TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

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Fn and Ft: GAUTRA2 TEXT
Author: Gauthier, François Louis
Title: Traité contre les danses, Premiere partie
Source: Traité contre les danses et les mauvaises chansons (Paris: Froullé, 1785), 1-164.

[-1-] TRAITÉ CONTRE LES DANSES.

CHAPITRE PREMIER.

Justes idées des Danses contre lesquelles on écrit.

Jesus-Christ dit: (Joan. c. 3, v. 20.)

Que quiconque fait le mal hait la lumiere, et ne s'approche point de la lumiere de peur que ses oeuvres ne soient condamnées. De-là, l'opposition que tant de gens ont aux vérités qui condamnent le mal auquel ils sont attachés, et les efforts qu'ils font pour trouver des prétextes de ne se pas rendre à ces vérités. De-là, en particulier, toutes les fausses maximes que bien des gens avancent et soutiennent en faveur des Danses, tout ce qu'ils opposent aux autorités et aux raisons par lesquelles ceux que la vérité éclaire [-2-] et instruit, en montrent le danger et le mal.

Afin de leur ôter tout prétexte d'éluder la force de ces autorités et de ces raisons, comme si, pour avoir sujet de condamner les Danses, on y supposoit un mal qui n'y est réellement pas, je vais commencer par donner la juste idée des Danses contre lesquelles j'écris. Il s'agit des Danses telles qu'elles se pratiquent aujourd'hui, et non des Danses qui, considérées das un précision métaphysique, ne consistant qu'en certains sauts, paroîtroient ne rien présenter de répréhensible, d'où par un tour d'imagination on vient ensuite à conclure que les Danses, telles qu'elles sont en usage, ne renferment point le mal ni le danger qu'on prétend s'y rencontrer, et qu'on y voit effectivement.

Que sont donc les Danses dont nous parlons, et dont nous nous proposons de tâcher d'inspirer le plus grand éloignement? Ce sont les assemblées de personnes de différent sexe, et sur-tout de jeunes personnes, où au son de quelques instrumens ou de quelques chansons, de jeunes garçons dansent avec de jeunes filles, et où pendant les intervalles de leurs danses, ils s'entretiennent de choses pour le moins très vaines, si elles ne sont pas mauvaises, et agissent les uns avec les autres d'une maniere très-familiere.

[-3-] Sur cette idée que je donne des Danses qui se pratiquent ordinairement, il n'y a que l'un de ces deux partis à prendre, ou de dire que cette idée est fausse, et que les Danses ne sont pas telles que je les représente; ou qu'étant telles, elles n'ont rien de dangereux ni de mauvais. Prendre le premier parti, ce seroit aller contre l'évidence; et je ne crois pas qu'on ose le faire. Prendre le deuxiéme parti, ce seroit aller contre les principes de la Religion et de la bonne Morale, et se rendre l'avocat de la plus mauvaise cause; or, tout chrétien ne doit-il pas rougir d'être l'apologiste de ce qui ne peut être défendu qu'en s'écartant des vrais principes?

Pour en convaincre pleinement et faire sentir combien sont dangereuses et indignes des Chrétiens les Danses, selon l'idée que je viens d'en donner, et qui répond à ce que tout le monde est en état de voir, j'apporterai un grand nombre de preuves; ensuite je répondrai à toutes les objections qu'on a pris à tâche de multiplier, afin de détruire, s'il étoit possible, la force de ces preuves.

Peut-être quelques-uns trouveront-ils que je me serai trop étendu, et que j'aurois pu me réduire à moins de preuves. Mais je prie que l'on considere, premier. qu'il s'agit de combattre un préjugé et une opinion [-4-] dont la plupart des esprits sont préoccupés, et que l'amour qu'on a pour tout ce qui flatte les sens, porte à soutenir et à défendre contre toute raison. Or, quoi de plus propre à faire revenir tant de personnes de leurs préventions à cet égard, que d'accabler, pour ainsi dire, par la multitude et le poids des preuves, ces esprits que leurs préjugés portent à se roidir contre tout ce qu'on leur oppose? Deuxiéme. Il s'agit d'arrêter, ou du moins de diminuer le torrent des péchés dont les Danses sont par-tout l'occasion: et peut-on opposer trop de dignes à un torrent qui fait tant de ravages spirituels, et qui entraîne tant d'ames dans les enfers? Troisiéme. Quelques Curés ou Confesseurs entre les mains desquels ce petit écrit pourra tomber, et qui ont été jusqu'à présent trop indulgens pour les Danses et pour les personnes qui les aiment, parce qu'ils ne les ont point envisagées dans le vrai point de vûe où il faut les considérer, pourront être plus touchés de cette multitude de preuves que si on en avoit allégué quelques-unes en petit nombre; et en voyant tant de témoins déposer contre les Danses, on peut espérer qu'ils se reprocheront d'avoir pensé autrement, et d'avoir trop facilement toléré ce qui dans tous les temps a été se hautement condamné; qu'ils reviendront sur leurs pas, étant toujours honorable et utile de revenir [-5-] à la vérité quand on commence à la reconnoître, et qu'il employeront l'autorité de leur ministere à s'opposer à un mal dont ils sentiront mieux la grandeur et les funestes suites.

Revenons à l'idée que j'ai donnée des Danses telles qu'elles se pratiquent, parce qu'en la développant, je disposerai par-là les esprits à mieux sentir la force des preuves sur lesquelles j'en appuyerai la condamnation.

J'ai dit, premier. que les Danses sont des assemblées de personnes de différent sexe, et sur-tout de jeunes personnes qui se réunissent pour se réjouir ensemble. Tout le monde le voit et le sçait; et cette seule idée ne fait-elle pas envisager les plus grands dangers pour les jeunes garçons et les jeunes filles ainsi rassemblés dans le dessein de se réjouir? Ne sait-on pas combien est violente la pente de la nature pour le mal, et qu'elle n'a pas besoin d'être fortifiée par une réunion si dangereuse, et si propre à allumer dans les uns et dans les autres le feu des passions? N'est-ce pas ordinairement dans la jeunesse qu'elles se font plus vivement sentir, qu'on a moins d'attention à les réprimer, et qu'on en prend moins les moyens? Ces moyens sont la vigilance, la priere, la mortification et la pénitence: et la plupart des jeunes garçons et des jeunes [-6-] filles ne regardent-ils pas ces vertus comme étrangeres en quelque sorte à leur âge, et comme étant réservées à un âge plus avancé, où il leur conviendra d'être plus sérieux et plus retenus? Les jeunes filles qui vont aux Danses se parent ordinairement avec plus de soin avant que d'y aller, et elles s'y étudient plus que dans toute autre circonstance à plaire. Dès-lors ne faut-il pas être frappé d'aveuglement pour ne pas voir que des danses même qui passent pour les plus honnêtes, naissent mille périls pour la chasteté; qu'il est moralement impossible d'en sortir sans qu'elle soit pour le moins affoiblie, même dans ceux et celles en qui elle paroissoit le plus affermie? N'est-il pas évident que les différens mouvemens du corps et les gestes qui se font dans les Danses, que la façon libre de se regarder, ne peuvent que donner au démon la plus grande facilité de lancer dans le coeur de ceux et celles qui dansent, et de ceux mêmes qui les voyent danser, les traits enflammés de ce malin esprit, dont saint Paul parle en écrivant aux Ephésiens, dont on doit sans cesse être attentif à se garantir, si on ne les a pas encore reçus, en leur opposant le bouclier de la Foi, ou à les éteindre, si quelques-uns ont déja malheureusement pénétré dans l'ame? (Ephes. c. 6, v. 16.)

Si on a lu le premier Livre de l'Histoire [-7-] de l'ancien Testament, qui est le Livre de la Genèse, on sçait ce qui arriva à Dina, fille de Jacob et de Lia, âgée alors d'environ quinze ou seize ans. Poussée par le desir indiscret de voir et d'être vue, elle sortit pour aller voir, non des personnes d'un autre sexe, mais les femmes du pays de Sichem, apparemment pour étudier leurs démarches, leurs ajustemens et leurs manieres. Sichem, fils d'Hemor, Prince de ce pays, l'ayant vûe, conçut de l'amour pour elle, l'enleva et la déshonora. Dina, en sortant et se livrant à la curiosité, ne paroît point avoir eu en vûe aucun crime, et elle ne s'attendoit pas à être ainsi enlevée par violence; tout ce qu'on peut lui reprocher, c'est d'avoir voulu voir et être vûe; au lieu que la sûreté des jeunes personnes de l'autre sexe consiste à se tenir le plus renfermées et le plus cachées qu'il leur est possible. Ce dont il me paroît qu'on ne peut guères douter, c'est qu'en se montrant indiscrètement, elle fut fort occupée de sa figure, se comparant à cet égard aux filles du pays que la curiosité lui fit considérer, et qu'elle laissa entrer dans son coeur un secret desir de plaire, quoique confus et sans aucun objet particulier. Dieu qui vouloit apprendre aux filles de tous les siécles combien un tel desir est mauvais à ses yeux, et qu'on ne sauroit prendre trop de précautions contre [-8-] une passion qu'il est facile d'exciter, mais très-difficile de réprimer quand une fois elle est excitée, permit que Sichem conçut pour elle une passion sans mesure, et que Dina en fut la malheureuse victime. Dieu avoit protégé contre de pareils dangers Sara et Rebecca, ayeules de Dina, parce qu'il n'y avoit point de leur faute lorsqu'elles s'y trouverent; mais il ne protégea pas Dina, parce qu'elle s'étoit exposée contre son ordre à un danger qu'elle pouvoit et qu'elle devoit éviter. N'est-ce pas la cas où se mettent ceux et celles qui vont aux danses? Hélas! si lors même que l'on est éloigné des occasions, on a tant de peine à conserver la chasteté, dont la garde est si difficile, comment se flatte-t-on de la garder en l'exposant aussi témérairement qu'on le fait aux danses? On ne peut être chaste que par une grace spéciale de Dieu, de qui vient la chasteté comme toutes les autres vertus; et le grand moyen d'obtenir cette grace, c'est de la demander instamment à Dieu. C'est ce que reconnoît Salomon par ces paroles du Livre de la Sagesse: (c. 8, v. 21.) Comme je savois que je ne pouvois avoir la continence, si Dieu ne me la donnoit, et c'étoit déja un effet de la sagesse de savoir de qui je devois recevoir ce don, je m'adressai au Seigneur, je lui fis ma priere, et je lui dis de tout mon coeur: et cetera. Ce principe posé, [-9-] je demande si les personnes qui vont aux danses, croient pouvoir par elles-mêmes et sans le secours de Dieu, conserver la chasteté, ou si étant persuadées qu'elle est un don de sa miséricorde, elles se préparent aux danses par des prieres qu'elles font à Dieu d'échapper aux piéges qui sont tendus de toutes parts à cette vertu. Comment le demanderoient-elles? Elles ne voyent pas ces piéges, et la plupart ne sentent pas assez le prix de la chasteté, pour craindre d'y tomber; mais je suppose qu'elles le craignent, et que pour éviter ce malheur il leur vienne à la pensée de se recommander à Dieu pour être en garde contre tout ce qui peut attaquer leur innocence: quelles prieres seroient celles qu'elles feroient alors pour en demander la conservation, et quel effet auroient-elles devant Dieu? Ne seroit-ce pas plutôt l'insulter que le prier, de lui demander de ne pas périr dans des dangers auxquels on s'exposeroit par sa propre faute après ce qu'il a si expressément dit: Celui qui aime le péril, y perira? (Eccles. c. 3, v. 27.) Le Saint-Esprit ne dit pas, celui qui est par nécessité dans le péril y périra, mais celui qui l'aime, (et on l'aime quand on le cherche.) Dieu veut bien nous aider dans les tentations qui nous arrivent par nécessité et que nous ne saurions éviter; mais il abandonne aisément ceux qui les recherchent par choix.

[-10-] J'ai dit en second lieu des danses que je combats, qu'elles se font au son des instrumens et des chansons; or ce son frappant agréablement les oreilles, n'a-t-il pas souvent pour effet d'amollir le coeur, et de le disposer à recevoir les plus funestes impressions? Ce qui se chante alors n'exprimant pour l'ordinaire qu'un amour impur, en porte facilement les dangereuses étincelles, ou même les flammes dans l'ame. Si en chantant on n'articule aucune parole, les airs qui se jouent sur les instrumens rappellent souvent à l'esprit des chansons très-mauvaises qu'on a eu le malheur d'apprendre, et qu'on n'a pas oubliées; et supposé que dans ce temps même de la danse, ni les chansons, ni le son des instrumens et des airs qu'on y joue n'aient pas fait d'impression, peut-on nier que cela n'ait jetté dans le coeur une mauvaise semence, qui étant demeurée cachée pendant un temps, y germe, paroît au moment qu'on s'y attend le moins, et produit enfin des fruits de mort?

J'ai dit en troisieme lieu des danses telles qu'elles se pratiquent aujourd'hui, que comme chacune des personnes qui vont aux assemblées pour danser ne danse pas toujours, les intervalles de temps que la danse n'occupe pas, sont ordinairement remplis par des conversations et des manieres d'agir très-libres que les jeunes personnes de différent [-11-] sexe ont ensemble, et qui ne peuvent que faire de très-grandes plaies à la chasteté. On ne contestera pas le fait; et de tout cela ne résulte-t-il pas que par-tout où la chasteté sera bien établie, les danses ne pourront guères y trouver de place.

Mais de cette considération générale sur les danses, qui devroit seule suffire pour faire sentir qu'elles doivent être entièrement et pour toujours bannies de tous les lieux où l'on fait profession de Christianisme, il faut passer au détail des preuves en grand nombre qui établissent le devoir de s'en éloigner et de se les interdire. Nous tirerons ces preuves premièrement, des saintes-Ecritures; secondement, des saints Peres et des saints Docteurs de l'Eglise; troisiemement, des Conciles; quatriemement, des Théologiens catholiques les plus connus par leur piété et par leur science; cinquiemement, des Théologiens protestans; sixiemement enfin, des Payens mêmes. Si toutes ces preuves ne touchent et n'ébranlent point, elles serviront du moins à faire voir combien est grande l'inflexibilité de coeur de ceux qui ne s'y rendront pas, et combien est opiniâtre leur résistance à la vérité.

[-12-] CHAPITRE II.

Preuves contre les Danses, tirées des Saintes Ecritures.

Les saintes-Ecritures défendent, Premier. de regarder trop attentivement et avec délibération des personnes d'un sexe différent; deuxiéme. de converser souvent sans nécessité et trop familiérement avec elles; troisiéme. de se conduire et d'agir trop librement à leur égard: or, tout cela se trouve dans les danses plus qu'ailleurs, et d'une maniere plus dangereuse; et tout cela s'y trouve, non comme un accessoire qu'on peut en séparer, mais comme étant le fond, la base et l'ame, si on peut parler ainsi, de la danse.

Par rapport aux regards qu'on jettes sur des personnes d'un sexe différent délibérément et avec attention, le Saint-Esprit dit dans le chapitre IX du Livre de l'Ecclésiastique: (v. 3.) Ne regardez pas une femme volage dans ses desirs, de peur que vous ne tombiez dans ses filets, (v. 5.) N'arrêtez point vos regards sur une fille, de peur que sa beauté ne vous devienne un sujet de chûte. (v. 8.) Détournez vos yeux d'une femme parée, et ne regardez point une beauté étrangere. (v. 9.) Plusieurs se sont perdus par la beauté d'une femme; car c'est par-là [-13-] que la concupiscence s'embrase comme un feu. Dans un autre chapitre du même Livre, le Saint-Esprit dit encore: (c. 25, v. 28.) Ne faites point attention à la beauté d'une femme, et ne la considérez point parce qu'elle est agréable. (v. 33.) La femme a été le principe du péché, et c'est par elle que nous mourons tous.

Jesus-Christ nous a marqué non-seulement le danger, mais le mal qu'il y a dans les regards qu'on fait volontairement et avec attention sur les personnes d'un sexe différent, lorsqu'il a dit: (Matth. c. 5, v. 28.) Quiconque regarde une femme avec un mauvais desir pour elle, a déja commis l'adultere dans son coeur. Selon cette parole de la vérité même, combien y a-t-il de gens dont la vie n'est qu'un adultere continuel!

C'est parce que le saint homme Job craignoit le danger et le mal qu'il y a dans les regards, qu'il disoit: (c. 31, v. 1.) J'ai fait un pacte avec mes yeux; car pourquoi aurois-je considéré une vierge? Est-il bien facile de garder dans les danses un pareil pacte, que tout bon chrétien est obligé de faire comme Job? Si on l'avoit fait comme lui, bien loin de courir aux danses, ne les fuiroit-on pas comme une des occasions les plus dangereuses et les plus ordinaires de pécher? Que dis-je, n'est-il pas au contraire de l'essence de la danse de fixer ses regards [-14-] sur la personne? N'est-ce pas la premiere leçon que des maîtres corrupteurs donnent et inculquent à leurs malheureux éleves? Et cela seul ne porte-t-il pas sur le front sa condamnation?

A l'égard des conversations trop fréquentes et sans les précautions nécessaires avec des personnes d'un sexe différent, sur-tout avec celles qui sont volages, qui aiment à rire et à se divertir, et dont les discours ne sont propres qu'à amollir le coeur, le Saint-Esprit dit dans le même Livre de l'Ecclésiastique et dans le même Chapitre IX: (v. 4.) Ne vous trouvez pas avec une femme qui danse, et ne l'écoutez pas, de peur que vous ne périssiez par la force de ses charmes. (v. 11.) Plusieurs ayant été supris par la beauté d'une femme étrangere, ont éte rejettés de Dieu; car l'entretien de ces femmes brûle comme un feu.

Dans le Chapitre 42 du même Livre, le Saint-Esprit nous donne encore cet avis: (vv. 12 et 13.) Ne demeurez point au milieu des femmes; car comme le ver s'engendre dans les vêtemens, ainsi l'iniquité de l'homme vient de la femme; c'est-à-dire, comme le ver se forme dans les vêtemens sans qu'on s'en apperçoive, que lorsqu'il n'est plus temps d'y remédier, ainsi le mal spirituel qui naît des conversations trop fréquentes et trop familieres avec les personnes d'un autre sexe, [-15-] est un mal qui ne s'apperçoit pas d'abord, parce qu'il a gagné insensiblement le coeur, passant des yeux dans les pensées et les desirs, et trop souvent des desirs dans les actions.

Pour mieux faire sentir cette vérité, le Saint Esprit ajoute: (v. 14.) Un homme qui vous fait du mal, vaut mieux qu'une femme qui vous fait du bien, et qui devient un sujet de confusion et de honte. Quel peut être le sens de cette sentence si extraordinaire? Elle signifie que la méchanceté d'un homme qui nous afflige, est moins à craindre que les manieres douces et agréables d'une femme même vertueuse et bienfaisante. Pourquoi? C'est que le mal que fait un méchant homme, peut servir à exercer la patience, et être par-là une occasion d'acquérir des mérites, au lieu qu'une femme qui gagne et attire par ses bonnes manieres et par ses bienfaits, peut devenir un sujet de chûte.

Le Saint-Esprit parlant en particulier dans le Livre des Proverbes, des personnes de l'autre sexe dont la fréquentation et les entretiens sont plus dangereux, parce qu'elles sont plus portées et plus propres à séduire ceux qui ont l'imprudence de s'arrêter avec elles, dit de ces sortes de personnes: (Prov. c. 5. vv. 3-8.) Les lèvres de la Prostituée sont comme le rayon d'où coule le miel, et son gosier est plus doux que l'huile; mais [-16-] la fin en est amere comme l'absinte, et perçante comme l'épée à deux tranchans: ses pieds descendent dans la mort, ses pas s'enfoncent jusqu'aux enfers; ils ne vont point par le sentier de la vie; ses démarches sont vagabondes et impénétrables: maintenant donc, mon fils, écoutez-moi, et ne vous détournez point des paroles de ma bouche; éloignez d'elle votre voie, et n'approchez point de la porte de sa maison. Combien trouve-t-on dans les assemblées de danses de jeunes personnes, qui à la vérité ne sont pas des prostituées comme celles dont Salomon parle en cet endroit, mais qui du moins sont très-volages, et dont on peut dire que que par-là leurs lèvres, jusqu'à un certain point, sont comme le rayon du miel, parce qu'il y a d'agréable et de séduisant dans leurs discours efféminés! Si on peut dire avec le Saint-Esprit, que les pas de ces sortes de personnes s'enfoncent jusqu'aux enfers, (en ce sens que n'y tombant pas tout d'un coup, du moins ils y descendent comme insensiblement et par dégrés,) combien doit-on craindre en s'attachant à elles, de descendre avec elles dans les enfers où leurs pas les conduisent!

Enfin, l'Ecrivain sacré défend les manieres trop familieres et trop libres d'agir avec des personnes d'un sexe différent. Ces sortes de familiarités passent souvent dans le monde pour [-17-] des choses indifférentes et sans danger; cependant le Saint Esprit nous dit que se les permettre, c'est cacher le feu dans son sein, et prétendre en même temps qu'on ne sera pas brûlé. C'est dans le Chapitre sixieme du Livre des Proverbes que le Saint-Esprit parle ainsi (vv. 27, 28, 29.)

C'est encore pour nous avertir de fuir les manieres trop libres d'agir avec des personnes d'un autre sexe, qu'il est dit dans le Livre de l'Ecclésiastique: (c. 9, vv. 12 et 13.) Ne vous asseyez jamais avec la femme d'un autre, ne soyez point à table avec elle appuyé sur le coude: ne disputez point avec elle en buvant du vin, de peur que votre coeur ne se tourne vers elle, et que votre affection ne vous fasse tomber dans la perdition.

Il est aisé de comprendre que les précautions et la retenue que le Saint-Esprit recommande aux hommes dans tous les endroits qui viennent d'être rapportés, à l'égard des femmes, sont également nécessaires aux femmes par rapport aux hommes, et leur sont par conséquent égalemement recommandées par le Saint-Esprit.

Que tous craignent donc les écueils, qui n'ont que trop souvent fait faire à la chasteté de funestes naufrages. Dieu a permis que plusieurs grands Justes s'y soient brisés, afin que la chûte des forts fasse trembler les foibles, et que tous apprennent que le [-18-] plus sûr moyen d'éviter les plus grands désordres, est d'en fuir les occasions, et même les moindres apparences. Nous ne sommes pas plus saints que David, plus sages que Salomon, plus forts que Samson; et on sait combien les occasions où ces grands personnages se sont trouvés leur ont été funestes. La vue de Bethsabée, femme d'Urie, a fait tomber David dans l'adultère. (Liv. 2 des des Rois, c. 11.) La trop grande complaisance de Samson pour Dalila lui fit perdre ses forces, et le fit tomber entre les mains de ses ennemis. (Liv. des Juges, c. 16.) Enfin on voit dans l'Histoire des Rois, (L. 3. c. 11.) que les femmes étrangeres que Salomon aima passionnément, corrompirent à un tel point le coeur de ce Roi, auparavant si sage, qu'elles lui firent suivre des Dieux étrangers. Qui ne doit pas trembler à la vûe de ces exemples effrayans! Ne pas craindre ce qui peut conduire au mal, c'est donner trop sujet de penser qu'on y est déja engage. Aussi Jesus-Christ dit-il: (Math. c. 5. vv. 29 et 30.) Que si notre oeil droit ou notre main droite sont pour nous une occasion de péché, nous devons les arracher et les jetter loin de nous. Il est évident que par l'oeil et la main qui seroient une occasion de péché, Jesus-Christ a voulu marquer quelque chose qui nous seroit aussi cher et aussi nécessaire que l'oeil et la main droite. Il veut [-19-] alors qu'on arrache cet oeil, qu'on coupe cette main, ce qui ne pourroit se faire sans une très-grande douleur; pour marquer que quoi qu'il en puisse coûter pour se séparer des occasions du péché, il faut s'y résoudre et le faire. Il ajoute, qu'il faut jetter loin de soi cet oeil et cette main qu'on a arrachés, parce qu'ils étoient une occasion de péché, pour nous apprendre que nous ne saurions mettre une trop grande distance entre nous et ce qui peut nous mettre en danger d'offenser Dieu, le péché étant le plus grand de tous les maux. Les plus grandes précautions sont particulièrement nécessaires à la conservation de la chasteté; la modestie la plus exacte dans les regards, les paroles et les manieres, en est le plus fort rempart. Ces deux vertus s'entresoutiennent mutuellement; et quiconque en néglige une, ne peut garder l'autre. L'Auteur de Traité contre les spectacles, dont j'ai parlé dans l'avertissement, disoit: "Que fait au spectacle un chrétien fidèle, à qui il n'est pas permis de penser volontairement aux vices, ces pensées lui en faisant perdre la retenue, et le rendant plus hardi à se porter aux crimes?" Je dis de même: Que fait au milieu des danses un chrétien fidèle qui ne doit rien éviter avec tant de soin que le péché, ni rien tant craindre que la perte ou l'affoiblissement de la chasteté? Quid inter haec Christianus fidelis [-20-] facit, cui vitia non licet nec cogitare, ut in ipsis depositâ verecundiâ audacior fiat ad crimina? Cet ancien Auteur ajoute: "L'ame de l'homme tendant naturellement au vice, et y tombant facilement d'elle-même, que fera-t-elle si elle y est poussée par tout ce qui l'environne, qu'elle voit et qu'elle entend?" Cùm mens hominis ad vitia ipsa ducatur, quae sponte corruit: quid faciet si fuerit impulsa? "Il faut donc, conclut-il, détourner notre esprit et notre coeur de toutes ces choses qui ne peuvent que porter au mal: Avocandus est animus ab istis."

Les Saintes Ecritures nous fournissent une seconde preuve contre les danses dans ces paroles du Prophête Isaïe, (cap. 3. v. 16 et 17.) Parce que les filles de Sion se sont redressées, qu'elles ont marché la tête haute, qu'elles ont fait des signes des yeux, qu'elles se sont donné des airs de mollesse dans leurs démarches étudiées et contraintes, le Seigneur rendra sale et chauve la tête des filles de Sion; et il les réduira à la nudité la plus honteuse. Ce qui est reproché aux filles de Sion, ne se trouve-t-il pas dans les danses qui se font parmi nous? N'y voit-on pas les filles chrétiennes affecter de s'y redresser comme faisoient autrefois les filles de Sion contre lesquelles le Prophête s'éleve? N'y font-elles pas des signes des yeux, qui sont [-21-] pour elles et pour ceux à qui elles les font comme des messagers d'impureté? Ne s'y donnent-elles pas dans les mouvemens étudiés et contraints qui font proprement les danses, des airs de mollesse qui ne montrent que trop le déréglement intérieur de l'ame? Saint Basile expliquant cet endroit, dans son Commentaire sur Isaïe, (Tom I, page 464.) dit qu'une fille, telle que le saint Prophête la représente, jette par ses regards et ses gestes peu modestes et trop libres, dans le coeur de ceux qui la voyent, un poison mortel: Aspectu ipso exitiosum quoddam virus jaculatur. Après quoi le saint Docteur ajoute: Ah! plût-à-Dieu qu'on ne pût pas faire encore aujourd'hui aux filles chrétiennes, le reproche que le Prophête Isaïe faisoit autrefois aux filles Juives! Atque utinam Ecclesiae quoque filiabus hoc idem exprobrari non posset!

