-] veuë en soit offensée: car les objets paroissent autrement quand nous les pouvons toucher, que quand ils sont élevez en haut; et ce qui est dans un lieu enformé a tout un autre effet que quand il est à découvert. Or en ces choses, il faut un grand jugement pour bien reüssir, d'autant que la veuë n'est pas toûjours certaine, et que son jugement nous trompe souvent, comme on éprouve dans la peinture, où des Colonnes, des Mutules, et des Statuës paroissent saillantes et avancées hors le tableau que l'on sçait estre plat. Les choses étant ainsi, je ne croy pas que l'on doive douter qu'il ne soit necessaire d'ajoûter, ou de diminuer en changeant les Proportions, quand la nature des lieux le demande, pourveu que l'on ne touche point aux choses essentielles: Et c'est à cela que l'esprit et la doctrine sont fort necessaires. Il faut donc en premier lieu établir une Regle de la Proportion, afin de voir precisément de combien on s'en peut departir: ensuitte il faut tracer un plan du bâtiment que l'on entreprend qui contienne les longueurs, et les largeurs, dont on prend toutes les Proportions qvi prodvisent cette beavté d'aspect qu'en voyant un Edifice, on s'apperçoit aisément qu'on y a bien observé l'Eurythmie, ou cét air charmant dont je pourray parler maintenant, enseignant par quel moyen on y peut parvenir.

[Chapitre 4. in marg.] "Il y a trois sortes de Vestibvles selon la differente Proportion de leur longueur, et de leur largeur. La premiere espece est, quand ayant divisé la longueur des Vestibules en cinq parties, on en donne trois à la largeur. [3 à 5. in marg.] La seconde, lors que l'ayant divisé en trois on en donne deux à la largeur: [2 à 3. in marg.] Et la troisiéme, lors qu'ayant fait un quarré equilateral, dont un costé fait la largeur du Vestibule, [3 à 4. in marg.] on prend la diagonale de ce quarré pour la longueur. La hauteur est moindre que la longueur de la quatriéme partie, à prendre au dessous des poutres, [4 à 5. in marg.] et sans comprendre le reste de la hauteur qui vient de l'enfoncement des Plafonds des planchers, où il y a des cavitez qui les font élever au dessus des poutres; la hauteur de cét enfoncement se peut faire à discretion.

[-24-] "Les Ailes, que l'on fait à droit et à gauche, [1 à 3. in marg.] doivent avoir la troisiéme partie de la longueur du Vestibule, s'il est de trente à quarante pieds: mais si la longueur est de quarante à cinquante pieds, elle sera divisée en trois parties et demie, dont une sera pour les Aîles; [1 à 4. in marg.] ou si elle est de cinquante à soixante, les Aîles en auront la quatriéme partie: Si elle est de soixante à quatre-vingts, on la divisera en quatre et demie, et on en donnera une à la longueur des Aîles: Enfin, si la longueur est de quatrevingts à cent pieds, la cinquiéme partie sera justement la largeur des Aîles. [1 à 5. in marg.] Les Architraves des Aîles doivent estre mis assez juste pour faire que les hauteurs soient égales aux largeurs. [1, à 1. in marg.]

"Il faut donner aux Cabinets les deux tiers de la largeur du Vestibule, [2 à 3. in marg.] s'il est de vingt pieds; ou s'il est de trente à quarante, on ne luy en donnera que la moitié; [1 à 2 in marg.] et s'il est de quarante à cinquante, [2 à 5. in marg.] on divisera cette largeur en cinq, dont on en donnera deux aux Cabinets: car les petits Vestibules ne doivent pas fournir les mêmes Proportions que les grands; parce que si on suivoit les Proportions des grands Vestibules dans les petits, les Cabinets et les Aîles des Vestibules ne seroient d'aucun usage: Et si au contraire on se servoit des Proportions des petits Vestibules pour les grands, les Aîles et les Cabinets seroient trop vastes. C'est pourquoy je croy qu'en general on doit regler les grandeurs des bâtimens par la commodité que leur usage demande, et par ce que la veuë peut souffrir sans estre offensée.

"La hauteur du Cabinet doit sous poutre estre pareille à sa largeur, à laquelle on aura ajoûté la huitiéme partie. L'enfoncement des Plafonds du plancher doit ajoûter à cete hauteur la sixiéme partie de la largeur. La grande entrée des plus petits Vestibules sera des deux tiers de la largeur du Cabinet; et aux grands, elle sera de la moitié.

"La hauteur des Images avec leurs ornemens sera proportionnée à la largeur des Aîles. La largeur des portes sera proportionnée à leur hauteur selon les regles de l'Ordre Dorique si elles sont Doriques, ou selon la proportion de l'Ordre Ionique, si elles sont Ioniques.

