TFM - TRAITÉS FRANÇAIS SUR LA MUSIQUE

Data entry: Peter Slemon
Checked by: David Schneider
Approved by: Peter Slemon

Fn and Ft: ROUDIC1 TEXT
Author: Rousseau, Jean-Jacques
Title: Dictionnaire de Musique, A-D
Source: Oeuvres complètes de J. J. Rousseau, mises dans un nouvel ordre, avec des notes historiques et des éclaircissements, 26 vols., Beaux-arts: Dictionnaire de musique, Tome premier, ed. V. D. Musset-Pathay (Paris: P. Dupont, 1824), 12:1-282.
Graphics: ROUDIC1 01GF-ROUDIC1 02GF

[-1-] DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.

Ut psallendi materiam discerent.

Martianus Capella.

A-M.

[-3-] PRÉFACE.

La musique est, de tous les beaux-arts, celui dont le vocabulaire est le plus étendu, et pour lequel un dictionnaire est, par conséquent, le plus utile. Ainsi l'on ne doit pas mettre celui-ci au nombre de ces compilations ridicules que la mode ou plutôt la manie des dictionnaires multiplie de jour en jour. Si ce livre est bien fait, il est utile aux artistes; s'il est mauvais, ce n'est ni par le choix du sujet, ni par la forme de l'ouvrage. Ainsi l'on aurait tort de le rebuter sur son titre; il faut le lire pour en juger.

L'utilité du sujet n'établit pas, j'en conviens, celle du livre; elle me justifie seulement de l'avoir entrepris, et c'est aussi tout ce que je puis prétendre; car d'ailleurs je sens bien ce qui manque à l'exécution. C'est ici moins un dictionnaire en forme, qu'un recueil de matériaux pour un dictionnaire, qui n'attendent qu'une meilleure main pour être employés. Les fondements de cet ouvrage furent jetés si à la hâte, il y a quinze ans, dans l'Encyclopédie, que, quand j'ai voulu le reprendre sous oeuvre, je n'ai pu lui donner la solidité qu'il aurait eue si j'avais eu plus de temps pour en digérer le plan et pour l'exécuter.

Je ne formai pas de moi-même cette entreprise; elle me fut proposée: on ajouta que le manuscrit entier de l'Encyclopédie devait être complet avant qu'il en fût imprimé une seule ligne; on ne me donna que trois mois pour remplir ma tâche, et trois ans pouvaient me suffire à peine pour lire, extraire, comparer et compiler les auteurs dont j'avais besoin: mais le zèle de l'amitié m'aveugla sur l'impossibilité du succès. Fidèle à ma parole, aux dépens de ma réputation, je fis vite et mal, ne pouvant bien faire en si peu de temps. Au bout de trois mois mon manuscrit entier fut écrit, mis au net, et livré. Je ne l'ai pas revu depuis. Si j'avais travaillé volume à volume comme les autres, cet essai, mieux digéré, eût pu rester dans l'état où je l'aurais mis. Je ne me repens pas d'avoir été exact, mais je me [-4-] repens d'avoir été téméraire, et d'avoir plus promis que je ne pouvais exécuter.

Blessé de l'imperfection de mes articles, à mesure que les volumes de l'Encyclopédie paraissaient, je résolus de refondre le tout sur mon brouillon, et d'en faire à loisir un ouvrage à part traité avec plus de soin. J'étais, en recommençant ce travail, à portée de tous les secours nécessaires; vivant au milieu des artistes et des gens de lettres, je pouvais consulter les uns et les autres. Monsieur l'abbé Sallier me fournissait, de la Bibliothèque du roi, les livres et manuscrits dont j'avais besoin, et souvent je tirais de ses entretiens des lumières plus sûres que de mes recherches. Je crois devoir à la mémoire de cet honnête et savant homme un tribut de reconnaissance que tous les gens de lettres qu'il a pu servir partageront sûrement avec moi.

Ma retraite à la campagne m'ôta toutes ces ressources au moment que je commençais d'en tirer parti. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les raisons de cette retraite: on conçoit que, dans ma façon de penser, l'espoir de faire un bon livre sur la musique n'en était pas une pour me retenir. Éloigné des amusements de la ville, je perdis bientôt les goûts qui s'y rapportaient; privé des communications qui pouvaient m'éclairer sur mon ancien objet, j'en perdis aussi toutes les vues; et soit que depuis ce temps l'art ou sa théorie aient fait des progrès, n'étant pas même à portée d'en rien savoir, je ne fus plus en état de les suivre. Convaincu cependant de l'utilité du travail que j'avais entrepris, je m'y remettais de temps à autre, mais toujours avec moins de succès, et toujours éprouvant que les difficultés d'un livre de cette espèce demandent pour les vaincre des lumières que je n'étais plus en état d'acquérir, et une chaleur d'intérêt que j'avais cessé d'y mettre. Enfin, désespérant d'être jamais à portée de mieux faire, et voulant quitter pour toujours des idées dont mon esprit s'éloigne de plus en plus, je me suis occupé, dans ces montagnes, à rassembler ce que j'avais fait à Paris et à Montmorency, et de cet amas indigeste est sortie l'espèce de dictionnaire qu'on voit ici.

Cet historique m'a paru nécessaire pour expliquer comment les circonstances m'ont forcé de donner en si mauvais état un livre que j'aurais pu mieux faire avec les secours dont je suis [-5-] privé. Car j'ai toujours cru que le respect qu'on doit au public n'est pas de lui dire des fadeurs, mais de ne lui rien dire que de vrai et d'utile, ou du moins qu'on ne juge tel; de ne lui rien présenter sans y avoir donné tous les soins dont on est capable, et de croire qu'en faisant de son mieux on ne fait jamais assez bien pour lui.

Je n'ai pas cru toutefois que l'état d'imperfection où j'étais forcé de laisser cet ouvrage dût m'empêcher de le publier, parce qu'un livre de cette espèce étant utile à l'art, il est infiniment plus aisé d'en faire un bon sur celui que je donne, que de commencer par tout créer. Les connaissances nécessaires pour cela ne sont peut-être pas fort grandes; mais elles sont fort variées, et se trouvent rarement réunies dans la même tête. Ainsi mes compilations peuvent épargner beaucoup de travail à ceux qui sont en état d'y mettre l'ordre nécessaire; et tel, marquant mes erreurs, peut faire un excellent livre, qui n'eût jamais rien fait de bon sans le mien.

J'avertis donc ceux qui ne veulent souffrir que des livres bien faits de ne pas entreprendre la lecture de celui-ci; bientôt ils en seraient rebutés: mais pour ceux que le mal ne détourne pas du bien, ceux qui ne sont pas tellement occupés des fautes, qu'ils comptent pour rien ce qui les rachète; ceux enfin qui voudront bien chercher ici de quoi compenser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer les mauvais, et, dans les mauvais même, assez d'observations neuves et vraies pour valoir la peine d'être triées et choisies parmi le reste. Les musiciens lisent peu, et cependant je connais peu d'arts où la lecture et la réflexion soient plus nécessaires. J'ai pensé qu'un ouvrage de la forme de celui-ci serait précisément celui qui leur convenait, et que, pour le leur rendre aussi profitable qu'il était possible, il fallait moins [-6-] y dire ce qu'ils savent que ce qu'ils auraient besoin d'apprendre.

Si les manoeuvres et les croque-notes relèvent souvent ici des erreurs, j'espère que les vrais artistes et les hommes de génie y trouveront des vues utiles dont ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs livres sont ceux que le vulgaire décrie, et dont les gens à talent profitent sans en parler.

Après avoir exposé les raisons de la médiocrité de l'ouvrage, et celles de l'utilité que j'estime qu'on en petit tirer, j'aurais maintenant à entrer dans le détail de l'ouvrage même, à donner un précis du plan que je me suis tracé, et de la manière dont j'ai tâché de le suivre. Mais à mesure que les idées qui s'y rapportent se sont effacées de mon esprit, le plan sur lequel je les arrangeais s'est de même effacé de ma mémoire. Mon premier projet était d'en traiter si relativement les articles, d'en lier si bien les suites par des renvois, que le tout, avec la commodité d'un dictionnaire, eût l'avantage d'un traité suivi: mais pour exécuter ce projet il eût fallu me rendre sans cesse présentes toutes les parties de l'art, et n'en traiter aucune sans me rappeler les autres; ce que le défaut de ressources et mon goût attiédi m'ont bientôt rendu impossible, et que j'eusse eu même bien de la peine à faire au milieu de mes premiers guides, et plein de ma première ferveur. Livré à moi seul, n'ayant plus ni savants ni livres à consulter; forcé, par conséquent, de traiter chaque article en lui-même, et sans égard à ceux qui s'y rapportaient, pour éviter des lacunes j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai cru que dans un livre de l'espèce de celui-ci, c'était encore un moindre mal de commettre des fautes que de faire des omissions.

Je me suis donc attaché surtout à bien compléter le Vocabulaire, et non-seulement à n'omettre aucun terme technique, mais à passer plutôt quelquefois les limites de l'art que de n'y pas toujours atteindre, et cela m'a mis dans la nécessité de parsemer souvent ce dictionnaire de mots italiens et de mots grecs: les uns, tellement consacrés par l'usage, qu'il faut les entendre même dans la pratique; les autres, adoptés de même par les savants, et auxquels, vu la désuétude de ce qu'ils expriment, on n'a pas donné de synonymes en français. J'ai tâché [-7-] cependant de me renfermer dans ma règle, et d'éviter l'excès de Brossard, qui, donnant un dictionnaire français, en fait le vocabulaire tout italien, et l'enfle de mots absolument étrangers à l'art qu'il traite. Car qui s'imaginera jamais que la vierge, les apôtres, la messe, les morts, soient des termes de musique, parce qu'il y a des musiques relatives à ce qu'ils expriment; que ces autres mots, page, feuillet, quatre, cinq, gosier, raison, déjà, soient aussi des termes techniques, parce qu'on s'en sert quelquefois en parlant de l'art?

Quant aux parties qui tiennent à l'art sans lui être essentielles, et qui ne sont pas absolument nécessaires à l'intelligence du reste, j'ai évité, autant que j'ai pu, d'y entrer. Telle est celle des instruments de musique, partie vaste, et qui remplirait seule un dictionnaire, surtout par rapport aux instruments des anciens. Monsieur Diderot s'était chargé de cette partie dans l'Encyclopédie; et comme elle n'entrait pas dans mon premier plan, je n'ai eu garde de l'y ajouter dans la suite, après avoir si bien senti la difficulté d'exécuter ce plan tel qu'il était.

J'ai traité la partie harmonique dans le système de la basse fondamentale, quoique ce système, imparfait et défectueux à tant d'égards, ne soit point, selon moi, celui de la nature et de la vérité, et qu'il en résulte un remplissage sourd et confus, plutôt qu'une bonne harmonie: mais c'est un système enfin; c'est le premier, et c'était le seul, jusqu'à celui de Monsieur Tartini, où l'on ait lié par des principes ces multitudes de règles isolées qui semblaient toutes arbitraires, et qui faisaient de l'art harmonique une étude de mémoire plutôt que de raisonnement. Le système de Monsieur Tartini, quoique meilleur à mon avis, n'étant pas encore aussi généralement connu, et n'ayant pas, du moins en France, la même autorité que celui de Monsieur Rameau, n'a pas dû lui être substitué dans un livre destiné principalement pour la nation française. Je me suis donc contenté d'exposer de mon mieux les principes de ce système dans un article de mon Dictionnaire; et du reste j'ai cru devoir cette déférence à la nation pour laquelle j'écrivais, de préférer son sentiment au mien sur le fond de la doctrine harmonique. Je n'ai pas dû cependant m'abstenir, dans l'occasion, des objections nécessaires à l'intelligence des articles que j'avais à traiter: c'eût été sacrifier [-8-] l'utilité du livre au préjugé des lecteurs; c'eût été flatter sans instruire, et changer la déférence en lâcheté.

J'exhorte les artistes et les amateurs de lire ce livre sans défiance, et de le juger avec autant d'impartialité que j'en ai mis à l'écrire. Je les prie de considérer que, ne professant pas, je n'ai d'autre intérêt ici que celui de l'art; et, quand j'en aurais, je devrais naturellement appuyer en faveur de la musique française, où je puis tenir une place, contre l'italienne, où je ne puis être rien. Mais cherchant sincèrement le progrès d'un art que j'aimais passionnément, mon plaisir a fait taire ma vanité. Les premières habitudes m'ont long-temps attaché à la musique française, et j'en étais enthousiaste ouvertement. Des comparaisons attentives et impartiales m'ont entrainé vers la musique italienne, et je m'y suis livré avec la même bonne foi. Si quelquefois j'ai plaisanté, c'est pour répondre aux autres sur leur propre ton; mais je n'ai pas, comme eux, donné des bons mots pour toute preuve, et je n'ai plaisanté qu'après avoir raisonné. Maintenant que les malheurs et les maux m'ont enfin détaché d'un goût qui n'avait pris sur moi que trop d'empire, je persiste, par le seul amour de la vérité, dans les jugements que le seul amour de l'art m'avait fait porter. Mais, dans un ouvrage comme celui-ci, consacré à la musique en général, je n'en connais qu'une, qui, n'étant d'aucun pays, est celle de tous; et je n'y suis jamais entré dans la querelle des deux musiques que quand il s'est agi d'éclaircir quelque point important au progrès commun. J'ai fait bien des fautes, sans doute, mais je suis assuré que la partialité ne m'en a pas fait commettre une seule. Si elle m'en fait imputer à tort par les lecteurs, qu'y puis-je faire? ce sont eux alors qui ne veulent pas que mon livre leur soit bon.

Si l'on a vu, dans d'autres ouvrages, quelques articles peu importants qui sont aussi dans celui-ci, ceux qui pourront faire cette remarque voudront bien se rappeler que, dès l'année 1750, le manuscrit est sorti de mes mains sans que je sache ce qu'il est devenu depuis ce temps-là. Je n'accuse personne d'avoir pris mes articles; mais il n'est pas juste que d'autres m'accusent d'avoir pris les leurs.

Motiers-Travers, le 20 décembre 1764.

[-9-] AVERTISSEMENT.

Quand l'espèce grammaticale des mots pouvait embarrasser quelque lecteur, on l'a désignée par les abréviations usitées: v. n., verbe neutre; s. m., substantif masculin, et cetera. On ne s'est pas asservi à cette spécification pour chaque article, parce que ce n'est pas ici un dictionnaire de langue. On a pris un soin plus nécessaire pour des mots qui out plusieurs sens, en les distinguant par une lettre majuscule quand on les prend dans le sens technique, et par une petite lettre quand on les prend dans le sens du discours. Ainsi, ces mots, air et Air, mesure et Mesure, note et Note, temps et Temps, portée et Portée, ne sont jamais équivoques, et le sens en est toujours déterminé par la manière de les écrire. Quelques autres sont plus embarrassants, comme Ton, qui a dans l'art deux acceptions toutes différentes. On a pris le parti de l'écrire en italique pour distinguer un intervalle, et en romain pour désigner une modulation. Au moyen de cette précaution, la phrase suivante, par exemple, n'a plus rien d'équivoque:

"Dans les Tons majeurs, l'intervalle de la Tonique à la Médiante est composé d'un Ton majeur et d'un Ton mineur."

[-11-] DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.

A.

A mi la, A la mi re, ou simplement A, sixième son de la gamme diatonique et naturelle, lequel s'appelle autrement la. (Voyez Gamme.)

A battuta. (Voyez Mesuré.)

A livre ouvert, ou à l'ouverture du livre. (Voyez Livre.)

A tempo. (Voyez Mesuré.)

Académie de Musique. C'est ainsi qu'on appelait autrefois en France, et qu'on appelle encore en Italie une assemblée de musiciens ou d'amateurs, à laquelle les Français ont depuis donné le nom de concert. (Voyez Concert.)

Académie royale de Musique. C'est le titre que porte encore aujourd'hui l'Opéra de Paris. Je ne dirai rien ici de cet établissement célèbre, sinon que de toutes les académies du royaume et du monde, c'est assurément celle qui fait le plus de bruit. (Voyez Opéra.)

Accent. On appelle ainsi, selon l'acception la plus générale, toute modification de la voix parlante dans la durée ou dans le ton des syllabes et des mots dont le discours est composé; ce qui montre un rapport très-exact entre les deux usages [-12-] des accents et les deux parties de la mélodie, savoir le rhythme et l'intonation. Accentus, dit le grammairien Sergius dans Donat, quasi ad cantus. Il y a autant d'accents différents qu'il y a de manières de modifier ainsi la voix; et il y a autant de genres d'accents qu'il y a de causes générales de ces modifications.