Une troisiéme preuve contre les Danses, tirée des Saintes Ecritures, c'est que Jesus-Christ et ses Apôtres nous y donnent, par rapport à l'importante et difficile affaire de notre salut, plusieurs avis qu'il est impossible de suivre dans les Danses, et contre lesquels même elles vont directement.

En saint Matth. Jesus-Christ nous dit: (C. 26, v. 41.) Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation; et dans saint Luc, (C. 21, v. 36.) C'est en [-22-] tout temps que Jesus-Christ dit qu'il faut prier et veiller.

L'Apôtre saint Pierre nous donne le même avis en ces termes: (1. Ep. C. 5, v. 8.) Soyez sur vos gardes, et veillez; car le démon votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. Manqueroit-on assez de bonne foi pour ne pas reconnoître que le temps et la circonstance des Danses, est un temps et une des cinconstances où le démon est plus occupé à tourner autour des ames pour les perdre, et où il lui est plus facile de les dévorer, c'est-à-dire, de s'en rendre le maître, en les faisant tomber dans le péché? C'est donc aussi là un temps et une circonstance où la priere et la vigilance, qui nous sont tant recommandées en tout temps, sont plus nécessaires. Mais qui est-ce qui oseroit dire que le temps où l'on danse est propre à remplir ce double devoir? L'extrême dissipation qui est inséparable des Danses, n'en rend-elle pas incapable? Y pense-t-on même le moins du monde à s'en acquitter?

Saint Paul recommande aux Chrétiens, (Ep. ad Rom. Cap. 6. v. 13.) De ne point abandonner les membres de leurs corps au péché pour lui servir d'armes d'iniquités. N'est-ce pas aller directement contre ce précepte, que d'employer à la Danse des pieds que Dieu [-23-] ne nous a donnés que pour marcher décemment et avec modestie, et pour aller où le devoir et nos besoins nous appellent? Ne pourroit-on pas même dire que Dieu est comme foulé aux pieds des personnes qui dansent; parce qu'elles mettent en quelque sorte sous leurs pieds sa Loi, en la violant en beaucoup de manieres, et donnant à d'autres occasion de la violer?

Le même saint Apôtre exhorte les Ephésiens, et nous en leur personne, à ne donner point de lieu et d'entrée au diable. (C. 4. v. 27.) Et dans ces Danses n'ouvre-t-on pas au démon toutes les portes de ses sens, et en particulier ses yeux et ses oreilles, comme pour l'inviter à entrer dans son ame sans la moindre résistance?

Voici un autre avis de saint Paul dans son Epître aux Colossiens. (C. 3. vv. 5. 6.) Faites mourir les membres de l'homme terrestre qui est en vous, la fornication, l'impureté, les abominations, les mauvais desirs; puisque ce sont ces excès qui font tomber la colere de Dieu sur les hommes rébelles à la vérité. Bien loin que dans les Danses on fasse mourir les membres de l'homme terrestre, qui sont les passions et les vices, tout au contraire, n'y contribue-t-il pas à leur donner plus de vie et d'activité? Qu'on s'examine bien au sortir des assemblées de Danses, et qu'on soit sincère; [-24-] pourra-t-on s'empêcher de reconnoître que les passions sont plus animées, que les tentations sont plus fréquentes et plus violentes, et qu'on a moins de force pour leur résister? J'en prends à témoins les personnes qui ont autrefois le plus aimé ce pernicieux divertissement, mais que la grace a touchées; ne reconnoissent-elles pas, en gémissant, qu'elles y ont commis, et en même-temps vu commettre à d'autres beaucoup de fautes? Et ne sont-elles pas d'autant plus croyables sur ce point, que parlant contre elles-mêmes, elles ne le font que par un amour de la vérité, qui ne peut être suspect, et qui leur fait desirer de réparer, par l'humble aveu qu'elles font de leurs anciennes fautes, le mauvais exemple qu'elles ont donné?

CHAPITRE III.

Témoignages des Saints Peres et Docteurs de l'Eglise contre les Danses.

Les Saints Peres qui ont été chacun dans leurs temps les organes de l'Eglise, ont tous parlé avec force contre les Danses. Le premier dont je dois rapporter le témoignage à ce sujet, est l'illustre Martyr et Docteur Saint Ignace, Evêque d'Antioche, dans sa Lettre aux Magnésiens. En les exhortant [-25-] à célébrer spirituellement le Sabbat ou le Dimanche, il met les Danses au nombre des actions qu'on doit particulièrement éviter en ce saint jour. "Que chacun de vous, dit-il, observe le Sabbat spirituellement, ne faisant pas consister simplement cette observation à interrompre les ouvrages corporels et dans le repos du corps; mais en mettant votre plaisir dans la méditation de la Loi de Dieu, et à admirer ses ouvrages dans la création du monde, plutôt qu'à danser et à vous livrer à des marques de joie insensées." (Monsieur Cotellier, dans son Recueil des Ouvrages des Saints Peres qui ont fleuri dans les temps voisins de celui des Apôtres, tome II, page 59, édition d'Anvers.) Unusquisque vestrûm Sabbatis et spiritualiter, meditatione Legis gaudens, non corporis remissione, opificium Dei admirans, non.... Saltationibus, plausibusque insanis oblectans se.

Saint Basile, dans une Homélie qu'il a faite contre les excès du vin, s'éleve aussi avec force contre les Danses, et particulièrement contre les jeunes personnes de l'autre sexe, qui aiment et recherchent ce divertissement. (Homel. in ebriosos, tome II, page 123.) "Oubliant, dit ce Saint Docteur, la crainte de Dieu, et méprisant le feu de l'enfer, au lieu qu'elles devroient [-26-] garder leur maison, et le souvenir de ce jour terrible où les Cieux s'ouvriront, et où le Juge Souverain des vivans et des morts descendra pour rendre à chacun selon ses oeuvres; au lieu qu'elles devroient s'appliquer à purifier leur coeur de toute mauvaise pensée, et effacer, par leurs larmes, les péchés qu'elles ont commis, et se préparer ainsi au grand jour de l'avénement du Seigneur, elles secouent le joug de Jesus-Christ, et ôtant de dessus leur tête le voile dont l'honnêteté demanderoit qu'elles fussent couvertes, elles s'exposent ainsi sans pudeur aux yeux des hommes; elles ont elles-mêmes un regard hardi, elles se livrent à des ris immodérés, et s'agitent dans leurs Danses comme des personnes qui sont dans des transports de phrénésie de fureur, ad saltandum quasi quodam furore concitae; elles allument ainsi la passion des jeunes gens pour elles, omnem juvenum libidinem in se ipsi provocantes; enfin faisant ces Danses hors des murs de la Ville où les Saints Martyrs sont honorés, elles font par-là de ces lieux saints, comme une boutique de leurs obscénités: In Martyrum Basilicis prae moenibus civitatis choros constituentes, loca Sancta officinam obscenitatis suae effecerunt."

Tout ce que saint Basile dit ici des Danses [-27-] contre lesquelles il s'éleve, ne se trouve-t-il pas dans la plupart de celles qui se font aujourd'hui parmi nous? Peut-on nier qu'il n'y ait dans ces dernieres tous les traits de ressemblance avec celles dont parle le Saint Docteur? Les filles ne s'y exposent-elles pas, comme il s'en plaignoit, à la vue des jeunes gens qui s'y assemblent pour danser avec elles, ou du moins pour les voir danser? Ne s'y livrent-elles pas pour l'ordinaire à des ris immodérés? Les mouvemens de leurs corps, pendant qu'elles dansent, ont-ils la décence et la modestie qui conviennent particulièrement à leur sexe et à leur âge, et généralement à toute personne chrétienne qui doit être assez maîtresse d'elle-même, pour régler tous ses pas d'une maniere digne de Dieu? Si ces jeunes personnes n'ont pas formellement dessein d'exciter la passion des jeunes gens pour elles, ne doivent-elles pas du moins craindre que cela n'arrive, puisque rien n'est plus facile et plus ordinaire? Enfin, dans les Danses d'aujourd'hui, respecte-t-on plus la présence de Dieu et des Anges, qu'on ne faisoit dans celles dont saint Basile se plaint, et n'y perd-on pas également de vue le terrible jour du Jugement?

Saint Jean Chrysostôme est un des Peres de l'Eglise qui a plus souvent et plus fortement parlé contre les danses. Il le fait [-28-] d'abord en expliquant à son Peuple l'endroit de l'Evangile selon saint Matthieu, (C. 14. v. 6.) où il est rapporté que la fille d'Hérodiade dansa devant le Roi Hérode, qu'elle lui plût en dansant, et que ce Prince lui ayant promis de lui accorder tout ce qu'elle demanderoit, elle eut la cruauté de lui demander, comme pour prix de sa danse, la tête de saint Jean-Baptiste. Sur quoi le saint Docteur commernce par ces mots: (Hom. 48. in Matth. Tome VII, page 436.) "C'est dans la fille d'Hérodiade un double crime et d'avoir dansé et d'avoir plû par sa danse. Duplex crimen, et quod saltavit et quod placuerit." Il ajoute que, "c'est le diable qui la fit danser avec tant de grace, et qui fit par-là qu'elle plût à Hérode qui fut ainsi pris dans ses piéges: Id diabolus effecit, ut illa saltans placuerit, et Herodem tunc caperet." La raison qu'en donne saint Jean Chrysostome, c'est que le diable se trouve par-tout où il y a des danses: (page 498.) Ubi saltatio, ibi diabolus. "Les aimer, ajoute ce Saint, c'est abuser des dons du Créateur, et aller contre les vues qu'il s'est proposées en nous donnant des pieds: en effet, il ne nous les a pas donnés pour en faire un usage aussi honteux que celui qu'on en fait dans les danses; mais seulement pour marcher modestement. Si le corps est déshonoré [-29-] par cette maniere indécente de marcher, combien plus l'ame l'est-elle? Si corpus id agens turpe est, multo magis anima. Ces danses sont les divertissemens des démons, et c'est par le plaisir qu'on y trouve que les ministres de satan lui attirent des ames par leurs flatteries: Sic saltant daemones, sic adulantur daemonum ministri. (page 500.) A la vérité les danses d'aujourd'hui ne causent pas la mort de saint Jean-Baptiste, comme celle de la fille d'Hérodiade la causa; mais elles en causent une beaucoup plus funeste aux membres de J. C. Atque etiam si Joannes non interficiatur, sed Christi membra longè gravius impetuntur. Ceux qui dansent maintenant, ne demandent pas qu'on leur apporte dans un plat la tête du saint Précurseur; mais ils demandent pour le démon les ames de ceux qui sont présens: Non enim caput in disco petunt ii qui nunc tripudiant, sed animas simul recumbentium. Si la fille d'Hérodiade ne se trouve pas aux danses d'aujourd'hui, le diable qui dansa alors en quelque sorte en elle, s'y trouve et les anime; et par ces danses, il entraîne captives les ames qu'il trouve dans ces assemblées si dangereuses: Nam et si non adsit filia Herodiadis; sed qui per illam tunc saltavit diabolus, per illas nunc choreas agit, animas discumbentium agens [-30-] captivas." Qui est-ce qui, à cette description si effrayante et trop véritable de ce qui se passe même dans les danses de notre temps, ne doit pas trembler, s'il lui reste un peu de foi? Et qui de ceux qui prennent la défense des danses, osera préférer son autorité et celle des aveugles mondains, à l'autorité de ce saint Docteur? Saint Ambroise dans une Lettre à Sabin, Evêque de Plaisance, (Lett. 58, Numero 5, Tome II, page 1013,) lui écrit que "rien n'est plus immodeste que de se donner en spectacle dans les danses, pour y imiter les gestes indécens et les postures efféminées des Comédiens."

Dans son troisieme livre des Vierges (C. 5, Numero 25, Tome II, page 180,) après avoir dit que la joie d'un Chrétien ne doit se trouver que dans le témoignage d'une bonne conscience, il ajoute tout de suite que "la pudeur ne sauroit être en sûreté, et que tout est à craindre des attraits de la volupté, lorsqu'on finit par la danse les autres divertissemens." Ibi intecta verecundia illecebra suspecta est, ubi comes deliciarum est extrema saltatio. Le saint Docteur cite à ce sujet cette parole d'un Payen, qu'une personne qui n'est point ivre ne danse point, à moins qu'elle ne soit folle. (Nous dirons dans la suite qui est ce Payen, et à quelle occasion il a parlé de [-31-] la sorte.) Puis il fait cette réflexion: (Ibidem c. 6, Numero 27.) "Si selon les lumieres de la sagesse du siécle, l'ivresse ou la folie sont le principe de la danse, qu'en doit-on penser selon les Ecritures, où ce qu'on lit de saint Jean-Baptiste, Précurseur de Jesus-Christ, mis à mort selon le desir et la demande d'une danseuse, fait voir quelles funestes suites le plaisir criminel de la danse entraîne après lui?" Il en fait une autre sur ce qu'Hérodiade produisit elle-même sa fille pour la faire danser au milieu d'une assemblée d'hommes. Et qu'est-ce, dit-il, en effet, (Ibidem c. 6, Numero 27, page 181,) "que la fille d'une femme adultère pouvoit apprendre d'elle, sinon à exposer sans crainte sa pudeur? Car quelle pudeur peut-il y avoir où l'on danse? Quid enim potuit de adulterâ discere, nisi damnum pudoris?.... Quid enim ibi verecundiae potest esse ubi saltatur?" Voilà une fille qui danse, ajoute saint Ambroise, mais c'est la fille d'une adultère, (Ibidem Numero 31.) Saltat, sed adulterae filia; et il en prend occasion d'avertir les meres chastes et Chrétiennes, "d'apprendre à leurs filles, non à danser, mais tout ce qui appartient à la Religion: quae vero pudica, quae casta est filias suas religionem doceat, non saltationem." Que cette leçon est importante, mais qu'elle est [-32-] aujourd'hui peu suivie! combien voit-on de meres qui se glorifient de ce que leurs filles ont bonne grace en dansant, et qui n'ont pas honte de les laisser dans une très-grande ignorance des vérités de la Religion! On sait parfaitement les régles de la musique et de la danse; et on n'a presque aucune idée des mystères de Jesus-Christ, de l'étendue des Commandemens de Dieu, des graces attachées aux Sacremens, des dispositions nécessaires pour s'en bien approcher, de ce qui fait le sujet de nos plus grandes solemnités, et des sentimens de piété dans lesquels on doit les célébrer. Est-il étonnant que connoissant si peu les divines beautés de notre sainte Religion, et ce qu'elle a d'intéressant pour le coeur, on n'ait de goût que pour la vanité du siécle et pour ses dangereux plaisirs?

Saint Augustin ayant eu, même avant sa conversion, tant de respect pour saint Ambroise, et tant d'empressement à écouter ses instructions, auroit-il pu, après que Dieu l'eut touché, et ensuite élevé à l'épiscopat, n'être pas un ardent imitateur de son zèle contre tous les abus et les désordres qui regnoient de son temps? Il ne vit jamais qu'avec la plus vive douleur, celui des danses, et sur-tout de celles que le concours des Fidèles aux tombeaux des Martyrs occasionnoit. Que ne fit-il pas pour les abolir! [-33-] Et quelle consolation fut-ce pour lui, lorsque Dieu bénissant son ministère, il eut le bonheur d'y réussir!

Il blâme d'abord les danses en général, en quelque temps et en quelque lieu qu'elles se fassent, en expliquant le Pseaume 69. (Numero 2.) Il observe que le démon, selon la différence des temps, prend aussi différentes formes pour attaquer les Chrétiens; que dans le temps que les Princes infidèles persécutoient les adorateurs du vrai Dieu, le démon avoit la forme de Lion, la fureur des Persécuteurs étant figurée par celle d'un Lion rugissant; qu'ensuite les persécutions ayant cessé, le démon avoit pris la forme d'un serpent, s'appliquant d'autant plus à séduire et à tromper les fidèles, qu'il ne pouvoit plus les persécuter autrement; que les danses sont un des moyens qu'il emploie pour les perdre. Les esprits de malice, dit ce Pere, n'ayant pas maintenant la liberté d'exercer leur cruauté sur les corps des Chrétiens, ils déchirent les ames. "Et comment? c'est par les danses, les blasphêmes, les impunités: quia non habent quid agant saeviendo, saltando, blasphemando, luxuriando, non impellunt corpora Christianorum, sed lacerant animas Christianorum." Si les danses étoient un divertissement indifférent et permis, saint Augustin les joindroit-il aux blasphêmes et aux impudicités, [-34-] en parlant des moyens que le diable, sous la forme de serpent, prend pour séduire les Chrétiens; et diroit-il qu'elles mettent les ames en pieces, comme ces deux autres espèces de crimes, contre lesquels tout le monde prononce condamnation?

Dans un sermon sur la fête du grand saint Cyprien, en parlant du désordre qui avoit long-temps régné, de passer la nuit de la fête de ce saint à chanter et à danser, il dit que "cette peste, après avoir résisté quelque temps, avoit enfin cédé au zèle de l'Evêque du lieu, qui n'avoit rien épargné pour faire cesser ce scandale. (Serm. 311, Numero 6.) Illa pestis, aliquantulum cessit diligentiae, et cetera."

Est-ce sans raison que saint Augustin donne aux danses le nom de Peste? Et n'est-il pas évident qu'il ne les appelle ainsi que parce que leur contagion nuit pour le moins autant aux ames que la peste nuit aux corps?

Saint Augustin avoit eu la douleur de voir à Hypone, aux Fêtes des Martyrs, ces profanes divertissemens, qu'il appelle dans le même Sermon, des jeux en l'honneur des démons qui se plaisent à séduire ainsi les hommes; mais il avoit eu la consolation de les abolir. Il nous apprend dans une de ses Lettres adressées à Alippe son ami, et Evêque de Tagaste, ce qu'il avoit [-35-] fait pour cela: un des moyens qu'il employa fut de faire lire au peuple l'Histoire de l'adoration du veau d'or par les Juifs, rapportée au Chapitre 32 de l'Exode: il y est dit que le Peuple se leva dès le matin, pour offrir à ce veau des holocaustes et des victimes pacifiques; qu'ensuite il s'assit pour boire et pour manger, et qu'ils se leverent pour danser: sur quoi saint Augustin qui n'étoit alors que simple Prêtre, fit observer au Peuple que dans toute l'Histoire Sainte on ne voit que la circonstance de la consécration et de l'adoration du veau d'or, où les excès de bouche et de danses ayent eu lieu pour la célébration d'une Fête: "et il en conclut que cette maniere de célébrer les Fêtes, n'est digne que des Fêtes des Idolâtres" et est par conséquent indigne des véritables Chrétiens. Lorsqu'on fabriqua ce veau d'or, Moïse étoit avec Dieu sur la montagne de Sinaï, pour recevoir de sa main les tables de pierre, sur lesquelles furent gravés les dix Commandemens. En descendant de la montagne pour porter au Peuple ces tables de la Loi, Moïse vit le veau et les danses qui se faisoient en son honneur: alors sa colere s'embrasa, il jetta les tables qu'il tenoit entre ses mains, et les brisa au pied de la montagne. L'exemple de ce zèle de Moyse donna une nouvelle activité à celui de saint Augustin, contre [-36-] les désordres qu'il s'efforçoit de détruire, exhortant son Peuple à ne plus célébrer, à l'avenir, les Fêtes des Martyrs par des chansons, des danses et des excès de bouche qui les profanoient. Il leur dit sur ces deux tables de la Loi brisées par Moyse: "Quoi! ne seroit-il pas étrange qu'ayant affaire à des enfans de la Nouvelle Alliance, dont le caractère et la différence d'avec les Juifs doit être, selon l'Apôtre, (2. Cor. c. 3, 113,) de porter la Loi de Dieu écrite dans leur coeur, nous ne pussions pas amollir et briser le même coeur de ceux qui tiennent encore aux abus dont nous nous plaignons, et qu'ils persistassent à vouloir pratiquer tous les ans, dans les solemnités des Saints, ce que le Peuple Juif n'a fait qu'une seule fois, et dans une occasion d'Idolâtrie?"

Le coeur de ses auditeurs fut en effet brisé par la force et l'onction de ses paroles, à laquelle Dieu joignit l'onction intérieure de sa grace. Rien n'est plus touchant que le récit que ce Saint fait lui-même à Alippe du fruit de son discours. Il le finit en les menaçant que Dieu les frapperoit par la verge de fureur, s'ils méprisoient ce qu'on venoit de leur lire. "Je poussai, dit-il, cet menace de la maniere que m'inspira celui qui conduisoit mon esprit et ma langue. En cet endroit nous fondions tous [-37-] en larmes: ce ne fut pas moi qui commençai, mes larmes ne firent que suivre celles de mes auditeurs; et voyant que ce que je leur disois les faisoit pleurer amèrement, j'avoue que je ne pus me retenir. Après donc qu'on eut bien pleuré de part et d'autre, je finis plein d'espérance de les ramener." Si les Eglises avoient aujourd'hui un nombre de ministres aussi saints et aussi zélés que saint Augustin, ne pourroit-on pas espérer qu'élevant comme lui avec force leurs voix contre les danses, on les verroit cesser, du moins en beaucoup d'endroits où elles ne se perpétuent que parce que ceux qui devroient s'y opposer ne le font pas avec assez de vigueur, ou ne se sont pas acquis, par la lumiere de leur doctrine et par la sainteté de leur vie, assez d'autorité pour faire sur l'esprit des peuples toute l'impression que leurs discours devroient y faire?

Saint Ephrem le Syrien, un des plus illustres des anciens solitaires, dont les écrits ont été si célèbres et si estimés dans l'antiquité, qu'au rapport de saint Jérome, ils étoient lus publiqument dans l'Eglise après les saintes écritures, (Catalog. scriptorum Ecclesiast. c. 15, tome IV, part. II, page 126.) Saint Ephrem, dis-je, a fait un discours sur l'obligation dans laquelle sont tous les Chrétiens de s'abstenir des divertissemens contraires à la [-38-] sainteté du Christianisme: pouvoit-il manquer de s'y élever contre les danses? Voyons en quels termes il en parle. (Edition de Cologne, page 107 et suiv.) "Qui jamais, dit ce Saint, pourra montrer qu'il est permis à des Chrétiens de danser? Qui des Prophêtes l'a enseigné? Quel Evangile l'autorise? Dans quel livre des Apôtres trouve-t-on aucune décision favorable aux danses? Si un pareil divertissement peut être permis à des Chrétiens, il faut dire que tout est plein d'erreur dans la Loi, les Prophêtes, les Ecrits des Apôtres, et les Evangiles. Mais si toutes les paroles de ces saints livres font véritables et inspirées de Dieu, comme elles le sont en effet, il est incontestable qu'il est défendu à des Chrétiens de rechercher les divertissemens dont nous venons de parler: Si Dei haec sint verba, et vera et divinitùs inspirata, ut reverâ sunt: nefas sanè fuerit, Christianis quae jam dixerunt agere...... N'employons donc pas, je vous en conjure, mes chers freres, à ces coupables divertissemens le temps qui nous est donné pour faire pénitence. Ecoutons plutôt le Prophête David, qui nous crie: (Ps. 94, v. 2.) Prévenons la face du Seigneur avec une confession humble...... Prévenons-le avant que nous entendions ce cri: (Math. 26, v. 6.) Voilà l'Epoux qui vient. Comment le [-39-] saint Prophête veut-il que nous prévenions la face, ou l'arrivée du Seigneur? C'est, dit-il, par le chant des pseaumes, et non par des divertissemens ridicules: c'est par le chant, non des cantiques du diable, qui sont les mauvaises chansons, mais des cantiques du Seigneur." Venez, continue David, (v. 6.) Adorons-le, prosternons-nous devant lui; et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits: le Prophête ne dit pas: jouons des instrumens pour nous divertir; mais chantons les pseaumes: "Ce chant met en fuite les démons. Mais, où il y a des danses et des instrumens pour y exciter, là est la fête du diable, et les saints Anges sont dans la tristesse:" Ubi citharae ac chori, ibi Angelorum tristitia, et diaboli festum. "O funeste artifice du démon! et avec quelle malheureuse adresse trompe-t-il les ames et persuade-t-il aux Chrétiens de faire le mal au lieu du bien! Aujourd'hui on les verra s'adonner aux danses selon la doctrine de Satan, aujourd'hui ils paroissent le renoncer, et demain ils le suivent. Aujourd'hui ils semblent s'attacher à Jesus-Christ, et le lendemain ils le déshonorent et le renoncent. Aujourd'hui Chrétiens, et demain Païens: aujourd'hui religieux, et demain impies: aujourd'hui serviteurs de Jesus-Christ, et demain apostats [-40-] et ennemis de Dieu. Ne vous y trompez pas, mes freres, ne vous y trompez pas: on ne peut servir tout à-la-fois deux maîtres, selon la parole de Jesus-Christ, (Math. c. 6, v. 2.) On ne peut servir Dieu, et danser en quelque sorte avec le démon: Nemo potest Deo servire, ac cum diabolo choreas ducere.......... Ne chantez point aujourd'hui avec les Anges les cantiques du Seigneur, pour être demain aux danses avec les démons: Noli hodiè psallere cum Angelis; et crastinâ die in tripudiis esse cum daemonibus. Souvenons-nous de la menace que le Seigneur a faite en disant: (Luc. 6, v. 25.) Malheur à vous, qui êtes dans la joie! parce que vous serez dans l'affliction et dans les pleurs... Vous savez, mes freres, nous dit saint Paul, (Gal. c. 3, v. 27.) Que nous tous qui avons été baptisés, avons été revêtus de Jesus-Christ. Comment donc en nous dépouillant de Jesus-Christ, c'est-à-dire, de ses sentimens, voulons-nous servir à l'Ante-Christ? Nous avons reçu de l'Apôtre le commandement de tout faire pour la gloire de Dieu. (I. Cor. c. 10. v. 31.) Est-ce à quoi l'on fait attention dans les danses?... Je vous le répete, mes freres, ces divertissemens ne conviennent point à des Chrétiens, mais aux Païens qui ne connoissent point Dieu: [-41-] Iterum dico, non sunt ista Christianorum, sed gentium Deum non habentium. Pourquoi, ô homme, vous tant agiter pour vous procurer des plaisirs? Un seul accès de fiévre peut mettre fin à vos danses et à vos autres divertissemens. Une seule heure peut vous séparer pour toujours de ceux et de celles avec qui vous avez coutume de danser. En une seule heure ces pieds dont vous faites un si mauvais usage, peuvent être sans mouvement. Alors tous ceux qui ont été les compagnons de vos plaisirs se retireront, en vous abandonnant. Il n'y aura plus près de vous que les démons, ces esprits invisibles à qui vous avez obéi, et qui n'attendront que le consentement du Seigneur pour entraîner votre malheureuse ame dans le lieu des supplices qui lui sont préparés, et où elle recueillera ce qu'elle aura semé, je veux dire, les pleurs, l'affliction, le serrement de coeur, les grincemens de dents et toutes sortes de maux. En effet, on ne peut ici-bas se plaire comme les démons dans les danses, et se réjouir avec les Anges dans le ciel: Neque enim licet et hîc cum daemonibus choreis delectari, et ibi cum Angelis psallere."