[-25-] "La même proportion sera observée à l'égard de la menuiserie des portes, comme il a esté prescrit au quatriéme Livre. La largeur de l'ouverture du haut ne doit jamais estre moindre que du quart, ny plus grande que du tiers de la largeur du Vestibule: la longueur doit estre à proportion et suivant celle des Vestibules.

"Les Peristyles doivent estre plus longs en travers de la troisiéme partie, qu'ils ne sont en avant: leurs Colonnes seront aussi hautes que les Portiques sont larges: les Entrecolonnemens n'auront pas moins que les diametres de trois Colonnes, ny plus que les diametres de quatre, si ce n'est qu'on veüille faire ces Colonnes des Peristyles d'Ordre Dorique, auquel cas il faudra regler leurs Proportions, et celle des Triglyphes sur ce que que j'ay écrit au quatriéme Livre.

[Chapitre 5. in marg.] "Les Sales à manger doivent estre deux fois aussi longues que larges. [4 à 2. in marg.] A l'égard de la hauteur, c'est une regle, que pour avoir celle de toutes sortes d'appartemens qui sont plus longs que larges, il faut assembler leur longueur, et leur largeur, et prendre la moitié de cette somme pour leur hauteur. [4, 3, 2. in marg.] Que si les grandes Salles, et les Cabinets de Conversation sont quarrez, on ajoûtera la moitié de la largeur pour avoir la hauteur. Les Cabinets de Tableaux de même que ceux de Conversation, doivent estre amples. Les grandes Salles Corinthiennes, et les Tetrastyles, (ou à quatre Colonnes) et celles que l'on appelle Egyptiennes, doivent avoir pour leur longueur et largeur les Proportions pareilles à celles qui ont esté prescrites pour les Salles à manger, mais il les faut faire tres-spacieuses à cause des Colonnes.

[Chapitre 6. in marg.] "On fait encore de grandes Salles d'autres manieres que celles que l'on voit en Italie, appellées en Grec Cyziennes (du nom de la ville de Cyzique celebre par ses Bâtimens.) On les fait tournées au Septentrion, en sorte qu'elles ont veuë le plus souvent sur les Jardins, et que leurs portes sont dans le milieu. Ces Salles doivent estre larges. Elles ont à droit et à gauche des fenestres qui s'ouvrent comme des portes, afin que de la table on puisse voir dans les Jardins. La hauteur de [-26-] ces Salles est la moitié de la largeur ajoûtée à cette même longueur.

"Dans toutes ces sortes d'Edifices, il faut s'accommoder à la situation du lieu; et sur tout il faut prendre garde que la hauteur des murs voisins n'oste pas le jour; car cela arrivant à cause du peu d'espace, ou pour quelque autre raison que ce soit, il faut augmenter, ou diminuer avec tant d'adresse les Proportions que nous avons prescrittes, que ce que l'on fera semble n'avoir rien qui y soit contraire."

APPLICATION

IL est aisé de faire l'Application de ces mesures aux proportions harmoniques, et de ces proportions aux sons de la Musique, en suivant la maniere que nous avons donnée en la page 7. (où il faut corriger en la 20. ligne le nombre de 16. qui est mis au lieu de 6.) Nous ne nous arrêterons donc pas davantage sur le rapport des Nombres avec les Sons et Intervalles de la Musique, puisque nous l'avons fait tres-amplement dans l'Ecrit precedent, et qu'il n'y a personne qui ne puisse le faire de luy méme, en demeurant d'accord que Vitruve a suivy la Regle des Proportions Harmoniques en toutes les mesures qu'il a données, quoy que, comme nous l'avons dit, il ne les ait pas qualifiées de ce nom. Nous ferons seulement icy quelques Remarques pour la pratique de ces Proportions.