On distingue trois de ces genres dans le simple discours: savoir, l'accent grammatical, qui renferme la règle des accents proprement dits, par lesquels le son des syllabes est grave ou aigu, et celle de la quantité, par laquelle chaque syllabe est brève ou longue: l'accent logique ou rationnel, que plusieurs confondent mal à propos avec le précédent; cette seconde sorte d'accent indiquant le rapport, la connexion plus ou moins grande que les propositions et les idées ont entre elles, se marque en partie par la ponctuation: enfin l'accent pathétique ou oratoire, qui, par diverses inflexions de voix, par un ton plus ou moins élevé, par un parler plus vif ou plus lent, exprime les sentiments dont celui qui parle est agité, et les communique à ceux qui l'écoutent. L'étude de ces divers accents et de leurs effets dans la langue doit être la grande affaire du musicien; et Denis d'Halicarnasse regarde avec raison l'accent en général comme la semence de toute musique. Aussi devons-nous admettre pour une maxime incontestable que le plus on moins d'accent est la vraie cause qui rend les langues plus ou moins musicales: car quel serait le rapport de la musique au discours si les tons de la voix chantante [-13-] n'imitaient les accents de la parole? D'où il suit que moins une langue a de pareils accents, plus la mélodie y doit être monotone, languissante et fade, à moins qu'elle ne cherche dans le bruit et la force des sons le charme qu'elle ne peut trouver dans leur variété.

Quant à l'accent pathétique et oratoire, qui est l'objet le plus immédiat de la musique imitative du théâtre, on ne doit pas opposer à la maxime que je viens d'établir que tous les hommes étant sujets aux mêmes passions doivent en avoir également le langage: car autre chose est l'accent universel de la nature, qui arrache à tout homme des cris inarticulés, et autre chose l'accent de la langue, qui engendre la mélodie particulière à une nation. La seule différence du plus ou moins d'imagination et de sensibilité qu'on remarque d'un peuple à l'autre en doit introduire une infinie dans l'idiome accentué, si j'ose parler ainsi. L'Allemand, par exemple, hausse également et fortement la voix dans la colère; il crie toujours sur le même ton. L'Italien, que mille mouvements divers agitent rapidement et successivement dans le même cas, modifie sa voix de mille manières: le même fond de passion règne dans son ame; mais quelle variété d'expression dans ses accents et dans son langage! Or, c'est à cette seule variété, quand le musicien sait l'imiter, qu'il doit l'énergie et la grace de son chant.

Malheureusement tous ces accents divers qui s'accordent parfaitement dans la bouche de l'orateur, ne sont pas si faciles à concilier sous la plume du musicien, [-14-] déjà si gèné par les règles particulières de son art. On ne peut douter que la musique la plus parfaite ou du moins la plus expressive ne soit celle où tous les accents sont le plus exactement observés; mais ce qui rend ce concours si difficile est que trop de règles dans cet art sont sujettes à se contrarier mutuellement, et se contrarient d'autant plus que la langue est moins musicale; car nulle ne l'est parfaitement: autrement ceux qui s'en servent chanteraient au lieu de parler.

Cette extrême difficulté de suivre à la fois les règles de tous les accents oblige donc souvent le compositeur à donner la préférence à l'une ou à l'autre, selon les divers genres de musique qu'il traite. Ainsi les airs de danse exigent surtout un accent rhythmique et cadencé dont en chaque nation le caractère est déterminé par la langue. L'accent grammatical doit être le premier consulté dans le récitatif, pour rendre plus sensible l'articulation des mots, sujette à se perdre par la rapidité du débit dans la résonnance harmonique: mais l'accent passionné l'emporte à son tour dans les airs dramatiques; et tous deux y sont subordonnés, surtout dans la symphonie, à une troisième sorte d'accent, qu'on pourrait appeler musical, et qui est en quelque sorte déterminé par l'espèce de mélodie que le musicien veut approprier aux paroles.

En effet le premier et principal objet de toute musique est de plaire à l'oreille; ainsi tout air doit avoir un chant agréable: voilà la première loi qu'il n'est jamais permis d'enfreindre. L'on doit donc [-15-] premièrement consulter la mélodie et l'accent musical dans le dessein d'un air quelconque: ensuite, s'il est question d'un chant dramatique et imitatif, il faut chercher l'accent pathétique qui donne au sentiment son expression, et l'accent rationnel par lequel le musicien rend avec justesse les idées du poète; car pour inspirer aux autres la chaleur dont nous sommes animés en leur parlant, il faut leur faire entendre ce que nous disons. L'accent grammatical est nécessaire par la même raison; et cette règle, pour être ici la dernière en ordre, n'est pas moins indispensable que les deux précédentes, puisque le sens des propositions et des phrases dépend absolument de celui des mots: mais le musicien qui sait sa langue a rarement besoin de songer à cet accent; il ne saurait chanter son air sans s'apercevoir s'il parle bien ou mal, et il lui suffit de savoir qu'il doit toujours bien parler. Heureux toutefois quand une mélodie flexible et coulante ne cesse jamais de se prêter à ce qu'exige la langue! Les musiciens français ont en particulier des secours qui rendent sur ce point leurs erreurs impardonnables, et surtout le Traité de la Prosodie française de Monsieur l'abbé d'Olivet, qu'ils devraient tous consulter. Ceux qui seront en état de s'élever plus haut pourront étudier la Grammaire de Port-Royal et les savantes notes du philosophe qui l'a commentée; alors en appuyant l'usage sur les règles, et les règles sur les principes, ils seront toujours sûrs de ce qu'ils doivent faire dans l'emploi de l'accent grammatical de toute espèce.

[-16-] Quant aux deux autres sortes d'accents, on peut moins les réduire en règles, et la pratique en demande moins d'étude et plus de talent. On ne trouve point de sang froid le langage des passions, et c'est une vérité rebattue qu'il faut être ému soi-même pour émouvoir les autres. Rien ne peut donc suppléer, dans la recherche de l'accent pathétique, à ce génie qui réveille à volonté tous les sentiments; et il n'y a d'autre art en cette partie que d'allumer en son propre coeur le feu qu'on veut porter dans celui des autres. (Voyez Génie.) Est-il question de l'accent rationnel, l'art a tout aussi peu de prise pour le saisir, par la raison qu'on n'apprend point à entendre à des sourds. Il faut avouer aussi que cet accent est moins que les autres du ressort de la musique, parce qu'elle est bien plus le langage des sens que celui de l'esprit. Donnez donc au musicien beaucoup d'images ou de sentiments et peu de simples idées à rendre; car il n'y a que les passions qui chantent, l'entendement ne fait que parler.

Accent. Sorte d'agrément du chant français, qui se notait autrefois avec la musique, mais que les maîtres de goût du chant marquent aujourd'hui seulement avec du crayon jusqu'à ce que les écoliers sachent le placer d'eux-mêmes. L'accent ne se pratique que sur une syllabe longue, et sert de passage d'une note appuyée à une autre note non appuyée, placée sur le même degré; il consiste en un coup de gosier qui élève le son d'un degré, pour reprendre à l'instant sur la note suivante le même son d'où l'on est parti Plusieurs donnaient le nom [-17-] de plainte à l'accent. (Voyez le signe et l'effet de l'accent, planche B, figure 13.) [ROUDIC4 03GF]

Accents. Les poètes emploient souvent ce mot au pluriel pour signifier le chant même, et l'accompagnent ordinairement d'une épithète, comme doux, tendres, tristes accents: alors ce mot reprend exactement le sens de sa racine; car il vient de canere, cantus, d'où l'on a fait accentus, comme concentus.

Accident, Accidentel. On appelle accidents ou signes accidentels les bémols, dièses ou bécarres qui se trouvent par accident dans le courant d'un air, et qui par conséquent n'étant pas à la clef ne se rapportent pas au mode ou ton principal. (Voyez Dièse, Bémol, Ton, Mode, Clef transposée.)

On appelle aussi lignes accidentelles celles qu'on ajoute au-dessus ou au-dessous de la portée pour placer les notes qui passent son étendue. (Voyez Ligne, Portée.)

Accolade. Trait perpendiculaire aux lignes, tiré à la marge d'une partition, et par lequel on joint ensemble les portées de toutes les parties. Comme toutes ces parties doivent s'exécuter en même temps, on compte les lignes d'une partition, non par les portées mais par les accolades, et tout ce qui est compris sous une accolade ne forme qu'une seule ligne. (Voyez Partition.)

Accompagnateur. Celui qui dans un concert accompagne de l'orgue, du clavecin, ou de tout autre instrument d'accompagnement. (Voyez Accompagnement.)

[-18-] Il faut qu'un bon accompagnateur soit grand musicien, qu'il sache à fond l'harmonie, qu'il connaisse bien son clavier, qu'il ait l'oreille sensible, les doigts souples et le goût sûr.

C'est à l'accompagnateur de donner le ton aux voix et le mouvement à l'orchestre. La première de ces fonctions exige qu'il ait toujours sous un doigt la note du chant pour la refrapper au besoin, et soutenir ou remettre la voix quand elle faiblit ou s'égare. La seconde exige qu'il marque la basse et son accompagnement par des coups fermes, égaux, détachés, et bien réglés à tous égards, afin de bien faire sentir la mesure aux concertants, surtout au commencement des airs.

On trouvera dans les trois articles suivants les détails qui peuvent manquer à celui-ci.

Accompagnement. C'est l'exécution d'une harmonie complète et régulière sur un instrument propre à la rendre, tel que l'orgue, le clavecin, le téorbe, la guitare, et cetera. Nous prendrons ici le clavecin pour exemple, d'autant plus qu'il est presque le seul instrument qui soit demeuré en usage pour l'accompagnement.

On y a pour guide une des parties de la musique, qui est ordinairement la basse. On touche cette basse de la main gauche, et de la droite l'harmonie indiquée par la marche de la basse, par le chant des autres parties qui marchent en même temps, par la partition qu'on a devant les yeux, ou par les chiffres qu'on trouve ajoutés à la basse. Les Italiens méprisent les chiffres; la partition même leur [-19-] est peu nécessaire; la promptitude et la finesse de leur oreille y supplée, et ils accompagnent fort bien sans tout cet appareil. Mais ce n'est qu'à leur disposition naturelle qu'ils sont redevables de cette facilité, et les autres peuples, qui ne sont pas nés comme eux pour la musique, trouvent à la pratique de l'accompagnement des obstacles presque insurmontables: il faut des huit et dix années pour y réussir passablement. Quelles sont donc les causes qui retardent ainsi l'avancement des élèves et embarrassent si long-temps les maîtres, si la seule difficulté de l'art ne fait point cela?

Il y en a deux principales: l'une dans la manière de chiffrer les basses, l'autre dans la méthode de l'accompagnement. Parlons d'abord de la première.

Les signes dont on se sert pour chiffrer les basses sont en trop grand nombre: il y a si peu d'accords fondamentaux! pourquoi faut-il tant de chiffres pour les exprimer? Ces mêmes signes sont équivoques, obscurs, insuffisants: par exemple, ils ne déterminent presque jamais l'espèce des intervalles qu'ils expriment, ou, qui pis est, ils en indiquent d'une autre espèce. On barre les uns, pour marquer des dièses; on en barre d'autres, pour marquer des bémols: les intervalles majeurs et les superflus, même les diminués, s'expriment souvent de la même manière: quand les chiffres sont doubles, ils sont trop confus; quand ils sont simples, ils n'offrent presque jamais que l'idée d'un seul intervalle, de sorte qu'on en a toujours plusieurs à sous-entendre et à déterminer.

[-20-] Comment remédier à ces inconvénients? Faudra-t-il multiplier les signes pour tout exprimer? mais on se plaint qu'il y en a déjà trop. Faudra-t-il les réduire? on laissera plus de choses à deviner à l'accompagnateur, qui n'est déjà que trop occupé; et dès qu'on fait tant que d'employer des chiffres, il faut qu'ils puissent tout dire. Que faire donc? Inventer de nouveaux signes, perfectionner le doigter, et faire des signes et du doigter deux moyens combinés qui concourent à soulager l'accompagnateur. C'est ce que Monsieur Rameau a tenté avec beaucoup de sagacité dans sa Dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement. Nous exposerons aux mots chiffres et doigter les moyens qu'il propose. Passons aux méthodes.

Comme l'ancienne musique n'était pas si composée que la nôtre ni pour le chant ni pour l'harmonie, et qu'il n'y avait guère d'autres basses que la fondamentale, tout l'accompagnement ne consistait qu'en une suite d'accords parfaits, dans lesquels l'accompagnateur substituait de temps en temps quelque sixte à la quinte, selon que l'oreille le conduisait: ils n'en savaient pas davantage. Aujourd'hui qu'on a varié les modulations, renversé les parties, surchargé, peut-être gâté l'harmonie par des foules de dissonances, on est contraint de suivre d'autres règles. Campion imagina, dit-on, celle qu'on appelle règle de l'octave (voyez Règle de l'octave); et c'est par cette méthode que la plupart des maîtres enseignent encore aujourd'hui l'accompagnement.

[-21-] Les accords sont déterminés par la règle de l'octave relativement au rang qu'occupent les notes de la basse et à la marche qu'elles suivent dans un ton donné. Ainsi le ton étant connu, la note de la basse-continue aussi connue, le rang de cette note dans le ton, le rang de la note qui la précède immédiatement, et le rang de la note qui la suit, on ne se trompera pas beaucoup en accompagnant par la règle de l'octave, si le compositeur a suivi l'harmonie la plus simple et la plus naturelle: mais c'est ce qu'on ne doit guère attendre de la musique d'aujourd'hui, si ce n'est peut-être en Italie, où l'harmonie paraît se simplifier à mesure qu'elle s'altère ailleurs. De plus, le moyen d'avoir toutes ces choses incessamment présentes? et, tandis que l'accompagnateur s'en instruit, que deviennent les doigts? A peine atteint-on un accord qu'il s'en offre un autre, et le moment de la réflexion est précisément celui de l'exécution. Il n'y a qu'une habitude consommée de musique, une expérience réfléchie, la facilité de lire une ligne de musique d'un coup d'oeil, qui puissent aider en ce moment: encore les plus habiles se trompent-ils avec ce secours. Que de fautes échappent, durant l'exécution, à l'accompagnateur le mieux exercé!

Attendra-t-on, même pour accompagner, que l'oreille soit formée, qu'on sache lire aisément et rapidement toute musique, qu'on puisse débrouiller à livre ouvert une partition? Mais en fût-on là, on aurait encore besoin d'une habitude du doigter fondée sur d'autres principes d'accompagnement [-22-] que ceux qu'on a donnés jusqu'à Monsieur Rameau.

Les maîtres zélés ont bien senti l'insuffisance de leurs règles: pour y suppléer ils ont eu recours à l'énumération et à la description des consonnances dont chaque dissonance se prépare, s'accompagne, et se sauve dans tous les différents cas: détail prodigieux que la multitude des dissonances et de leurs combinaisons fait assez sentir, et dont la mémoire demeure accablée.

Plusieurs conseillent d'apprendre la composition avant de passer à l'accompagnement: comme si l'accompagnement n'était pas la composition même, à l'invention près, qu'il faut de plus au compositeur! c'est comme si l'on proposait de commencer par se faire orateur pour apprendre à lire. Combien de gens, au contraire, veulent que l'on commence par l'accompagnement à apprendre la composition! et cet ordre est assurément plus raisonnable et plus naturel.

La marche de la basse, la règle de l'octave, la manière de préparer et sauver les dissonances, la composition en général, tout cela ne concourt guère qu'à montrer la succession d'un accord à un autre; de sorte qu'à chaque accord, nouvel objet, nouveau sujet de réflexion. Quel travail continuel! quand l'esprit sera-t-il assez instruit, quand l'oreille sera-t-elle assez exercée pour que les doigts ne soient plus arrêtés?

Telles sont les difficultés que Monsieur Rameau s'est proposé d'aplanir par ses nouveaux chiffres et par ses nouvelles règles d'accompagnement.

[-23-] Je tâcherai d'exposer en peu de mots les principes sur lesquels sa méthode est fondée.

Il n'y a dans l'harmonie que des consonnances et des dissonances; il n'y a donc que des accords consonnants et des accords dissonants.

Chacun de ces accords est fondamentalement divisé par tierces. (C'est le système de Monsieur Rameau.) L'accord consonnant est composé de trois notes, comme ut mi sol; et le dissonant de quatre, comme sol si re fa; laissant à part la supposition et la suspension, qui, à la place des notes dont elles exigent le retranchement, en introduisent d'autres comme par licence; mais l'accompagnement n'en porte toujours que quatre. (Voyez Supposition et Suspension.)

Ou des accords consonnants se succèdent, ou des accords dissonants sont suivis d'autres accords dissonants, ou les consonnants et les dissonants sont entrelacés.

L'accord consonnant parfait ne convenant qu'à la tonique, la succession des accords consonnants fournit autant de toniques, et par conséquent autant de changements de ton.