Après avoir entendu Saint Ephrem parler si fortement contre les danses, et alléguer de si puissans motifs et de si fortes raisons [-42-] pour les condamner, tous ceux qui osent en prendre la défense ne doivent-ils pas être pour toujours réduits au silence, ou ne parler que pour reconnoître humblement l'erreur où ils ont été jusqu'à présent à ce sujet, et dans laquelle ils en ont peut-être malheureusement entraîné beaucoup d'autres?

Je finis toutes ces autorités des Saints contre les danses, par celle de Saint Charles, Archevêque de Milan, qui a fait un traité entier contre ces divertissemens, si persévéramment proscrits et si opiniâtrément défendus. Il dit en particulier dans ce Traité en Latin, (c. 16.) "Qu'il se souvient que lui et quelques camarades, lorsqui'ils étoient encore écoliers et laïques, entraînerent, comme malgré lui, à une assemblée de danses un Philosophe très-grave, qui ayant considéré avec attention cette sorte de divertissement, et ce qui s'y passoit, fut extrêmement surpris de ce qu'il y vit, et s'écria dans sa surprise, que c'étoit-là une invention toute singuliere pour corrompre les moeurs. Cùm genus ludi contemplatus esset, magnâ affectus admiratione clamavit, illud esse inventum ad mores depravandos singulare." Saint Charles a présidé aux Conciles de Milan tenus de son temps, ainsi on trouve ses sentimens sur les danses dans les réglemens de ces Conciles.

[-43-] Dans le troisieme, (Part. I. des Actes, page 69.) où il est parlé de la maniere de célébrer les fêtes des Saints, les danses y sont expressément défendues; et quoique le Concile les réprouve d'une maniere particuliere, aux heures où l'on célèbre l'office divin, ce qu'il dit des maux de toute espèce que les danses en général entraînent après elles, fait voir qu'elles ne sont permises en aucun temps, ni en aucune circonstance. "On ne s'assemble jamais pour les danses, est-il dit dans ce Concile, sans que Dieu y soit beaucoup et très-grièvement offensé: Ad choreas, tripudia, saltationes, numquam fere conveniri solet, sinè multis et iis quidem gravissimis Dei offensionibus." Et comment le Concile montre-t-il que les Danses sont pour l'ordinaire une source de beaucoup et de très-grands péchés? "C'est, dit-il, à cause des pensées déshonnêtes, des paroles impures, de la corruption des moeurs, et des pernicieuses amorces pour toutes les oeuvres de la chair qui y sont continuellement jointes: Idque ob turpes cogitationes, obscaena dicta, inhonestas actiones, morum corruptelas, et perniciosas ad omnia opera carnis illecebras illis perpetuò conjunctas." Le Concile va jusqu'a dire, "Que les adulteres et les plus honteuses actions d'impudicité, aussi-bien que les querelles et les meurtres, et beaucoup [-44-] d'autres maux, sont très-souvent les malheureux fruits des danses: Tum propter caedes, rixas, dissidia, stupra, adulteria, aliaque mala plurima inde consequentia." Pour marquer en détail quelques-uns de ces autres maux, le Concile ajoute: "Que par ces funestes divertissemens par lesquels le diable attire les ames, beaucoup de fidèles sont détournés des offices divins, de la priere, des saintes lectures, et de l'assistance aux instructions, particulièrement nécessaires à ceux qui sont dans l'ignorance de la Religion, dont le nombre n'est que trop grand, et des autres exercices de piété par lesquels les jours particulièrement consacrés à Dieu doivent être sanctifiés: Iis ipsis diebus fideles plerosque nefariis istis blanditiis satanae illectos, à divinis officiis religiosis supplicationibus lectionibusque sacris abduci, avertique rudes a percipiendis fidei rudimentis aliosque ab aliis Christianae pietatis, in quae eo tempore religiosè incumbendum est, abstrahi et amoveri." Le Concile finit par dire: "Que ces maux sont certainement très-grands devant Dieu et devant l'Eglise: Hoc certè gravissimum est in conspectu Dei et Ecclesiae." Peut-on avoir tant soit peu à coeur son salut, et s'exposer en aimant les danses à tant et de si grands maux? Mais sur-tout comment avec un peu de foi peut-on [-45-] ne pas craindre de s'en charger devant Dieu, même sans commettre soi-même ces péchés, en prenant la défense des danses qui en sont la source?

Le quatrieme Concile de Milan, (Act. Part. III. page 143. columna secunda), recommande aux Curés d'avoir pour le temps de la visite de l'Evêque, une liste de ceux dans la conduite publique desquels il y aura quelque chose à reprendre et à corriger, afin que l'Evêque leur donne les avertissemens nécessaires, et emploie, s'il le faut, son autorité pour les faire rentrer dans leur devoir: et marquant qui sont ceux qui doivent être mis sur cette liste, après avoir nommé les hérétiques, les blasphémateurs, les usuriers, les concubinaires, et autres pécheurs semblables , il nomme "ceux qui ont coutume de profaner les jours de fêtes par des oeuvres serviles, par des danses, et autres actions semblables: Illorum qui servilibus operibus dies festos violant, aut choreis aliisque ejusmodi actionibus profanare soleant."

Dans les instructions que saint Charles a faites pour les prédicatuers, parlant des mauvaises coutumes qu'ils ne doivent cesser de reprendre dans leurs instructions, et qu'ils doivent s'efforcer d'abolir, comme donnant lieu à beaucoup de péchés, il marque en particulier les danses, lesquelles, [-46-] dit-il, excitent dans les ames des inclinations et des passions qui leur donnent la mort: "Choreas, saltationes et tripudia è quibus mortiferae cupiditates excitantur, de suggestu saepè graviter reprehendet atque insectabitur." Que faut-il donc penser des Confesseurs qui souffrent tranquillement leurs Pénitens et leurs Pénitentes aller aux bals et aux danses? Et si le silence des Prédicateurs ou des Confesseurs à cet égard, suffit seul pour les rendre très-criminels devant Dieu, combien plus le sont ceux qui ne rougissent pas d'avancer qu'il n'y a rien de mauvais dans ces sortes de divertissemens, et qu'on peut se les procurer innocemment, pourvu qu'on n'ait point de mauvaises intentions en les recherchant!

Saint Charles recommande encore aux Prédicateurs de s'efforcer de déraciner les abus que la corruption des moeurs à introduits dans les noces: et entre ces abus, il marque principalement les danses. (Act. Part. IV, page 402, col. I, à la fin.) Praecipuè vero in id incumbet, ut si quae morum corruptelae nuptiis celebrandis ex depravato usu adhibentur, radicitus extirpentur, praesertim saltationes, choreae, et cetera.

Enfin, dans les Canons pénitentiaux, (c'est-à-dire, dans les régles pour bien administrer le sacrement de Pénitence) dont saint Charles veut que les Confesseurs soient instruits, [-47-] pour s'y conformer dans l'imposition des pénitences que ces Canons prescrivent, on voit qu'en parlant du troisieme Commandement qui ordonne la sanctification des Dimanches, ils imposent une pénitence de trois ans à ceux qui auront dansé devant les Eglises, ou un jour de fête, après avoir promis de ne le plus faire. (Act. Part. IV. page 436. col. secunda.) Si quis ante ecclesias, vel die festo saltationes (quas ballationes vocant) fecerit, emendationem pollicitus, poenitentiam aget tribus annis. Il est vrai qu'il s'agit dans ce Canon des danses faites devant l'Eglise, ou un jour de fête; mais nous avons vu avec quelle force saint Charles a parlé contre les danses en général, et quelle effroyable peinture il a faite des funestes suites qu'elles entraînent pour l'ordinaire après elles. Si donc la circonstance particuliere d'avoir dansé devant une Eglise, ou un jour de fête, exige qu'on impose pour être dans cette danse une pénitence de trois ans, ne seroit-il pas contre toute raison de penser que les danses faites dans des places publiques éloignées de l'Eglise, ou dans des maisons particulieres, ne méritent aucune pénitence? Parce qu'une faute n'est pas aussi griève qu'une autre, s'ensuit-il qu'on puisse se la permettre plus facilement, ou qu'il ne faille faire aucune pénitence pour l'expier après s'en être rendu coupable?

[-48-] CHAPITRE IV.

Jugement des Conciles contre les danses.

Le Concile de Laodicée, tenu selon les uns en 364, sous le Pape Libere, et selon d'autres en 367, sous le Pape Damase, déclare dans le Canon 53. (Conciles du page Labbe, tome I, page 1506,) "qu'il ne faut pas que les Chrétiens qui vont aux noces, s'y conduisent d'une maniere honteuse et indécente, ou qu'ils y dansent; mais qu'ils doivent seulement dîner ou souper modestement comme il convient à des Chrétiens." Le Concile permet aux Chrétiens de faire aux noces des repas où tout se passe sagement, et il ne leur permet point les danses, comme n'étant point convenables à la sainteté de leur vocation, parce qu'on ne peut éviter d'y pécher, comme on peut l'éviter dans les repas qui sont nécessaires, en observant les régles de la tempérance.

Le troisieme Concile de Tolede en Espagne, tenu en 589, sous le Pape Pélage II, dit dans le Canon 23, (Labbe, tome V, page 2014, à la fin.) "Il faut entièrement abolir la coutume irréligiuse qui s'est introduite aux fêtes des Saints, que les peuples au lieu d'assister à l'office divin, emploient le temps à des danses et à des [-49-] mauvaises chansons, ce qui fait que non-seulement ils se nuisent à eux-mêmes, mais ils troublent encore par le bruit qu'ils font la piété des Chrétiens plus religieux." Le Concile recommande aux Ministres du Seigneur et aux Juges séculiers d'employer tous leurs soins pour bannir ce désordre de toute l'Espagne.

Le Concile appellé in trullo, (qui veut dire dôme, parce qu'il fut tenu sous un dôme dans le palais de l'Empereur Justinien) déclare: "qu'il condamne et bannit les danses publiques des femmes, comme entraînant après elles beaucoup de fautes, et la perte d'un grand nombre d'ames, (Can. 62. Labbe, tome VI, page 1169.) Publicas mulierum saltationes multam noxam exitiumque afferentes.... amandamus et expellimus."

Le Concile Romain tenu en 826, sous le Pape Eugene II, se plaint, (Can. 35. Labbe, tome VI, page 112,) "qu'il y en a, et surtout des femmes, qui font en sorte qu'on vienne aux jours de fêtes, non dans des vues droites et saintes qu'on doit avoir, mais pour danser et chanter des chansons honteuses. Si ceux qui se conduisent ainsi, ajoute le Concile, sont venus à l'Eglise avec de moindres péchés, ils s'en retournent avec de plus grands. Que les Prêtres aient donc grand soin d'avertir le peuple [-50-] qu'on ne doit venir à l'Eglise en ces saints jours que pour prier."

Le Concile de Rouen, tenu l'an 1581. (Labbe, tome XV, page 825,) s'exprime ainsi: "Nous connoissons et nous éprouvons combien sont grands les artifices du diable pour substituer son culte à celui de Dieu et des Saints." Il en donne pour preuves, qu'aux fêtes solemnelles des Apôtres et des autres Saints, "on tient des foires et des marchés publics, par lesquels non-seulement cet esprit de malice détourne le peuple de fréquenter les Eglises et d'assister à l'office divin et à la prédication de la parole de Dieu, mais où il a encore trouvé moyen d'introduire beaucoup de tromperies, de fraudes, de parjures, de blasphêmes, d'injures et d'outrages faits au prochain, et des jeux obscenes et impudiques: en sorte que les débauches ont en ces jours-là pris la place des aumônes, les danses, celle de la priere, et les bouffonneries, celle des prédications qu'on devroit aller entendre: Diabolus eleemo sinas vertit in crapulas, orationem in choreas, et concionem in scurrilitatem." Après cette plainte, les Peres du Concile disent: "Nous condamnons et réprouvons les ivrogneries, les disputes, les jeux mauvais et déshonnêtes, les danses, comme n'étant pleines que de folies, les mauvaises chansons, en [-51-] un mot, tout ce qui ne peut porter qu'à l'impureté, et généralement tout ce qui n'est qu'une profanation des saints jours de fêtes."

Le Concile de Rheims, tenu en 1583, au titre des jours de fêtes, défend expressément de profaner ces saints jours par des jeux et des danses: Iisdem diebus, nemo ludibus, aut choreis det operam. (Labbe, tome 15, page 889.)

Le Concile de Tours, tenu la même année 1583, défend ces danses sous peine d'anathême, et il recommande aux Curés de dénoncer à l'Evêque ceux qui n'auront pas obéi à ce canon, afin que l'Evêque prononce nommément contre eux la sentence d'excommunication. La raison qu'en donne le Concile, c'est "qu'il est absurde, (c'est-à-dire, contre toute raison et contre tout ordre) qu'en des jours qui sont destinés à appaiser la colere de Dieu, les fidèles se laissent détourner, par les artifices et les attraits du diable, des divins offices et des prieres par lesquelles ils doivent s'efforcer d'attirer sur eux le pardon de leurs péchés." (Labbe, tome XV, page 1019.)

Le Concile d'Aix, tenu l'année 1583, fait le même réglement sur la sanctification des fêtes par rapport à la suite des danses, que celui du Concile de Tours, qui vient d'être rapporté: et il y joint la même menace [-52-] d'excommunication contre ceux qui violeront ce réglement. (Labbe, tome XV, page 1146.)

Le Concile d'Avignon, tenu en 1594, met les danses et les spectacles au rang des ivrogneries et des excès de bouche qu'on doit éviter, sur-tout les jours de fête, comme en étant une profanation manifeste: Commessationes, ebrietates, choreae et spectacula, omnisque alia dierum festorum profanatio cessabunt. (Labbe, tome XV, page 1461.)

Le Concile d'Aquilée, tenu en 1596, porte en termes formels: "Le temps des jours de fêtes doit être employé à écouter les prédications, et à assister à la sainte Messe et aux divins offices, et non pas à des festins: beaucoup moins encore doit-on, après qu'on a dîné, employer aux danses et aux jeux un temps destiné à assister à l'office du soir, pour y louer Dieu d'un même coeur et d'une même bouche: Multò minùs peracto prandio ad saltationes et lusus declinandum." Il recommande ensuite aux Evêques d'avoir soin que les Curés insistent souvent sur ce point dans leurs instructions.

Le Concile de Narbonne, tenu en 1609, défendant comme les Conciles précédens, aux jours de fêtes, tous les divertissemens capables de porter à l'impureté: Ne festi dies in lasciviâ agantur, nomme expressément [-53-] les danses, dont il dit qu'il faut s'abstenir, non en ces jours-là seulement, mais principalement en ces jours-là: A choreis, tripudiis, et ludis publicis, dictis diebus prohibitis maximè abstinere debent. Le Concile donner ensuite la raison de cette défense. C'est, dit-il, de peur que Dieu ne se plaigne de la maniere dont nous célébrons les fêtes, comme il se plaignoit autrefois des Juifs au sujets des leurs, en disant par le Prophête Isaïe: (c. I, v. 13.) "Votre encens m'est en abomination, je ne puis plus souffrir vos sabbats et vos autres fêtes où il n'y a qu'iniquité et fainéantise... (v. 14.) Elles me sont à charge, je suis las de les souffrir." (Labbe, tome XV, page 1582.)

Le Concile de Bordeaux, tenu ensuite en 1624, parlant de la célébration des fêtes, commence par remarquer que le coeur de l'homme est si naturellement porté au mal, que ce que les Saints Peres ont autrefois établi pour réunir les peuples dans des assemblées de prieres, ne sert plus, par un renversement étrange, qu'à les emporter dans différens excès. Après quoi il ajoute: "Afin donc que les jours de fêtes établis pour vaquer à la contemplation des choses célestes, et à éclairer les esprits des fidèles sur les choses du salut, soient saintement observées par le peuple Chrétien, nous renouvellons le décret du dernier Concile [-54-] Provincial, en défendant de profaner ces saints jours par aucuns jeux, par des danses ou d'autres excès semblables: Neque ullis commessationibus, ludis, ebrietatibus, choreis et aliis excessibus profanentur. Decretum ultimi (Concilii) Provincialis innovantes praecipimus illud ab omnibus observari." (Labbe, tome XV, page 1642.)

On doit joindre à tous ces réglemens si unanimes des différens Conciles que je viens de citer, celui du troisieme Concile de Milan, que j'ai rapporté plus haut en marquant ce que Saint Charles a pensé des danses. Envain croiroit-on pouvoir affoiblir la preuve qui résulte en général des décrets de ces Conciles contre les danses, sous prétexte qu'il ne s'y agit que des jours de fêtes et de dimanches, et du temps des saints offices; envain voudroit-on en conclure qu'en d'autres jours et en d'autres temps les danses ne sont point défendues par les Conciles. D'abord je demande s'il y a un seul Concile, en quelque temps, en quelque lieu qu'il ait été tenu, qui ait mis les danses au rang des choses indifférentes; et qui ait marqué aucune condition à observer dans les danses, afin qu'en les observant, tous abus et tout danger pour l'ame en soit retranché? Il est incontestable qu'on ne trouve rien de semblable dans aucun Concile: et de-là ne s'ensuit-il pas évidemment que les danses, selon l'idée que nous [-55-] en avons donnée en commençant, sont mauvaises par elles-mêmes et de leur nature; et qu'ainsi il n'est aucun jour, ni aucune circonstance où elles puissent être permises? Mais de plus, si on fait quelque attention aux paroles de plusieurs Conciles que j'ai cités, on a dû remarquer que les danses y sont condamnées, même dans les noces, où l'usage en est plus ordinaire, ce qui en montre le vice essentiel et radical; qu'elles y sont défendues comme étant par elles-mêmes la source d'une infinité de désordres, et par conséquent dangereuses et mauvaises de leur nature: ce qu'on verra en relisant ce que j'ai rapporté du Concile in trullo, et du troisieme Concile de Milan. Si donc ces Conciles insistent particulièrement sur la circonstance des fêtes, c'est que ces misérables divertissemens n'étoient ordinairement pratiqués que ces jours-là, sur-tout dans les campagnes, ce qui n'est encore aujourd'hui que trop commun, et qui occasionne les mêmes suites, les mêmes désordres, dont les Conciles se plaignoient. Au reste, en parlant de ces désordres, des dangers, des maux que j'ai fait considérer dans les danses en général, je n'ai pas prétendu qu'il se trouvent tous réunis dans chacune en particulier; mais je soutiens qu'il n'est aucune danse dans laquelle quelqu'un au moins de ces maux et de ces dangers [-56-] ne se trouve, et cela suffit pour qu'on doive les interdire à tout Chrétien.

CHAPITRE V.

Témoignages des Evêques dans leurs Instructions Pastorales, des Catéchismes, et des Théologiens contre les Danses.

Je pourrois me dispenser d'ajouter de nouvelles autorités à celles des Saints Peres et des Conciles que je viens de citer. Mais puis- je faire trop d'efforts, et employer trop de moyens pour m'opposer à un désordre devenu si commun, et dont tant de gens osent prendre la défense, non par lumiere, mais par prévention pour les coutumes et les maximes du monde, ou même, parce que livrés à l'amour de ses dangereux plaisirs, leur coeur ne peut s'en déprendre?

Dans tous les temps les Evêques les plus éclairés et les plus zélés ont donné des instructions pastorales pour exhorter les fidèles à éviter les danses, et les Curés attentifs au bien des ames confiées à leurs soins, n'ont rien négligé pour les bannir de leurs paroisses. Je me bornerai à en citer qcelques-uns de ces derniers temps.

Je commence par Felix Vialart de Hersé, Evêque de Châlons en Champagne. L'éminente piété, les lumieres et les immenses [-57-] travaux de cet Evêque dans la conduite de son Diocèse, donnent à son témoignage une force et une autorité singuliere.

Lorsqu'il fut élevé sur ce siége, il trouva le Diocèse dans un état qui donna bien de l'exercice à son zèle; et il s'appliqua, infatigablement, à remédier aux abus et aux désordres qui y régnoient. Celui des danses, dont il connoissoit les dangers, ne fut pas négligé; et il a fait plusieurs Instructions Pastorales et plusieurs Ordonnances pour les bannir des lieux et des paroisses où elles étoient en usage. Il a aussi écrit à tous ses Curés plusieurs Lettres circulaires pour les exhorter à employer contre ce désordre tous les efforts, toute l'activité de leur zèle, et toutes les ressources de leur ministère. Je vais rapporter quelques traits de ces Ordonnances, Instructions Pastorales, et Lettres circulaires.

Dans une Ordonnance rendue dans le cours d'une visite de son Diocèse en l'année 1661, (Article III, sur la sanctification des Fêtes, Numero 4.) Monsieur Vialart parle ainsi: "Desirant apporter remède aux abus et scandales qui se commettent fort souvent les Dimanches et les Fêtes, et autres jours de l'année, à l'occasion des danses qui ont coutume de s'y faire, et où Dieu se trouve offensé en plusieurs manieres, nous défendons, sous peine d'excommunication, [-58-] toutes les danses publiques aux principales fêtes de l'année (ces fêtes sont nommées tout de suite....) Comme aussi de danser publiquement les Dimanches et Fêtes commandées, durant le service divin, ou proche l'Eglise, ni sur le cimetiere, ni de nuit, ni avec des chansons dissolues.... Et voulons qu'outre la premiere publication qui sera faite par le Curé de notre présente Ordonnance, dans la huitaine ou quinzaine au plus tard, elle soit encore publiée tous les ans, le Dimanche avant la Fête de tous les Saints, et celui d'après Pâques. Exhortons néanmoins ledit Curé de détourner autant qu'il pourra ses paroissiens d'un divertissement si périlleux et si peu convenable à des Chrétiens, qui ne sont en ce monde que pour faire pénitence; et se souvenir que ceux à qui la danse est en particulier une occasion d'offenser Dieu mortellement et de se damner, sont incapables d'absolution et de communion, s'ils ne promettent tout de bon de la quitter, et ne la quittent effectivement, après avoir manqué à leurs promesses."

Dans une lettre du 9 Octobre 1645, adressée à tous les Doyens, Promoteurs, Curés et Vicaires de son Diocèse, pour empêcher la profanation des jours de Dimanches et de Fêtes, Monsieur Vialart, après s'être plaint [-59-] que ces saints jours ne sont guères plus en honneur que les autres de la semaine, et qu'on n'en fait quasi plus de discernement, ajoute: "Et ce qui est encore plus déplorable, c'est que ces jours de piété tournent en dissolution par les jeux et les danses, par la hantise des tavernes, par des débauches publique et scandaleuses, au mépris du service divin, qui est délaissé, et de la Religion que les hérétiques prennent de-là sujet de décrier et de blasphémer."

Dans une Lettre Pastorale adressée à tous les fidèles de son Diocèse, et datée du 4 Novembre 1654, pour les exhorter à faire un bon usage des calamités publiques dont il avoit plu à Dieu de les visiter les années précédentes, et à se réconcilier avec lui par une sérieuse pénitence et un véritable changement de vie, le saint Prélat entre dans le détail des principaux péchés qui ont pu allumer contre eux le feu de la colere de Dieu, pour les exhorter à y renoncer et à les faire cesser: et, dans ce détail, il marque en particulier les danses. "Que l'on ne profane plus, dit-il, comme on faisoit auparavant, les jours dédiés à la gloire de Dieu, par des oeuvres serviles, par des jeux et des danses dissolues."

Dans le Recueil des Lettres Pastorales de Monsieur Vialart, il y en a une du 16 Novembre [-60-] 1658, adressée à tous ses Curés, pour les exhorter à s'employer avec zèle à combattre et à détruire les vices, les scandales, et les mauvaises coutumes dont il fait une très-longue énumération. Dans cette énumération il n'a eu garde d'omettre les danses. Les plaintes qu'il fait à ce sujet dans cette Lettre Pastorale, méritent une singuliere attention. "En combien de lieux, dit-il, commet on des excès et des débauches honteuses, dans le temps des noces, dont la sainteté est si recommandable; et aux jours de Patrons, qui devroient être honorés par une dévotion extraordinaire, une modestie toute chrétienne, et une sainte imitation de leurs vertus! A leur place, les jeux, les danses dissolues, les intempérances, les querelles s'y pratiquent hautement; voilà, sans doute, de grands maux qui sont dignes de la compassion et des gémissemens des gens de bien.... La véritable charité ne doit point se lasser de parler incessamment contre les vices enracinés, et les mauvaises coutumes, que je viens de toucher. Il faut les reprendre souvent en public dans la Chaire de vérité, en représenter vivement les inconvéniens funestes, et selon la parole de l'Ecriture, se faire une muraille d'airain pour s'y opposer et en arrêter le cours."

En 1676, le 20 Septembre, Monsieur Vialart, [-61-] donna un Mandement où il renouvella les Ordonnances qu'il avoit déjà publiées contre les danses, et défendit à tous ses Curés de recevoir pour présenter un enfant au Baptême, tous ceux et toutes celles qui auroient violé sur ce point ce qu'il ordonnoit.

Parmi un nombre d'écrits pleins de piété et de maximes les plus solides, que ce digne Prélat composa ou fit composer pour l'instruction de son peuple, il y en a un qui est proprement le précis des Ordonnances qu'il avoit faites sur ce sujet.