La premiere, que nous avons déia indiquée, qu'il n'est pas necessaire d'observer à la rigueur ces proportions harmoniques, que dans les lieux qui se presentent à mesme temps à la veuë, par exemple, dans la face d'un bâtiment, ou mesme dans les parties d'un seul êtage; dans les ouvertures d'une mesme Chambre, et dans tous les membres qui la composent, telles que sont les portes, les fenestres, la cheminée et les retranchemens ou Cabinets, en sorte que toutes ces parties ayent leurs proportions harmoniques avec la longueur, la largeur et la hauteur de la Chambre; sans qu'on se doive mettre en peine de la proportion qui sera dans une Chambre à costé, au dessus ou au dessous. Quand les croisées entieres ou demy croisées ont des proportions trop éloignées, suivant la remarque [-27-] de la page 11. on les approchera par le moyen des travers des differentes croix. Ainsi une croisée qui a sa hauteur en proportion triple ou quadruple avec sa largeur, de 4 ou de 3 à 12, pourra avoir un travers en proportion sesquialtere, un autre en proportion sesquitierce, sesquiquarte, et sesquiquinte ou autres harmoniques, comme 4, 6, 8, 10, 12, ou simplement 4, 8, 12, ou 3, 6, 9, 12. La seconde Remarque est, que nous avons mis les proportions donnéés par Vitruve en leurs moindres termes, par exemple, la proportion double d'1 à 2; qui peuvent estre neanmoins en une infinité de manieres sans changer le genre ny l'espece de la proportion, comme 2 à 4, 3 à 6, 6 à 12, 12 à 24 et cetera. Nous avons obmis celles qui sont en nombres rompus, ou qui ne sont pas tout-à-fait harmoniques, en faisant toutefois observer que les proportions de cette nature ne regardent pas la mesme piece, ou ne se voyent pas à mesme temps. Nous n'en avons changé qu'une de 15 à 45 au lieu de 46, qui seroit une faute dans Vitruve, si elle n'est pas venue de ses Copistes, comme plusieurs autres dans les nombres que Monsieur Perrault a judicieusement remarquées et corrigées. La troisiéme Remarque est sur la maxime generale que donne Vitruve pour regler les hauteurs des appartemens sur la moitié des longueurs et largeurs adioûtées ensemble, pour lesquelles nous avons mis les trois nombres 2, 3, 4; sçavoir 4, pour designer la longeur, 2 pour la largeur, et 3 qui est la moitié de 6 composé de 2 et de 4 adioûtez ensemble, pour designer la hauteur. De maniere que si une Chambre ou Salle, par exemple, a 4 thoises de long, 2 de large, elle en devra avoir 3 de haut. Ce sont, dit-il, les mesures des lieux qui sont plus longs que larges. Mais ceux qui sont quarrez, c'est à dire, dont la largeur est égale à la longueur, on adioûtera, dit-il, la moitié de la largeur pour avoir la hauteur. Ainsi une Salle qui seroit longue et large de 4 thoises, seroit haute de 6, ce qui ne se doit entendre que des Chambres ou Salles voutées: Car il suffit pour une Chambre à plancher qu'elle soit quarrée sous poutre en tout sens, à moins qu'elle ne fut extremement vaste. C'est icy où nous croyons qu'il faut user de l'adresse que vient de recommander nostre Auteur, de changer les Proportions suivant les lieux, et pour cela nous allons parle

[-28-] DV CHANGEMENT DES PROPORTIONS.

Il y a de trois sortes de Changement de Proportions, changement de nombres ou grandeurs dans le mesme genre de Proportion: changement de genre, et changement d'espece. Nous supposons icy que tout le monde sçait qu'il y a cinq genres de Proportion, surparticulier, surpartient-multiple, multiple-surparticulier, et multiple-surpartient, et que chaque genre contient une infinité d'especes. Le changement de nombres dans le mesme genre de Proportion, arrive quand au lieu de grands nombres ou de moindres, on en met de moindres ou de plus grands dans la mesme proportion. Par exemple, ayant pris dans la proportion double le nombre 9, et mis ensuite 18, 36, 72, et cetera. Si j'en veux de moindres, je mettray 8, 16, 32, 64, et cetera ou 7, 14, 28, 56, et cetera ou 6, 12, 24, 48, et cetera. Ou si l'on en veut prendre de plus grands on les changera de mesme, sans changer le genre de proportion, par exemple, 10, 20, 40, 80, et cetera qui sont tous dans la proportion multiple double. Le changement de genre, est lorsqu'au lieu d'une proportion multiple, comme est la double, on en prend dans un autre genre, comme seroit par exemple, dans le genre surparticulier. Et comme le genre surparticulier dans la suite ne seroit plus harmonique; par exemple, dans la premiere espece surparticuliere 4, 6, et 9, quoy que les deux premiers nombres 4 et 6, soient harmoniques, faisant ensemble la quinte, 6 et 9 aussi, neanmoins 9 n'est pas harmonique à l'égard de 4, puisqu'il fait la neuviéme contre luy, qui est une dissonance en Musique, cela oblige de faire le Troisiéme changement qui est celuy de l'espece, en passant par exemple, de la sesquialtere à la sesquitierce et mettant 4, 6, 8. On peut croire que Vitruve a entendu parler du premier et dernier changement qui est d'allonger ou de racourcir les mesures et les rendre agreables à la veuë et proportionnées aux lieux. Et quand il y a peu de grandeurs à observer, le premier changement peut suffire, pourveu qu'il soit en la porportion double, qui est la seule harmonique que gardent les Architectes d'aujourd'huy.