Les accords dissonants se succèdent ordinairement dans un même ton, si les sons n'y sont point altérés. La dissonance lie le sens harmonique: un accord y fait désirer l'autre, et sentir que la phrase n'est pas finie. Si le ton change dans cette succession, ce changement est toujours annoncé par un dièse ou par un bémol. Quant à la troisième succession, savoir l'entrelacement des accords consonnants [-24-] et dissonants, Monsieur Rameau la réduit à deux cas seulement; et il prononce en général qu'un accord consonnant ne peut être immédiatement précédé d'aucun autre accord dissonant que celui de septième de la dominante-tonique, ou de celui de sixte-quinte de la sous-dominante, excepté dans la cadence rompue et dans les suspensions; encore prétend-il qu'il n'y a pas d'exception quant au fond. Il me semble que l'accord parfait peut encore être précédé de l'accord de septième diminuée, et même de celui de sixte-superflue; deux accords originaux, dont le dernier ne se renverse point.

Voilà donc trois textures différentes des phrases harmoniques: 1. des toniques qui se succèdent et forment autant de nouvelles modulations; 2. des dissonances qui se succèdent ordinairement dans le même ton; 3. enfin des consonnances et des dissonances qui s'entrelacent, et où la consonnance est, selon Monsieur Rameau, nécessairement précédée de la septième de la dominante, ou de la sixte-quinte de la sous-dominante. Que reste-t-il donc à faire pour la facilité de l'accompagnement, sinon d'indiquer à l'accompagnateur quelle est celle de ces textures qui règne dans ce qu'il accompagne? Or, c'est ce que Monsieur Rameau veut qu'ou exécute avec des caractères de son invention.

Un seul signe peut aisément indiquer le ton, la tonique, et son accord.

De là se tire la connaissance des dièses et des bémols qui doivent entrer dans la composition des accords d'une tonique à une autre.

[-25-] La succession fondamentale par tierces ou par quintes, tant en montant qu'en descendant, donne la première texture des phrases harmoniques, toute composée d'accords consonnants.

La succession fondamentale par quintes ou par tierces, en descendant, donne la seconde texture, composée d'accords dissonants, savoir des accords de septième; et cette succession donne une harmonie descendante.

L'harmonie ascendante est fournie par une succession de quintes en montant ou de quartes en descendant, accompagnées de la dissonance propre à cette succession, qui est la sixte-ajoutée; et c'est la troisième texture des phrases harmoniques. Cette dernière n'avait jusqu'ici été observée par personne, pas même par Monsieur Rameau, quoiqu'il en ait découvert le principe dans la cadence qu'il appelle irrégulière. Ainsi, par les règles ordinaires, l'harmonie qui naît d'une succession de dissonances descend toujours, quoique, selon les vrais principes et selon la raison, elle doive avoir en montant une progression tout aussi régulière qu'en descendant.

Les cadences fondamentales donnent la quatrième texture de phrases harmoniques, où les consonnances et les dissonances s'entrelacent.

Toutes ces textures peuvent être indiquées par des caractères simples, clairs, peu nombreux, qui puissent en même temps indiquer quand il le faut la dissonance en général; car l'espèce en est tonjours déterminée par la texture même. On commence par s'exercer sur ces textures prises séparément; [-26-] puis on les fait succéder les unes aux autres sur chaque ton et sur chaque mode successivement.

Avec ces précautions, Monsieur Rameau prétend qu'on apprend plus d'accompagnement en six mois qu'on n'en apprenait auparavant en six ans, et il a l'expérience pour lui. (Voyez Chiffres et Doigter.)

A l'égard de la manière d'accompagner avec intelligence, comme elle dépend plus de l'usage et du goût que des règles qu'on en peut donner, je me contenterai de faire ici quelques observations générales que ne doit ignorer aucun accompagnateur.

I. Quoique dans les principes de Monsieur Rameau l'on doive toucher tous les sons de chaque accord, il faut bien se garder de prendre toujours cette règle à la lettre. Il y a des accords qui seraient insupportables avec tout ce remplissage. Dans la plupart des accords dissonants, surtout dans les accords par supposition, il y a quelque son à retrancher pour en diminuer la dureté: ce son est quelquefois la septième, quelquefois la quinte; quelquefois l'une et l'autre se retranchent. On retranche encore assez souvent la quinte ou l'octave de la basse dans les accords dissonants, pour éviter des octaves ou des quintes de suite qui peuvent faire un mauvais effet, surtout aux extrémités. Par la même raison, quand la note sensible est dans la basse, on ne la met pas dans l'accompagnement; et l'on double au lieu de cela la tierce ou la sixte de la main droite. On doit éviter aussi les intervalles de seconde, et d'avoir deux doigts joints, car cela fait [-27-] une dissonance fort dure, qu'il faut garder pour quelques occasions où l'expression la demande. En général on doit penser en accompagnant que, quand Monsieur Rameau veut qu'on remplisse tous les accords, il a bien plus d'égard à la mécanique des doigts et à son système particulier d'accompagnement, qu'à la pureté de l'harmonie. Au lieu du bruit confus que fait un pareil accompagnement, il faut chercher à le rendre agréable et sonore, et faire qu'il nourrisse et renforce la basse, au lieu de la couvrir et de l'étouffer.

Que si l'on demande comment ce retranchement de sons s'accorde avec la définition de l'accompagnement par une harmonie complète, je réponds que ces retranchements ne sont, dans le vrai, qu'hypothétiques, et seulement dans le système de Monsieur Rameau; que, suivant la nature, ces accords, en apparence ainsi mutilés, ne sont pas moins complets que les autres, puisque les sons qu'on y suppose ici retranchés les rendraient choquants et souvent insupportables; qu'en effet les accords dissonants ne sont point remplis dans le système de Monsieur Tartini comme dans celui de Monsieur Rameau; que par conséquent des accords défectueux dans celui-ci sont complets dans l'autre; qu'enfin le bon goût dans l'exécution demandant qu'on s'écarte souvent de la règle générale, et l'accompagnement le plus régulier n'étant pas toujours le plus agréable, la définition doit dire la règle, et l'usage apprendre quand on s'en doit écarter.

II. On doit toujours proportionner le bruit de [-28-] l'accompagnement au caractère de la musique et à celui des instruments ou des voix que l'on doit accompagner. Ainsi dans un choeur on frappe de la main droite les accords pleins; de la gauche on redouble l'octave ou la quinte, quelquefois tout l'accord. On en doit faire autant dans le récitatif italien; car les sons de la basse n'y étant pas soutenus, ne doivent se faire entendre qu'avec toute leur harmonie, et de manière à rappeler fortement et pour long-temps l'idée de la modulation. Au contraire, dans un air lent et doux, quand on n'a qu'une voix faible ou un seul instrument à accompagner, on retranche des sons, on arpège doucement, on prend le petit clavier. En un mot on a toujours attention que l'accompagnement, qui n'est fait que pour soutenir et embellir le chant, ne le gâte et ne le couvre pas.

III. Quand on frappe les mêmes touches pour prolonger le son dans une note longue ou une tenue, que ce soit plutôt au commencement de la mesure ou du temps fort, que dans un autre moment: on ne doit rebattre qu'en marquant bien la mesure. Dans le récitatif italien, quelque durée que puisse avoir une note de basse, il ne faut jamais la frapper qu'une fois et fortement avec tout son accord; on refrappe seulement l'accord quand il change sur la même note: mais quand un accompagnement de violons règne sur le récitatif, alors il faut soutenir la basse et en arpéger l'accord.

IV. Quand on accompagne de la musique vocale, [-29-] on doit par l'accompagnement soutenir la voix, la guider, lui donner le ton à toutes les rentrées, et l'y remettre quand elle détonne: l'accompagnateur, ayant toujours le chant sous les yeux et l'harmonie présente à l'esprit, est chargé spécialement d'empêcher que la voix ne s'égare. (VoyezAccompagnateur.)

V. On ne doit pas accompagner de la même manière la musique italienne et la française. Dans celle-ci, il faut soutenir les sons, les arpéger gracieusement et continuellement de bas en haut, remplir toujours l'harmonie autant qu'il se peut, jouer proprement la basse, en un mot se prêter à tout ce qu'exige le genre. Au contraire, en accompagnant de l'italien, il faut frapper simplement et détacher les notes de la basse, n'y faire ni trilles ni agréments, lui conserver la marche égale et simple qui lui convient: l'accompagnement doit être plein, sec et sans arpéger, excepté le cas dont j'ai parlé numéro III, et quelques tenues ou points-d'orgue. On y peut sans scrupule retrancher des sons; mais alors il faut bien choisir ceux qu'on fait entendre: en sorte qu'ils se fondent dans l'harmonie et se marient bien avec la voix. Les Italiens ne veulent pas qu'on entende rien dans l'accompagnement ni dans la basse qui puisse distraire un moment l'oreille du chant; et leurs accompagnements sont toujours dirigés sur ce principe que le plaisir et l'attention s'évaporent en se partageant.

VI. Quoique l'accompagnement de l'orgue soit [-30-] le même que celui du clavecin, le goût en est très-différent. Comme les sons de l'orgue sont soutenus, la marche en doit être plus liée et moins sautillante: il faut lever la main entière le moins qu'il se peut, glisser les doigts d'une touche à l'autre, sans ôter ceux qui, dans la place où ils sont, peuvent servir à l'accord où l'on passe. Rien n'est si désagréable que d'entendre hacher sur l'orgue cette espèce d'accompagnement sec, arpégé, qu'on est forcé de pratiquer sur le clavecin. (Voyez le mot Doigter.) En général l'orgue, cet instrument si sonore et si majestueux, ne s'associe avec aucun autre, et ne fait qu'un mauvais effet dans l'accompagnement, si ce n'est tout au plus pour fortifier les rippienes et les choeurs.

Monsieur Rameau, dans ses Erreurs sur la musique, vient d'établir ou du moins d'avancer un nouveau principe dont il me censure fort de n'avoir pas parlé dans l'Encyclopédie; savoir que l'accompagnement représente le corps sonore. Comme j'examine ce principe dans un autre écrit, je me dispenserai d'en parler dans cet article, qui n'est déjà que trop long. Mes disputes avec Monsieur Rameau sont les choses du monde les plus inutiles au progrès de l'art, et par conséquent au but de ce Dictionnaire.

Accompagnement est encore toute partie de basse ou d'autre instrument, qui est composée sous un chant pour y faire harmonie. Ainsi un solo de violon s'accompagne du violoncelle on du clavecin, et un accompagnement de flûte se marie fort bien avec la voix. L'harmonie de l'accompagnement [-31-] ajoute à l'agrément du chant, en rendant les sons plus sûrs, leur effet plus doux, la modulation plus sensible, et portant à l'oreille un témoignage de justesse qui la flatte. Il y a même, par rapport aux voix, une forte raison de les faire toujours accompagner de quelque instrument, soit en partie, soit à l'unisson; car quoique plusieurs prétendent qu'en chantant la voix se modifie naturellement selon les lois du tempérament (voyez Tempérament), cependant l'expérience nous dit que les voix les plus justes et les mieux exercées ont bien de la peine à se maintenir long-temps dans la justesse du ton, quand rien ne les y soutient. A force de chanter on monte ou l'on descend insensiblement; et il est très-rare qu'on se trouve exactement en finissant dans le ton d'où l'on était parti. C'est pour empêcher ces variations que l'harmonie d'un instrument est employée; elle maintient la voix dans le même diapason, ou l'y rappelle aussitôt quand elle s'égare. La basse est, de toutes les parties, la plus propre à l'accompagnement, celle qui soutient le mieux la voix, et satisfait le plus l'oreille, parce qu'il n'y en a point dont les vibrations soient si fortes, si déterminantes, ni qui laisse moins d'équivoque dans le jugement de l'harmonie fondamentale.

Accompagner, verbe actif et neutre. C'est en général jouer les parties d'accompagnement dans l'exécution d'un morceau de musique; c'est plus particulièrement, sur un instrument convenable, frapper avec chaque note de la basse les accords qu'elle doit porter, et qui s'appellent l'accompagnement. J'ai suffisamment [-32-] expliqué dans les précédents articles en quoi consiste cet accompagnement. J'ajouterai seulement que ce mot même avertit celui qui accompagne dans un concert qu'il n'est chargé que d'une partie accessoire, qu'il ne doit s'attacher qu'à en faire valoir d'autres, que sitôt qu'il a la moindre prétention pour lui-même, il gâte l'exécution, et impatiente à la fois les concertants et les auditeurs; plus il croit se faire admirer, plus il se rend ridicule; et sitôt qu'à force de bruit ou d'ornements déplacés il détourne à soi l'attention due à la partie principale, tout ce qu'il montre de talent et d'exécution montre à la fois sa vanité et son mauvais goût. Pour accompagner avec intelligence et avec applaudissement, il ne faut songer qu'à soutenir et faire valoir les parties essentielles, et c'est exécuter fort habilement la sienne que d'en faire sentir l'effet sans la laisser remarquer.

Accord, substantif masculin. Union de deux ou plusieurs sons rendus à la fois, et formant ensemble un tout harmonique.

L'harmonie naturelle produite par la résonnance d'un corps sonore est composée de trois sons différents, sans compter leurs octaves, lesquels forment entre eux l'accord le plus agréable et le plus parfait que l'on puisse entendre: d'où on l'appelle par excellence accord parfait. Ainsi pour rendre complète l'harmonie, il faut que chaque accord soit au moins composé de trois sons. Aussi les musiciens trouvent-ils dans le trio la perfection harmonique, soit parce qu'ils y emploient les accords en entier, [-33-] soit parce que, dans les occasions où ils ne les emploient pas en entier, ils ont l'art de donner le change à l'oreille, et de lui persuader le contraire, en lui présentant les sons principaux des accords de manière à lui faire oublier les autres. (Voyez Trio.) Cependant l'octave du son principal produisant de nouveaux rapports et de nouvelles consonnances par les compléments des intervalles (voyez Complément), on ajoute ordinairement cette octave pour avoir l'ensemble de toutes les consonnances dans un même accord. (Voyez Consonnance.) De plus, l'addition de la dissonance (voyez Dissonance) produisant un quatrième son ajouté à l'accord parfait, c'est une nécessité, si l'on veut remplir l'accord, d'avoir une quatrième partie pour exprimer cette dissonance. Ainsi la suite des accords ne peut être complète et liée qu'au moyen de quatre parties.

On divise les accords en parfaits et imparfaits. L'accord parfait est celui dont nous venons de parler, lequel est composé du son fondamental au grave, de sa tierce, de sa quinte, et de son octave: il se subdivise en majeur ou mineur, selon l'espèce de sa tierce. (Voyez Majeur, Mineur.) Quelques auteurs donnent aussi le nom de parfaits à tous les accords, même dissonants, dont le son fondamental est au grave. Les accords imparfaits sont ceux où règne la sixte au lieu de la quinte, et en général tous ceux où le son grave n'est pas le fondamental. Ces dénominations, qui ont été données avant que l'on connût la basse fondamentale, sont [-34-] fort mal appliquées: celles d'accords directs ou renversés sont beaucoup plus convenables dans le même sens. (Voyez Renversement.)

Les accords se divisent encore en consonnants et dissonants. Les accords consonnants sont l'accord parfait et ses dérivés: tout autre accord est dissonant. Je vais donner une table des uns et des autres selon le système de Monsieur Rameau.

[-35-] TABLE DE TOUS LES ACCORDS reçus dans l'harmonie.

Accords Fondamentaux.

Accord parfait, et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 35,1; text: Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa quinte au grave. Accord parfait. Accord de sixte. Accord de sixte-quarte.] [ROUDIC1 01GF]

Cet accord constitue le ton, et ne se fait que sur la tonique: sa tierce peut être majeure ou mineure, et c'est elle qui constitue le mode.

Accord sensible ou dominant, et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 35,2; text: Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa quinte au grave. Sa septième au grave. Accord sensible. De fausse-quinte. De petite-sixte majeure. De triton.] [ROUDIC1 01GF]

Aucun des sons de cet accord ne peut s'altérer.

[-36-] Accord de septième, et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 36,1; text: Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa quinte au grave. Sa septième au grave. Accord de septième. De grande-sixte. De petite-sixte mineure. De seconde.] [ROUDIC1 01GF]

La tierce, la quinte, et la septième, peuvent s'altérer dans cet accord.

Accord de septième diminuée, et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 36,2; text: Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa quinte au grave. Sa septième au grave. Accord de septième diminuée. De sixte majeure, et fausse-quinte. De tierce mineure, et triton. De seconde superflue.] [ROUDIC1 01GF]

Aucun des sons de cet accord ne peut s'altérer.

Accord de sixte ajoutée, et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 36,3; text: Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa quinte au grave. Sa sixte au grave. Accord de sixte ajoutée. De petite-sixte ajoutée. De seconde ajoutée. De septième ajoutée.] [ROUDIC1 01GF]

Je joins ici partout le mot ajoutée pour distinguer [-37-] cet accord et ses renversés des productions semblables de l'accord de septième.