Enfin il est rapporté dans sa vie, que le 14 Décembre 1665, et le 3 de Septembre 1667, le Parlement de Paris avoit rendu deux Arrêts pour interdire les danses publiques, sous peine de cent livres d'amende, tant contre chacun des contrevenans, que contre les Seigneurs qui les auroient souffertes, et les Officiers qui auroient dû les empêcher et qui ne l'auroient pas fait. Au mois d'Août 1669, on contrevint d'une maniere scandaleuse à ces Arrêts dans le village de Recy, proche de Châlons. Le Présidial qui étoit en bonne intelligence avec le Prélat, et dont le chef étoit un homme de bien, ayant été informé de cette contravention, ordonna par une Sentence de la fin du mois de Septembre 1669, que lesdits Arrêts seroient exécutés dans toutes leur rigueur; et pour les avoir violés, il condamna le Seigneur du [-62-] lieu à deux cens livres d'amende, au lieu de cent prescrites par les Arrêts. Le Seigneur en interjetta appel au Parlement, mais il fut mal reçu. La Cour rendit un Arrêt le 2 Août 1670, par lequel il ordonne que le Seigneur de Recy fera vuider son appel dans six mois, et cependant que l'Arrêt du 2 Septembre 1667 sera exécuté; et suivant icelui, fait inhibition et défenses audit Seigneur et à ses Officiers, de permettre ni de souffrir aucunes danses publiques dans le lieu de Recy, à peine de deux cens livres d'amende, et d'interdiction contre lesdits Officiers. L'auteur de la vie de Monsieur Vialart, après avoir rapporté ce fait mémorable, ajoute que Monsieur de Châlons appuya ce jugement, et s'en servit pour faire connoître le danger de ces sortes de divertissemens, et combien ils étoient contraires à l'esprit du Christianisme pour les moeurs.

D'autres Evêques de France, animés du même zèle que ce saint Prélat, on donné comme lui des instructions Pastorales et des Ordonnances contre les danses; mais ce que je viens d'en rapporter suffit pour montrer à quoi le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut des ames, porte ceux qui en sont chargés par rapport aux danses, si contraires à l'une et à l'autre. Nous avons aussi des instructions Pastorales de plusieurs Evêques de Flandres contre les danses; je [-63-] me contenterai de citer sur cela les noms de quelques-uns de ces Evêques et la date de leurs Instructions. Il y en a une de l'année 1675, d'Alphonse de Berges, Archevêque de Malines; une de 1629, d'Antoine Triest, Evêque de Gand; une de 1604, 25 Février, de Jean Ferdinand, Evêque de Namur.

Il est naturel de joindre à ces Instructions Pastorales, ce qui est dit de la danse dans plusieurs Catéchismes donnés par les Evêques à leurs diocèses. Ces Catéchismes, en parlant sur le sixieme Commandement, des occasions d'impureté qu'il faut fuir avec soin, pour ne pas tomber dans ce vice, mettent expressément au rang de ces occasons, les danses, comme les mauvais livres et les mauvaises chansons.

Ce qu'en dit le Catéchisme du Concile de Trente, tiendra lieu de ce que je pourrois rapporter de quantité d'autres. Entrant dans le détail des occasions d'impureté qu'il faut éviter, il marque pour cinquieme occasion, les entretiens et les discours impurs et déshonnêtes; après avoir cité sur cela les paroles de saint Paul, (I. Cor. c. 15, v. 23.) Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs; le Catéchisme ajoute en termes formels: "Et comme les chansons tendres et amoureuses et les danses produisent le même effet, il faut aussi les éviter soigneusement."

[-64-] Toutes les décisions des bons Théologiens moraux, (c'est-à-dire, qui ont écrit sur les régles des moeurs) s'accordent à défendre les danses comme étant très-pernicieuses.

Le Cardinal Bellarmin, dans son sixieme Sermon, qui est sur le troisieme Dimanche de l'Avent, se fait cette question: peut-être n'y a-t-il pas de mal, ou y en a-t-il peu que les hommes dansent avec des femmes? Et voici sa réponse; "il n'y a rien au contraire de plus pernicieux. Si on peut mettre de la paille dans le feu sans qu'elle brûle, un jeune homme pourra aussi danser avec une fille et une femme sans brûler de feu de l'impureté." Bellarmin rapporte ensuite cette parole de Cicéron, que saint Ambroise avoit rapportée avant lui: qu'il faut être ivre ou fou pour danser. Après quoi ce Cardinal ajoute: "Rougissez; un Payen a pensé plus sainement que vous, et un Payen vous condamnera au jour du jugement: la seule lumiere naturelle a mis ce Payen en état d'enseigner que la danse ne convient qu'à des personnes ivres ou insensées; et vous qui êtes un enfant de Dieu, et qui êtes éclairés de la lumière céleste de l'Evangile, vous chez qui on ne devroit pas seulement nommer de telles inepties, vous avez la folie de vous livrer aux danses, même dans les jours les plus sacrés et les plus solemnels."

[-65-] Le même Bellarmin, dans son dix-neuvieme Sermon, qui est sur le Dimanche de la Quinquagésime, s'éleve en ces termes contre ceux qui donnent ou reçoivent des leçons pour apprendre, non à marcher décemment, mais à danser. "Faut-il donc acheter à prix d'argent l'art de périr pour l'éternité? Je dirai sans hésiter ce que je pense à ce sujet: Si l'adultere et la fornication sont un mal, je ne vois pas comment ce n'en est pas un que des hommes dansent avec des femmes, la danse pouvant facilement porter à ces crimes."

Enfin, dans le troisieme Sermon du même Cardinal, sur ces paroles de saint Luc, (C. I. v. 26.) Dieu envoya l'Ange Gabriel en une ville de Galilée appellée Nazareth, à une Vierge nommé Marie, parlant encore contre les danses, il dit: "O! si au milieu des danses quelqu'un vous ouvroit les yeux pour voir le grand nombre de démons qui sont mêlés parmi ceux qui dansent! O! si quelqu'un pouvoit faire appercevoir avec quel empressement ils s'approchent de ceux et de celles qu'ils trouvent dans les assemblées de danses, et comment ils sont appliqués à jetter dans le coeur des hommes à l'égard des femmes, et des filles à l'égard des hommes, les étincelles ou plutôt les flammes de l'amour impur, pour faire de leurs coeurs [-66-] une fournaise de concupiscence! O! si vous pouviez voir comment ces esprits de malice se réjouissent à la vue de ceux qu'ils ont engagés dans cet amour impur!"

Vincent de Beauvais, de l'Ordre de Saint Dominique, (l. III. page 9, disp. 6,) apporte un grand nombre de raisons pour montrer avec quel soin il faut éviter les danses. Une premiere raison, c'est que le temps de la vie présente n'est pas le temps de songer à se divertir, et sur-tout par un divertissement aussi dissipant que la danse; mais le temps de gémir et de pleurer, parce que nous sommes ici-bas dans un lieu d'exil, dans une vallée de larmes, et comme dans une prison, et que de quelque côté que l'homme se tourne, il ne voit autour de lui que des sujets d'affliction.

La seconde, c'est que les danses sont un culte rendu au démon, qui en a été l'inventeur, qui en est le docteur, et qui y excite.

La troisieme raison pour laquelle ce Théologien veut qu'on évite les danses, c'est à cause du grand nombre de péchés qui s'y rencontrent, parce qu'on y viole les promesses faites au Baptême, qu'on y péche par tous ses membres, qu'on les y immole tous à l'impudicité; et que les chansons lubriques que souvent on y chante, allument nécessairement le feu de la cupidité.

Saint Antonin, Archevêque de Florence, [-67-] (II. part. tit. 6, c. 6,) après avoir comparé les mouvemens de la danse à ceux du démon, qui tourne autour de nous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un qu'il puisse dévorer, et en avoir tiré cette conclusion: "Que ceux qui dansent faisant le chemin du démon, se trouveront un jour avec lui dans l'enfer, qui est le terme de ce chemin;" cite l'endroit de l'Apocalypse où il est dit: (c. 9, v. 1 et suivans.) Que l'Ange ayant sonné de la cinquieme trompette, le puits de l'abysme s'ouvrit, qu'il s'éleva du puits un fumée semblable à celle d'un fournaise, qu'il sortit de cette fumée des sauterelles qui se répandirent sur la terre, et qui reçurent un pouvoir tel que l'ont les scorpions de la terre, qui est de piquer; que ces espèces de sauterelles étoient semblables à des chevaux préparés pour le combat; qu'elles avoient sur la tête comme des couronnes d'or, des cheveux de femmes, et des dents comme des dents de lion: et voici l'explication morale que ce saint Archevêque donne à cet endroit de l'Apocalypse, en en faisant usage contre les danses: "Ces sauterelles, dit-il, sont les personnes qui dansent. Le puits de l'abysme dont les sauterelles sortent, c'est le fond de l'enfer parce que l'amour de la danse est inspiré par les démons, dont l'enfer est la demeure. La fumée de la grande fournaise d'où sortent [-68-] les sauterelles, représente les vapeurs spirituelles, et les effets de la concupiscence et de l'impudicité, qui ont donné naissance aux danses, et qu'elles enflamment de plus en plus. Les sauterelles montrées à saint Jean comme ayant des couronnes d'or et des cheveux de femmes, et étant semblables à des chevaux préparés au combat, signifient que les démons se servent des personnes de l'autre sexe qui dansent et qui avant d'aller à la danse, ont plus de soin de se parer que dans toute occasion, pour attaquer et faire tomber les serviteurs de Dieu, qui sont les ennemis de ces esprits de malice."

Le même Saint continuant à parler contre les danses, traite d'ennemis de Dieu ceux qui les aiment; et il ajoute qu'il n'est pas étonnant qu'on les regarde comme tels, puisqu'ils agissent contre tous les Commandemens de Dieu, et contre tous les Sacremens. Il le prouve par les raisonnemens suivans: "Par les danses, on agit contre le Sacrement de Baptême, parce qu'on viole la promesse solemnelle qu'on y a faite de renoncer au diable, à ses pompes et à ses oeuvres, ne pouvant aimer la danse sans suivre le diable qui y porte, sans s'attacher à ses pompes au rang desquelles il faut certainement mettre les danses, et sans y faire ses oeuvres, qui sont les péchés dont [-69-] (comme nous l'avons déjà dit bien des fois) les danses sont une source très-abondante. Contre le Sacrement de Confirmation, parce qu'après y avoir été marqué au front du sceau de Jesus-Christ, qui est le signe de la croix, on porte par les gestes et les postures indécentes des danses, le sceau et le caractere du démon, de qui vient tout ce qui est immodeste. Contre le Sacrement de Pénitence, parce qu'elles sont un obstacle à l'esprit de gémissement et de componction qu'on doit avoir en s'approchant de ce Sacrement, ou qu'elles vuident le coeur de celui qu'on a eu, et qu'on a dû en rapporter. Contre le Sacrement de l'Eucharistie, parce que par-là on chasse Jesus-Christ de la ville spirituelle de son ame où l'on l'a reçu, pour aller le crucifier dans les assemblées mondaines. Contre le Sacrement de Mariage, qui est aussi outragé par les danses dans les personnes mariées, parce que les danses donnent très-souvent occasion à de mauvaises pensées et à de mauvais desirs, contraires à la fidélité conjugale. Enfin, contre le Sacrement de l'Extrême-Onction, qu'on a peut-être déja reçu dans quelque maladie, ou qu'on espere de recevoir avant de mourir, puisque par les danses on se sert pour offenser Dieu, de ses pieds qui ont été sanctifiés par les onctions qui y ont été [-70-] faites, ou qu'on espere qui y seront faites un jour."

Si ceux qui aiment les danses se déclarent ainsi les ennemis de Dieu par les outrages qu'ils font par elles à tous les sacremens, ils se déclarent en même-temps les ennemis des saints que Dieu glorifie dans le ciel, en profanant leurs fêtes par les danses qui se font en ces jours-là plutôt qu'en tout autre jour; ils ne pourront donc avoir au jugement futur aucuns saints pour intercesseurs, puisqu'ils les auront tous offensés aux jours mêmes que l'Eglise a consacrés à leur culte: et coupables comme nous sommes de tant de péchés, que deviendrons-nous quand Dieu nous jugera, si ceux que nous pouvons avoir pour intercesseurs auprès de lui se rendent nos accusateurs, à cause des outrages que nous leur aurons faits!

Le pieux et savant Gerson, Chancelier de l'Eglise de Paris, dans un Sermon sur le troisieme Dimanche de l'Avent, où il parle de la luxure, dit de ce vice: Qu'il est un serpent venimeux, qui pour blesser les ames se cache et se glisse comme sous l'herbe verte des plaisirs mondains. (Tome III, page 921.) Venenosum serpentem qui se occultat in herbâ viridi mundanae voluptatis. Ensuite il dit en particulier des danses, qui sont un de ces plaisirs mondains et des plus dangereux: Que la fragilité des hommes est [-71-] telle, que les danses deviennent le principe presque inévitable d'une multitude de péchés. (Ibidem page 925.) Fragilitas hominum talis est, quemadmodum difficulter fiunt choreae sine diversis peccatis. Il va même jusqu'à dire peu après, que tous les péchés se trouvent comme rassemblés dans les danses: Nota quod omnia peccata chorisant in choreâ. En rapportant le sentiment de plusieurs saints et de plusieurs grands hommes, qui, à l'envi les uns des autres, ont condamné les danses et se sont efforcés d'en détourner, je ne dois pas omettre ce qu'en écrit en Latin, François Pétrarque, Italien de naissance, un des plus beaux génies de son siécle, mort en 1374 Chanoine de Padoüe. Dans le premier des Livres a qui il a donné pour titre: Des remèdes contre la bonne et la mauvaise fortune, et qu'il a fait en forme de dialogue; au vingt-quatrieme dialogue, qui est sur les danses, il fait parler la joie et la raison. La joie dit qu'elle trouve un grand plaisir dans les danses; qu'elle s'y porte avec ardeur, et que c'est pour elle un divertissement très-agréable, dont elle ne peut se détacher. Qu'est-ce que Pétrarque fait répondre sur cela à la raison? Rendons nous y bien attentifs: "Je serois bien surpris, dit la raison, si le son de la lyre et de la flûte (c'est-à-dire en général tous les instrumens) n'excitoit pas à [-72-] danser, et si une vanité n'en entraînoit pas une autre, mais beaucoup plus grande et plus honteuse; car on trouve dans le chant un plaisir qui est souvent utile et saint, puisqu'en chantant de saints cantiques, on peut être par-là élevé à Dieu et aux choses spirituelles; mais, dans les danses, il n'y a rien qui ne soit propre à porter au crime, et qui ne passe les bornes de l'honnêteté et des moeurs." Ex choreis nihil unquam nisi libidinosum. "Elle offrent un spectacle ridicule, qui ne peut que déplaire à des yeux chastes, et qui est indigne d'un homme sensé, inane spectaculum, honestis invisum oculis, viro indignum. L'agitation des mains, les mouvemens trop légers des pieds, la dissipation et la hardiesse des regards, montrent qu'il y a dans l'ame quelque chose de déréglé qui ne peut être vû des yeux du corps. Ceux qui ont quelque amour pour la modestie, doivent extrêmement prendre garde à ne rien faire paroître d'efféminé dans leurs paroles ou dans leurs actions, parce que les sentimens les plus cachés, les plis et les replis du coeur les plus secrets se manifestent souvent par de forts petits indices. Le mouvement du corps, la maniere d'être assis ou couché, les gestes, le ris, la démarche; le discours, sont autant de [-73-] signes qui produisent en quelque sorte au dehors ce qu'il y a dans l'ame.... O plaisir ridicule que celui des danses! Supposez que vous assistiez à une danse où il n'y a point d'instrumens, et que vous y voyiez des femmes, et des hommes encore plus efféminés que les femmes, faire en silence tous les différens tours qui se font dans les danses; revenir sans cesse au lieu d'où il sont partis, et faire toutes les autres inepties qui accompagnent les danses; dites-moi, je vous prie, si vous avez jamais rien vû de si ridicule, ni de plus extravagant? A présent le son des instrumens, en occupant de ce qui frappe l'oreille, empêche qu'on ne soit aussi attentif à ce qu'il y a de ridicule et d'indécent dans les mouvemens du corps qui se font aux danses; mais alors c'est une folie qui en couvre une autre: Amentia una aliam tegit. En dansant on pense moins au plaisir présent, qu'à celui qu'on se promet ensuite. La danse est donc comme un prélude de l'impureté: Non tam ibi delectatio praesens est quàm speratae delectationis auspicium, veneris praeludium illud quidem. La liberté qu'on y donne à ses mains, à ses yeux et à sa langue, la mollesse du chant et les ténébres de la nuit, pendant laquelle les danses se font souvent, et qui est naturellement ennemie de la [-74-] pudeur et l'amie des crimes, puisqu'elle donne plus de liberté pour les commettre; tout cela chasse la retenue qu'inspire la pudeur, et lâche la bride aux passions. Voilà, si je ne me trompe, le plaisir que vous croyez rendre innocent en lui donnant le nom de danse, en couvrant ainsi le crime sous le voile d'un jeu et d'un divertissement permis. Ludi tegmine crimen obnubitis.... Otez toute impudicité, et vous aurez bientôt ôté les danses: Tolle lidinem, sustuleris choream. Dans les danses, c'est la légèreté de l'esprit qui rend les corps si légers, et qui leur donne tant de facilité à se tourner de tous côtés: In choreis animorum volubilitas corpora secum volvit: En sorte que c'est proprement aux danses qu'on peut avec raison appliquer cette parole du Pseaume II, v. 9. Les impies marchent en tournant sans cesse: In circuitu impii ambulant. Ce jeu, puisqu'on veut l'appeller ainsi, a été cause de beaucoup d'infamies: Hic ludus multorum stuprorum causa fuit."

Tel est le jugement de Pétrarque sur les danses qui se faisoient de son temps, et qui assurément n'étoient pas plus criminelles que celles d'à-présent. Monsieur l'Evêque de Châlons, dont j'ai rapporté plus haut les Ordonnances contre les danses, pensa que s'il pouvoit alléguer contre elles l'autorité de quelque [-75-] homme du monde, en réputation par son esprit et ses écrits, son sentiment pourroit être plus capable de faire impression (comme n'étant pas suspect d'étre trop sévere), que celui des Ministres de l'Eglise, ou des personnes de piété, auxquelles, pour avoir un prétexte de ne se pas rendre à ce qu'ils disent de meilleur, on attribue une sévérité outrée. Dans cette pensée, Monsieur l'Evêque de Châlons écrivit, ou fit écrire à Monsieur le Comte de Bussi-Rabutin, pour sçavoir ce qu'il pensoit du bal; il fut bien aise d'apprendre par la réponse qu'il fit, qu'il le croyoit très-dangereux. Ce saint Evêque ayant pensé, avec raison, que le sentiment d'un homme qui n'avoit que trop connu le monde, et n'y avoit été que trop répandu, mais qui heureusement étoit alors bien détrompé de ses fausses maximes et de ses pernicieuses coutumes, pourroit beaucoup servir à détromper aussi plusieurs de ce grand nombre de personnes qui ne se font point scrupule de se trouver à ces assemblées; je crois par la même raison devoir rapporter ici ce que Monsieur de Bussi a dit à ce sujet dans un discours à ses enfans, où vers la fin, il les instruit sur la maniere de se bien conduire dans le monde. Ce discours a été imprimé en 1694, à Paris, chez Anisson, Directeur de l'Imprimerie Royale.

Voici les propres paroles de l'illustre [-76-] courtisan détrompé: (page 426 et suiv.) "J'ai toujours cru les bals dangereux; ce n'a pas été seulement ma raison qui me l'a fait croire, ç'a encore été mon expérience; et quoique le témoignage des Peres de l'Eglise soit bien fort, je tiens que sur ce chapitre celui d'un courtisan doit être de plus grand poids. Je sçais bien qu'il y a des gens qui courent moins de hazard en ces lieux-là que d'autres; cependant les tempéramens les plus froids s'y réchauffent. Ce ne sont d'ordinaire que de jeunes gens qui composent ces sortes d'assemblées, lesquels ont assez de peine à résister aux tentations dans la solitude; à plus forte raison dans ces lieux-là, où les beaux objets, les flambeaux, les violons et l'agitation de la danse échaufferoient des Anachorettes. Les vieilles gens qui pourroient aller au bal sans intéresser leur conscience, seroient ridicules d'y aller; et les jeunes gens, à qui la bienséance le permettroit, ne le pourroient pas sans s'exposer à de trop grands périls. Ainsi, je tiens qu'il ne faut point aller au bal quand on est Chrétien; et je crois que les directeurs feroient leur devoir, s'ils exigeoient de ceux dont ils gouvernent les consciences, qu'ils n'y allassent jamais."

Il est beau de voir un homme du monde et d'un si rare génie, donner ici des leçons [-77-] aux directeurs de conscience sur la maniere dont ils doivent se conduire à l'égard de leurs pénitens et pénitentes qui fréquentent les bals et autres assemblées de danses. Après cela, accusera-t-on de rigorisme ceux qui tiennent ferme pour ne pas permettre ce qu'un homme instruit par sa propre expérience, plus que par les livres, s'est crû obligé de recommander à ses enfans d'éviter?

Après avoir rapporté le jugement que des Théologiens plus anciens ont porté de la danse, je vais en citer quelques autres plus récens, et qui par-là peuvent nous être plus connus.

Henri de Saint-Ignace, de l'Ordre des Carmes, dans son sçavant ouvrage auquel il a donné pour titre: Ethica amoris, c'est-à-dire, la morale de l'amour, traitant, par rapport au sixieme Commandement, de l'amour qui doit réprimer la concupiscence, emploie un chapitre entier à montrer que les danses sont si dangereuses, qu'elles se passent rarement, ou même jamais sans péché: Chorearum et saltationum frequentatio adeò periculosa est, ut sinè peccato rarò vel nunquam fiat. C'est le titre du chapitre X de la sixieme partie de livre X, qui traite des préceptes du décalogue. (Tome II, page 185 du chiffre Romain.)

Le Pere Alexandre, célébre Jacobin, dans sa Théologie morale et dogmatique, [-78-] expliquant le sixieme Commandement, et prescrivant des régles pour l'observer exactement, donne pour huitieme régle, que les danses sont dangereuses pour la chasteté et l'innocence chrétienne, et que pour cette raison les fidèles doivent les éviter. (Tome II, page 822.) Saltationes et choreae periculosae sunt castitati et innocentiae christianae, eoque nomine vitandae sunt à fidelibus.

On peut voir encore sur cela la morale de Grenoble, et les conférences de Luçon. En un mot, il n'est aucun bon livre de morale, dont l'Auteur, s'il a occasion de parler des danses, n'en parle pour les condamner, et pour exhorter les fidèles à s'en abstenir.

La Faculté de Théologie de Paris, dans ses articles de Doctrine, imprimés chez Estienne, parlant des comédies, des bals et des danses, s'exprime ainsi dans l'article 73 de la premiere partie: "Les comédies et les autres spectacles sont justement défendus; c'est un péché que d'y assister: il faut porter le même jugement des bals, et généralement toutes sortes de danses doivent être regardées comme dangereuses. Comediae aliaque ejusmodi spectacula vetita sunt, iisque interesse peccatum est; idem judicandum de choreis quae vulgo bals vocantur: eaetera verò saltationum genera periculosa."

[-79-] Il y a quelques années qu'on donna au public les décisions d'un assez bon nombre de Docteurs de Sorbonne sur plusieurs questions proposées par rapport aux danses; et les réponses faites à chaque question tendent à montrer les dangers des danses, et que les Curés et les Confesseurs doivent apporter tous leurs soins pour en inspirer beaucoup d'éloignement à tous ceux dont ils sont chargés. Ce cas de conscience a été imprimé chez Philippe-Nic. Lottin, et les Docteurs qui l'ont signé sont au nombre de dix-neuf.

Si au jugement des Théologiens Catholiques, je voulois joindre celui des Théologiens Protestants, ne pourrois-je pas en citer plusieurs? Et après tout, pourquoi hésitons-nous à appeller en témoignage contre les danses ces Théologiens, quoique séparés de la Communion de l'Eglise, puisque saint Ambroise n'a pas dédaigné de rapporter à ce sujet la parole de Cicéron, célébre Orateur Payen? D'ailleurs cette réunion des Théologiens des différentes Communions, si opposés d'ailleurs entre eux, démontre la certitude d'un point de Doctrine sur lequel ils sont d'accord, et il semble même qu'étant enseigné par des Docteurs étrangers à l'Eglise, des enfans de l'Eglise doivent rougir de penser moins sainement qu'eux.

[-80-] CHAPITRE VI.

Témoignages d'Auteurs et de Ministres Protestans contre les Danses.

Le premier que je nommerai est Gisbertus Vossius (ou Voctius) Professeur de Théologie en l'Académie d'Utrecht; dans la quatrieme partie de ses disputes Théologiques, au titre, des choses élevées de ce monde. Sur le septieme Commandement, page 336, il déclare que la profession de Maître à danser, en tant que ceux qui l'exercent, apprennent autre chose qu'à se bien tenir et à marcher décemment, est une profession illégitime, comme celle des Comédiens; et que les Magistrats Chrétiens ne doivent point souffrir qu'on fasse des leçons publiques de danses. Dans le même endroit, Vossius rapporte les Synodes des Protestans qui ont décerné des censures contre ceux qui fréquentoient les danses, les jugeant indignes d'assister aux assemblées publiques de prieres, et de faire la scene. Plus bas, (page 346,) le même Auteur ne permet pas d'apprendre à danser en son particulier: et la raison qu'il en donne, c'est "qu'il est à craindre que quand on l'aura appris, on ne fasse montre de sa science à cet égard; ou si on n'a pas cette intention, et qu'en effet on n'en doive [-81-] point faire usage, pourquoi, (dit Vossius) perdre le temps à apprendre ce qu'on n'a pas dessein de faire quand on le sçaura?"

En s'élevant ainsi contre les danses, Vossius propose des moyens Ecclésiastiques et Politiques, qu'il croit qu'on doit employer pour les abolir. Entre les moyens Ecclésiastiques, le premier qu'il propose, c'est que tous ceux qui sont chargés du ministère de l'instruction et de la parole, soient unanimes à condamner hautement les danses, et le fassent souvent. Le second moyen est de reprendre en particulier, et même, s'il le faut, en public, ceux qu'on voit fréquenter les danses. Le troisieme, c'est, comme je viens de le dire, d'interdire la cêne à ceux et à celles qui ne voudront pas renoncer aux danses, et de les frapper enfin des censures, s'ils sont incorrigibles.