Mais s'il y a beaucoup de grandeurs, on fait un mélange [-29-] de differens genres et especes de proportions harmoniques, qu'on peut encore diminuer ou augmenter suivant l'espace des lieux plus petit ou plus grand.

EXEMPLE.

Si l'on veut faire une Porte magnifique accompagnée de deux autres portes moyennes, ou un Arc de Triomphe qui ait trois ouvertures, une grande et deux moyennes, et que tout l'ouvrage conserve en toutes ses parties les proportions harmoniques, on le pourra faire en une infinité de manieres par les differens changemens des proportions, sans neanmoins se départir des regles que nous avons posées pour l'harmonie. Nous ne parlons que des mesures sans avoir aucun égard aux ornemens qui peuvent aussi varier en beaucoup de manieres et que nous pretendons de mesme devoir estre disposez harmoniquement. Voicy une maniere. Nous prenons pour nostre plus petite mesure le nombre 9, qui sera par exemple de 9 pieds, que nous donnons à la largeur des deux extremitez du massif jusqu'à chacune des deux ouvertures moyennes. Chaque ouverture ou porte moyenne aura 18 pieds de large et 36 de haut. Les deux espaces de massif qui seront de chaque costé entre les portes moyennes et la grande Ouverture, auront chacun 13 pieds et demy. La grande Ouverture aura 27 pieds de large et 54 de haut. On pourra disposer les distances au dessus du grand Arc pour placer les ornemens dans ces proportions depuis 54, jusqu'à 72, et delà monter jusqu'à 90 et finir au 108 pied, qui est la hauteur égale à la largeur. Ces nombres 9, 13 et demy, 18, 27, 36, 54, 72, 90, 108, estant reduis à leurs moindres termes, 2, 3, 4, 6, 8, 12, 16, 20, 24, font en Musique ces Harmonies ou Consonances, Vt, sol, Vt2, sol2, Vt3, sol3, Vt4, mi4, sol4, et doivent faire à la veuë un agreement pareil à celuy que reçoit l'oreille les entendant toutes ensemble. Si l'on les veut diminuer en conservant la mesme proportion et les mesmes harmonies, on le fera en descendant par degrez tant qu'on voudra, comme 8, 12, 16, et cetera, ou 6, 9, 12, et cetera. Ou si l'on les veut augmenter, on mettra 10, 15, 20 et cetera selon la grandeur du lieu ou l'on aura dessein de dresser l'Ouvrage.

[-30-] Ce changement de Nombres qui conserve les mesmes proportions, n'est pas proprement un changement. Voicy donc une autre maniere ou changement de genre et d'espece qui change la disposition des parties les unes aux autres, en conservant neanmoins toûjours son harmonie.

Si l'on veut que le massif des deux extremitez et des espaces du milieu soit plus fort et capable de recevoir des ornemens ou colomnes, on donnera à chaque extremité 20 ou 24 pieds si 16 ne suffisent pas, et à chaque espace moyen 24 pieds. Chaque ouverture moyenne aura 16 pieds de large et 32 de haut, la grande en aura 32 de large et 64 de haut: puis au dessus de 64 il y aura des distances proportionnées 80, 96, et si l'on veut 128. Ce qui fera ces proportions 2, 3, 4, 8, 10, 12, 16, et ces harmonies Vt, sol, Vt2, Vt3, mi3, sol3, Vt4.

Ces Regles estant infaillibles et fondées sur l'analogie de nos deux plus nobles Sens, en qui nostre Ame desire la mesme proportion, nous croyons qu'elles seront receües et pratiquées par les Architectes, qui n'y avoient pas fait reflexion; Qu'ils reconnoîtront qu'il n'y avoit que ce moyen qui pût donner à leur Art des Principes certains et incontestables, et qu'il n'y aura plus de veritable Architecture si elle n'est Harmonique.

EXTRAIT DV PRIVILEGE DV ROY.

PAr Grace et Privilege du Roy en datte du 4. de Mars 1677. Signé Boctois: Il est permis au Sieur René Ouvrard, de faire imprimer et vendre un Ouvrage de Musique en françois et en latin, avec plusieurs Traitez de Physique, Mathematique et autres matieres qui regardent cette Science, pendant 20. années consecutives. Et défenses à tous Imprimeurs ou Libraires d'imprimer et vendre ledit Livre ou partie d'iceluy aux peines portées par ledit Privilege.

Registré sur le Livre de la Communauté des Marchands Libraires Imprimeurs à Paris la 2. Mars 1677. Signé Thierry, Scindic.


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