Ce dernier renversement de septième ajoutée n'est pas admis par Monsieur Rameau, parce que ce renversement forme un accord de septième, et que l'accord de septième est fondamental. Cette raison paraît peu solide. Il ne faudrait donc pas non plus admettre la grande sixte comme un renversement, puisque, dans les propres principes de Monsieur Rameau, ce même accord est souvent fondamental. Mais la pratique des plus grands musiciens, et la sienne même, dément l'exclusion qu'il voudrait établir.

Accord de sixte superflue.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 37] [ROUDIC1 02GF]

Cet accord ne se renverse point, et aucun de ses sons ne peut s'altérer. Ce n'est proprement qu'un accord de petite-sixte majeure, diésée par accident, et dans lequel on substitue quelquefois la quinte à la quarte.

[-38-] Accords par supposition.

(Voyez Supposition.)

Accord de neuvième et ses dérivés.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 38,1; text: Le son supposé au grave. Le son fondamental au grave. Sa tierce au grave. Sa septième au grave. Accord de neuvième. De septième, et sixte. De sixte-quarte, et quinte. De septième, et seconde.] [ROUDIC1 02GF]

C'est un accord de septième auquel on ajoute un cinquième son à la tierce au-dessous du fondamental.

On retranche ordinairement la septième, c'est-à-dire la quinte du son fondamental, qui est ici la note marquée en noir; dans cet état l'accord de neuvième peut se renverser en retranchant encore de l'accompagnement l'octave de la note qu'on porte à la basse.

Accord de quinte superflue.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 38,2] [ROUDIC1 02GF]

C'est l'accord sensible d'un ton mineur au-dessous duquel on fait entendre la médiante: ainsi c'est un véritable accord de neuvième; mais il ne [-39-] se renverse point, à cause de la quarte diminuée que donnerait avec la note sensible le son supposé porté à l'aigu, laquelle quarte est un intervalle banni de l'harmonie.

Accord d'onzième, ou quarte.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 39,1; text: Le son supposé au grave. Idem en retranchant deux sons. Le son fondamental au grave. Sa septième au grave. Accord de neuvième et quarte. Accord de quarte. De septième et quarte. De seconde et quinte.] [ROUDIC1 02GF]

C'est un accord de septième au-dessous duquel on ajoute un cinquième son à la quinte du fondamental. On ne frappe guère cet accord plein à cause de sa dureté; on en retranche ordinairement la neuvième et la septième, et, pour le renverser, ce retranchement est indispensable.

Accord de septième superflue.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 39,2] [ROUDIC1 02GF]

C'est l'accord dominant sous lequel la basse fait

la tonique.

[-40-] Accord de septième superflue, et sixte mineure.

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 40] [ROUDIC1 02GF]

C'est l'accord de septième diminuée sur la note sensible, sous lequel la basse fait la tonique.

Ces deux derniers accords ne se renversent point, parce que la note sensible et la tonique s'entendraient ensemble dans les parties supérieures; ce qui ne peut se tolérer.

Quoique tous les accords soient pleins et complets dans cette table, comme il le fallait pour montrer tous leurs éléments, ce n'est pas à dire qu'il faille les employer tels; on ne le peut pas toujours et on le doit très-rarement. Quant aux sons qui doivent être préférés selon la place et l'usage des accords, c'est dans ce choix exquis et nécessaire que consiste le plus grand art du compositeur.

(Voyez Composition, Mélodie, Effet, Expression, et cetera)

Fin de la table des accords.

[-41-] Nous parlerons, aux mots Harmonie, Basse-fondamentale, Composition, et cetera, de la manière d'employer tous ces accords pour en former une harmonie régulière. J'ajouterai seulement ici les observations suivantes.

I. C'est une grande erreur de penser que le choix des renversements d'un même accord soit indifférent pour l'harmonie ou pour l'expression. Il n'y a pas un de ces renversements qui n'ait son caractère propre. Tout le monde sent l'opposition qui se trouve entre la douceur de la fausse-quinte et l'aigreur du triton; et cependant l'un de ces intervalles est renversé de l'autre. Il en est de même de la septième diminuée et de la seconde superflue, de la seconde ordinaire et de la septième. Qui ne sait combien la quinte est plus sonore que la quarte? L'accord de grande-sixte et celui de petite-sixte mineure sont deux faces du même accord fondamental; mais de combien l'une n'est-elle pas plus harmonieuse que l'autre! L'accord de petite-sixte majeure, au contraire, n'est-il pas plus brillant que celui de fausse quinte? Et, pour ne parler que du plus simple de tous les accords, considérez la majesté de l'accord parfait, la douceur de l'accord de sixte, et la fadeur de celui de sixte-quarte, tous cependant composés des mêmes sons. En général les intervalles superflus, les dièses dans le haut,

sont propres par leur dureté à exprimer l'emportement, la colère, et les passions aiguës: au contraire les bémols à l'aigu et les intervalles diminués forment une harmonie plaintive qui attendrit [-42-] le coeur. C'est une multitude d'observations semblables qui, lorsqu'un habile musicien sait s'en prévaloir, le rendent maître des affections de ceux qui l'écoutent.

II. Le choix des intervalles simples n'est guère moins important que celui des accords pour la place où l'on doit les employer. C'est, par exemple, dans le bas qu'il faut placer les quintes et les octaves par préférence, dans le haut les tierces et les sixtes. Transposez cet ordre, vous gâterez l'harmonie en laissant les mêmes accords.

III. Enfin, l'on rend les accords plus harmonieux encore en les rapprochant par de petits intervalles plus convenables que les grands à la capacité de l'oreille. C'est ce qu'on appelle resserrer l'harmonie, et que si peu de musiciens savent pratiquer. Les bornes du diapason des voix sont une raison de plus pour resserrer les choeurs. On peut assurer qu'un choeur est mal fait lorsque les accords divergent, lorsque les parties crient, sortent de leur diapason, et sont si éloignées les unes des autres qu'elles semblent n'avoir plus de rapport entre elles.

On appelle encore accords l'état d'un instrument dont les sons fixes sont entre eux dans toute la justesse qu'ils doivent avoir. On dit en ce sens qu'un instrument est d'accord, qu'il n'est pas d'accord, qu'il garde ou ne garde pas son accord. La même expression s'emploie pour deux voix qui chantent ensemble, pour deux sons qui se font entendre à la fois, soit à l'unisson, soit en contre-partie.

Accord dissonant, Faux accord, Accord faux, [-43-] sont autant de différentes choses qu'il ne faut pas confondre. Accord dissonant est celui qui contient quelque dissonance; Accord faux, celui dont les sons sont mal accordés et ne gardent pas entre eux la justesse des intervalles; faux accord, celui qui choque l'oreille, parce qu'il est mal composé, et que les sons, quoique justes, n'y forment pas un tout harmonique.

Accorder des instruments, c'est tendre ou lâcher les cordes, allonger ou raccourcir les tuyaux, augmenter ou diminuer la masse du corps sonore, jusqu'à ce que toutes les parties de l'instrument soient au ton qu'elles doivent avoir.

Pour accorder un instrument, il faut d'abord fixer un son qui serve aux autres de termes de comparaison. C'est ce qu'on appelle prendre ou donner le ton. (Voyez Ton.) Ce son est ordinairement l'ut pour l'orgue et le clavecin, le la pour le violon et la basse, qui ont ce la sur une corde à vide et dans un medium propre à être aisément saisi par l'oreille.

A l'égard des flûtes, hautbois, bassons, et autres instruments à vent, ils ont leur ton à peu près fixé, qu'on ne peut guère changer qu'en changeant quelque pièce de l'instrument. On peut encore les allonger un peu à l'emboîture des pièces, ce qui baisse le ton de quelque chose; mais il doit nécessairement résulter des tons faux de ces variations, parce que la juste proportion est rompue entre la longueur totale de l'instrument et les distances d'un trou à l'autre.

[-44-] Quand le ton est déterminé, on y fait rapporter tous les autres sons de l'instrument, lesquels doivent être fixés par l'accord selon les intervalles qui leur conviennent. L'orgue et le clavecin s'accordent par quintes jusqu'à ce que la partition soit faite, et par octaves pour le reste du clavier: la basse et le violon, par quintes; la viole et la guitare, par quartes et par tierces, et cetera. En général on choisit toujours des intervalles consonnants et harmonieux, afin que l'oreille en saisisse plus aisément la justesse.

Cette justesse des intervalles ne peut, dans la pratique, s'observer à toute rigueur, et pour qu'ils puissent tous s'accorder entre eux, il faut que chacun en particulier souffre quelque altération. Chaque espèce d'instrument a pour cela ses règles particulières et sa méthode d'accorder. (Voyez Tempérament.)

On observe que les instruments dont on tire le son par inspiration, comme la flûte et le hautbois, montent insensiblement quand on a joué quelque temps, ce qui vient, selon quelques-uns, de l'humidité qui, sortant de la bouche avec l'air, les renfle et les raccourcit; ou plutôt, suivant la doctrine de Monsieur Euler, c'est que la chaleur et la réfraction que l'air reçoit pendant l'inspiration rendent ses vibrations plus fréquentes, diminuent son poids, et, augmentant ainsi le poids relatif de l'atmosphère, rendent le son un peu plus aigu.

Quoi qu'il en soit de la cause, il faut, en acordant, avoir égard à l'effet prochain, et forcer un peu le [-45-] vent quand on donne ou reçoit le ton sur ces instruments; car, pour rester d'accord durant le concert, ils doivent être un peu trop bas en commençant.

Accordeur, substantif masculin. On appelle accordeurs d'orgue ou de clavecin ceux qui vont dans les églises ou dans les maisons accommoder et accorder ces instruments, et qui, pour l'ordinaire, en sont aussi les facteurs.

Acoustique, substantif féminin. Doctrine ou théorie des sons. (Voyez Son.) ce mot est de l'invention de Monsieur Sauveur, et vient du grec [hakouo], j'entends.

L'acoustique est proprement la partie théorique de la musique; c'est elle qui donne ou doit donner les raisons du plaisir que nous font l'harmonie et le chant, qui détermine les rapports des intervalles harmoniques, qui découvre les affections ou propriétés des cordes vibrantes, et cetera. (Voyez Cordes, Harmonie.)

Acoustique est aussi quelquefois adjectif: on dit l'organe acoustique, un phénomène acoustique, et cetera.

Acte, substantif masculin. Partie d'un opéra séparée d'une autre dans la représentation par un espace appelé entr'acte. (Voyez Entr'acte.)

L'unité de temps et de lieu doit être aussi rigoureusement observée dans un acte d'opéra que dans une tragédie entière du genre ordinaire, et même plus à certains égards; car le poète ne doit point donner à un acte d'opéra une durée hypothétique plus longue que celle qu'il a réellement, parce qu'on ne peut supposer que ce qui se passe sous [-46-] nos yeux dure plus long-temps que nous ne le voyons durer en effet; mais il dépend du musicien de précipiter ou ralentir l'action jusqu'à un certain point, pour augmenter la vraisemblance ou l'intérêt; liberté qui l'oblige à bien étudier la gradation des passions théâtrales, le temps qu'il faut pour les développer, celui où le progrès est au plus haut point, et celui où il convient de s'arrêter pour prévenir l'inattention, la langueur, l'épuisement du spectateur. Il n'est pas non plus permis de changer de décoration et de faire sauter le théâtre d'un lieu à un autre au milieu d'un acte, même dans le genre merveilleux, parce qu'un pareil saut choque la raison, la vérité, la vraisemblance, et détruit l'illusion, que la première loi du théâtre est de favoriser en tout. Quand donc l'action est interrompue par de tels changements, le musicien ne peut savoir ni comment il les doit marquer, ni ce qu'il doit faire de son orchestre pendant qu'ils durent, à moins d'y représenter le même chaos qui règne alors sur la scène.

Quelquefois le premier acte d'un opéra ne tient point à l'action principale et ne lui sert que d'introduction: alors il s'appelle prologue. (Voyez ce mot.) Comme le prologue ne fait pas partie de la pièce, on ne le compte point dans le nombre des actes qu'elle contient, et qui est souvent de cinq dans les opéra français, mais toujours de trois dans les italiens. (Voyez Opéra.)

Acte de cadence est un mouvement dans une des parties, et surtout dans la basse, qui oblige toutes [-47-] les autres parties à concourir à former une cadence ou à l'éviter expressément (Voyez Cadence, Éviter.)

Acteur, substantif masculin. Chanteur qui fait un rôle dans la représentation d'un opéra. Outre toutes les qualités qui doivent lui être communes avec l'acteur dramatique, il doit en avoir beaucoup de particulières pour réussir dans son art. Ainsi il ne suffit pas qu'il ait un bel organe pour la parole, s'il ne l'a tout aussi beau pour le chant; car il n'y a pas une telle liaison entre la voix parlante et la voix chantante, que la beauté de l'une suppose toujours celle de l'autre. Si l'on pardonne à un acteur le défaut de quelque qualité qu'il a pu se flatter d'acquérir, on ne peut lui pardonner d'oser se destiner au théâtre, destitué des qualités naturelles qui y sont nécessaires, telles entre autres que la voix dans un chanteur. Mais par ce mot voix, j'entends moins la force du timbre que l'étendue, la justesse et la flexibilité. Je pense qu'un théâtre dont l'objet est d'émouvoir le coeur par les chants doit être interdit à ces voix dures et bruyantes qui ne font qu'étourdir les oreilles; et que, quelque peu de voix que puisse avoir un acteur, s'il l'a juste, touchante, facile, et suffisamment étendue, il en a tout autant qu'il faut: il saura toujours bien se faire entendre s'il sait se faire écouter.

Avec une voix convenable, l'acteur doit l'avoir cultivée par l'art; et quand sa voix n'en aurait pas besoin, il en aurait besoin lui-même pour saisir et rendre avec intelligence la partie musicale de ses rôles. Rien n'est plus insupportable et plus dégoûtant [-48-] que de voir un héros, dans les transports des passions les plus vives, contraint et gêné dans son rôle, peiner, et s'assujettir en écolier qui répète mal sa leçon, montrer, au lieu des combats de l'amour et de la vertu, ceux d'un mauvais chanteur avec la mesure et l'orchestre, et plus incertain sur le ton que sur le parti qu'il doit prendre. Il n'y a ni chaleur ni grace sans facilité, et l'acteur dont le rôle lui coûte ne le rendra jamais bien.

Il ne suffit pas à l'acteur d'opéra d'être un excellent chanteur, s'il n'est encore un excellent pantomime; car il ne doit pas seulement faire sentir ce qu'il dit lui-même, mais aussi ce qu'il laisse dire à la symphonie.

L'orchestre ne rend pas un sentiment qui ne doive sortir de son ame; ses pas, ses regards, son geste, tout doit s'accorder sans cesse avec la musique, sans pourtant qu'il paraisse y songer; il doit intéresser toujours, même en gardant le silence: et, quoique occupé d'un rôle difficile, s'il laisse un instant oublier le personnage pour s'occuper du chanteur, ce n'est qu'un musicien sur la scène; il n'est plus acteur. Tel excella dans les autres parties, qui s'est fait siffler pour avoir négligé celle-ci. Il n'y a point d'acteur a qui l'on ne puisse à cet égard donner le célèbre Chassé pour modèle. Cet excellent pantomime, en mettant toujours son art au-dessus de lui et s'efforçant toujours d'y exceller, s'est ainsi mis lui-même fort au-dessus de ses confrères: acteur unique et homme estimable, il laissera l'admiration et le regret de ses talents aux amateurs [-49-] de son théâtre, et un souvenir honorable de sa personne à tous les honnêtes gens.

Adagio, adverbe. Ce mot écrit à la tête d'un air désigne le second, du lent au vite, des cinq principaux degrés de mouvement distingués dans la musique italienne. (Voyez Mouvement.) Adagio est an adverbe italien, qui signifie à l'aise, posément, et c'est aussi de cette manière qu'il faut battre la mesure des airs auxquels il s'applique.

Le mot adagio se prend quelquefois substantivement, et s'applique par métaphore aux morceaux de musique dont il détermine le mouvement: il en est de même des autres mots semblables. Ainsi l'on dira, un adagio de Tartini, un andante de San-Martino, un allegro de Locatelli, et cetera.

Affettuoso, adjectif. pris adverbialement. Ce mot, écrit à la tête d'un air, indique un mouvement moyen entre l'andante et l'adagio, et dans le caractère du chant une expression affectueuse et douce.

Agogé. Conduite. Une des subdivisions de l'ancienne mélopée, laquelle donne les règles de la marche du chant par degrés alternativement conjoints ou disjoints, soit en montant, soit en descendant. (Voyez Mélopée.)

Martianus Capella donne, après Aristide Quintilien, au mot agogé, un autre sens que j'expose au mot Tirade.

Agréments du chant. On appelle ainsi dans la musique française certains tours de gosier et autres ornements affectés aux notes qui sont dans telle ou [-50-] telle position, selon les règles prescrites par le goût du chant. (Voyez Gout du chant.)