Entre les moyens politiques qu'il propose à ceux qui ont l'autorité temporelle, le premier est de ne souffrir aucune école publique de danses; le second, de condamner à des amendes ceux qui prêtent ou louent leur maison pour des assemblées de danses; le troisieme, de condamner à de pareilles amendes ceux et celles qu'on surprendra dansant dans les foires, dans les places publiques ou dans les rues, après que la défense en aura été faite.

A ce Ministre Protestant, j'en joindrai un [-82-] nombre d'autres, qui ont composé en commun un traité contre les danses, qu'ils ont adressé au Roi de Navarre par un Epître dédicatoire, à la fin de laquelle ils prennent la qualité de Ministres du saint Evangile, ès Eglises Françoises Réformées. Ce traité a été imprimé en 1679, chez François Estienne; (le lieu de l'impression n'est point marqué.) Il porte pour titre: Traité des Danses, auquel est amplement résolue la question, à savoir, s'il est permis aux Chrétiens de danser.

Ces Ministres emploient tout ce traité à montrer par un grand nombre d'autorités des saints Ecritures et des Peres, et par les plus fortes raisons, que les danses doivent absolument être interdites aux Chrétiens; et ils le finissent en répondant à plusieurs des raisons qu'on allégue pour les justifier. Lorsque j'ai pris le même plan dans le traité que je donne, je n'avois pas encore lu celui des Ministres; mais ce plan est si naturel et si simple, qu'il se présente de lui-même à l'esprit.

Je vais donner une analyse et un nombre d'extraits de ce traité excellent en lui-même; et quoique François, dans lequel il est composé, soit rempli de termes surannés, qui ne sont plus maintenant en usage, cependant voulant donner les extraits avec la plus exacte fidélité, afin qu'on soit plus touché [-83-] de la force avec laquelle les Ministres, auteurs du traité, ou qui l'ont adopté, parlent contres les danses, je ne supprimerai ni ne changerai de ces termes, si ce n'est peut-être quelques-uns en petit nombre, qui seroient tout-à-fait inintelligibles, ou qui expriment d'une maniere trop grossiere le vice de l'impureté, qu'on fait voir être l'ame et le fruit des danses.

D'abord dans l'Epître dédicatoire au Roi de Navarre, les Ministres, après s'être plaints des efforts que beaucoup de gens font pour justifier les danses, disent: "Nous sommes dans un siécle si débordé, qu'il n'y a rien de si louable qui ne soit condamné, ni si détestable qui ne soit approuvé; mais pour tout cela jamais mensonge ne deviendra vérité, et ne doivent les vrais Ministres et Pasteurs être moins courageux à maintenir la vérité de l'Eglise, que ceux-là sont effrontés à l'assaillir."

En conséquence ils déclarent, qu'il a été avisé entr'eux: "Etre très-nécessaire de mettre ce traité en lumiere, pour assurer en bien ceux qui ne sont pas encore débauchés en mal, remener au chemin ceux qui s'étant aucunement égarés, se rendent toutefois dociles et capables de raison, et convaincre les plus incorrigibles et opiniâtres, afin de les retrancher finallement du troupeau, et les tenir pour tels, non pas [-84-] qu'ils se disent, mais qu'ils sont à la vérité, faisant profession de connoître Dieu, dit l'Apôtre, mais le reniant par oeuvres."

Après cette Epître dédicatoire, suit un Sonnet dont voici les quatre premiers vers:

D'entre les maux que le courroux des Cieux

A dessus nous versés en abondance,

Point n'y en a, qui, ainsi que la danse,

Par sa douceur, soit plus pernicieux.

Chapitre II.

Pour procéder avec ordre dans ce traité, et ôter tout lieu d'échapper à la force des autorités et des raisons que ces Auteurs alléguent, ils commencent par donner l'idée des danses contre lesquelles ils écrivent: "Les danses, disent-ils, sont sauts et mouvemens, mesurés de façons diverses, en assemblées d'hommes et de femmes, au son de choses vaines et profanes, et non à autre fin que de prendre et donner du plaisir. Voilà les danses d'aujourd'hui, voire même à les considérer en leur plus grande simplicité, et sans infinies circonstances, qui ne leur apportent rien de mieux. Or ce sont plaisirs du monde que nous ne pouvons aucunement approuver."

[-85-] Chapitre III.

Leur premiere raison pour les condamner, "c'est qu'elles ont toujours été effets, suites et dépendances de très-grands vices, comme d'intempérance, d'impudicité. Là où la sobriété sera plus étroite, les danses ne logeront point; mais à la suite des grandes cheres et banquets...... Qu'il n'y avoit point de danses en la compagnie de Jesus-Christ et de saint Jean-Baptiste, mais en la cour d'Hérode où toute souillure régnoit, jusqu'aux incestes."

Ensuite les Ministres considerent la danse du côté des mouvemens qui la composent, ils observent "que l'ame qui les commande, et donne commencement à ces mouvemens, est nécessairement telle, qu'elle fait le corps qu'elle gouverne; à savoir, volage, léger, remuant, sans arrêt, ce qui ne peut être nullement à l'honneur de l'homme Chrétien..... Quant à ce que de telles démarches se font par régles et mesures, ce n'est point pour les approuver davantage, car c'est toujours faire ce que font les fous et les insensés: il y a seulement cette différence, que le faire avec régle et mesure, c'est, comme dit un certain poëte comique (Térence), faire l'insensé avec raison, et montrer [-86-] qu'on a sa cervelle plutôt aux pieds qu'en la tête; et nous disons que pour cela la folie et la vanité des hommes se montrent d'autant plus grandes.... Avoir mis cette vanité en art, et aller à l'école pour l'apprendre, n'est-ce pas-là la vanité des vanités? Comme si nous n'avions pas des occupations meilleures, et comme si cette vie étoit si longue, que pour la passer, il en faille donner une partie à une étude, laquelle a pour perfection de savoir faire le fou en compagnie, par des mouvemens et gesticulations étranges! Les Chrétiens ont une science qui doit posséder leurs coeurs au long et au large, à savoir, la connoissance du vrai Dieu, l'étude et la méditation des choses célestes, le mépris de cette vie, les préceptes de bien et saintement vivre, de savoir renoncer au monde et à ses voluptés. S'il faut apprendre à mesurer ses pas, ce doit être de la façon que le sage nous enseigne en ces paroles: (Prov. c. 4, vv. 26 et 27.) Dressez le sentier où vous mettez le pied, afin que toutes vos démarches soient fermes. Ne vous détournez ni à droite ni à gauche; et retirez votre pied du mal. C'est qu'il faut tenir régle et mesure en toutes nos actions, mettre bon ordre à nos desirs et affections, afin qu'elles ne nous emportent à quelque vice; se retirer arriere du mal; [-87-] et si l'on veut encore, c'est de garder une droite sobriété en son marcher, aussi-bien qu'aux autres parties de la vie; afin que jusqu'à nos pas, il n'y ait rien qui ne soit témoignage de vertu. Voilà la mesure de nos pas que la parole de Dieu nous recommande, non pas de garder mesure à faire l'homme vain en une danse, et cependant en toutes ses actions marcher à l'étourdi, et en ses conseils, faits et paroles, ne garder mesure ni raison."

Chapitre V.

De-là, passant aux folâtreries et gaietés déréglées qui sont l'ame de la danse, les Ministres posent un principe, trop ignoré de la plupart des Chrétiens, et qu'ils ne devroient cependant jamais perdre de vue: c'est que "quand l'homme fidèle use de la récréation, ce n'est pas tant pour le plaisir, autrement ce ne seroit pas récréation; mais il en use pour autres fins meilleures et plus nécessaires, comme du boire et du manger." Appliquant ce principe aux gaietés des danses, contre lesquelles ils s'élèvent; ils disent: "Quand on voudra confronter telles gaietés avec les régles de la continence et sobriété chrétienne, il ne se trouvera point que ce soient choses que l'on puisse jamais accorder. Ces régles sont d'être sobres, modestes, et resserrés en [-88-] toutes les parties de l'ame; de n'aimer point le monde, mais de le tenir en mépris et ses voluptés, pour avoir sa conversation aux cieux; de se réjouir comme ne se réjouissant pas; et ce qui est encore d'une abstinence plus étroite, de veiller, de mortifier ses membres, crucifier sa chair et ses convoitises, matter son corps, et le réduire en servitude, d'aller plutôt à une maison de deuil, qu'à une maison de festin; (Eccl. c. 7, v. 3,) c'est-à-dire, d'aller chercher tout ce qui resserre nos gaietés par une représentation assidue de la mort; bref, de s'employer à son salut avec crainte et tremblement. (Philipp. c. II, v. 12.) Voilà des commandemens pour tenir de court notre chair et nos folies, et non pour lâcher les rênes à la chair, et la laisser échapper à un tel abandon de ses plaisirs..... Or à cela nous disons que toutes ces gaietés sont directement contraires...... Les danses tranchent tous ces liens, et donnent la liberté à la chair, pour l'affranchir de telles craintes et sollicitudes, et lui ouvrir une pleine sale de plaisirs, pour s'y répandre en toutes ses aises. Reste-t-il parmi ces gaietés aucunes traces de crainte de Dieu, de guerre contre les concupiscences, de mortification du vice? Mais plutôt le monde y règne, et ses gaietés y sont nourries de toute licence."

[-89-] Chapitre VI.

Et comme on voudroit dispenser la jeunesse de ces régles si sévères, les Ministres s'y appliquent particulièrement à montrer que, bien loin que la danse soit plus permise dans la jeunesse, elle y est au contraire plus dangereuse...... "Qu'étant plus porté à la joie, à la gaieté; le remede est, non pas d'accorder à la jeunesse tout ce à quoi telle gaillardise, c'est-à-dire, la folie et vanité la poussent, mais de lui retrancher plutôt ce qui seroit nuisible, et plus pour augmenter les maladies de l'âge, que de les corriger; selon que les Médecins ont accoutumé envers les corps mal sains, et inclinans à maladies, d'user de régimes plus sévères. C'est le conseil de l'Apôtre; fuyez, dit-il, les desirs et les passions des jeunes gens. (II. Tim. c. 2, v. 22.) C'est un combat que les jeunes gens ont à soutenir plus furieux qu'en un autre âge, le diable ne s'oubliant pas à user de l'occasion, et à présenter tous les plaisirs pour donner force aux convoitises en ce qu'il peut. Or en ce combat le danger est de vouloir ce que les ennemis desirent, et la victoire de fuir arriere et s'en abstenir; ce qui se doit faire en la jeunesse avec une prudence et sollicitude d'autant plus grande, que c'est le commencement [-90-] du combat, où faillir et donner prise à l'ennemi, comme il advient aux gueres, est un mauvais présage pour tout le cours du combat......... Et partant (c'est-à-dire) par conséquent, quand l'on dit que la jeunesse est gaillarde, et qu'on la doit laisser danser, il faut prendre l'argument tout contraire."

Après avoir interdit si sévèrement les danses aux jeunes gens, ces Auteurs Protestans l'interdisent encore avec plus de force aux jeunes personnes de l'autre sexe. Quant aux jeunes femmes et filles, ajoutent-ils, ce que la parole de Dieu leur ordonne, "pour conserver leur âge tendre en un état saint et honnête, dira toujours que le danser leur est encore moins convenable... Le propre de la pudeur et de la crainte en une vierge, c'est de lui tenir le visage honnêtement baissé. Y a-t-il apparence que cette pudeur puisse permettre à une fille, au milieu d'une compagnie, de lever ainsi le front et le visage?...... Tourner toute sa personne en mille sortes, et d'une contenance si hardie et si gaie?" Cela ne peut être.

Chapitre VII.

Non-seulement, selon les Théologiens, on ne doit pas "prendre plaisir à danser, mais on ne doit pas non plus se plaire à [-91-] voir danser, car c'est donner à connoître qu'on a le coeur vain et charnel, et qui s'amuse encore aux folies du monde et choses qui ne valent rien; de plus, c'est pour bien dire, communiquer au mal au lieu de le reprendre, la différence n'étant pas grande en matiere de vice, d'y consentir ou prendre plaisir à le voir faire et de le faire, selon que les saints personnages anciennement prononçoient contre ceux qui assistoient aux théâtres, et prenoient plaisir aux folies qui s'y faisoient."

Chapitre VIII.

Parlant des chants dont les danses sont souvent accompagnées, ils remarquent: "Que les chansons les plus communes seront là des paroles pleines d'amour, c'est-à-dire, d'impureté. Or de telles choses n'appartiennent point aux chrétiens, qui doivent avoir appris à purifier leur bouche de toute parole déshonnête et folle, et à détester tellement toute maniere de souillure, que les noms n'en soient pas ouis seulement entr'eux. (Ephes. c. 4, v. 29, et c. 5, v. 3.) Cependant ces choses sont parties comme essentielles de la danse pour les échauffer, les animer, et leur donner les mouvemens......... Si on réplique que les danses ne se feront pas toujours avec telles chansons de voix et de paroles [-92-] prononcées, mais au son des instrumens, ce n'est pas encore assez pour les justifier; car les instrumens représenteront aux esprits le sujet desdites chansons, et ne serviront qu'à donner le poison avec plus de plaisir."

Chapitre IX.

Mais ce sur quoi ils insistent comme étant le comble du mal dans les danses, est que les hommes et les femmes s'y trouvent ensemble pour s'y donner réciproquement du plaisir. "Car, disent-ils, en pareille circonstance la femme est un objet de concupiscence à l'homme, et l'homme à la femme; la matiere de l'inflammation est dans tous les deux, et ne faut que les seuls regards pour y mettre le feu, et faire brûler leurs coeurs de mauvais desirs; tellement que la rencontre n'en est gueres sans inconvénient. Non que toutefois il ne soit jamais permis aux hommes et aux femmes de se trouver ensemble; mais bien en saints actes, et avec telle prudence, que les fins, l'état des personnes, les actions soient là comme autant de préservatifs pour empêcher tous mauvais accidens........ Que si encore les assemblées sont telles, qu'avec la rencontre des yeux il y ait communication de paroles, autres que bien pures et bien chastes, et que l'on prenne plaisir de dire [-93-] et ouir des choses sales et déshonnêtes, c'est ajouter l'huile au feu. Un chacun sait quelle est la force des paroles mauvaises à corrompre les moeurs. (I. Cor. c. 15, v. 33).... Mais si outre cela encore, et en telles assemblées, il y a privautés entre l'homme et la femme, tout est perdu...... En quelque part que nous découvrions le danger, il le faut craindre et fuir, et ne devons jamais penser, ou que le danger n'y soit pas si grand, ou que nous soyons assez forts pour en échapper. Le danger n'est jamais petit, où il y a tant soit peu de chose attirant à mal notre nature, qui déjà n'y court que trop vîte de soi-même; et se faut souvenir de la sentence des Sages: que d'une petite étincelle se fait souvent une grande inflammation. Quant à nos forces de pouvoir être ferme aux dangers, et d'en sortir sains et entiers, après y être venus, nous nous tromperons..... Là-dessus se promettre l'assistance de la vertu de Dieu, quand on délaisse ses voies pour suivre le danger, c'est un abus; voilà la sentence qui en est donnée: Que qui cherche le danger y tombera, et y périra; et faut que la folle présomption soit ainsi punie."

Chapitre X.

Et en effet, si la seule rencontre de l'homme à la femme peut bien avoir cette force par [-94-] le regard des yeux, "de donner le feu aux convoitises; s'il en est ainsi des seuls devis de paroles lubriques, ou chansons folles, ou de manieres trop libres, l'on peut juger les grands inconvéniens, quand toutes ces choses concourent ensemble dans un même lieu, en mêmes personnes, et encore le coeur n'étant là que pour se donner du plaisir. Or tout cela se trouve en la danse tout-à-la fois."

Revenant ensuite aux personnes qui prennent plaisir à assister aux danses, ils remarquent que les inconvéniens dont ils viennent de parler, "ne seront pas seulement pour ceux qui dansent, mais pour les autres qui y seront présens; que si le regard d'une seule fille dansant à eu tant d'effet en Hérode, qui osera se permettre de regarder avec plaisir des bandes entieres de femmes et de filles ce faisant, et n'en recevoir point de dommage? S'il y en a qui disent que nous voyons ces périls de trop près, et qu'ils n'en voient pas tant que nous en comptons; que ceux-là sachent que ce sont les délices du péché qui les tiennent aveugles pour ne les point voir, et l'accoutumance de tant d'ordures qui leur en ôte le sentiment."

Chapitre XI.

Remontrant jusqu'aux motifs que nous [-95-] devons nous proposer dans chacune de nos actions, afin qu'elles soient chrétiennes, ils font voir qu'aucun de ces motifs ne se trouve et ne se peut trouver dans les danses. "Les choses, disent-ils, par lesquelles nous jugerons de nos actions, sont trois principallement: si elles sont conformes à notre vocation, si l'édificaion de nos prochains en peut être aidée, et si elles tendent à la gloire de Dieu. Notre vocation, à ces fins, que nous fuyons le péché jusqu'aux moindres apparences, afin de suivre une pureté très-étroite; que nous ne nous conformions point au monde, mais prenions pour régle la volonté de Dieu, pour bien ordonner toutes les parties de notre vie; et encore qu'ayant nos affections ravies en l'amour des choses célestes, nous ne soyons amusés et retenus en vains plaisirs. A ces fins, si nous rapportons ce qui a été dit de la danse, il n'y a un seul point que nous y puissions approuver; car la pureté ne peut être entiere et vraiment ennemie de péché parmi tant de vices et d'attraits au mal. Il n'y a rien de la volonté de Dieu en telles insolences, qui sont autant de façons profanes du monde, et Dieu ne sauroit voir en action aucune, le coeur plongé plus avant aux folles délices et plaisirs de la terre que là. Quant à l'édification du prochain, tout y est contraire;.... [-96-] et on n'apprendra jamais rien de bien en tous ces spectacles de folies et vanités, en tous ces exemples de coeurs s'enivrans de plaisir....... Pour le regard de la gloire de Dieu, nous laissons à juger après toutes ces considérations, s'il y a rien qui y tende..... Que si les danses n'ont rien de convenable ni à la vocation des chrétiens, ni à la charité et l'édification du prochain, ni à la gloire de Dieu, que leur peut-il rester pour les dire bonnes?"

Chapitres XIII, XIV, XV, XVI.

Enfin après avoir prouvé par l'Ecriture, les Peres, les Conciles, les Payens même, que les danses sont condamnables, ces Ministres répondent à quelques unes des raisons que les avocats des danses, (c'est ainsi qu'ils appellent ceux qui entreprennent de les justifier) alléguent pour s'efforcer de montrer qu'elles sont indifférentes, et que c'est s'opposer à la liberté chrétienne, que d'en faire un péché. Pour détruire cette idée, ils font remarquer que selon l'idée juste qu'on en doit avoir, "elles ont leur origine dans de très-grands vices, et que la forme et les fins sont contraires à beaucoup de vertus et de devoirs chrétiens, étant alléchement de péché; bref menant avec soi une suite de beaucoup d'inconvéniens."

[-97-] Et sur ce que quelques personnes pouvoient répliquer qu'à la vérité on ne peut pas nier qu'aux danses d'aujourd'hui il n'y ait beaucoup d'abus, mais qu'il faut réformer l'abus sans rejetter la chose, voici leur réponse: "Nous répondrons, qu'en cas de réforme, il faut user de prudence bien grande, et considérer la nature des abus, et si ce sont des accidens survenus à une chose de soi bonne, ou autrement. Car si la chose est bonne en soi, il faut la retenir, et en ôter les abus...... Que si le vice est en la chose inséparablement, et ne se peut retrancher que la chose même s'en aille aussi, il ne faut rien épargner.... Or les danses ne sont point d'une autre nature. A bien examiner les parties, les causes et les effets inséparables des danses, voire en leur plus grande simplicité, vous n'y trouverez autre chose que vice. Et (par conséquent) ce que l'on feroit à un arbre, lequel seroit venimeux en sa racine, en son bois, en ses feuilles, en son fruit, de le couper par le pied (encore qu'il pût servir à donner de l'ombre) et le mettre au feu, afin que personne n'y fût plus abusé," il le faut faire de la danse; c'est de l'ôter du tout, afin qu'il n'y ait plus d'abus et de dommage.

Chapitre XVII.

Comme on insiste quelquefois sur les prétendus [-98-] avantages qu'on voudroit attribuer à la danse, ils les parcourent. C'est, dit-on, un exercice propre à la santé. "Que nous accordions, répondent les Ministres, que la santé du corps en puisse être aidée, est-ce cause d'en user, quand notre ame, notre profession, notre honneur y reçoivent tant de dommages? Car quelle sagesse de racheter sa santé avec tant de dommages? Mais c'est une vaine couleur d'alléguer les exercices de la santé en la danse, quand c'est proprement contre l'admonition de saint Paul, (Rom. c. 13, v. 14,) accorder à la chair ses plaisirs et convoitises."

Un autre avantage qu'on prétendoit trouver dans les danses, c'est qu'elles sont un acheminement et un préparatif à beaucoup de mariages. Pour détruire ce vain prétexte, les Ministres, Auteurs du Traité, font voir que des mariages qui ne se feroient que par une suite des passions excitées par les danses sont plus propres à en montrer le danger et le mal, qu'à les justifier, et que de tels mariages ayant aussi mauvais principe, ne peuvent gueres être chrétiens; mais que quand même de pareils mariages produiroient de très-grands avantages temporels, les danses qui auroient été moyen d'y parvenir, n'en seroient pas plus légitimes. "Si les danses, disent-ils, se doivent justifier à raison de tels profits, ce seroit celle de la fille d'Hérodias, [-99-] laquelle pour une seule gagna la promesse de la moitié d'un royaume. Cependant quelle danse plus criminelle et détestable? Il faut, ajoutent-ils, que les chrétiens aient de bonne heure appris la régle que Saint Paul donne, (Rom. c. 3. v. 8,) de ne faire jamais mal, afin que bien en devienne. Et quand même l'on sera venu au mariage par telle voie, que s'en pourra-t-il ensuivre? Un chose qui prendra sa naissance dans toutes ces ordures, quelle pourra-t-elle être dans tout son cours? Quelle espérance que Dieu l'approuve, et veuille mêler parmi ce qui se passe de mauvais dans les danses, ses bénédictions? Choses saintes se doivent traiter par moyens saints et légitimes; et qui veut faire une bonne oeuvre, il la faut commencer sur meilleurs fondemens."

Tout le Traité est terminé par une conclusion énergique et pressante, dont voici quelques traits:

"Et c'est pour toutes ces raisons que nous exhortons nos Eglises de chasser et reléguer ces mauvaises coutumes aux enfers, dont elles sont venues, aux solemnités des idoles, à une cour d'Hérode, bref, aux lieux de débauches; car, pour autant d'occasions de les juger toutes indignes de notre profession, il n'y a pas une seule raison qui nous doive induire [-100-] de les supporter, ni comme choses indifférentes, ni pour aucun profit au public ou particulier. Si notre vie a quelquefois besoin de relâche ou récréation, il y en a assez d'autres moyens plus honnêtes. Et de vouloir acheter nos plaisirs avec telles pertes et dommages, même de nos ames, ce ne seroit pas faire prudemment. Aux chrétiens bien sages, la crainte d'offenser Dieu, l'amour de la vertu, la garde de leur salut sont choses plus cheres que tout ce qui se pourroit nommer de plaisirs au monde........ Que perdrons-nous en perdant les danses? Mais plutôt que ne gagnons nous pas en récompense d'un fol et vain plaisir? Nous retranchons ce qui est de tout point répugnant à notre vocation, nous chassons tout ensemble mille occasions de pécher; nour rendons à nos assemblées le nom de compagnies spirituelles, et chrétiennes; et pour tout dire, en un mot, nous mettons hors de chez nous ce que nous ne pouvons tenir et conserver avec la grace de Dieu entiere. Il nous prend donc envie de danser? gardons-nous: c'est notre chair, ou la concupiscence qui a envie de se paître de vanité. Quelqu'un vient pour nous mener aux danses? défions-nous, c'est la main du diable qui tache de nous tirer en ses piéges et nous perdre. Laissons ce que Dieu condamne, soyons [-101-] prudens aux progrès de notre salut; fuyons les lieux de pécher et ses attachemens; renonçons au monde, foulons aux pieds tous ces vains plaisirs. Le Seigneur Dieu nous en fasse à tous la grace, auquel soit gloire et force à jamais."

Nos Lecteurs se seroient-ils attendus à entendre des Docteurs Protestans parler si fortement et si solidement contre les danses? Et combien un tel exemple doit-il couvrir de confusion les Ministres de l'Eglise Catholique, qui sont moins instruits des règles de la morale, ou moins attentifs à les faire observer aux personnes de la conscience desquelles ils sont chargées! mais combien plus doivent-ils rougir, s'ils sont assez lâches pour donner comme permis ce qui est en soi si dangereux, et ce qui perd tant d'ames! On ne trouve cependant que trop de Prêtres, et même des Confesseurs, qui étant interrogés sur ce qu'il faut penser des danses, répondent qu'elles sont permises, pourvu qu'on ne s'y porte pas à de certains excès plus grossiers, dont un peu d'éducation et de soin de sa réputation, (où la Religion peut n'entrer pour rien) suffit pour se garantir. N'est-ce pas-là faire tomber sur soi la malédiction que Dieu prononce par le Prophête Isaïe, lorsqu'il dit: (c. 5, v. 20.) Malheur à vous qui dites que le mal est bien, et que le bien est mal; qui donnez aux ténèbres [-102-] le nom de lumiere, et à la lumiere le nom de ténèbres.

Un célèbre Interprete, expliquant ces paroles d'Isaïe, fait cette belle et solide réflexion: (Monsieur Duguet, sur le chapitre V. d'Isaïe, v. 20, tome I, pages 308 et 309.) "Il y a quelque espérance, lorsque les hommes respectent les régles, quoiqu'ils ne les suivent pas; et qu'ils condamnent leurs actions, au lieu de les excuser sur de vains prétextes. On peut les conduire à l'amour de la vérité par la connoissance qu'ils en ont; et il ne faut, pour les convertir, que fortifier leur foiblesse et les soutenir contre des inclinations dont ils gémissent et dont ils ont honte: mais losqu'ils accusent la vérité au lieu de se condamner eux-mêmes, et qu'ils péchent par principe, en supposant que le mal est un bien, et osant donner à la vérité le nom d'erreur; il n'y a plus de remède, selon le cours ordinaire, à cette double corruption de l'esprit et du coeur; et la Religion ne peut plus subsister parmi des hommes qui en sont ennemis et par leurs actions et par leurs sentimens. Il arrive rarement qu'une nation éclairée tombe dans un obscurcissement si universel; qu'elle ne discerne plus le vrai du faux, et le juste de l'injuste. Les crimes qui ont quelque chose de noir et de lâche, font toujours quelque [-103-] horreur; et si on y tombe, on n'est pas assez hardi pour les excuser. Mais tout ce qui flatte l'orgueil et l'ambition, tout ce qui contribue à la douceur et aux délices de la vie, tout ce qui favorise l'amour des richesses et l'inclination à la dépense, trouve des approbateurs, et souvent même parmi ceux qui paroissent avoir renoncé à la vie des hommes du siécle. Ceux qui conservent une lumiere plus pure, sont en si petit nombre et ont si peu d'autorité, qu'ils ne peuvent s'opposer à la chûte générale des moeurs; et qu'ils s'estiment heureux, s'il leur est permis de vivre en particulier, selon les maximes dont le siécle est ennemi: encore leur échappe-t-il souvent, ou par surpise ou par une lâche complaisance pour l'opinion des autres, qui a de secretes racines dans le coeur, de louer ce qui ne mérite que des larmes, et d'approuver ce que Dieu condamne."