Les principaux de ces agréments sont l'Accent, le Coulé, le Flatté, le Martellement, la Cadence pleine, la Cadence brisée, et le Port-de-voix. (Voyez ces articles chacun en son lieu, et la Planche B, figure 13.) [ROUDIC4 03GF]

Aigu, adjectif. Se dit d'un son perçant ou élevé par rapport à quelque autre son. (Voyez Son.)

En ce sens le mot aigu est opposé au mot grave. Plus les vibrations du corps sonore sont fréquentes, plus le son est aigu.

Les sons considérés sous les rapports d'aigus et de graves sont le sujet de l'harmonie. (Voyez Harmonie, Accord.)

Ajoutée, ou acquise, ou surnuméraire, adjectif. pris substantivement. C'était dans la musique grecque la corde ou le son qu'ils appelaient Proslambanomenos. (Voyez ce mot.)

Sixte ajoutée est une sixte qu'on ajoute à l'accord parfait, et de laquelle cet accord ainsi augmenté prend le nom. (Voyez Accord et Sixte.)

Air. Chant qu'on adapte aux paroles d'une chanson ou d'une petite pièce de poésie propre à être chantée, et par extension l'on appelle air la chanson même.

Dans les opéra l'on donne le nom d'airs à tous les chants mesurés, pour les distinguer du récitatif, et généralement on appelle air tout morceau complet de musique vocale ou instrumentale formant un chant, soit que ce morceau fasse lui seul [-51-] une pièce entière, soit qu'on puisse le détacher du tout dont il fait partie, et l'exécuter séparément.

Si le sujet ou le chant est partagé en deux parties, l'air s'appelle duo; si en trois, trio, et cetera.

Saumaise croit que ce mot vient du latin aera; et Burette est de son sentiment, quoique Ménage le combatte dans ses étymologies de la langue française.

Les Romains avaient leurs signes pour le rhythme, ainsi que les Grecs avaient les leurs, et ces signes, tirés aussi de leurs caractères, se nommaient non-seulement numerus, mais encore aera, c'est-à-dire nombre, ou la marque du nombre: numeri nota, dit Nonnius Marcellus. C'est en ce sens que le mot aera se trouve employé dans ce vers de Lucile:

Haec est ratio? Perversa aera! Summa subducta improbe!

Et Sextus Rufus s'en est servi de même.

Or, quoique ce mot ne se prît originairement que pour le nombre ou la mesure du chant, dans la suite on en fit le même usage qu'on avait fait du mot numerus, et l'on se servit du mot aera pour désigner le chant même; d'où est venu, selon les deux auteurs cités, le mot français air, et l'italien aria, pris dans le même sens.

Les Grecs avaient plusieurs sortes d'airs, qu'ils appelaient nomes ou chansons. (Voyez Chanson.) Les nomes avaient chacun leur caractère et leur usage, et plusieurs étaient propres à quelque instrument particulier, à peu près comme ce que nous appelons aujourd'hui pièces ou sonates.

La musique moderne a diverses espèces d'airs [-52-] qui conviennent chacune à quelque espèce de danse dont ces airs portent le nom. (Voyez Menuet, Gavotte, Musette, Passe-pied, et cetera.)

Les airs de nos opéra sont, pour ainsi dire, la toile ou le fond sur quoi se peignent les tableaux de la musique imitative; la mélodie est le dessin; l'harmonie est le coloris; tous les objets pittoresques de la belle nature, tous les sentiments réfléchis du coeur humain sont les modèles que l'artiste imite; l'attention, l'intérêt, le charme de l'oreille, et l'émotion du coeur, sont la fin de ces imitations. (Voyez Imitation.) Un air savant et agréable, un air trouvé par le génie et composé par le goût, est le chef-d'oeuvre de la musique; c'est là que se développe une belle voix, que brille une belle symphonie; c'est là que la passion vient insensiblement émouvoir l'ame par le sens. Après un bel air on est satisfait, l'oreille ne désire plus rien; il reste dans l'imagination, on l'emporte avec soi, on le répète à volonté sans pouvoir en rendre une seule note, on l'exécute dans son cerveau tel qu'on l'entendit au spectacle; on voit la scène, l'acteur, le théâtre; on entend l'accompagnement, l'applaudissement; le véritable amateur ne perd jamais les beaux airs qu'il entendit en sa vie; il fait recommencer l'opéra quand il veut.

Les paroles des airs ne vont point toujours de suite, ne se débitent point comme celles du récitatif; quoique assez courtes pour l'ordinaire, elles se coupent, se répètent, se transposent au gré du compositeur: elles ne font pas une narration qui [-53-] passe; elles peignent ou un tableau qu'il faut voir sous divers points de vue, ou un sentiment dans lequel le coeur se complaît, duquel il ne peut, pour ainsi dire, se détacher, et les différentes phrases de l'air ne sont qu'autant de manières d'envisager la même image. Voilà pourquoi le sujet doit être un. C'est par ces répétitions bien entendues, c'est par ces coups redoublés qu'une expression qui d'abord n'a pu vous émouvoir, vous ébranle enfin, vous agite, vous transporte hors de vous; et c'est encore par le même principe que les roulades qui, dans les airs pathétiques, paraissent si déplacées, ne le sont pourtant pas toujours: le coeur, pressé d'un sentiment très-vif, l'exprime souvent par des sons inarticulés plus vivement que par des paroles. (Voyez Neume.)

La forme des airs est de deux espèces. Les petits airs sont ordinairement composés de deux reprises qu'on chante chacune deux fois; mais les grands airs d'opéra sont le plus souvent en rondeau. (Voyez Rondeau.)

Al segno. Ces mots écrits à la fin d'un air en rondeau, marquent qu'il faut reprendre la première partie, non tout-à-fait au commencement, mais à l'endroit où est marqué le renvoi.

Alla breve. Terme italien qui marque une sorte de mesure à deux temps fort vite, et qui se note pourtant avec une ronde ou semi-brève par temps. Elle n'est plus guère d'usage qu'en Italie, et seulement dans la musique d'église. Elle répond assez à ce qu'on appelait en France du gros-fa.

[-54-] Alla zoppa. Terme italien qui annonce un mouvement contraint et syncopant entre deux temps sans syncoper entre deux mesures; ce qui donne aux notes une marche inégale et comme boiteuse. C'est un avertissement que cette même marchecontinue ainsi jusqu'à la fin de l'air.

Allegro, adjectif. pris adverbialement. Ce mot italien, écrit à la tête d'un air, indique, du vite au lent, le second des cinq principaux degrés de mouvement distingués dans la musique italienne. Allegro signifie gai; et c'est aussi l'indication d'un mouvement gai, le plus vif de tous après le presto. Mais il ne faut pas croire pour cela que ce mouvement ne soit propre qu'à des sujets gais: il s'applique souvent à des transports de fureur, d'emportement et de désespoir, qui n'ont rien moins que de la gaieté. (Voyez Mouvement.)

Le diminutif allegretto indique une gaieté plus modérée, un peu moins de vivacité dans la mesure.

Allemande, substantif féminin. Sorte d'air ou de pièce de musique dont la mesure est à quatre temps et se bat gravement. Il paraît par son nom que ce caractère d'air nous est venu d'Allemagne, quoiqu'il n'y soit point connu du tout. L'allemande en sonate est partout vieillie, et à peine les musiciens s'en servent-ils aujourd'hui: ceux qui s'en servent encore lui donnent un mouvement plus gai.

Allemande est aussi l'air d'une danse fort commune en Suisse et en Allemagne. Cet air, ainsi que la danse, a beaucoup de gaieté: il se bat à deux temps.

[-55-] Altus. (Voyez Haute-Contre.)

Amateur. Celui qui, sans être musicien de profession, fait sa partie dans un concert pour son plaisir et par amour pour la musique.

On appelle encore amateurs ceux qui, sans savoir la musique ou du moins sans l'exercer, s'y connaissent, ou prétendent s'y connaître, et fréquentent les concerts.

Ce mot est traduit de l'italien dilettante.

Ambitus, substantif masculin. Nom qu'on donnait autrefois à l'étendue de chaque ton ou mode du grave à l'aigu; car quoique l'étendue d'un mode fût en quelque manière fixée à deux octaves, il y avait des modes irréguliers dont l'ambitus excédait cette étendue, et d'autres imparfaits où il n'y arrivait pas.

Dans le plain-chant, ce mot est encore usité; mais l'ambitus des modes parfaits n'y est que d'une octave: ceux qui la passent s'appellent modes superflus; ceux qui n'y arrivent pas, modes diminués. (Voyez Modes, Tons de l'église.)

Amoroso. (Voyez Tendrement.)

Anacamptos. Terme de la musique grecque, qui signifie une suite de notes rétrogrades, ou procédant de l'aigu au grave; c'est le contraire de l'euthia. Une des parties de l'ancienne mélopée portait aussi le nom d'anacamptosa. (Voyez Mélopée.)

Andante, adjectif. pris substantivement. Ce mot, écrit à la tête d'un air, désigne, du lent au vite, le troisième des cinq principaux degrés de mouvement distingués dans la musique italienne. Andante est le participe du verbe italien andare, aller. [-56-] Il caractérise un mouvement marqué sans être gai, et qui répond à peu près à celui qu'on désigne en français par le mot gracieusement. (Voyez Mouvement.)

Le diminutif Andantino indique un peu moins de gaieté dans la mesure; ce qu'il faut bien remarquer, le diminutif larghetto signifiant tout le contraire. (Voyez Largo.)

Anonner, verbe neutre. C'est déchiffrer avec peine et en hésitant la musique qu'on a sous les yeux.

Antienne, substantif féminin. En latin antiphona. Sorte de chant usité dans l'Église catholique.

Les antiennes ont été ainsi nommées, parce que dans leur origine on les chantait à deux choeurs qui se répondaient alternativement, et l'on comprenait sous ce titre les psaumes et les hymnes que l'on chantait dans l'église. Ignace, disciple des apôtres, a été, selon Socrate, l'auteur de cette manière de chanter parmi les Grecs; et Ambroise l'a introduite dans l'Église latine. Théodoret en attribue l'invention à Diodore et à Flavien.

Aujourd'hui la signification de ce terme est restreinte à certains passages courts tirés de l'Écriture, qui conviennent à la fête qu'on célèbre, et qui, précédant les psaumes et les cantiques, en règlent l'intonation.

L'on a aussi conservé le nom d'antiennes à quelques hymnes qu'on chante en l'honneur de la Vierge, telles que Regina coeli, Salve regina, et cetera.

Antiphonie, substantif féminin. Nom que donnaient les Grecs à cette espèce de symphonie qui s'exécutait par diverses [-57-] voix, ou par divers instruments à l'octave ou à la double octave, par opposition à celle qui s'exécutait au simple unisson, et qu'ils appelaient homophonie. (Voyez Symphonie, Homophonie.)

Ce mot vient d'[anti], contre, et de [phone], voix, comme qui dirait, opposition de voix.

Antiphonier ou Antiphonaire, substantif masculin. Livre qui contient en notes les antiennes et autres chants dont on use dans l'Église catholique.

Apophetus. Sorte de nom propre aux flûtes dans l'ancienne musique des Grecs.

Apotome, substantif masculin. Ce qui reste d'un ton majeur après qu'on en a retranché un limma, qui est un intervalle moindre d'un comma que le semi-ton majeur. Par conséquent l'apotome est d'un comma plus grand que le semi-ton moyen. (Voyez Comma, Semi-Ton.)

Les Grecs, qui n'ignoraient pas que le ton majeur ne peut, par des divisions rationnelles, se partager en deux parties égales, le partageaient inégalement de plusieurs manières. (Voyez Intervalle.)

De l'une de ces divisions, inventée par Pythagore, ou plutôt par Philolaüs son disciple, résultait le dièse ou limma d'un côté, et de l'autre l'apotome, dont la raison est de 2048 à 2187.

La génération de cet apotome se trouve à la septième quinte ut dièse en commençant par ut naturel; car la quantité, dont cet ut dièse surpasse l'ut naturel le plus rapproché, est précisément le rapport que je viens de marquer.

[-58-] Les anciens donnaient encore le même nom à d'autres intervalles; ils appelaient apotome majeur un petit intervalle, que Monsieur Rameau appelle quart de ton enharmonique, lequel est formé de deux sons, en raison de 125 à 128.

Et ils appelaient apotome mineur l'intervalle de deux sons, en raison de 2025 à 2048, intervalle encore moins sensible à l'oreille que le précédent

Jean de Muris et ses contemporains donnent partout le nom d'apotome au semi-ton mineur, et celui de dièse au semi-ton majeur.

Appréciable, adjectif. Les sons appréciables sont ceux dont on peut trouver ou sentit l'unisson et calculer les intervalles. Monsieur Euler donne un espace de huit octaves depuis le son le plus aigu jusqu'au son le plus grave appréciables à notre oreille; mais ces sons extrêmes n'étant guère agréables, on ne passe pas communément dans la pratique les bornes de cinq octaves, telles que les donne le clavier à ravalement. Il y a aussi un degré de force au-delà duquel le son ne peut plus s'apprécier. On ne saurait apprécier le son d'une grosse cloche dans le clocher même; il faut en diminuer la force en s'éloignant, pour le distinguer. De même les sons d'une voix qui crie cessent d'être appréciables; c'est pourquoi ceux qui chantent fort sont sujets à chanter faux. A l'égard du bruit, il ne s'apprécie jamais, et c'est ce qui fait sa différence d'avec le son. (Voyez Bruit et Son.)

Apycni, adjectif pluriel. Les anciens appelaient ainsi dans les genres épais trois des huit sons stables de [-59-] leur système ou diagramme, lesquels ne touchaient d'aucun côté les intervalles serrés, savoir: la proslambanomène, la nète synnéménon, et la nète hyperboléon.

Ils appelaient aussi apycnos ou nom épais, le genre diatonique, parce que dans les tétracordes de ce genre la somme des deux premiers intervalles était plus grande que le troisième. (Voyez Épais, Genre, Son, Tétracorde.)

Arbitrio. (Voyez Cadenza.)

Arco, archet, substantif masculin. Ces mots italiens, con l'arco, marquent qu'après avoir pincé les cordes il faut reprendre l'archet à l'endroit où ils sont écrits.

Ariette, substantif féminin. Ce diminutif, venu de l'italien, signifie proprement petit air; mais le sens de ce mot est changé en France, et l'on y donne le nom d'ariette à de grands morceaux de musique d'un mouvement pour l'ordinaire assez gai et marqué, qui se chantent avec des accompagnements de symphonie, et qui sont communément en rondeau. (Voyez Air, Rondeau.)

Arioso, adjectif pris adverbialement. Ce mot italien, à la tête d'un air, indique une manière de chant soutenue, développée, et affectée aux grands airs.

Aristoxéniens. Secte qui eut pour chef Aristoxène de Tarente, disciple d'Aristote, et qui était opposée aux pythagoriciens sur la mesure des intervalles et sur la manière de déterminer les rapports des sons; de sorte que les aristoxéniens s'en rapportaient uniquement au jugement de l'oreille, et les pythagoriciens [-60-] à la précision du calcul. (Voyez Pythagoriciens.)

Armer la clef. C'est y mettre le nombre de dièses ou de bémols convenables au ton et au mode dans lequel on veut écrire de la musique. (Voyez Bémol, Clef, Dièse.)

Arpéger, verbe neutre. C'est faire une suite d'arpéges. (Voyez l'article suivant.)

Arpeggio, Arpége ou Arpégement, substantif masculin. Manière de faire entendre successivement et rapidement les divers sons d'un accord, au lieu de les frapper tous à la fois.

Il y a des instruments sur lesquels on ne peut former un accord plein qu'en arpégeant; tels sont le violon, le violoncelle, la viole, et tous ceux dont on joue avec l'archet; car la convexité du chevalet empêche que l'archet ne puisse appuyer à la fois sur toutes les cordes. Pour former donc des accords sur ces instruments, on est contraint d'arpéger, et comme on ne peut tirer qu'autant de sons qu'il y a de cordes, l'arpége du violoncelle ou du violon ne saurait être composé de plus de quatre sons. Il faut pour arpéger que les doigts soient arrangés chacun sur sa corde, et que l'arpége se tire d'un seul et grand coup d'archet qui commence fortement sur la plus grosse corde, et vienne finir en tournant et adoucissant sur la chanterelle. Si les doigts ne s'arrangeaient sur les cordes que successivement, ou qu'on donnât plusieurs coups d'archet, ce ne serait plus arpéger, ce serait passer très-vite plusieurs notes de suite.

[-61-] Ce qu'on fait sur le violon par nécessité, on le pratique par goût sur le clavecin. Comme on ne peut tirer de cet instrument que des sons qui ne tiennent pas, on est obligé de les refrapper sur des notes de longue durée. Pour faire durer un accord plus long-temps, on le frappe en arpégeant, commençant par les sons bas, et observant que les doigts qui ont frappé les premiers ne quittent point leurs touches que tout l'arpége ne soit achevé, afin que l'on puisse entendre à la fois tous les sons de l'accord. (Voyez Accompagnement.)