Cette réflexion si lumineuse ne peut-elle pas s'appliquer fort naturellement aux danses, qui paroissent à beaucoup de gens un divertissement permis, et dont en conséquence ils prennent la défense, parce que, pour me servir des paroles de ce savant Auteur, elles contribuent à la douceur et aux délices de la vie, et que volontiers on appelle bon tout ce qui plaît, pourvu qu'il n'ait rien de grossièrement mauvais, quoiqu'il [-104-] soit réellement condamnable selon les principes de la bonne morale, et au jugement de la vérité éternelle?

CHAPITRE VII.

Témoignage d'un célebre Jurisconsulte contre les Danses.

Le célebre Jurisconsulte dont je veux parler, c'est feû Maître Louis de Héricourt, connu par son bel Ouvrage des Loix Ecclésiastiques mises dans leur ordre naturel. (Voici comme il parle dans le chapitre 10 qui traite des Fêtes, des Reliques, et cetera. art. 8. page 548. Il s'agit à la vérité dans cet article, des danses aux jours de Dimanches et de Fêtes; mais j'ai déjà observé, qu'outre la profanation de ces saints jours que les danses qu'on y fait entraînent après elles, elles ont, en quelques jours qu'elles se fassent, des dangers et des vices qui en sont inséparables. D'ailleurs si les danses étoient un divertissement innocent de sa nature, tout ce qu'on devroit recommander par rapport à elles pour les jours de Dimanches et Fêtes, ce seroit de n'y pas donner trop de temps en ces saints jours, et sur-tout de n'y pas employer le temps du Service divin. Mais toutes les danses publiques sont expressément défendues ces jours-là, sans [-105-] aucune restriction; et s'il est seulement parlé de danses publiques, c'est que les Juges à qui il est ordonné d'employer leur autorité pour l'exécution des loix de l'Eglise sur ce point, ne peuvent à cet égard l'exercer que contre les délits publics.) Ecoutons donc parler Monsieur de Héricourt.

"Les fidèles, dit-il, doivent consacrer au Seigneur les Dimanches et les Fêtes, et assister au service divin: c'est pourquoi il est défendu pendant ces jours de faire des actes de justice, de tenir des foires, des marchés et des danses, et cetera."

Monsieur de Héricourt cite sur cela le troisieme Concile de Tolede, dont j'ai rapporté plus haut les paroles, ensuite l'article 23 de l'Ordonnance d'Orléans de 1560, sous Charles IX, qui porte: "Défendons à tous Juges de permettre qu'ès jours de Dimanches et Fêtes annuelles et solemnelles, aucunes foires et marchés soient tenus, ni danses publiques faites; et leur enjoignons de punir ceux qui y contreviendront."

Enfin il rapporte une déclaration de Louis XIV, du 16 Décembre 1698, où il est dit: "Ordonnons que les articles 23, 24 et 25 de l'Ordonnances d'Orléans, et le vingt-huitiéme de celle de Blois, portant défenses de tenir des foires et des marchés, et des danses publiques les Dimanches et Fêtes, d'ouvrir les jeux de Paumes et Cabarets; [-106-] et aux Batteleurs et autres gens de cette sorte, de faire aucune représentation pendant le service divin, tant les matins que les après-dînées, soient exécutés. Enjoignons à tous nos Juges, et autres ressortissans nuement en nos Cours de Parlement, de les faire lire et publier dans leurs ressorts avec notre présente déclaration.... et à eux et tous autres Juges de punir les contrevenans par condamnation d'amendes, et autres peines plus graves, s'il y échet, suivant l'exigence des cas." Voilà, comme on voit, l'autorité spirituelle et la temporelle réunies à pourvoir à la sanctification des Dimanches et des Fêtes, en défendant en ces jours-là les danses publiques. C'est donc manquer tout à-la-fois à ce qu'on doit à Dieu, et aux Princes dont la puissance est une image et une émanation de la sienne, que de permettre, et, ce qui est encore pis, d'autoriser ces danses, et d'y aller, lorsque par la négligence de ceux qui ont le pouvoir de les empêcher, elles ont lieu dans une paroisse; et cependant Jesus-Christ nous dit expressément: (Matth. c. 22, v. 21.) Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

Réflexions sur les Textes que l'on vient de citer.

Si après toutes ces autorités des saintes [-107-] Ecritures, des saints Docteurs, tous ces réglemens des Conciles, et toutes ces décisions des Théologiens les plus éclairés et les plus pieux qui viennent d'être rapportés, on ose encore prendre la défense des danses, et que l'on s'obstine à les croire permises, ne montre-t-on pas par-là évidemment qu'on ferme volontairement les yeux pour ne pas voir clair en plein jour; qu'on ne tient aucun compte de tout ce qu'il y a eu et de ce qui peut y avoir encore dans l'Eglise de gens les plus éclairés et les plus pieux; et qu'on manque de respect pour l'Eglise même, qui dans les Conciles a parlé si clairement et si fortement contre les danses? Peut-on nier qu'on ne doive obéir à toutes les loix des supérieurs qui sont justes et qui tendent à la gloire de Dieu et au bien des ames? Les Evêques assemblés dans les Conciles dont nous avons parlé, n'étoient-ils pas les supérieurs légitimes des fidèles? Les jugemens et les réglemens qu'ils ont portés sur les danses, n'ont d'autre but que de garantir les ames du péché, et de les éloigner de ce qui nuiroit à leur salut. De quel droit prétend-on donc s'opposer à ces jugemens et à ces réglemens? Y a-t-il même de la raison à le faire, et n'est-ce pas une conduite insensée de ne s'y pas rendre?

Si tous les habiles Médecins décidoient d'un commun accord, qu'en vivant de telles [-108-] et telles manieres, ou qu'en usant de telles et telles nourritures, on s'expose à un danger évident de tomber dans quelque maladie mortelle, ne seroit-on pas frappé de leur avis, et ne s'en rapporteroit-on pas à leur jugement, pour se priver de ce qu'ils auroient décidé être contraire à la santé, et pouvoir causer la mort, quelque peine d'ailleurs qu'on pût souffrir de cette privation? Les principes sur lesquels les Docteurs de l'Eglise décident que les danses sont de leur nature dangereuses et nuisibles à l'ame, ne sont-ils pas beaucoup plus certains que ceux de la médecine: et ne doit-on pas beaucoup moins prendre de précautions pour conserver la vie du corps qu'il faudra nécessairement perdre un jour, qu'on en doit prendre pour conserver la vie spirituelle de la grace, que nous pouvons, avec le secours de Dieu, ne perdre jamais, si nous le voulons? C'est Dieu même qui (comme on l'a fait voir) a révélé dans ses écritures, et par la tradition constante des Saintes Peres, que les danses ne peuvent que causer la perte éternelle de ceux et de celles qui les aiment, et qui ne veulent pas y renoncer. C'est donc une vérité certaine et incontestable qu'elles ne sont pas permises; et cependant on n'y demeure pas moins attaché? Est-ce là rendre l'hommage que l'on doit à la vérité infaillible de Dieu, qui ne peut ni se tromper, ni nous [-109-] tromper? N'est-ce pas manquer de foi que de ne vouloir pas s'en rapporter à sa parole, et de ne penser qu'à se réjouir en ce monde, sans se mettre en peine de ce qu'on deviendra dans l'autre pour l'éternité?

CHAPITRE VIII.

Témoignage des Payens mêmes contre les Danses.

Si on n'a pas honte de refuser de se rendre aux vérités révélées dans les saintes écritures et dans la tradition, et enseignées unanimement par tous les Docteurs de l'Eglise, qu'on rougisse du moins de ne pas penser sur les danses aussi sainement que l'ont fait plusieurs sages Payens. Salluste, un de leurs Historiens, dans son livre, De la Conjuration de Catilina, (c. 15,) remarque, que cet ennemi de la République fit entrer plusieurs femmes dans sa conjuration, espérant qu'elles engageroient leurs maris à se joindre à lui, ou que s'ils ne le vouloient pas, ils les feroient mourir par elles. Entre ces femmes, Salluste nomme en particulier Sempronia, qui étoit une femme distinguée par sa naissance et par sa beauté, qui sçavoit très-bien le Grec et le Latin; mais Salluste ajoute en même temps, qu'elle sçavoit mieux chanter et danser qu'une honnête femme [-110-] ne devoit le sçavoir: Litteris Graecis et Latinis docta, psallere, saltare elegantius quam necesse est probae: aussi remarque-t-il aussi-tôt après, "Qu'elle étoit dominée par l'impureté, qu'elle alloit plus souvent chercher les hommes, que les hommes ne la cherchoient, et que ce qui pouvoit servir à contenter ses passions, lui étoit plus cher que son honneur et sa pudeur." Ce portrait d'une habile danseuse, est-il bien favorable aux danses?

Cicéron, le plus célèbre des Orateurs et des Philosophes de l'ancienne Rome, exprime non-seulement son sentiment particulier, mais encore l'opinion commune sur la danse, dans un plaidoyer en faveur de Lucius-Lucinius Murena, Lieutenant-Général de Lucullus dans les Provinces d'Asie, et depuis Consul. Un des reproches que l'on faisoit à Murena, étoit qu'il avoit dansé en Asie: cette accusation parut à Cicéron si grave et si forte, qu'il n'eut garde de justifier Murena, supposé qu'il eût dansé, comme s'il n'avoit rien fait en cela de bien repréhensible, mais il nia constamment le fait: ce qu'il dit à ce sujet est tout-à-fait remarquable. "Caton, dit-il, appelle Lucius Murena un danseur. S'il lui fait avec vérité ce reproche, c'est une accusation bien forte et bien grave; mais s'il est faux, c'est un sanglant outrage fait à Murena. C'est pourquoi, [-111-] votre autorité étant si grande, ô Marc Caton, vous devez prendre garde à ne point donner témérairement le nom de danseur à un Consul du peuple Romain; mais pour donner quelque fondement à votre accusation, vous devez auparavant considérer et faire voir à quels vices il faut que celui contre qui vous l'intentez ait été sujet, pour rendre croyable ce que vous lui reprochez; car on ne peut gueres trouver quelqu'un qui danse, étant sobre, à moins qu'il ne soit fou: Nemo ferè saltat sobrius, nisi insanus." Le fondement de cette maxime est, qu'en effet les mouvemens, les gestes et les sauts des personnes qui dansent, sont absolument contraires à ceux d'une personne qui se possède, et semblent marquer que celles en qui on les voit, sont comme en fureur et ne sont pas maîtresses d'elles-mêmes. C'est ce qui fait dire à Louis Vivès, Précepteur de l'Empereur Charles-Quint, dans un excellent ouvrage qu'il a fait, Sur la maniere de bien élever une Fille Chrétienne, au titre des danses, après avoir rapporté les paroles des deux Payens que je viens de citer: "Je me souviens d'avoir entendu dire, que quelques personnes arrivées depui peu en France, ayant vu des femmes danser, en furent si effrayées, qu'elles prirent la fuite, les croyant et les disant agitées de quelque [-112-] fureur extraordinaire. En effet (ajoute Vivès) qui est-ce qui n'ayant jamais vu personne danser, peut la premiere fois qu'il en voit, ne pas croire que celles qu'il voit danser sont en fureur, rien n'étant plus contraire à l'état d'une personne sensée que celui où on se met en dansant? Ac profectò quis non mulieres furore correptae credat, cùm saltant; si saltantes antea nunquam spectavit?"

Selon AEmilius Probus, le Romains estimoient que la danse devoit être mise au rang des choses vicieuses: Scimus saltare etiam in vitiis poni. Scipion témoigne sa douleur, dans une Oraison contre Tiberius Gracchus, de ce qu'il avoit vu en sa jeunesse une école où il y avoit cinq cens personnes, tant garçons que filles, qui apprenoient à danser.

On voit ici que la saine raison, qui étoit la seule lumiere qui éclairât les Payens, privés de celle de la foi, vient se joindre à la Religion pour condamner et interdire les danses.

CHAPITRE IX.

Circonstances qui contribuent à rendre les danses plus dangereuses et plus criminelles.

J'ai observé précédemment qu'on ne pouvoit pas conclure de ce que les danses sont [-113-] particulièrement défendues les jours de Dimanches et de Fêtes, et pendant le service divin, qu'elles soient innocentes et permises en d'autres jours et en d'autres temps; ce qui s'ensuit uniquement, c'est que les danses, mauvaises en tous les temps, le sont particulièrement les jours consacrés à Dieu, et que la circonstance de ces jours est une circonstance qui rend plus criminels ceux qui se livrent à cette sorte de plaisir.

Tout le monde convient que les oeuvres serviles et les travaux ordinaires sont défendus en ces jours-là, et qu'on doit observer cette défense, à moins que par quelque pressante nécessité on ne se trouve dans le cas de la dispense. Pourquoi les oeuvres serviles, bonnes de leur nature et permises en tout autre jour, sont-elles défendues les jours particulièrement consacrés au service de Dieu? C'est afin que s'abstenant des travaux et des occupations ordinaires, on ait plus de loisir, plus de liberté d'esprit et de coeur pour s'appliquer à Dieu, aux exercices de piété, et à la grande affaire du salut, que souvent les affaires temporelles font trop long-temps perdre de vue.

Mais si les distractions et les dissipations d'esprit et de coeur que causent naturellement les soins et les travaux temporels, obligent de les suspendre les jours de Dimanches et de Fêtes pour vaquer plus [-114-] librement à Dieu; combien est-on criminel de leur substituer les danses, beaucoup plus capables de dissiper, et d'une maniere infiniment plus dangereuse? Le fruit qu'on doit s'appliquer à retirer de la célébration du Dimanche et des Fêtes, c'est de réveiller et d'enflammer davantage en soi l'amour de Dieu et des biens céléstes, en s'y occupant particulièrement des graces qu'on a reçues de lui, et des biens qu'il nous promet pour l'autre vie. C'est encore de faire des retours plus sérieux sur soi-même, pour reconnoître les péchés où l'on a été entraîné les jours précédens pas la fragilité humaine, et pour s'en purifier par de saints gémissemens, en s'en humiliant devant Dieu et lui en demandant pardon, du coeur plus encore que de la bouche. Or combien est-on éloigné d'entrer dans ces sentimens, quand on employe une partie de ces jours consacrés à Dieu, à des danses, dont l'effet naturel et inévitable, est de jetter l'ame dans une dissipation qui ne la laisse plus assez maîtresse d'elle-même pour s'appliquer à Dieu; d'affoiblir et d'éteindre par-là l'esprit de priere, et d'allumer dans le coeur le feu de la cupidité, pendant qu'on ne devroit s'occuper qu'à rendre plus ardent et plus actif le feu de la charité.

Une des intentions que l'Eglise a eues en instituant les fêtes en l'honneur des Saints, [-115-] a été qu'en nous réjouissant avec eux de ce que de cette terre pleine de misere ils sont passés dans le lieu du repos éternel, nous soyons en même-temps excités, par le souvenir de leurs exemples, à prendre, pour arriver au bonheur dont ils jouissent, la route qu'ils ont prise. Or, dit saint Augustin, (Ser. 316, page 1,) les Saints n'ont pas mérité le bonheur du ciel en dansant, mais en priant; en tombant dans les exces de vin, mais en jeûnant; en querellant, mais en souffrant patiemment les torts et les outrages que leur ont été faits: Laetamur quia de terra laboris ad regionem quietis martyres transierunt, sed hoc non saltando, sed orando, non potando, sed jejunando, non rixando, sed tolerando meruerunt.

Comment donc prétend-on honorer les Saints aux jours de leurs fêtes par des danses et des excès de boire, et d'autres désordres pour lesquels ils n'ont eu que de l'horreur et de l'éloignement, et qui sont une profanation manifeste de ces jours appellés particulièrement saints, parce que les Chrétiens qui doivent être saints dans toute la conduite de leur vie, s'y doivent conduire encore plus saintement que les autres jours? N'est-ce pas-là faire des jours du Seigneur les jours du démon, parce qu'on s'y livre plus pleinement à lui? n'est-ce pas changer les fêtes de la Religion en des fêtes toutes profanes [-116-] et toutes payennes? et cette profanation des jours consacrés à Dieu, n'est-elle pas une sorte de sacrilége?

Si quelqu'un étoit assez impie pour faire de l'Eglise un lieu de débauche, ou même d'entretiens d'affaires temporelles; pour faire d'un autel sur lequel on offre le saint sacrifice, une table pour boire et pour manger, et des habits sacerdotaux des habits ordinaires; qui est-ce qui ne seroit pas frappé de cette profanation, et ne s'en plaindroit pas hautement, quand même il ne feroit pas d'ailleurs profession d'une grande piété? Les jours de Dimanches et de Fêtes étant consacrés à Dieu, comme une Eglise, un autel, les habits et les vases destinés au sacrifice lui sont consacrés, pourquoi craint-on moins de les profaner par des danses, incompatibles avec la sainteté de ces jours, et avec ce qu'on y doit faire pour honorer Dieu? En tout ce qui a rapport à la Religion, si on y mêle quelque chose que la Religion n'approuve pas, on sera toujours en droit de demander avec saint Paul, (II. Cor. c. 6, v. 15.) Quel rapport peut il y avoir entre Jesus-Christ et Belial? Aussi Saint Augustin dit qu'il y auroit moins de mal à travailler à la terre les jours entiers des Dimanches et des Fêtes, qu'à y danser: Melius totâ die foderent, quam totâ die saltarent. (Tom. II, page 32, numero 6.)

[-117-] Le même saint Docteur dit encore: (tract. 3. not.) "L'observation du sabbat, c'est-à-dire, du jour consacré à Dieu, nous regarde encore plus que les Juifs, parce que nous devons l'observer d'une maniere toute spirituelle. Les Juifs observent leur sabbat d'une maniere toute servile et toute charnelle, parce qu'ils l'employent à l'impureté et aux danses, qui portent à la débauche; combien leurs femmes feroient-elles mieux d'employer ce jour-là à leurs ouvrages de laine qu'à danser? Que Dieu nous garde, mes freres, de dire qu'ils observent le sabbat." Il faut se rappeller ici ce que j'ai rapporté plus haut, que long-temps avant Saint Augustin, Saint Ignace, martyr, écrivoit aux Magnésiens: (page 59.) "Ne célébrons plus à l'avenir le sabbat à la maniere des Juifs, nous contentant de n'y rien faire; mais que chacun de vous célèbre le sabbat spirituellement, trouvant sa joie dans la méditation de la loi de Dieu, dans la considération et l'admiration de ses ouvrages, et non en prenant plaisir à des danses, à des marques de joie folles et insensées: Non saltationibus plausibusque insanis oblectans se."

Monsieur Bossuet, dans ses Réflexions sur la comédie, (tome VII, page 643,) s'applique à montrer que l'assistance aux spectacles défendue [-118-] en tout temps, l'est encore plus les jours de Dimanches et de Fêtes. Et comme ce qu'il dit sur les spectacles est également applicable aux danses, je crois devoir rapporter ses propres paroles en substituant les danses aux spectacles. "En vérité, dit-il, on pousse trop loin la licence. Les Commandemens de Dieu, et en particulier celui qui regarde la sanctification des fêtes, sont trop oubliés; et bientôt le jour du Seigneur sera moins à lui que tous les autres, tant on cherche d'explication pour l'abandonner à l'inutilité et au plaisir." Et sur ce que l'Auteur que Monsieur Bossuet réfute, disoit en permettant d'aller à la comédie les jours mêmes de fêtes, qu'elle ne commence qu'après l'office, le sçavant réfutateur lui repond: (Ibidem pages 643 et 644.) "Qui empêchera que par la même raison l'on ne permette les autres ouvrages, sans doute plus favorables et plus nécessaires? Qui a introduit ce retranchement du saint jour? Et pourquoi n'aura-t-il pas les vingt-quatre heures commes les autres?... Ceux qui fréquentent les danses songent-ils seulement qu'il y a des vêpres? En connoît-on beaucoup qui, affectionnés au sermon et à l'office de la paroisse, après les avoir ouis, aillent perdre à la danse, dans une si grande effusion d'une joie mondaine, l'esprit de recueillement et de componction [-119-] que la parole de Dieu et ses louanges auront excité? Disons donc que les danses ne sont pas faites pour ceux qui sçavent se sanctifier dans le vrai esprit du Christianisme, et assister sérieusement à l'office de l'Eglise."

Aussi nos Rois très-Chrétiens dans leurs Ordonnances, et les Parlemens dans leurs Arrêts, se sont joints aux saints Conciles pour défendre les danses publiques les saints jours de Dimanches et de Fêtes, et sur-tout les Fêtes patronales. Nous avons déjà vu ce qu'en rapporte Monsieur d'Héricourt. J'ajoute que François I. les a défendues par ses Lettres-Patentes du 7 Février 1520, adressées au Prévôt de Paris, et aux Baillifs de Meaux, de Senlis et de Valois. Cette défense se trouve réitérée par Charles IX dans son Edit du mois de Janvier 1560, art. 2, et 245. Et par Henri III, dans son Ordonnance du mois de Mai 1579, ou Edit de Blois, art. 23. Défenses qui ont été confirmés depuis par une autre Ordonance de Louis XIII, en 1610, et par celle de Louis XIV, du 16 Décembre 1698, rapportée plus haut et registrée au Parlement le 31 du même mois, et rapportée dans le Procès-verbal de l'assemblée générale du Clergé de France de l'année 1700. (page 79.) A quoi enfin on peut ajouter un Arrêt du Conseil d'Etat, rendu en 1666, [-120-] et plusiers Arrêts rendus au Parlement, comme celui du 15 Octobre 1588, et celui du 3 Septembre 1667.

Après tant d'Ordonnances et d'Arrêts, soit du Conseil d'Etat, soit des Cours Souveraines qui défendent les danses publiques les saints jours de Dimanches et de Fêtes, il ne reste plus qu'à desirer que tous ceux entre les mains de qui Dieu a mis son autorité, soit dans le for extérieur, soit dans le for intérieur, ne négligent rien de tout ce qui est en leur pouvoir, pour abolir une coutume qui ressent beaucoup plus le paganisme que la Religion chrétienne.

Une seconde ciconstance qui rend les danses plus dangereuses et plus criminelles, c'est lorsqu'elles se font la nuit: et c'est ainsi que se font celles qu'on appelle bals. Tout le monde sçait que la nuit contribue ordinairement à rendre plus hardi pour le mal. Combien de gens souffrent ou prennent plus facilement à la faveur des tènébres, des libertés criminelles qu'ils n'oseroient prendre ou souffrir en plein jour, par un reste de pudeur, ou par la crainte des hommes? Rien de plus opposé que les danses en général, et en particulier celles de la nuit, à cette régle de saint Paul: Marchons avec bienséance et avec honnêteté, comme on marche durant le jour. (Rom. c. 13, v. 13.)

[-121-] Une troisieme circonstance qui rend les danses plus criminelles, c'est lorsqu'elles sont accompagnées de déguisement, comme il est encore très-ordinaire aux bals. Si comme je viens de le marquer, les ténébres de la nuit contribuent à donner plus de hardiesse pour prendre ou souffrir des libertés criminelles, cette hardiesse ne doit-elle pas naturellement beaucoup augmenter, lorsqu'étant caché par un masque et sous un habit extraordinaire, on est assuré de n'être pas connu? Mais la maniere de se déguiser la plus dangereuse et la plus criminelle, c'est lorsqu'on change les habits de son sexe pour prendre ceux de l'autre sexe. Dieu l'avoit défendu à son ancien peuple dans les termes les plus forts. Combien cette défense regarde-t-elle encore plus les Chrétiens, qui vivant sous la loi de grace, font obligés à une plus grande sainteté! Une femme, est-il dit dans le Deuteronome, (c. 12, v. 5,) ne prendra point un habit d'homme, ni un homme un habit de femme; car celui qui le fait est abominable devant Dieu. En effet, que de désordres et de scandales peuvent naître de ce changement d'habits de son sexe! La femme, en changeant ainsi d'habits, se dépouille assez aisément de la pudeur et de la modestie naturelle aux femmes; et l'homme aussi, en prenant l'habit qui convient à l'autre sexe, donne lieu de craindre qu'il n'en [-122-] ait la mollesse et l'esprit, ou qu'il ne les prenne bientôt: ce qui est un renversement de la nature, abominable aux yeux de Dieu. Qui s'attendroit, après une défense aussi expresse que celle qui vient d'être rapportée, à trouver encore des Chrétiens, qui par un mépris marqué de Dieu et de ses volontés, vont directement contre ce qu'il a si expressément défendu!

Une quatrieme circonstance qui rend les danses plus criminelles, c'est lorsqu'elles se font les jours ou les temps particulièrement consacrés à la pénitence, tels que sont les jours de jeûnes, et spécialement le saint temps du carême. Je rapporterai pour le prouver, les autorités et les raisons que Monsieur Bossuet a employées contre l'auteur Apologiste de la Comédie, qui non content de la permettre en général à tous les Chrétiens, n'a pas eu honte d'avancer, qu'ils pouvoient prendre ce divertissement.