Arpeggio est un mot italien qu'on a francisé dans celui d'arpége. Il vient du mot arpa, à cause que c'est du jeu de la harpe qu'on a tiré l'idée de l'arpégement.

Arsis et Thésis. Termes de musique et de prosodie. Ces deux mots sont grecs. Arsis vient du verbe [airo], tollo, j'élève, et marque l'élévation de la voix ou de la main; l'abaissement qui suit cette élévation est ce qu'on appelle [thesis], depositio, remissio.

Par rapport donc à la mesure, per arsin signifie en levant, ou durant le premier temps; per thesin, en baissant, ou durant le dernier temps. Sur quoi l'on doit observer que notre manière de marquer la mesure est contraire à celle des anciens; car nous frappons le premier ton, et levons le dernier. Pour ôter toute équivoque, on peut dire qu'arsis indique le temps fort, et thesis le temps faible. (Voyez Mesure, Temps, Battre la Mesure.)

Par rapport à la voix, on dit qu'un chant, un contre-point, une fugue, sont per thesin, quand [-62-] les notes montent du grave à l'aigu; per arsin, quand elles descendent de l'aigu au grave. Fugue per arsin et thesin, est celle qu'on appelle aujourd'hui fugue renversée ou contre-fugue, dans laquelle la réponse se fait en sens contraire, c'est-à-dire en descendant si la guide a monté, et en montant si la guide a descendu. (Voyez Fugue.)

Assai. Adverbe augmentatif qu'on trouve assez souvent joint au mot qui indique le mouvement d'un air. Ainsi presto assai, largo assai signifient fort vite, fort lent. L'abbé Brossard a fait sur ce mot une de ses bévues ordinaires, en substituant à son vrai et unique sens celui d'une sage médiocrité de lenteur ou de vitesse. Il a cru qu'assai signifiait assez. Sur quoi l'on doit admirer la singulière idée qu'a eue cet auteur de préférer, pour son vocabulaire, à sa langue maternelle, une langue étrangère qu'il n'entendait pas.

Aubade, substantif féminin. Concert de nuit en plein air sous les fenêtres de quelqu'un. (Voyez Sérénade.)

Authentique ou Authente, adjectif. Quand l'octave se trouve divisée harmoniquement, comme dans cette proportion 6, 4, 3, c'est-à-dire quand la quinte est au grave, et la quarte à l'aigu, le mode ou le ton s'appelle authentique ou authente; à la différence du ton plagal, où l'octave est divisée arithmétiquement, comme dans cette proportion 4, 3, 2; ce qui met la quarte au grave et la quinte à l'aigu.

A cette explication adoptée par tous les auteurs, mais qui ne dit rien, j'ajouterai la suivante; le lecteur pourra choisir.

[-63-] Quand la finale d'un chant en est aussi la tonique, et que le chant ne descend pas jusqu'à la dominante au-dessous, le ton s'appelle authentique: mais si le chant descend ou finit à la dominante, le ton est plagal. Je prends ici ces mots de tonique et de dominante dans l'acception musicale.

Ces différences d'authente et de plagal ne s'observent plus que dans le plain-chant; et, soit qu'on place la finale au bas du diapason, ce qui rend le ton authentique, soit qu'on la place au milieu, ce qui le rend plagal, pourvu qu'au surplus la modulation soit régulière, la musique moderne admet tous les chants comme authentiques également en quelque lieu du diapason que puisse tomber la finale. (Voyez Mode.)

Il y a dans les huit tons de l'Église romaine quatre tons authentiques, savoir, le premier, le troisième, le cinquième, et le septième. (Voyez Ton de l'Église.)

On appelait autrefois fugue authentique celle dont le sujet procédait en montant, mais cette dénomination n'est plus d'usage.

B.

B fa si, ou B fa b mi, ou simplement B. Nom du septième son de la gamme de l'Arétin, pour lequel les Italiens et les autres peuples de l'Europe répètent le B, disant B mi quand il est naturel, B fa quand il est bémol; mais les Français l'appellent si. (Voyez Si.)

[-64-] B mol. (Voyez Bémol.)

B quarre. (Voyez Béquarre.)

Ballet, substantif masculin. Action théâtrale qui se représente par la danse guidée par la musique. Ce mot vient du vieux français baller, danser, chanter, se réjouir.

La musique d'un ballet doit avoir encore plus de cadence et d'accent que la musique vocale, parce qu'elle est chargée de signifier plus de choses, que c'est à elle seule d'inspirer au danseur la chaleur et l'expression que le chanteur peut tirer des paroles, et qu'il faut de plus qu'elle supplée, dans le langage de l'ame et des passions, tout ce que la danse ne peut dire aux yeux du spectateur.

Ballet est encore le nom qu'on donne en France à une bizarre sorte d'opéra, où la danse n'est guère mieux placée que dans les autres, et n'y fait pas un meilleur effet. Dans la plupart de ces ballets les actes forment autant de sujets différents, liés seulement entre eux par quelques rapports généraux étrangers à l'action, et que le spectateur n'apercevrait jamais si l'auteur n'avait soin de l'en avertir dans le prologue.

Ces ballets contiennent d'autres ballets qu'on appelle autrement divertissements ou fêtes. Ce sont des suites de danses qui se succèdent sans sujet ni liaison entre elles, ni avec l'action principale, et où les meilleurs danseurs ne savent vous dire autre chose sinon qu'ils dansent bien. Cette ordonnance, peu théâtrale, suffit pour un bal où chaque acteur a rempli son objet lorsqu'il s'est amusé lui-même, [-65-] et où l'intérêt que le spectateur prend aux personnes le dispense d'en donner à la chose; mais ce défaut de sujet et de liaison ne doit jamais être souffert sur la scène, pas même dans la représentation d'un bal, où le tout doit être lié par quelque action secrète qui soutienne l'attention et donne de l'intérêt au spectateur. Cette adresse d'auteur n'est pas sans exemple, même à l'Opéra français, et l'on en peut voir un très-agréable dans les Fêtes vénitiennes, acte du bal.

En général, toute danse qui ne peint rien qu'elle-même, et tout ballet qui n'est qu'un bal, doivent être bannis du théâtre lyrique. En effet l'action de la scène est toujours la représentation d'une autre action, et ce qu'on y voit n'est que l'image de ce qu'on y suppose; de sorte que ce ne doit jamais être un tel ou un tel danseur qui se présente à vous, mais le personnage dont il est revêtu. Ainsi quoique la danse de société puisse ne rien présenter qu'elle-même, la danse théâtrale doit nécessairement être l'imitation de quelque autre chose, de même que l'acteur chantant représente un homme qui parle, et la décoration d'autres lieux que ceux qu'elle occupe.

La pire sorte de ballets est celle qui roule sur des sujets allégoriques, et où par conséquent il n'y a qu'imitation d'imitation. Tout l'art de ces sortes de drames consiste à présenter sous des images sensibles des rapports purement intellectuels, et à faire penser au spectateur tout autre chose que ce qu'il voit, comme si, loin de l'attacher à la scène, [-66-] c'était un mérite de l'en éloigner. Ce genre exige d'ailleurs tant de subtilité dans le dialogue, que le musicien se trouve dans un pays perdu parmi les pointes, les allusions et les épigrammes, tandis que le spectateur ne s'oublie pas un moment: comme qu'on fasse, il n'y aura jamais que le sentiment qui puisse amener celui-ci sur la scène, et l'identifier pour ainsi dire avec les acteurs; tout ce qui n'est qu'intellectuel l'arrache à la piece, et le rend à lui-même. Aussi voit-on que les peuples qui veulent et mettent le plus d'esprit au théâtre sont ceux qui se soucient le moins de l'illusion. Que fera donc le musicien sur des drames qui ne donnent aucune prise à son art? Si la musique ne peint que des sentiments ou des images, comment rendra-t-elle des idées purement métaphysiques, telles que les allégories, où l'esprit est sans cesse occupé du rapport des objets qu'on lui présente avec ceux qu'on veut lui rappeler?

Quand les compositeurs voudront réfléchir sur les vrais principes de leur art, ils mettront, avec plus de discernement dans le choix des drames dont ils se chargent, plus de vérité dans l'expression de leurs sujets; et quand les paroles des opéra diront quelque chose, la musique apprendra bientôt à parler.

Barbare, adjectif. Mode barbare. (Voyez Lydien.)

Barcarolles, substantif féminin. Sorte de chansons en langue vénitienne que chantent les gondoliers à Venise. Quoique les airs des barcarolles soient faits pour le peuple, et souvent composés par les gondoliers [-67-] mêmes, ils ont tant de mélodie et un accent si agréable qu'il n'y a pas de musicien dans toute l'Italie qui ne se pique d'en savoir et d'en chanter. L'entrée gratuite qu'ont les gondoliers à tous les théâtres les met à portée de se former sans frais l'oreille et le goût, de sorte qu'ils composent et chantent leurs airs en gens qui, sans ignorer les finesses de la musique, ne veulent point altérer le genre simple et naturel de leurs barcarolles. Les paroles de ces chansons sont communément plus que naturelles, comme les conversations de ceux qui les chantent; mais ceux à qui les peintures fidèles des moeurs du peuple peuvent plaire, et qui aiment d'ailleurs le dialecte vénitien, s'en passionnent facilement, séduits par la beauté des airs; de sorte que plusieurs curieux en ont de trés-amples recueils.

N'oublions pas de remarquer, à la gloire du Tasse, que la plupart des gondoliers savent par coeur une grande partie de son poème de la Jérusalem délivrée, que plusieurs le savent tout entier, qu'ils passent les nuits d'été sur leurs barques à le chanter alternativement d'une barque à l'autre, que c'est assurément une belle barcarolle que le poème du Tasse, qu'Homère seul eut avant lui l'honneur d'être ainsi chanté, et que nul autre poème épique n'en a eu depuis un pareil.

Bardes. Sorte d'hommes très-singuliers, et très-respecté jadis dans les Gaules, lesquels étaient à la fois prêtres, prophètes, poètes et musiciens.

Bochard fait dériver ce nom de parat, chanter, [-68-] et Camden convient avec Festus que barde signifie un chanteur, en celtique bard.

Baripycni, adjectif. Les anciens appelaient ainsi cinq des huit sons ou cordes stables de leur système ou diagramme; savoir, l'hypaté-hypaton, l'hypaté-méson, la mèse, la paramèse, et la nété-diézeugménon. (Voyez Pycni, Son, Tétracorde.)

Baryton. Sorte de voix entre la taille et la basse. (Voyez Concordant.)

Baroque. Une musique baroque est celle dont l'harmonie est confuse, chargée de modulations et dissonances, le chant dur et peu naturel, l'intonation difficile, et le mouvement contraint.

Il y a bien de l'apparence que ce terme vient du baroco des logiciens.

Barré. C barré, sorte de mesure. (Voyez C.)

Barres. Traits tirés perpendiculairement à la fin de chaque mesure, sur les cinq lignes de la portée, pour séparer la mesure qui finit de celle qui recommence. Ainsi les notes contenues entre deux barres forment toujours une mesure complète, égale en valeur et en durée à chacune des autres mesures comprises entre deux autres barres, tant que le mouvement ne change pas; mais comme il y a plusieurs sortes de mesures qui diffèrent considérablement en durée, les mêmes différences se trouvent dans les valeurs contenues entre deux barres de chacune de ces espèces de mesures. Ainsi dans le grand triple, qui se marque par ce signe 3/2, et qui se bat lentement, la somme des notes comprises entre deux barres doit faire une ronde et [-69-] demie; et dans le petit triple 3/8, qui se bat vite, les deux barres n'enferment que trois croches ou leur valeur; de sorte que huit fois la valeur contenue entre deux barres de cette dernière mesure ne font qu'une fois la valeur contenue entre deux barres de l'autre.

Le principal usage des barres est de distinguer les mesures, et d'en indiquer le frappé, lequel se fait toujours sur la note qui suit immédiatement la barre. Elles servent aussi dans les partitions à montrer les mesures correspondantes dans chaque portée. (Voyez Partition.)

Il n'y a pas plus de cent ans qu'on s'est avisé de tirer des barres, de mesure en mesure. Auparavant la musique était simple; on n'y voyait guère que des rondes, des blanches et des noires, peu de croches, presque jamais de doubles croches. Avec des divisions moins inégales, la mesure en était plus aisée à suivre. Cependant j'ai vu nos meilleurs musiciens embarrassés à bien exécuter l'ancienne musique d'Orlande et de Claudin. Ils se perdaient dans la mesure faute des barres auxquelles ils étaient accoutumés, et ne suivaient qu'avec peine des parties chantées autrefois couramment par les musiciens de Henri III et de Charles IX.

Bas, en musique, signifie la même chose que grave, et ce terme est opposé à haut ou aigu. On dit ainsi que le ton est trop bas, qu'on chante trop bas, qu'il faut renforcer les sons dans le bas. Bas signifie aussi quelquefois doucement, à demi-voix; en ce sens il est opposé à fort. On dit parler [-70-] bas, chanter ou psalmodier à basse-voix: il chantait ou parlait si bas qu'on avait peine à l'entendre.

Coulez si lentement, et murmurez si Bas,

Qu'Issé ne vous entende pas.

La Motte.

Bas se dit encore dans la subdivision des dessus chantants, de celui des deux qui est au-dessous de l'autre; ou pour mieux dire, bas-dessus est un dessus dont le diapason est au-dessous du medium ordinaire. (Voyez Dessus.)

Basse. Celle de quatre parties de la musique qui est au-dessous des autres, la plus basse de toutes; d'où lui vient le nom de basse. (Voyez Partition.)

La basse est la plus importante des parties, c'est sur elle que s'établit le corps de l'harmonie; aussi est-ce une maxime chez les musiciens que, quand la basse est bonne, rarement l'harmonie est mauvaise.

Il y a plusieurs sortes de basses. Basse-fondamentale, dont nous ferons un article ci-après.

Basse-continue, ainsi appelée parce qu'elle dure pendant toute la pièce; son principal usage, outre celui de régler l'harmonie, est de soutenir la voix et de conserver le ton. On prétend que c'est un Ludovico Viana, dont il en reste un traité, qui, vers le commencement du dernier siècle, la mit le premier en usage.

Basse-figurée, qui, au lieu d'une seule note, en [-71-] partage la valeur en plusieurs autres notes sous un même accord. (Voyez Harmonie-figurée.)

Basse-contrainte, dont le sujet ou le chant, borné à un petit nombre de mesures, comme quatre ou huit, recommence sans cesse, tandis que les parties supérieures poursuivent leur chant et leur harmonie, et les varient de différentes manières. Cette basse appartient originairement aux couplets de la chaconne; mais on ne s'y asservit plus aujourd'hui. La basse-contrainte, descendant diatoniquement ou chromatiquement et avec lenteur de la tonique ou de la dominante dans les tons mineurs, est admirable pour les morceaux pathétiques. Ces retours fréquents et périodiques affectent insensiblement l'ame, et la disposent à la langueur et à la tristesse. On en voit des exemples dans plusieurs scènes des opéra français. Mais si ces basses font un bon effet à l'oreille, il en est rarement de même des chants qu'on leur adapte, et qui ne sont pour l'ordinaire qu'un véritable accompagnement. Outre les modulations dures et mal amenées qu'on y évite avec peine, ces chants, retournés de mille manières, et cependant monotones, produisent des renversements peu harmonieux, et sont eux-mêmes assez peu chantants, en sorte que le dessus s'y ressent beaucoup de la contrainte de la basse.

Basse-chantante, est l'espèce de voix qui chante la partie de la basse. Il y a des basses-récitantes et des basses-de-choeur; des concordants ou basses-tailles, qui tiennent le milieu entre la taille et la basse; des basses proprement dites, que l'usage [-72-] fait encore appeler basses-tailles, et enfin des basses-contre, les plus graves de toutes les voix, qui chantent la basse sous la basse même, et qu'il ne faut pas confondre avec les contre-basses, qui sont des instruments.

Basse-fondamentale, est celle qui n'est formée que des sons fondamentaux de l'harmonie; de sorte qu'au-dessous de chaque accord elle fait entendre le vrai son fondamental de cet accord, c'est-à-dire celui duquel il dérive par les règles de l'harmonie. Par où l'on voit que la basse-fondamentale ne peut avoir d'autre contexture que celle d'une succession régulière et fondamentale, sans quoi la marche des parties supérieures serait mauvaise.

Pour bien entendre ceci, il faut savoir que, selon le système de Monsieur Rameau, que j'ai suivi dans cet ouvrage, tout accord, quoique formé de plusieurs sons, n'en a qu'un qui lui soit fondamental, savoir, celui qui a produit cet accord et qui lui sert de basse dans l'ordre direct et naturel. Or, la basse qui règne sous toutes les autres parties n'exprime pas toujours les sons fondamentaux des accords: car entre tous les sons qui forment un accord, le compositeur peut porter à la basse celui qu'il croit préférable, eu égard à la marche de cette basse, au beau chant, et surtout à l'expression, comme je l'expliquerai dans la suite. Alors le vrai son fondamental, au lieu d'être à sa place naturelle, qui est la basse, se transporte dans les autres parties, ou même ne s'exprime point du tout; un tel accord s'appelle accord renversé. Dans le fond [-73-] un accord renversé ne diffère point de l'accord direct qui l'a produit, car ce sont toujours les mêmes sons; mais ces sons formant des combinaisons différentes, on a long-temps pris toutes ces combinaisons pour autant d'accords fondamentaux, et on leur a donné différents noms qu'on peut voir au mot Accord, et qui ont achevé de les distinguer, comme si la différence des noms en produisait réellement dans l'espèce.