Le temps même du Carême, "encore, dit-il, que ce soit un temps consacré à la pénitence, un temps de larmes et de douleur pour les Chrétiens, un temps où, pour me servir des termes de l'Ecriture, la musique doit être importune, et auquel le spectacle et la comédie paroissent peu propres, et doivent, ce semble, être défendus; l'Auteur, dit Monsieur Bossuet (pages 637-639,) semble n'avoir proposé [-123-] toutes ces raisons que pour passer par dessus, malgré le texte de l'Écriture dont il les soutient. C'est confondre toutes les idées que l'Ecriture et la Tradition nous donnent du jeûne. Le jour du jeûne est si bien un jour d'affliction, que l'Ecriture n'exprime pas autrement le jeûne que par ces termes (Levit. c. 16, v. 29, 31.) Vous affligerez vos ames, c'est-à-dire, vous jeûnerez. C'est pour entrer dans cet esprit d'affliction, qu'on a introduit cette pénible soustraction de la nourriture. Pendant qu'on prenoit sur le nécessaire de la vie, on n'avoit garde de songer à donner dans le superflu; au contraire, on joignoit au jeûne tout ce qu'il y a d'affligeant et de mortifiant, le sac, la cendre, les pleurs, parce que c'étoit un temps d'expiation et de propitiation pour ses péchés, où il falloit être affligé, et non pas se réjouir. Le jeûne a encore un caractere particulier dans le nouveau Testament, puisqu'il est une expression de la douleur de l'Eglise dans le temps qu'elle aura perdu son époux, conformément à cette parole de Jesus-Christ même: (Matth. c. 9, v. 15.) Les amis de l'Epoux ne peuvent s'affliger pendant que l'Epoux est avec eux; il viendra un temps que l'Epoux leur sera ôté, et alors ils jeûneront. Il met ensemble l'affliction et le jeûne; et l'un et l'autre, [-124-] selon lui, sont le caractere des jours où l'Eglise pleure la mort et l'absence de Jesus-Christ. Les Saints Peres expliquent aussi que c'est pour cette raison, qu'approchant le temps de la passion, et dans le dessein de s'y préparer, on célébroit le jeûne le plus solemnel, qui est celui du Carême. Pendant ce temps consacré à la pénitence et à la mémoire de la passion de Jesus-Christ, toutes les réjouissances sont interdites; de tous temps on s'est abstenu d'y célébrer des mariages; et pour peu qu'on soit versé dans la discipline, on en sçait toutes les raisons. Il ne faut pas s'étonner que durant ce temps on défende spécialement les spectacles, quand ils seroient innocens. On voit bien que cette marque de la joie publique ne conviendroit pas avec le deuil solemnel de toute l'Eglise; loin de permettre les plaisirs et les réjouissances profanes, elle s'abstenoit des saintes réjouissances, et il étoit défendu d'y célébrer les nativités des Saints, parce qu'on ne pouvoit les célébrer qu'avec une démonstration de la joie publique. Cet esprit se conserve encore dans l'Eglise, comme le sçavent et l'expliquent ceux qui entendent les rits. C'est encore dans le même esprit qu'on ne jeûne point le Dimanche, ni durant le temps entre Pâques et la Pentecôte, parce que ce sont des jours [-125-] destinés à une sainte réjouissance, où l'on chante l'Alleluia, qui est la figure du cantique de joie du siécle futur: si le jeûne ne convient pas au temps d'une sainte joie, doit-on l'allier avec les réjouissances profanes, quand d'ailleurs elles seroient permises?.... (Ibidem page 640.) Parmi les Sermons de saint Ambroise, on en trouve un de saint Césaire, Archevêque d'Arles, où il répéte trois ou quatre fois, que celui qui chasse pendant le Carême, Horum quadraginta dierum curriculo, ne jeûne pas; encore, poursuit-il, qu'il pousse son jeûne jusqu'au soir, selon la coutume constante de ce temps-là: il pourroit bien paroître avoir mangé plus tard, mais cependant il n'aura pas jeûné au Seigneur: Potes videri tardius te refecisse, non tamen Domino jejunasse. Ce Saint écrivoit à la fin du dixieme siécle. Dans le neuvieme, le grand Pape Nicolas I, imposa aux Bulgares qui le consultoient, la même observance selon la tradition des siécles précédens. Cette sévérité venoit de l'ancienne discipline des pénitens, qu'on étendoit, comme on voit, jusqu'au Carême, où toute l'Eglise se mettoit en pénitence. Et de peur qu'on ne s'imagine que cette discipline des pénitens ne fût excessive ou déraisonnable, saint Thomas l'appuie de cette raison, que ces spectacles et ces [-126-] exercices empêchent la récollection des pénitens, et que leur état étant un état de peine, l'Eglise a droit de leur retrancher par la pénitence, même des choses utiles, mais qui ne leur sont pas propres, sans y apporter d'autre exception que le cas de nécessité, comme seroit la chasse, s'il en falloit vivre: tout cela conformément aux Canons et à la doctrine des Saints."

Est-il plus aisé d'allier les danses que les spectacles avec l'esprit de récollection et de componction, qui doit être en tout temps dans les Chrétiens, et sur-tout dans les pénitens, mais qui doit particulièrement se renouveller en eux, et y être plus agissant dans les jours et les temps spécialement consacrés à la pénitence, comme le saint temps du Carême, plus que tout autre?

CHAPITRE X.

En convenant que les danses doivent ordinairement être évitées, ne peut-on pas les permettre du moins aux jours de noces, où elles sont d'usage par-tout?

Si les danses entre des personnes de différent sexe, et sur-tout de jeunes personnes, sont toujours pour le moins dangereuses, comme on ne peut raisonnablement [-127-] en douter après toutes les preuves qu'on en a données, et toutes les réflexions qui ont été faites, il s'ensuit certainement qu'elles ne sont pas plus permises aux noces qu'en toute autre circonstance; parce qu'il ne faut jamais se mettre soi même, ni mettre les autres dans aucune occasion de péché. Aussi le Concile de Laodicée, qui est le premier de tous les Conciles que nous avons cités contre les danses, défend-il expressément qu'il y en ait aux noces en particulier, recommandant qu'on s'y contente de quelques repas où tout se passe d'une maniere digne de la sainteté qui doit être dans les Chrétiens, comme dans l'histoire du mariage du jeune Tobie avec Sara. Le Saint-Esprit dit expressément: (c. 9, v. 12.) Que dans le repas même des noces tout se passa selon la crainte du Seigneur. Il n'est que trop ordinaire que dans les festins des noces les régles de la tempérance ne soient pas bien exactement observées, qu'on y chante des chansons mauvaises, et qu'on y tienne des discours indécens; et quand des jeunes gens viennent à la danse déjà échauffés par des chansons lubriques qu'ils ont chantées ou entendues, et par les discours très-indécens qu'une infinité de gens ne rougissent pas de tenir à l'occasion du mariage qui se célébre, combien est-il facile, je dirai même inévitable, qu'ils soient fortement excités à [-128-] la volupté par la vue des jeunes personnes d'un autre sexe, au milieu desquelles ils se trouvent, et par la très-grande familiarité que la danse leur fait avoir avec elles? N'est-il pas également à craindre pour ces jeunes personnes d'un sexe foible et fragile, que l'esprit impur ne profite de la présence des jeunes gens avec qui elles sont, et de tout ce qui les environne, pour s'insinuer dans leur ame, et porter à leur chasteté les plus mortelles atteintes?

Un jour de noces est un jour où les personnes, dont le mariages rassemble leurs parens et leurs amis, ont reçu un Sacrement: ceux et celles qui ont assisté à l'administration de ce Sacrement, ont dû joindre leurs prieres à celles des deux personnes qui l'ont reçu, pour attirer sur elles la bénédiction de Dieu. Et quel rapport y a-t-il entre ces prieres qui ont dû être faites de part et d'autres, et les danses, les excès de bouche, les paroles et les chansons libres, dont la plupart des nôces sont aujourd'hui souillées et déshonorées? Qu'est-ce que les Payens peuvent penser de la sainteté de nos sacremens, quand ils voient les Chrétiens eux-mêmes en faire si peu de cas, que le jour où l'administration d'un de ces Sacremens les rassemble, est un de ceux où ils paroissent plus licentieux, en se livrant plus librement à leurs passions et à des manieres [-129-] d'agir dont d'honnêtes Payens rougiroient?

Le zèle de saint Jean Chrysostôme l'a porté à s'élever plusieurs fois contre ces scandales et ces désordres qui déshonorent les nôces des Chrétiens, quoiqu'ils ne fussent alors ne si communs, ni si grands qu'ils le sont parmi nous. Ce saint Docteur nous parle encore à nous-mêmes dans se Sermons, qui sont venus jusqu'à nous; écoutons-le avec le respect que mérite un si grand Saint, et plus encore la vérité éternelle qui a parlé par sa bouche.

Je sçais, dit saint Chrysostôme, dans une Homélie sur l'Epître aux Ephésiens, (Hom. 20, tome II, page 154,) "Que je paroîtrai ridicule à plusieurs, en faisant observer les régles que je vais vous prescrire par rapport aux noces; mais si vous me croyez, j'espere que l'avantage que vous en retirerez, vous fera comprendre que je ne vous aurai rien dit que d'utile. Loin de rire de ce que je vous dis, ce qui vous paroîtra ridicule, c'est la mauvaise coutume que je combats; et vous ne pourrez vous empêcher de reconnoître que ce qui se fait maintenant est une conduite d'enfans sans raison, ou même de gens ivres; et que celle que je m'efforce de vous persuader, est une conduite pleine de modestie et de sagesse, et vous feroit commencer à mener dès ce monde une vie [-130-] toute céleste. Que dois-je donc vous dire à ce sujet? C'est qu'il faut bannir de vos noces les mauvaises chansons, qui sont les cantiques du diable; les courses et le concours des jeunes gens, dont les discours et les manieres ne montrent que trop qu'ils sont dominés par l'impureté: Omnia turpia cantica, quae sunt satanica, inhonestas cantilenas, immundorum juvenum circuitiones aufer à nuptiis.... Car celui qui au temps même de ses noces ne peut souffrir ni les danses, ni les instruments qui les animent, ni les chants mous et dissolus, ne pourra gueres dans la suite faire ou rien dire d'indécent ou de honteux: Nam qui neque tibias, neque saltantes, neque fractos cantus sustinuerit, idque tempore nuptiarum, vix ipse in animum induxerit ut turpe aliquid unquam aut faciat aut dicat."

Ce Saint parle encore sur la même matiere dans une Homélie sur l'Epître aux Colossiens, il le fait même avec plus d'étendue que dans celle que je viens de citer. (Hom. 12, tome II, pages 118 et suiv.) "Tout dans vos noces, dit-il, devroit être plein de tempérance, de modestie, de gravité et d'honnêteté; et j'y remarque tout le contraire, y voyant des gens qui sautent comme des chameaux et des mulets.... Dans toutes vos actions vous avez soin de séparer le mauvais du [-131-] bon; comme quand vous voulez ensemencer vos terres, ou que vous faites vos vendanges, vous ôtez tous les mauvais grains; de même si vous composez quelque parfum, vous prenez bien garde qu'il n'y tombe rien qui soit de mauvaise odeur. Le mariage est un espèce de parfum, parce que ceux qui le contractent doivent s'y conduire de maniere que par la sainteté de leur conduite ils répandent la bonne odeur de Jesus-Christ. Pourquoi y laissez-vous tomber la boue du péché qui l'infecte?.... Le mariage est-il donc un jeu de théâtre? c'est un mystere, et la figure d'une grande chose. Si vous ne respectez pas la figure, respectez au moins ce qu'elle représente. Ce Sacrement est grand, dit Saint Paul, (Ephes. c. 5, v. 32.) Je dis en Jesus-Christ et son Eglise, c'est-à-dire, que ce qui en fait la grandeur, c'est qu'il représente l'union ineffable de Jesus-Christ avec l'Eglise son épouse. Quelle nécessité y a t-il qu'il y ait des danses à vos noces? Les danses ne convienent qu'aux mystères et aux cérémonies des Payens: In mysteriis Graecorum sunt saltationes. Mais ce qui convient à nos cérémonies, ce sont le silence, un honnête gravité, la pudeur et la modestie: In nostris autem silentium, honesta gravitas, pudor et modestia..... Refléchissons sur toutes ces choses, ne [-132-] déshonorons pas un si grand mystere. Le mariage est un signe de la présence de Jesus-Christ, et vous vous enivrez! Dites-moi, si vous voyiez l'image du Roi, voudriez vous la déshonorer? Non sans doute: les désordres dont je me plains, qui se passent à l'occasion du mariage, paroissent être des choses indifférentes, mais ils sont dans la vérité de très grands maux, et tout y est plein d'iniquité. Saint Paul dit: (Eph. c. 5, v. 4,) Qu'on n'entende parmi vous ni paroles déshonnêtes, ni folie, ni bouffonnerie, ce qui ne convient pas à votre état; et on n'entend dans vos noces que des discours bouffons et déshonnêtes!.... Le diable peut-il manquer de se trouver où l'on tient de pareils discours? Ubi sermo obscoenus, adest diabolus sua efferens. Lorsque je vous parle ainsi, je vous suis peut-être trop à charge et trop importun; mais c'est ce qui prouve l'excès de la corruption qui regne parmi vous, de ce que ceux qui la reprennent sont regardés commes trop austeres. N'entendez-vous pas saint Paul qui dit: (I. Cor. c. 10, v. 31,) Soit que vous mangiez ou que vous buviez, et quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu? Et vous au contraire, vous faites tout pour votre propre honte et votre confusion! N'entendez-vous pas aussi le Prophête Roi qui [-133-] dit: (ps. 2, v. 11) Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement? Et vous vous répandez en des excès de joie et de dissolution! Jesus-Christ ne se trouve point où sont les joueurs d'instrumens: Ubi sunt tibicines, ne quaquam est Christus; et s'il y en a dans une maison où il entre, il commence par les faire sortir, et il opere ensuite des miracles, comme on le voit dans l'histoire de la résurrection de la fille de Jaïr, chef de la Synagogue, rapportée par saint Matthieu. (c. 9, v. 23 et suiv.) Il n'est rien de plus agréable que la vertu, rien de plus doux que la modestie, rien de plus desirable qu'une conduite pleine d'honnêteté. Que les noces se fassent en la maniere que je le recommande, et l'on éprouvera la vérité de ce que je dis, que le plaisir solide se trouve, non dans ce qui flatte les passions, mais dans la pratique de la vertu: Faciat quispiam nuptias quales ego dico, et videbit voluptatem."

Un homme aussi saint et aussi éclairé que saint Jean Chrysostôme, ne mérite-t-il pas bien qu'on l'en croie, plutôt que le monde qui est si corrompu et si aveugle?

Je ne puis m'empêcher d'ajouter à ce qu'on vient d'entendre de saint Chrysostôme, ce qu'ont écrit contres les danses qui se font aux noces, les Ministres Protestans, [-134-] du traité desquels j'ai fait plus haut l'analyse. Je le raporterai dans leurs propres termes, comme j'ai fait à l'égard des autres extraits que j'en ai donnés. C'est dans le chapitre 9, où parlant des circonstances qui contribuent à rendre les danses plus mauvaises, ils s'expriment ainsi sur la troisieme: "Ce qui rend les danses encore plus abominables devant Dieu, est de les avoir introduites aux noces et solemnités du mariage. Il est vrai qu'il semble à la plupart du monde que c'est une partie principale des noces, et toutes fois il n'y a rien qui leur soit plus contraire, si l'on considere les causes du mariage, la sanctification ordinaire, les bénédictions et le contentement qu'on y peut desirer: car le mariage est une sainte ordonnance de Dieu, à l'encontre de l'inflammation des convoitises, et de toute impudicité. Tellement, que recevoir aux solemnités du mariage aucunes choses qui soient pour irriter les convoitises, non pour les éteindre, et qui puissent donner lieu à l'impudicité en quelque sorte, c'est renverser l'ordonnance de Dieu, la profaner, et en attirer des effets tout contraires. Or telles sont les danses, et Dieu n'aura jamais pour agréable que l'on abuse des remèdes qu'il a ordonnés. Davantage les Chrétiens sont appris de procéder saintement dès la premiere entrée, afin que [-135-] les commencemens et comme les fondemens étant saints, le reste suive de même. Ç'a toujours été la coutume de venir en l'Eglise, afin que là leurs mariages fussent sanctifiés par la parole de Dieu et oraison, que leurs promesses fussent comme déposées entre les mains de Dieu, que de sa bouche ils prissent les assurances de ses bénédictions. Voilà proprement les solemnités de mariage entre les Chrétiens. Si puis après il se fait quelque banquet, s'il y a assemblée de parens et d'amis, et quelque réjouissance; ce sont choses qui se peuvent encore accorder comme civilités humaines, moyennant que la modestie et la sobriété y soient gardées. Mais si au partir de cette solemnité sainte l'on se relâche à tout plaisir sans modération, et que l'on vienne aux danses, voilà tous ces beaux commencemens renversés.... L'on aura appellé Dieu pour être auteur de cette oeuvre, et une heure après on lui donnera congé avec outrage, pour recevoir le diable et ses alléchemens. N'est-ce point se moquer de Dieu, et avoir appellé l'Eglise et les Anges pour être un jour témoins contre cette perfidie et abus de toutes choses Saintes? Et quelle sera la bénédiction de Dieu avec ce mépris? Aux mysteres des Chrétiens, il ne faut que prieres, cantiques saints, honnêteté, modestie. [-136-] Quand les Chrétiens se marient, c'est afin, comme le dit Saint Paul, (Heb. c. 13, v. 4,) qu'en toutes choses on se comporte avec honnêteté dans le mariage, et que le lit nuptial soit sans tache. Or pour avoir le mariage avec cette pureté et honneur, il le faut avoir tel dès le commencement: car se l'impureté s'y attache en quel que sorte, l'on ne la peut pas effacer bientôt; et le péché est un hôte, lequel étant reçu, est fort à faire déloger. Dès l'entrée donc il faut établir le mariage tel que l'on le veut avoir dans tout son cours. C'est ce qui se fait quand on appelle Dieu pour auteur de cet acte; que l'on s'étudie à ne rien faire qui ne soit bien pur et saint; qu'avec le mariage l'on reçoit en la famille la modestie, la pureté et la vertu; que l'on en bannit les choses profanes, le péché, le diable et toutes ses oeuvres.... Au reste, de quoi servent à ceux qui se marient les danses en leurs nôces? Pour les faire plus magnifiques? Mais la vraie magnificence et la plus honorable, ce sera, s'il n'y a rien qui ne soit bien, honnête et de vertu. Est-ce pour les célébrer avec plus de plaisir? Mais il faut donner plaisir et agréer premièrement à Dieu, qui est là présent; et faut aussi choisir des plaisirs qui ne portent point de dommage. Est-ce pour exciter les convoitises [-137-] de la chair? Mais ils entrent en mariage pour les éteindre..... Et n'y a doute que ce n'aient été les pratiques du diable d'introduire là les danses, afin que l'ordonnance de Dieu fût violée, la sanctification du mariage changée en souillure et malédiction, et qu'on vît naître d'une chose bonne toute sorte de mal..... Il faut que toutes ces méchantes coutumes s'en aillent ensemble du milieu de nous, et que nous mettions de n'avoir l'institution de Dieu sainte en son entier de peur qu'il ne se courrouce, et que de vrai ce qu'il nous avoit donné pour remède, il ne le convertisse lui-même en punition, comme il n'advient que trop souvent en de pareilles fautes...... Jesus-Christ fut aux noces en Cana avec ses disciples: il sera aux nôtres avec toute abondance de ses graces, si nous voulons; mais qu'il nous souvienne toujours de la sentence de Chrysostôme: là où sont les ménestriers et les danses, Jesus-Christ n'y est point. Bref, les noces ne sont point un théâtre de folie et de turpitude, mais un solemnité sainte d'une chose sacrée, pour mener avec l'epoux et l'épouse la vertu, la modestie, la chasteté, l'honneur, Dieu même avec toutes ses graces en la maison."

Que répondront au jour du jugement à Dieu, tant de Chrétiens qui connoissent si [-138-] peu la sainteté du mariage, et qui y entrant sans aucune vue de Dieu et sans le moindre sentiment de piété, célébrent leurs noces d'une maniere toute payenne, lorsque Jesus-Christ leur opposera ce qu'en ont écrit les Docteurs Protestans dont je viens de rapporter les paroles, et qu'il leur reprochera que dans le sein même de l'Eglise ils ont moins sainement pensé des choses de la Religion et de la sainteté de nos sacremens, que des hommes qui avoient le malheur d'en être séparés par l'hérésie, et qui ne regardoient point la célébration du mariage comme un vrai sacrement? Qu'ils préviennent ces reproches, et qu'ils ouvrent enfin les yeux à la lumiere qui leur est présentée par des hommes qui ne doivent pas leur être suspects de rigorisme, et pour lesquels on ne peut s'empêcher d'être vivement affligés qu'ils n'aient pas été aussi éclairés sur tous les articles de notre foi, qu'ils l'ont été sur ce point de morale.

CHAPITRE XI.

On doit non seulement éviter les danses, mais on doit même éviter, autant qu'on peut, d'être présent aux danses.

Si l'on ne doit point aimer à danser, on ne doit pas non plus aimer à voir danser les [-139-] autres. Prendre plaisir à être spectateur ou spectatrice des danses, c'est leur donner une sorte d'approbation, et par-là y participer en sa maniere. Et saint Paul déclare: (Rom. c. I, v. 32,) Que non-seulement ceux qui font les choses défendues (dont il venoit de parler) méritent la mort, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font. Il écrit aussi aux Ephésiens (c. 5, v. 11,): Ne prenez point de part aux oeuvres infructueuses des ténébres, mais plutôt condamnez-les.

De plus si on trouve du plaisir à voir danser, on ne peut gueres tarder à en trouver à danser soi-meme; et si on a eu jusqu'alors de la répugnance à le faire, on sera facilement excité par l'exemple des autres, qu'on aura aimé à voir dans ce divertissement, à le rechercher et à s'y livrer soi-même, pour peu qu'on puisse le faire avec bienséance. Enfin on ne peut s'arrêter à regarder les danses sans être en même-temps témoin de beaucoup de familiarités et de libertés criminelles qu'ont ensemble les personnes de différent sexe, ou en dansant, ou après avoir dansé. Et combien cette vue est-elle capable de produire dans l'ame de mauvaises pensées et de mauvais desirs, qu'on ne peut pas alors dire être involontaires puisqu'on veut ce qui les produit!

[-140-] Voici encore ce qu'enseignent sur cela les Ministres Protestans dans leur chapitre dixieme de leur Traité contre les danses. Il est si conforme aux principes de la Religion et si solidement prouvé par les saintes Ecritures, qu'il ne peut être que très-utile de le mettre sous les yeux des Catholiques. "S'il est besoin de se trouver aux compagnies quelquefois, il le faut faire prudemment, et selon que nous sommes enseignés; regarder avec discrétion quelles sont les compagnies que nous voulons fréquenter; car il n'est pas permis de s'adjoindre à toutes manieres de gens, de peur que tombant en compagnie de gens déréglés, l'on ne communique au mal, et que de mauvaises paroles ou actions on n'en remporte quelque vice..... Il faut user du conseil que les anciens Conciles donnoient jadis aux Chrétiens quand ils seroient en quelques noces: qu'ils mangeassent sobrement et honnêtement, et les tables levées, si les ménestriers entroient pour commencer les danses, qu'ils partissent de-là. Que donc ils se retirent; et s'ils ont fait une faute de s'être approchés de telles assemblées du monde, qu'ils n'ajoutent une seconde faute d'être ou parties, ou spectateurs des actions, lesquelles ils doivent condamner. Mais cela sera mal pris, disent-ils, de laisser la compagnie. [-141-] Soit, la faute en est aux autres qui vous en donnent l'occasion; car quand vous aurez été appellé par vos amis, et serez-là avec eux tant qu'il vous sera permis pour votre salut et honneur, vous aurez abondamment fatisfait à l'amitié; mais que pour chose aucune vous oubliiez les devoirs de votre profession, il n'y en a point de raison, vu qu'il ne fut jamais trouvé que l'amitié liât si avant, que de faire l'un complice et compagnon des vices de l'autre. C'est ici plutôt que la sainte et constante hardiesse chrétienne se doit montrer, à ne participer point aux oeuvres mauvaises, mais plutôt les reprendre et les condamner, si ce n'est de paroles, pour le moins par une soudaine retraite, et tous témoinages qu'on ne les a point à gré. Tout ce ce qu'ils pourront dire de ceux qui se départent, sera qu'ils ne veulent point danser, c'est-à-dire, qu'ils sont Chrétiens, ennemis des vices, détestant le mal jusqu'aux apparences, renonçant au monde et à ses plaisirs, fuyant toutes occasions et alléchemens à mal: si cela leur déplaît, ce n'est rien que ce qui nous a été promis par ces paroles de la premiere Epître de Saint Pierre. (c. 4, v. 4.) Ils trouvent maintenant étrange que vous ne couriez plus avec eux, comme vous faisiez autrefois, à ces débordemens de débauche et [-142-] d'intempérance, et ils prennent de-là sujet de vous charger d'exécrations. Mais il est à espérer aussi que notre constance en touchera aucuns, lesquels si nous étions assistans en telles actions, y seroient confirmés."