Monsieur Rameau a montré dans son Traité de l'Harmonie, et Monsieur d'Alembert, dans ses Éléments de Musique, a fait voir encore plus clairement que plusieurs de ces prétendus accords n'étaient que des renversements d'un seul. Ainsi l'accord de sixte n'est qu'un accord parfait dont la tierce est transportée à la basse; en y portant la quinte, on aura l'accord de sixte-quarte. Voilà donc trois combinaisons d'un accord qui n'a que trois sons: ceux qui en ont quatre sont susceptibles de quatre combinaisons, chaque son pouvant être porté à la basse. Mais en portant au-dessous de celle-ci une autre basse, qui, sous toutes les combinaisons d'un même accord présente toujours le son fondamental, il est évident qu'on réduit au tiers le nombre des accords consonnants, et au quart le nombre des dissonants. Ajoutez à cela tous les accords par supposition, qui se réduisent encore aux mêmes fondamentaux, vous trouverez l'harmonie simplifiée à un point qu'on n'eût jamais espéré dans l'état de confusion où étaient ces règles avant Monsieur Rameau. C'est certainement, comme l'observe cet auteur, [-74-] une chose étonnante, qu'on ait pu pousser la pratique de cet art au point où elle est parvenue sans en connaître le fondement, et qu'on ait exactement trouvé toutes les règles, sans avoir découvert le principe qui les donne.

Après avoir dit ce qu'est la basse-fondamentale sous les accords, parlons maintenant de sa marche et de la manière dont elle lie ces accords entre eux. Les préceptes de l'art sur ce point peuvent se réduire aux six règles suivantes.

I. La basse-fondamentale ne doit jamais sonner d'autre note que celle de la gamme du ton où l'on est, ou de celui où l'on veut passer: c'est la première et la plus indispensable de toutes ces règles.

II. Par la seconde, sa marche doit être tellement soumise aux lois de la modulation, qu'elle ne laisse jamais perdre l'idée d'un ton qu'en prenant celle d'un autre; c'est-à-dire que la basse-fondamentale ne doit jamais être errante ni laisser oublier un moment dans quel ton l'on est.

III. Par la troisième, elle est assujettie à la liaison des accords et à la préparation des dissonances; préparation qui n'est, comme je le ferai voir, qu'un des cas de la liaison, et qui par conséquent n'est jamais nécessaire quand la liaison peut exister sans elle. (Voyez Liaison, Préparer.)

IV. Par la quatrième, elle doit, après toute dissonance, suivre le progrès qui lui est prescrit par la nécessité de la sauver. (Voyez Sauver.)

V. Par la cinquième, qui n'est qu'une suite des précédentes, la basse-fondamentale ne doit marcher [-75-] que par intervalles consonnants, si ce n'est seulement dans un acte de cadence rompue, ou après un accord de septième diminuée qu'elle monte diatoniquement: toute autre marche de la basse-fondamentale est mauvaise.

VI. Enfin, par la sixième, la basse-fondamentale ou l'harmonie ne doit pas syncoper, mais marquer la mesure et les temps par des changements d'accords bien cadencés; en sorte, par exemple, que les dissonances qui doivent être préparées le soient sur le temps faible, mais surtout que tous les repos se trouvent sur le temps fort. Cette sixième règle souffre une infinité d'exceptions: mais le compositeur doit pourtant y songer, s'il veut faire une musique où le mouvement soit bien marqué, et dont la mesure tombe avec grace.

Partout où ces règles seront observées l'harmonie sera régulière et sans faute; ce qui n'empêchera pas que la musique n'en puisse être détestable. (Voyez Composition.)

Un mot d'éclaircissement sur la cinquième règle ne sera peut-être pas inutile. Qu'on retourne comme on voudra une basse-fondamentale, si elle est bien faite, on n'y trouvera jamais que ces deux choses, ou des accords parfaits sur des mouvements consonnants, sans lesquels ces accords n'auraient point de liaison, ou des accords dissonants dans des actes de cadence; en tout autre cas la dissonance ne saurait être ni bien placée, ni bien sauvée.

Il suit de là que la basse-fondamentale ne peut marcher régulièrement que d'une de ces trois manières: [-76-] premier monter on descendre de tierce ou de sixte; second de quarte ou de quinte; troisième monter diatoniquement au moyen de la dissonance qui forme la liaison, ou par licence sur un accord parfait. Quant à la descente diatonique, c'est une marche absolument interdite à la basse-fondamentale, ou tout au plus tolérée dans le cas de deux accords parfaits consécutifs, séparés par un repos exprimé ou sous-entendu: cette règle n'a point d'autre exception, et c'est pour n'avoir pas démêlé le vrai fondement de certains passages, que Monsieur Rameau a fait descendre diatoniquement la basse-fondamentale sous des accords de septième; ce qui ne se peut en bonne harmonie. (Voyez Cadence, Dissonance.)

La basse-fondamentale, qu'on n'ajoute que pour servir de preuve à l'harmonie, se retranche dans l'exécution, et souvent elle y ferait un fort mauvais effet; car elle est, comme dit très-bien Monsieur Rameau, pour le jugement et non pour l'oreille. Elle produirait tout au moins une monotonie très-ennuyeuse par les retours fréquents du même accord, qu'on déguise et qu'on varie plus agréablement en le combinant en différentes manières sur la basse-continue; sans compter que les divers renversements d'harmonie fournissent mille moyens de prêter de nouvelles beautés au chant, et une nouvelle énergie à l'expression. (Voyez Accord, Renversement.)

Si la basse-fondamentale ne sert pas à composer de bonne musique, me dira-t-on, si même on doit [-77-] la retrancher dans l'exécution, à quoi donc est-elle utile? Je réponds qu'en premier lieu elle sert de règle aux écoliers, pour apprendre à former une harmonie régulière, et à donner à toutes les parties la marche diatonique et élémentaire qui leur est prescrite par cette basse-fondamentale; elle sert de plus, comme je l'ai déjà dit, à prouver si une harmonie déjà faite est bonne et régulière; car toute harmonie qui ne peut être soumise à une basse-fondamentale est régulièrement mauvaise: elle sert enfin à trouver une basse-continue sous un chant donné; quoiqu'à la vérité, celui qui ne saura pas faire directement une basse-continne ne fera guère mieux une basse-fondamentale, et bien moins encore saura-t-il transformer cette basse-fondamentale en une bonne basse-continue. Voici toutefois les principales règles que donne Monsieur Rameau pour trouver la basse-fondamentale d'un chant donné.

I. S'assurer du ton et du mode par lesquels on commence, et de tous ceux par où l'on passe. Il a aussi des règles pour cette recherche des tons, mais si longues, si vastes, si incomplètes, que l'oreille est formée à cet égard long-temps avant que les règles soient apprises, et que le stupide qui voudra tenter de les employer n'y gagnera que l'habitude d'aller toujours note à note, sans jamais savoir où il est.

II. Essayer successivement sous chaque note les cordes principales du ton, commençant par les plus analogues, et passant jusqu'aux plus éloignées, lorsque l'on s'y voit forcé.

[-78-] III. Considérer si la corde choisie peut cadrer avec le dessus, dans ce qui précède et dans ce qui suit, par une bonne succession fondamentale, et quand cela ne se peut, revenir sur ses pas.

IV. Ne changer la note de basse-fondamentale que lorsqu'on a épuisé toutes les notes consécutives du dessus qui peuvent entrer dans son accord, ou que quelque note syncopant dans le chant peut recevoir deux ou plusieurs notes de basse, pour préparer des dissonances sauvées en suite régulièrement.

V. Étudier l'entrelacement des phrases, les successions possibles de cadences, soit pleines, soit évitées, et surtout les repos, qui viennent ordinairement de quatre en quatre mesures ou de deux en deux, afin de les faire tomber toujours sur les cadences parfaites ou irrégulières.

VI. Enfin observer toutes les règles données ci-devant pour la composition de la basse-fondamentale. Voilà les principales observations à faire pour en trouver une sous un chant donné; car il y en a quelquefois plusieurs de trouvables: mais, quoi qu'on en puisse dire, si le chant a de l'accent et du caractère, il n'y a qu'une bonne basse-fondamentale qu'on lui puisse adapter.

Après avoir exposé sommairement la manière de composer une basse-fondamentale, il resterait à donner les moyens de la tranformer en basse-continue; et cela serait facile s'il ne fallait regarder qu'à la marche diatonique et au beau chant de cette basse: mais ne croyons pas que la basse, qui est le guide et le soutien de l'harmonie, l'ame, et, pour [-79-] ainsi dire, l'interprète du chant, se borne à des règles si simples; il y en a d'autres qui naissent d'un principe plus sûr et plus radical, principe fécond, mais caché, qui a été senti par tous les artistes de génie, sans avoir été développé par personne. Je pense en avoir jeté le germe dans ma Lettre sur la Musique française. J'en ai dit assez pour ceux qui m'entendent; je n'en dirais jamais assez pour lesautres. (Voyez toutefois Unité de Mélodie.)

Je ne parle point ici du système ingénieux de Monsieur Serre de Genève, ni de sa double basse-fondamentale, parce que les principes qu'il avait entrevus avec une sagacité digne d'éloges ont été depuis développés par Monsieur Tartini dans un ouvrage dont je rendrai compte avant la fin de celui-ci. (Voyez Système.)

Batard, nothus. C'est l'épithète donnée par quelques-uns au mode hypophrygien, qui a sa finale en si, et conséquemment sa quinte fausse, ce qui le retranche des modes authentiques; et au mode éolien, dont la finale est en fa, et la quarte superflue, ce qui l'ôte du nombre des modes plagaux.

Baton. Sorte de barre épaisse qui traverse perpendiculairement une ou plusieurs lignes de la portée, et qui, selon le nombre des lignes qu'il embrasse, exprime une plus grande ou moindre quantité de mesures qu'on doit passer en silence.

Anciennement il y avait autant de sortes de bâtons que de différentes valeurs de notes, depuis la ronde, qui vaut une mesure, jusqu'à la maxime, qui en valait huit, et dont la durée en silence s'évaluait par [-80-] un bâton qui, partant d'une ligne, traversait trois espaces, et allait joindre la quatrième ligne.

Aujourd'hui le plus grand bâton est de quatre mesures; ce bâton, partant d'une ligne, traverse la suivante, et va joindre la troisième. (Planche A, figure 12.) [ROUDIC4 02GF] On le répète une fois, deux fois, autant de fois qu'il faut pour exprimer huit mesures, ou douze, ou tout autre multiple de quatre, et l'on ajoute ordinairement au-dessus un chiffre qui dispense de calculer la valeur de tous ces bâtons. Ainsi les signes couverts du chiffre 16 dans la même figure 12 [ROUDIC4 02GF] indiquent un silence de seize mesures. Je ne vois pas trop à quoi bon ce double signe d'une même chose. Aussi les Italiens, à qui une plus grande pratique de la musique suggère toujours les premiers moyens d'en abréger les signes, commencent-ils à supprimer les bâtons, auxquels ils substituent le chiffre qui marque le nombre de mesures à compter. Mais une attention qu'il faut avoir alors est de ne pas confondre ces chiffres dans la portée avec d'autres chiffres semblables qui peuvent marquer l'espèce de la mesure employée. Ainsi, dans la figure 13 [ROUDIC4 02GF], il faut bien distinguer le signe du trois temps d'avec le nombre des pauses à compter, de peur qu'au lieu de 31 mesures ou pauses, on n'en comptât 331.

Le plus petit bâton est de deux mesures, et traversant un seul espace, il s'étend seulement d'une ligne à sa voisine. (Même planche, figure 12.) [ROUDIC4 02GF]

Les autres moindres silences, comme d'une mesure, d'une demi-mesure, d'un temps, d'un demi-temps, [-81-] et cetera, s'expriment par les mots de pause, de demi-pause, de soupir, de demi-soupir, et cetera. (Voyez ces mots.) Il est aisé de comprendre qu'en combinant tous ces signes, on peut exprimer à volonté des silences d'une durée quelconque.

Il ne faut pas confondre avec les bâtons des silences d'autres bâtons précisément de même figure [ROUDIC4 02GF], qui, sous le nom de pauses initiales, servaient dans nos anciennes musiques à annoncer le mode, c'est-à-dire la mesure, et dont nous parlerons au mot Mode.

Baton de mesure, est un bâton fort court, ou même un rouleau de papier dont le maître de musique se sert dans un concert pour régler le mouvement, et marquer la mesure et le temps. (Voyez Battre la mesure.)

A l'Opéra de Paris il n'est pas question d'un rouleau de papier, mais d'un bon gros bâton de bois bien dur dont le maître frappe avec force pour être entendu de loin.

Battement, substantif masculin. Agrément du chant français, qui consiste à élever et à battre un trille sur une note qu'on a commencée uniment. Il y a cette différence de la cadence au battement, que la cadence commence par la note supérieure à celle sur laquelle elle est marquée, après quoi l'on bat alternativement cette note supérieure et la véritable: au lieu que le battement commence par le son même de la note qui le porte; après quoi l'on bat alternativement cette note et celle qui est au-dessus. Ainsi ces coups de gosier, mi re mi re mi re ut ut [-82-] sont une cadence; et ceux-ci re mi re mi re mi re ut re mi, sont un battement.

Battements au pluriel. Lorsque deux sons forts et soutenus, comme ceux de l'orgue, sont mal d'accord et dissonent entre eux à l'approche d'un intervalle consonnant, ils forment, par secousses plus ou moins fréquentes, des renflements de son qui font à peu près à l'oreille l'effet des battements du pouls au toucher, c'est pourquoi Monsieur Sauveur leur a aussi donné le nom de battements. Ces battements deviennent d'autant plus fréquents que l'intervalle approche plus de la justesse; et lorsqu'il y parvient, ils se confondent avec les vibrations du son.

Monsieur Serre prétend, dans ses Essais sur les principes de l'harmonie, que ces battements produits par la concurrence de deux sons ne sont qu'une apparence acoustique, occasionée par les vibrations coïncidentes de ces deux sons: ces battements, selon lui, n'ont pas moins lieu lorsque l'intervalle est consonnant; mais la rapidité avec laquelle ils se confondent alors ne permettant point à l'oreille de les distinguer, il en doit résulter, non la cessation absolue de ces battements, mais une apparence de son grave et continu, une espèce de faible bourdon, tel précisément que celui qui résulte dans les expériences citées par Monsieur Serre, et depuis détaillées par Monsieur Tartini, du concours de deux sons aigus et consonnants. (On peut voir au mot Système que des dissonances les donnent aussi.) "Ce qu'il y a de bien certain, [-83-] continue Monsieur Serre, c'est que ces battements, ces vibrations coïncidentes qui se suivent avec plus ou moins de rapidité, sont exactement isochrones aux vibrations que ferait réellement le son fondamental, si, par le moyen d'un troisième corps sonore, on le faisait actuellement résonner."

Cette explication très-spécieuse n'est peut-être pas sans difficulté; car le rapport de deux sons n'est jamais plus composé que quand il approche de la simplicité qui en fait une consonnance, et jamais les vibrations ne doivent coïncider plus rarement que quand elles touchent presque à l'isochronisme. D'où il suivrait, ce me semble, que les battements devraient se ralentir à mesure qu'ils s'accélèrent, puis se réunir tout d'un coup à l'instant que l'accord est juste.

L'observation des battements est une bonne règle à consulter sur le meilleur système de tempérament. (Voyez Tempérament.) Car il est clair que de tous les tempéraments possibles celui qui laisse le moins de battements dans l'orgue est celui que l'oreille et la nature préfèrent. Or c'est une expérience constante et reconnue de tous les facteurs, que les altérations des tierces majeures produisent des battements plus sensibles et plus désagréables que celles des quintes. Ainsi la nature elle-même a choisi.

Batterie. substantif féminin. Manière de frapper et répéter successivement sur diverses cordes d'un instrument les divers sons qui composent un accord, et [-84-] de passer ainsi d'accord en accord par un même mouvement de notes. La batterie n'est qu'un arpége continué, mais dont toutes les notes sont détachées au lieu d'être liées comme dans l'arpége.

Batteur de mesure. Celui qui bat la mesure dans un concert. (Voyez l'article suivant.)

Battre la mesure. C'est en marquer les temps par des mouvements de la main ou du pied, qui en règlent la durée, et par lesquels toutes les mesures semblables sont rendues parfaitement égales en valeur chronique, ou en temps dans l'exécution.