N'étant permis à personne d'aimer à regarder les danses, que doit-on donc penser des Ecclésiastiques, et sur-tout des Curés qui, lorsqu'il se fait des danses dans leur paroisses, en sont dans le lieu de l'assemblée les tranquilles spectateurs? Quel doute qu'ils ne se rendent d'autant plus criminels devant Dieu, que leur exemple est plus capable de faire impression, et qu'on est plus porté à s'en prévaloir pour regarder comme permis un divertissement qu'on n'est déjà que trop porté à justifier, quelque mauvais qu'il soit? Un Curé qui se rendra spectateur des danses qui se font dans sa Paroisse, aura-t-il bien du zèle et de la force pour les condamner dans la chaire et au confessional? et auroit-il bonne grace à le faire s'il l'entreprenoit? Cependant n'est-ce pas pour lui un devoir indispensable de s'élever souvent contre la source de tant de maux? C'est ce que saint Charles recommandoit au Curés de son diocèse: et tout Curé qui néglige de le faire, ne doit-il pas prendre pour lui ces paroles de Dieu dans la Prophétie d'Ezéchiel? (c. 33, v. 6.) [-143-] Que si la sentinelle voyant venir l'épée ne sonne de la trompette, et que le peuple ne se tenant point sur ses gardes, l'épée vienne et leur ôte la vie, ils seront pour eux surpris dans leur iniquité; mais néanmoins je redemanderai son sang à la sentinelle. C'est-là un langage figuré dont Dieu donne lui-même l'explication sur-le-champ, en ajoutant (v. 7,) fils de l'homme, vous êtes donc celui que j'ai établi pour servir de sentinelle à la maison d'Israël: vous écouterez les paroles de ma bouche, et vous leur annoncerez ce que je vous aurai dit. Ce qui est dit ici au Prophête Ezéchiel, ne regarde-t-il pas aussi tous ceux qui ont la charge des ames? Ils sont établis comme des sentinelles sur le troupeau qui leur est confié, pour examiner et considérer tout ce qui peut nuire aux ames dont ils sont chargés, pour les en avertir, et pour employer tous leurs soins à les en garantir. Est-ce là ce que font par rapport aux danses les Curés qui y assistent? Leur présence dit-elle à ceux et à celles qu'ils voient danser: Vous vous livrez à un divertissement très-dangereux et très-mauvais? ne semble-t-elle pas au contraire leur dire: je trouve bon et j'approuve que vous vous réjouissiez comme vous faites? Il est vrai que les Curés qui ne se font point de scrupule d'être présents aux danses de leurs paroissiens, prétendent excuse une conduite [-144-] si peu pastorale et si opposée à toutes les règles, en disant que leur présence peut servir à arrêter des libertés criminelles qui s'y prendroient, et bien des péchés qui pourroient s'y commettre si leur présence ne retenoit pas. Mais en s'appuyant d'une si mauvaise raison, ces Curés ne doivent-ils pas craindre que Jesus-Christ en les jugeant ne leur dise: (Luc. c. 19, v. 22,) Méchant serviteur, je vous condamne par votre propre bouche? En effet, s'ils croient leur présence aux danses nécessaire, ou du moins utile pour empêcher des désordres qu'ils croient avoir lieu de craindre, ils conviennent donc que les danses peuvent fort facilement donner lieu à ces désordres: et dès-lors, bien loin de paroître approuver les danses par leur présence, ne doivent-ils pas au contraire employer tout ce qu'ils ont de zèle et d'autorité à les bannir, s'il est possible, entièrement de leur Paroisse? Qui voudroit excuser un Officier de guerre qui verroit tranquillement et sans rien dire les soldats qu'il commande piller les lieux par lesquels il les conduiroit, sous prétexte qu'il seroit là présent pour les empêcher d'attenter à la vie de ceux dont ils prendroient le bien? Quand on est chargé de la conduite des autres, on ne doit pas se borner à n'empêcher que les plus grands maux, mais on doit encore s'opposer, autant qu'on peut, à [-145-] tous. Je veux même que la présence des Curés qui assistent aux danses arrête certaines libertés plus grandes; (ce qui est fort douteux, parce que de tels Curés ne se font gueres respecter ni craindre.) En arrêtant ainsi la main, c'est-à-dire, les actions extérieures, arrêteront-ils le coeur, c'est-à-dire, les mauvaises pensées, les mauvais desirs et les autres mauvais effets cachés, que les danses des personnes de différent sexe produisent naturellement? Si donc un Curé qui a des lumières et du zèle, desire bien sincèrement de s'opposer aux maux sans nombre et très-grands qui naîssent des danses, quel parti prendra-t-il? Ce ne sera pas d'être présent à ces danses; mais de parler souvent en chaire contre elles; d'exhorter avec charité avec douceur les personnes de la Paroisse qui les aiment, à y renoncer; d'être ferme et de n'admettre point aux sacremens ceux et celles qui refuseront de se rendre à ses avis; de faire à Dieu de fréquentes et de ferventes prieres pour obtenir de sa miséricorde qu'il ouvre le coeur de ses paroissiens à ses exhortations; et s'il ne peut, par tous les efforts et toute l'industrie de son zèle, arrêter un mal dont il sent toutes les funestes suites, il ne doit pas se décourager pour cela, mais redoubler dans le secret ses gémissemens, espérant qu'ils ne seront pas entièrement sans fruit pour [-146-] quelque-uns de ceux qui en auront été l'objet; ou que s'ils ne leur servent pas, ils lui serviront à lui-même, en attirant sur lui, pour sa propre sanctification, les graces qu'il n'aura pas obtenues pour la sanctification des autres.

[-147-] CHAPITRE XII.

Ceux qui ont quelque autorité doivent, autant qu'ils le peuvent, s'opposer aux danses, et empêcher ceux et celles qui dépendent d'eux d'y aller.

Les premiers qui doivent s'opposer aux danses, et en détourner le plus qu'il leur est possible ceux sur qui ils ont quelque autorité, ce sont les Ministres de Jesus-Christ, et particulièrement les Pasteurs et les Confesseurs. Une de leurs plus essentielles vertus, c'est le zèle pour la gloire de Dieu et pour le salut du prochain, en sorte qu'on puisse leur appliquer cette parole de l'Ecriture, que les Apôtres reconnurent (Joan. c. 2, v. 17,) avoir été écrite de Jesus-Christ le souverain Pasteur des ames, lorsqu'il chassa les vendeurs du temple: (Ps. 68, v. 10,) Le zèle de votre maison me dévore. On est chrétien pour soi: on est Pasteur et Ecclésiastique pour le prochain; mais sans zèle on lui est inutile. Et quel doit être ce zèle? Il doit ressembler à celui de Jesus-Christ, étant comme le sien, non un zèle commun, languissant et sans action, mais un zèle ardent, un zèle dévorant; cependant toujours réglé par la sagesse de Dieu [-148-] et conduit par son esprit, qu'il faut, pour l'obtenir, lui demander avec instance. Que produit ce zèle quand on en est animé? Il fait qu'on ne peut voir sans en être ému et sans la plus vive douleur, ce qui offense Dieu et ce qui perd les ames. Or nous avons vu de combien de péchés les danses sont la source, et par conséquent de combien d'ames elles causent la perte. C'est ainsi qu'il est dit dans les Actes des Apôtres: (c. 17, v. 16,) Saint Paul étant à Athènes, son esprit se sentit ému dans lui-même, en voyant que cette ville étoit si attachée à l'idolâtrie. Ce saint Apôtre dit lui-même, en écrivant aux Corinthiens: (II. Cor. c. II, v. 29,) Qui est scandalisé, (c'est-à-dire, tenté et porté au péché) sans que je brûle? C'est comme si le saint Apôtre disoit: Je ne puis voir Dieu offensé, et quelqu'un de mes freres se perdre en marchant dans la voie du péché, sans qu mon zèle s'enflamme, et sans que je ressente dans mon ame une douleur aussi cuisante que celle que ressent dans son corps un homme qu'on brûle à petit feu.

Combien sont éloignés d'avoir ce zèle tant d'Ecclésiastiques, de Pasteurs et de Confesseurs, qui n'osent élever leur voix contre les danses, ou qui l'élevent trop foiblement, se contentant de dire qu'on feroit bien mieux de n'y pas aller (comme s'il ne [-149-] s'agissoit ici que de tendre à une plus haute perfection) sans condamner ouvertement et fortement les personnes qui y vont, et sans employer l'autorité que leur donne leur caractère et leur ministere pour en détourner absolument, comme d'un grand mal, sur-tout les personnes dont ils sont chargés! Est-ce ainsi qu'ont parlé des danses les Saints qui nous ont précédés? Et n'ai-je pas fait voir avec quelle force ils se sont élevés contre elles? Ils ne se sont pas contentés de parler, mais ils ont agi, et ils n'ont pas craint, pour les abolir des lieux où elles étoient en usage, de s'exposer à la censure, aux contradictions, et même à la persécution du monde. La vie de Saint Eloy, Evêque de Noyon et de Tournay, nous fournit en sa personne un exemple bien touchant de ce zèle plein de courage et de force pour déraciner les abus, et particulièrement les danses. Voici ce que rapporte à ce sujet un des Historiens des plus dignes de foi, par la critique aussi exacte que judicieuse dont il a fait usage en écrivant les vies des Saints. (Monsieur Baillet, vie de Saint Eloy, au premier Décembre.) "Eloy, dit ce célèbre Auteur, n'avoit de rigueur que pour lui-même, il étoit plein de tendresse pour les autres; mais sa douceur étoit toujours accompagnée de beaucoup de fermeté; et souvent lorsqu'il paroissoit le plus indulgent, c'étoit alors [-150-] qu'il faisoit paroître sa rigueur épiscopale.... Un jour de Saint Pierre, prêchant dans une Paroisse proche Noyon, il invectiva fortement contre les danses et les autres jeux qui tenoient encore du paganisme, où les bonnes moeurs étoient fort en danger. Les habitans du lieu se révolterent, et ne purent souffrir qu'on leur ôtât des divertissemens qu'ils avoient vu pratiquer à leurs peres, et qu'ils tenoient d'une coutume immémoriale: ils conspirerent ensemble la perte de leur Pasteur, s'il ne cessoit ses invectives contre les danses, et ne les laissoit dans leurs anciens usages: Eloy en eut avis, mais le danger ne l'empêcha pas d'y retourner à la premiere fête, doutant si Dieu ne lui avoit pas réservé cette occasion de répandre son sang pour la Justice, afin de ne le point frustrer de la gloire du martyre, à laquelle il osoit aspirer. Il prêcha donc en ce lieu avec encore plus de véhémence qu'auparavant contre ces désordres. On ne répondit à son zèle que par des injures et des outrages, et l'on ne parloit que de le massacrer, quoiqu'il ne se trouvât personne qui voulût mettre la main sur l'oint du Seigneur, à cause de la vénération générale qu'on avoit pour lui. Eloy voyant qu'il n'avançoit point, poussé d'ailleurs de l'esprit de saint Paul, et armé du même pouvoir, il livra, par [-151-] l'excommunication, les plus mutins et les plus endurcis au démon pour mortifier leur chair, et faire en sorte que leur ame fût sauvée au jour du Seigneur. Ce sont les paroles mêmes de saint Paul, au sujet de l'excommunication qu'il lança contre l'incestueux de Corinthe. Il y en eut près de cinquante, sur-tout des domestiques d'Erchinoald ou Archambaud, Maire du Palais, qui se trouverent ainsi à la discrétion du démon, et apprirent aux autres à craindre les jugemens de Dieu dans ceux de son Eglise. Leurs peines et leurs humiliations durerent un an entier, et ce ne fut qu'à la fête suivante, que le saint Evêque, ayant reçu leurs soumissions avec celles de tous les habitans, leur accorda la grace de leur déliverance."

Il faut que saint Eloy ait jugé les danses bien pernicieuses aux ames, pour avoir été disposé à souffrir la mort plutôt que de ne pas faire tous ses efforts our les abolir dans les lieux où il avoit autorité, et pour employer à cet effet la peine de l'excommunication, qui est la plus grande dont l'Eglise puisse faire usage contre ceux qui s'obstinent dans l'erreur ou dans de grands déréglemens. Dieu a visiblement autorisé ce jugement que saint Eloy portoit des danses, et ce que son zèle lui fit faire pour les abolir, en punissant d'une maniere visible [-152-] ceux qui ne pouvant souffrir ses réprimandes, se révolterent contre lui, et en n'accordant la cessation des maux qu'ils souffroient, qu'aux prieres du saint Evêque. L'exemple de ces malheureux frappés de Dieu, d'une maniere éclatante, pour avoir résisté à leur Evêque dans ce qu'il fit pour abolir les danses, ne fera-t-il aucune impression sur tant de gens qui osent en prendre la défense, et qui en conséquence murmurent contre les Pasteurs et les Confesseurs, qui, animés du même zèle que saint Eloy, s'élevent comme lui contre un désordre qui, pour être répandu par-tout et autorisé par une infinité de gens, n'en est pas moins dangereux ni moins condamnable? Que tous ces apologistes des danses, qui ne peuvent opposer au zèle de ceux qui les défendent que des murmures, et non de bonnes raisons, ne se rassurent pas sur ce que Dieu ne se déclare pas par des punitions sensibles, contre ceux qui leur résistent, comme il en exerça autrefois contre ceux qui résisterent à saint Eloy. Dieu est patient parce qu'il est éternel, et souvent il n'épargne en ce monde que pour punir plus rigoureusement en l'autre. Ce fut par miséricorde qu'il affligea autrefois, par ces châtimens extérieurs, ceux que saint Eloy excommunia, puisque ces peines servirent à les faire rentrer en eux-mêmes; [-153-] au lieu que le silence que Dieu garde maintenant pour l'ordinaire à l'égard de ceux qui résistent à ses Ministres, parce qu'ils ne peuvent souffrir qu'ils s'opposent à leurs passions, est un silence de justice, qui ne servant qu'à les endurcir dans le mal, les rend plus dignes des supplices éternels, réservés aux pécheurs impénitens.

Après les Ministres de Jesus Christ, ceux qui ont une obligation plus particuliere de s'opposer aux danses, ce sont les peres et meres à l'égard de leurs enfans, et les maîtres et maîtresses à l'égard de leurs domestiques, mettant en usage tous les moyens qu'ils peuvent prendre pour les en détourner.

D'abord c'est une obligation indispensable pour les peres et meres d'empêcher, autant qu'il le peuvent, leurs enfans d'aller aux danses. Si par une négligence notable d'un pere et d'une mere, un seul de leurs enfans tomboit dans le feu ou dans l'eau, et s'il y périssoit, tout le monde ne se réuniroit-il pas pour les blâmer hautement de cette négligence? Combien sont plus blâmables les peres et les meres qui par une semblable négligence à préserver leurs enfans, lorsqu'ils le peuvent, de tomber dans le péché mortel, les laissent aller où ils sont en grand danger d'en commettre! On est indique du nom de pere et de mere, lorsqu'après avoir enfanté des fils et des filles [-154-] pour le siècle présent, on les laisse par une molle et excessive indulgence périr pour le siècle futur.

C'est ce qui a fait prononcer à saint Paul cette terrible sentence: (I. Tim. c. 5, v. 8.) Que si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la Foi, et il est pire qu'un infidèle. Si le bruit de ce tonnerre ne réveille point de leur négligence tant de peres et de meres qui ne se mettent point en peine de l'ame et du salut de leurs enfans, ils ne sont pas seulement plongés dans un profond sommeil, mais ils sont encore enfoncés dans une profonde mort.

Les Saints Peres ont fortement parlé contre les meres qui, pouvant nourrir leurs enfans, les donnent à nourrir à d'autres femmes; et la principale raison de ces plaintes, c'est qu'en donnant leurs enfans à des nourrices étrangeres, elles les exposent au danger de leur faire sucer les vices de ces nourrices avec leur lait, si elles étoient de mauvaises moeurs. A combien de plus grands dangers les peres et meres exposent-ils la pureté de leurs enfans, en les laissant aller aux danses, où tout ce qu'on voit et ce qu'on entend n'est propre qu'à corrompre?

Cependant combien y a-t-il aujourd'hui de meres, qui non-seulement laissent tranquillement leurs filles aller aux bals et aux [-155-] danses, mais trouvent même un sujet de gloire lorsqu'elles les voient danser avec un art, une adresse et une grace qui leur attirent des louanges, et lorsque ne l'ayant pas vu, elles entendent dire que leurs filles se sont distinguées par ce dangereux talent, dans cet art si funeste!

L'obligation qu'ont les peres et meres d'empêcher, autant qu'ils peuvent, leurs enfans d'aller aux danses, est à-peu-près la même dans les maîtres et maîtresses, par rapport à leurs domestiques, puisqu'on peut également appliquer à ces derniers la sentence de saint Paul qui vient d'être rapportée: Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il est pire qu'un infidèle, et il a renoncé à la Foi.

Aussi saint Augustin a-t-il réuni les devoirs des maîtres et maîtresses envers leurs domestiques, avec ceux des peres et meres envers leurs enfans, dans une exhortation qu'il fait aux uns et aux autres à se bien acquitter de ce qu'ils doivent à ceux dont ils sont chargés.

Ce que le saint Docteur dit sur cela est si beau et si touchant, que j'ai cru devoir le rapporter tout entier. Il est tiré d'un Sermon de ce Pere sur l'endroit de saint Matth. c. 25, où il est parlé du Serviteur paresseux, qui fut condamné, pour n'avoir [-156-] pas mis à profit le talent qui lui avoit été confié. (Serm. 94.) "Vous venez, dit ce Pere, de voir dans ce qu'on nous a lu de l'Evangile, quelle est la récompense des bon serviteurs, et la punition des mauvais. Vous venez de voir que tout le crime de ce serviteur réprouvé, et si sévérement puni, est de n'avoir pas voulu mettre à profit le talent qui lui avoit été confié. Il l'a gardé, et il l'a représenté en son entier: mais le Seigneur vouloit du profit; car Dieu est, pour ainsi dire, avare par rapport à notre salut. Or si celui qui n'a péché qu'en ne rendant pas le profit de ce qu'il avoit reçu, est puni si sévèrement, à quoi doivent s'attendre ceux qui le perdent et le dissipent?"

Après cette observation générale, saint Augustin commence par s'appliquer à lui-même la parabole dont il s'agit: "Nous sommes, continue-t-il, les dispensateurs des trésors du Seigneur: nous les distribuons, vous les recevez; mais nous voulons qu'ils profitent entre vos mains. Vivez donc bien; car c'est le profit que nous cherchons."

De cette application de la parabole que saint Augustin se fait à lui-même, il passe à une autre application à tous ceux et toutes celles qui, en quelque état qu'ils soient, en ont d'autres sous leur charge, comme [-157-] les peres et meres, les maîtres et maîtresses. "Ne croyez pas, dit-il, que la sage administration de ce qui vous a été confié ne vous regarde pas. Vous ne pouvez le faire du lieu élevé d'où je vous parle, mais vous le pouvez quelque part que vous soyez. Lorsqu'on ne parle pas de Jesus-Christ avec le respect qui lui est dû, prenez sa défense, répondez à ceux qui murmurent contre lui, reprenez les blasphémateurs, séparez-vous de leur compagnie. Vous serez un dispensateur digne de récompense, si vous gagnez à Jesus-Christ quelqu'un de vos freres. Tenez notre place dans vos maisons. Le nom d'Evêque que nous portons, vient de l'inspection et de l'intendance que nous avons sur le peuple dont nous sommes Evêques, et du soin que nous devons prendre de son salut en veillant sur lui. Que chacun de vous dans sa propre maison, s'il en est le chef, croie donc que l'office d'Evêque le regarde, et qu'il doit se mettre en peine d'examiner quelle est la foi de ceux qu'il a sous lui, de peur que quelques-uns d'eux ne tombent dans l'hérésie; de peur que sa femme, son fils, sa fille, son serviteur ou son esclave, qui a été acheté comme lui d'un grand prix, ne périsse. L'Apôtre saint Paul met le maître au-dessus du serviteur, et soumet le serviteur [-158-] au maître; mais Jesus-Christ a payé pour tous les deux un même prix. Ne méprisez donc pas le moindre de vos freres, et employez tous vos soins et toute la vigilance dont vous êtes capables à procurer le salut de tous. Si vous le faites, vous serez des dispensateurs fidèles de ce que vous avez reçu; vous ne serez point de ces serviteurs paresseux que l'Evangile condamne; et vous vous mettrez à couvert du châtiment si terrible dont vous venez de voir qu'ils sont punis."

De ce que les peres et meres doivent, autant qu'il est possible, inspirer à leurs enfans de l'éloignement pour la danse, s'ensuit-il qu'il ne leur est pas permis de leur donner pendant un temps un maître à danser? Je vais faire répondre pour moi un Auteur très-connu par l'estime que lui ont acquise ses ouvrages, qui ont été si bien reçus de public: je veux parler de Monsieur Rollin, ancien Recteur de l'université de Paris, dans un petit supplément qu'il a fait au Traité de la maniere d'enseigner et d'étudier les belles-lettres. Parlant en particulier dans le second article, des études qui peuvent convenir aux jeunes filles, il traite, dans la section troisieme, de la lecture des Poëtes, de la musique et de la danse. Je laisse ce qu'il dit de la lecture des Poëtes et de la musique, parce que cela est étranger à mon [-159-] sujet, et je m'arrête seulement à ce qu'on lit dans cet article sur la danse. "La danse, y est-il dit, (pages 66 et 67.) fait ordinairement une des parties les plus essentielles de l'éducation des filles, et l'on y consacre sans peine beaucoup de temps et beaucoup d'argent. Je me borne à examiner simplement et sans prévention quel est, sur cet article, le devoir d'une mere chrétienne et raisonnable. Comme il y a des études destinées à cultiver et à orner l'esprit, il y a aussi des exercices propres à former le corps, et l'on ne doit pas les négliger. Ils contribuent à régler la démarche, à donner un air aisé et naturel, à inspirer une sorte d'honnêteté et de politesse extérieure qui n'est pas indifférente dans le commerce de la vie, et à faire éviter les défauts de grossiereté et de rusticité qui sont choquans, et qui marquent peu d'éducation. Mais il suffit pour cela d'apprendre à de jeunes personnes à ne point s'abandonner à une molle nonchalance qui gâte et corrompt toute l'attitude du corps, à se tenir droites, à marcher d'un pas uni et ferme, à entrer décemment dans une chambre ou dans une compagnie, à se présenter de bonne grace, à faire une révérence à propos, en un mot à garder toutes les bienséances qui font partie de la science du monde, [-160-] et auxquelles on ne peut pas manquer sans se rendre méprisable. Voilà, ce me semble, à quoi doit tendre l'exercice dont je parle; et j'ai vu avec joie des maîtres à danser de la premiere réputation, se renfermer dans ces bornes pour satisfaire aux desirs des meres chrétiennes, qui joignent à une grande naissance une piété encore plus grande. Il n'est pas nécessaire que je m'arrête ici à montrer combien tout ce qui est au-delà de ce que je viens de dire peut devenir dangereux pour de jeunes demoiselles, et combien les suites en peuvent être funestes. Une dame un peu jalouse de sa réputation, ne seroit pas contente qu'on lui fît un mérite d'exceller dans le chant et dans la danse." Sur quoi Monsieur Rollin cite l'exemple de Sempronia, que j'ai rapporté plus haut: "C'est, dit-il, la remarque que fait Salluste en disant de Sempronia, dame de naissance, mais absolument décriée pour les moeurs, qu'elle chantoit et dansoit avec plus d'art et de grace qu'il ne convenoit à une honnête femme."

Enfin tous ceux qui ont quelque autorité temporelle, comme les Magistrats, les Seigneurs de Paroisse et leurs Officiers de justice, sont obligés de s'opposer, autant qu'ils peuvent, aux danses, et d'employer pour les déraciner des lieux où elles sont [-161-] établies, tous les moyens d'autorité qu'ils ont en main, en réglant néanmoins l'usage de ces moyens par la prudence, qui doit avoir égard aux circonstances des temps, des lieux et des personnes, en imitant la conduite de Dieu dont il est dit (Sagesse, c. 8, v. 1.) Qu'il atteint avec force depuis une extrémité jusqu'à l'autre, et qu'il dispose tout avec douceur. J'ai rapporté plus haut les Canons des Conciles et les Ordonnances de nos Rois sur ce que ceux qui sont revêtus de l'autorité temporelle doivent faire à l'égard des danses publiques, des travaux et des oeuvres serviles qui sont une profanation des jours de Dimanches et de Fêtes.

Si ceux qui sont en autorité temporelle croyent que, pour se bien acquitter de leur charge, il leur suffit de pourvoir de leur mieux au bien temporel de ceux qui leur sont soumis, sans se mettre en aucune façon en peine de ce qui regarde leur bien spirituel, qu'ils lisent ou qu'ils écoutent ce que saint Augustin écrivoit à ce sujet à Macedonius qui occupoit alors une grande place dans l'état. Voici ce que ce grand Evêque lui disoit (lettre 155, numeros 10 et 11,) pour l'engager à ne pas borner l'usage de son autorité au bien temporel des peuples, mais à l'étendre encore à leur bien spirituel: "Si toute la prudence par laquelle vous [-162-] tâchez de maintenir les choses dans l'ordre, et de faire du bien aux hommes; si toute la force qui vous fait soutenir sans vous étonner, tout ce que la malice des hommes peut entreprendre contre vous; si toute la tempérance qui vous fait résister au torrent de la corruption; si toute la justice qui reluit dans l'intégrité de vos jugemens, qui vous fait rendre à chacun ce qui lui appartient; si tout cela, dis-je, ne va qu'à garantir ceux à qui vous prétendez faire du bien, de ce qui pourroit menacer leurs corps et leur vie, à assurer leur repos contre les entreprises des méchans, à faire que leurs enfans croissent comme de jeunes plantes, que leurs filles soient parées comme un Temple magnifique, que leurs celliers regorgent l'un dans l'autre, que leurs brébis soient fécondes, que leurs boeufs soient gras, que nulle ruine ne défigure leurs héritages, qu'on n'entende point de clameurs publiques, qu'il n'y ait parmi eux ni querelle ni procès; vos vertus ne sont pas plus de véritables vertus, que le bonheur de ceux pour qui vous travaillerez ne sera un véritable bonheur. Je ne crains point de vous le dire (et cette modest retenue que vous louez en moi dans votre lettre, avec des termes si pleins de bonté, ne m'en doit point empêcher:) Je vous dis donc encore une [-163-] fois, que si dans les fonctions de votre charge, où vous paroissez orné de ces vertus, vous n'avez pour but que de garantir les hommes de tout ce qui pourroit les faire souffrir selon la chair, sans vous mettre en peine à quoi ils rapportent ce repos que vous tâchez de leur procurer, c'est-à-dire, pour m'expliquer plus clairerement, comment ils rendent au vrai Dieu le culte qui lui est dû, (car ce n'est que pour avoir plus de moyens de le lui rendre qu'une vie tranquille est desirable, et c'est tout le fruit qu'on en peut tirer;) toutes vos peines ne serviront de rien pour la vie où se trouve la véritable félicité. Vous trouverez peut-être que je parle trop hardiment, et que j'oublie cette retenue et cette modestie que j'ai coutume de garder dans les lettres où il s'agit d'intercéder pour les criminels; mais cette modestie même, qui n'est autre chose qu'une certaine crainte de blesser et de déplaire, doit céder ici à une crainte bien plus forte, car je craindrois et de déplaire à Dieu, et de manquer à l'amitié que vous avez voulu qui fût entre vous et moi, si j'étois plus réservé à vous donner des avis salutaires."

Qu'il seroit à souhaiter que toutes les personnes en place et en autorité, donnassent, comme Macédonius, leur estime et leur confiance à des hommes capables de leur [-164-] donner les avis dont ils ont besoin, pour se bien acquiter des emplois difficiles et périlleux attachés aux grandes places, et assez dépouillés de tout intérêt propre et de toute considération humaine, pour dire à ceux qui les honorent de leur confiance, toutes les vérités qui peuvent leur être utiles! Qu'il seroit aussi à desirer que ceux qui sont revêtus du ministère ecclésiastique, ne cherchassent, comme Saint Augustin, que le bien des ames, plutôt que leurs propres intérêts et à plaire aux hommes, et que sans avoir égard à la condition des personnes, ils enseignassent toujours, à l'exemple de leur divin Maître, la voie de Dieu dans la vérité! Ayons soins de demander à Dieu des Ministres ainsi remplis de la lumiere et de la force de son Esprit.

Fin de la premiere Partie.


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