Il y a des mesures qui ne se battent qu'à un temps, d'autres à deux, à trois ou à quatre; ce qui est le plus grand nombre de temps marqués que puisse renfermer une mesure; encore une mesure à quatre temps peut-elle toujours se résoudre en deux mesures à deux temps. Dans toutes ces différentes mesures le temps frappé est toujours sur la note qui suit la barre immédiatement; le temps levé est toujours celui qui la précède, à moins que la mesure ne soit à un seul temps; et même alors il faut toujours supposer le temps faible, puisqu'on ne saurait frapper sans avoir levé.

Le degré de lenteur ou de vitesse qu'on donne à la mesure dépend de plusieurs choses: première de la valeur des notes qui composent la mesure. On voit bien qu'une mesure qui contient une ronde doit se battre plus posément et durer davantage que celle qui ne contient qu'une noire; seconde du mouvement indiqué par le mot français ou italien qu'on trouve ordinairement à la tête de l'air, gai, vite, [-85-] lent, et cetera; tous ces mots indiquent autant de modifications dans le mouvement d'une même sorte de mesure; troisième enfin du caractère de l'air même, qui, s'il est bien fait, en fera nécessairement sentir le vrai mouvement.

Les musiciens français ne battent pas la mesure comme les Italiens. Ceux-ci, dans la mesure à quatre temps, frappent successivement les deux premiers temps, et lèvent les deux autres; ils frappent aussi les deux premiers dans la mesure à trois temps, et lèvent le troisième. Les Français ne frappent jamais que le premier temps, et marquent les autres par différents mouvements de la main à droite et à gauche. Cependant la musique française aurait beaucoup plus besoin que l'italienne d'une mesure bien marquée; car elle ne porte point sa cadence en elle-même; ses mouvements n'ont aucune précision naturelle; on presse ou ralentit la mesure au gré du chanteur. Combien les oreilles ne sont-elles pas choquées à l'Opéra de Paris du bruit désagréable et continuel que fait avec son bâton celui qui bat la mesure, et que le Petit Prophète compare plaisamment à un bûcheron qui coupe du bois! Mais c'est un mal inévitable: sans ce bruit on ne pourrait sentir la mesure; la musique par elle-même ne la marque pas: aussi les étrangers n'aperçoivent-ils point le mouvement de nos airs. Si l'on y fait attention, l'on trouvera que c'est ici l'une des différences spécifiques de la musique française à l'italienne. En Italie la mesure est l'ame de la musique; c'est la mesure bien sentie qui lui donne [-86-] cet accent qui la rend si charmante; c'est la mesure aussi qui gouverne le musicien dans l'exécution. En France, au contraire, c'est le musicien qui gouverne la mesure; il l'énerve et la défigure sans scrupule. Que dis-je? le bon goût même consiste à ne la pas laisser sentir; précaution dont au reste elle n'a pas grand besoin. L'Opéra de Paris est le seul théâtre de l'Europe où l'on batte la mesure sans la suivre, partout ailleurs on la suit sans la battre.

Il règne là-dessus une erreur populaire qu'un peu de réflexion détruit aisément. On s'imagine qu'un auditeur ne bat par instinct la mesure d'un air qu'il entend que parce qu'il la sent vivement; et c'est, au contraire, parce qu'elle n'est pas assez sensible ou qu'il ne la sent pas assez, qu'il tâche, à force de mouvement des mains et des pieds, de suppléer ce qui manque en ce point à son oreille. Pour peu qu'une musique donne prise à la cadence, on voit la plupart des Français qui l'écoutent faire mille contorsions et un bruit terrible, pour aider la mesure à marcher ou leur oreille à la sentir. Substituez des Italiens ou des Allemands, vous n'entendrez pas le moindre bruit, et ne verrez pas le moindre geste qui s'accorde avec la mesure. Serait-ce peut-être que les Allemands, les Italiens, sont moins sensibles à la mesure que les Français? Il y a tel de mes lecteurs qui ne se ferait guère presser pour le dire; mais dira-t-il aussi que les musiciens les plus habiles sont ceux qui sentent le moins la mesure? il est incontestable que ce sont ceux qui la battent le moins; et quand, à force d'exercice, [-87-] ils ont acquis l'habitude de la sentir continuellement, ils ne la battent plus du tout: c'est un fait d'expérience qui est sous les yeux de tout le monde.

L'on pourra dire encore que les mêmes gens à qui je reproche de ne battre la mesure que parce qu'ils ne la sentent pas assez, ne la battent plus dans les airs où elle n'est point sensible; et je répondrai que c'est parce qu'alors ils ne la sentent point du tout. Il faut que l'oreille soit frappée au moins d'un faible sentiment de mesure pour que l'instinct cherche à le renforcer.

Les anciens, dit Monsieur Burette, battaient la mesure en plusieurs façons: la plus ordinaire consistait dans le mouvement du pied qui s'élevait de terre, et la frappait alternativement selon la mesure des deux temps égaux ou inégaux. (Voyez Rhythme.) C'était ordinairement la fonction du maître de musique appelé coryphée, [koryphaios], parce qu'il était placé au milieu du choeur des musiciens, et dans une situation élevée pour être plus facilement vu et entendu de toute la troupe. Ces batteurs de mesure se nommaient en grec [podoktypoi] et [podopsophoi], à cause du bruit de leurs pieds, [syntonarioi], à cause de l'uniformité du geste, et, si l'on peut parler ainsi, de la monotonie du rhythme, qu'ils battaient toujours à deux temps. Ils s'appelaient en latin pedarii, podarii, pedicularii. Ils garnissaient ordinairement leurs pieds de certaines chaussures ou sandales de bois on de fer, destinées à rendre la percussion rhythmique plus éclatante, nommées en grec [kroupezia], [korypala], [kroupeza], et en latin, pedicula, scabella [-88-] ou scabilla, à cause qu'elles ressemblaient à de petits marche-pieds ou de petites escabelles.

Ils battaient la mesure, non-seulement du pied, mais aussi de la main droite, dont ils réunissaient tous les doigts pour frapper dans le creux de la main gauche, et celui qui marquait ainsi le rhythme s'appelait manuductor. Outre ce claquement de mains et le bruit des sandales, les anciens avaient encore, pour battre la mesure, celui des coquilles, des écailles d'huîtres et des ossements d'animaux qu'on frappait l'un contre l'autre, comme on fait aujourd'hui les castagnettes, le triangle, et autres pareils instruments.

Tout ce bruit, si désagréable et si superflu parmi nous à cause de l'égalité constante de la mesure, ne l'était pas de même chez eux, où les fréquents changements de pieds et de rhythmes exigeaient un accord plus difficile, et donnaient au bruit même une variété plus harmonieuse et plus piquante. Encore peut-on dire que l'usage de battre ainsi ne s'introduisit qu'à mesure que la mélodie devint plus languissante, et perdit de son accent et de son énergie. Plus on remonte, moins on trouve d'exemples de ces batteurs de mesure, et dans la musique de la plus haute antiquité l'on n'en trouve plus du tout.

Bémol ou B mol, substantif masculin. Caractère de musique auquel on donne à peu près la figure d'un b, et qui fait abaisser d'un semi-ton mineur la note à laqu'elle il est joint. (Voyez Semi-ton.)

Gui d'Arezzo ayant autrefois donné des noms à [-89-] six des notes de l'octave, desquelles il fit son célèbre hexacorde, laissa la septième sans autre nom que celui de la lettre b, qui lui est propre, comme le c à l'ut, le d au re, et cetera. Or, ce b se chantait de deux manières; savoir, à un ton au-dessus du la, selon l'ordre naturel de la gamme, ou seulement à un semi-ton du même la, lorsqu'on vouloit conjoindre les tétracordes; car il n'était pas encore question de nos modes ou tons modernes. Dans le premier cas, le si sonnant assez durement à cause des trois tons consécutifs, on jugea qu'il faisait à l'oreille un effet semblable à celui que les corps anguleux et durs font à la main; c'est pourquoi on l'appela b dur ou b carré, en italien b quadro. Dans le second cas, au contraire, on trouva que le si était extrêmement doux; c'est pourquoi on l'appela b mol; par la même analogie, on aurait pu l'appeler aussi b rond, et en effet les Italiens le nomment quelquefois b tondo.

Il y a deux manières d'employer le bémol; l'une accidentelle, quand dans le cours du chant on le place à la gauche d'une note. Cette note est presque toujours la note sensible dans les tons majeurs, et quelquefois la sixième note dans les tons mineurs, quand la clef n'est pas correctement armée. Le bémol accidentel n'altère que la note qu'il touche et celles qui la rebattent immédiatement, ou tout au plus celles qui, dans la même mesure, se trouvent sous le même degré sans aucun signe contraire.

L'autre manière est d'employer le bémol à la [-90-] clef, et alors il la modifie, il agit dans toute la suite de l'air et sur toutes les notes placées sur le même degré, à moins que ce bémol ne soit détruit accidentellement par quelque dièse ou bécarre, ou que la clef ne vienne à changer.

La position des bémols à la clef n'est pas arbitraire: en voici la raison; ils sont destinés à changer le lieu des semi-tons de l'échelle; or, ces deux semi-tons doivent toujours garder entre eux des intervalles prescrits; savoir, celui d'une quarte d'un côté, et celui d'une quinte de l'autre. Ainsi la note mi, inférieure de son semi-ton, fait au grave la quinte du si, qui est son homologue dans l'autre semi-ton; et à l'aigu la quarte du même si; et réciproquement la note si fait au grave la quarte du mi, et à l'aigu la quinte du même mi.

Si donc laissant, par exemple, le si naturel, on donnait un bémol au mi, le semi-ton changerait de lieu, et se trouverait descendu d'un degré entre le re et le mi bémol. Or, dans cette position, l'on voit que les deux semi-tons ne garderaient plus entre eux la distance prescrite, car le re, qui serait la note inférieure de l'un, ferait au grave la sixte du si, son homologue dans l'autre, et à l'aigu, la tierce du même si, et ce si ferait au grave la tierce du re, et à l'aigu, la sixte du même re. Ainsi les deux semi-tons seraient trop voisins d'un côté, et trop éloignés de l'autre.

L'ordre des bémols ne doit donc pas commencer par mi, ni par aucune autre note de l'octave que par si, la seule qui n'a pas le même inconvénient; [-91-] car bien que le semi-ton y change de place, et, cessant d'être entre le si et l'ut, descende entre le si bémol et le la, toutefois l'ordre prescrit n'est point détruit; le la, dans ce nouvel arrangement, se trouvant d'un côté à la quarte, et de l'autre à la quinte du mi, son homologue, et réciproquement.

La même raison qui fait placer le premier bémol sur le si fait mettre le second sur le mi, et ainsi de suite, en montant de quarte ou descendant de quinte jusqu'au sol, auquel on s'arrête ordinairement, parce que le bémol de l'ut, qu'on trouverait ensuite, ne diffère point du si dans la pratique. Cela fait donc une suite de cinq bémols dans cet ordre:

 1  2  3  4  5
Si Mi La Re Sol.

Toujours, par la même raison, l'on ne saurait employer les derniers bémols à la clef sans employer aussi ceux qui les précèdent: ainsi le bémol du mi ne se pose qu'avec celui du si, celui du la qu'avec les deux précédents, et chacun des suivants qu'avec tous ceux qui le précèdent.

On trouvera dans l'article Clef une formule pour savoir tout d'un coup si un ton ou un mode donné doit porter des bémols à la clef, et combien.

Bémoliser, verbe actif. Marquer une note d'un bémol, ou armer la clef par bémol. Bémolisez ce mi. Il faut bémoliser la clef pour le ton de fa.

Béquarre ou B quarre, substantif masculin. Caractère de musique [-92-] qui s'écrit ainsi [sqb], et qui, placé à la gauche d'une note, marque que cette note ayant été précédemment haussée par un dièse ou baissée par un bémol, doit être remise à son élévation naturelle ou diatonique.

Le bécarre fut inventé par Gui d'Arezzo. Cet auteur, qui donna des noms aux six premières notes de l'octave, n'en laissa point d'autre que la lettre b pour exprimer le si naturel: car chaque note avait dès-lors sa lettre correspondante; et comme le chant diatonique de ce si est dur quand on y monte depuis le fa, il l'appela simplement b dur, b carré, ou b carre, par une allusion dont j'ai parlé dans l'article précédent.

Le bécarre servit dans la suite à détruire l'effet du bémol antérieur sur la note qui suivait le bécarre; c'est que le bémol se plaçant ordinairement sur le si, le bécarre, qui venait ensuite, ne produisait, en détruisant ce bémol, que son effet naturel, qui était de représenter la note si sans altération. A la fin on s'en servit par extension, et, faute d'autre signe, pour détruire aussi l'effet du dièse; et c'est ainsi qu'il s'emploie encore aujourd'hui. Le bécarre efface également le dièse ou le bémol qui l'ont précédé.

Il y a cependant une distinction à faire. Si le dièse ou le bémol étaient accidentels, ils sont détruits sans retour par le bécarre dans toutes les notes qui le suivent médiatement ou immédiatement sur le même degré, jusqu'à ce qu'il s'y présente un nouveau bémol ou un nouveau dièse. Mais [-93-] si le bémol ou le dièse sont à la clef, le bécarre ne les efface que pour la note qu'il précède immédiatement, ou tout au plus pour toutes celles qui suivent dans la même mesure et sur le même degré; et à chaque note altérée à la clef dont on veut détruire l'altération, il faut autant de nouveaux bécarres. Tout cela est assez mal entendu; mais tel est l'usage.

Quelques-uns donnaient un autre sens au bécarre, et, lui accordant seulement le droit d'effacer les dièses ou bémols accidentels, lui ôtaient celui de rien changer à l'état de la clef; de sorte qu'en ce sens sur un fa diésé, ou sur un si bémolisé à la clef, le bécarre ne servirait qu'à détruire un dièse accidentel sur ce si, ou un bémol sur ce fa, et signifierait toujours le fa dièse ou le si bémol tel qu'il est à la clef.

D'autres enfin se servaient bien du bécarre pour effacer le bémol, même celui de la clef, mais jamais pour effacer le dièse; c'est le bémol seulement qu'ils employaient dans ce dernier cas.

Le premier usage a tout-à-fait prévalu; ceux-ci deviennent plus rares, et s'abolissent de jour en jour: mats il est bon d'y faire attention en lisant d'anciennes musiques, sans quoi l'on se tromperait souvent.

Bi. Syllabe dont quelques musiciens étrangers se servaient autrefois pour prononcer le nom de la gamme que les Français appellent si. (Voyez Si.)

Biscrome, substantif féminin. Mot italien qui signifie triples-croches. Quand ce mot est écrit sous une suite de [-94-] notes égales et de plus grande valeur que les triples-croches, il marque qu'il faut diviser en triples-croches les valeurs de toutes ces notes, selon la division réelle qui se trouve ordinairement faite au premier temps. C'est une invention des auteurs adoptée par les copistes, surtout dans les partitions, pour épargner le papier et la peine. (Voyez Crochet.)

Blanche, substantif féminin. C'est le nom d'une note qui vaut deux noires, ou la moitié d'une ronde. (Voyez l'article Notes; et la valeur de la blanche, planche D, figure 9. [ROUDIC4 05GF])

Bourdon. Basse-continue qui résonne toujours sur le même ton, comme sont communément celles des airs appelés musettes. (Voyez Point d'orgue.)

Bourrée, substantif féminin. Sorte d'air propre à une danse de même nom, que l'on croit venir d'Auvergne, et qui est encore en usage dans cette province. La bourrée est à deux temps gais, et commence par une noire avant le frappé. Elle doit avoir, comme la plupart des autres danses, deux parties et quatre mesures, ou un multiple de quatre à chacune. Dans ce catactère d'air on lie assez fréquemment la seconde moitié du premier temps et la première du second par une blanche syncopée.

Boutade, substantif féminin. Ancienne sorte de petit ballet qu'on exécutait ou qu'on paraissait exécuter impromptu. Les musiciens ont aussi quelquefois donné ce nom aux pièces ou idées qu'ils exécutaient de même sur leurs instruments, et qu'on appelait autrement Caprice, Fantaisie. (Voyez ces mots.)

[-95-] Brailler, verbe neutre. C'est excéder le volume de sa voix et chanter tant qu'on a de force, comme font au lutrin les marguilliers de village, et certains musiciens ailleurs.

Branle, substantif masculin. Sorte de danse fort gaie, qui se danse en rond sur un air court et en rondeau, c'est-à-dire avec un même refrain à la fin de chaque couplet.

Bref. Adverbe qu'on trouve quelquefois écrit dans d'anciennes musiques au-dessus de la note qui finit une phrase ou un air, pour marquer que cette finale doit être coupée par un son bref et sec, au lieu de durer toute sa valeur. (Voyez Couper.) Ce mot est maintenant inutile depuis qu'on a un signe pour l'exprimer.

Brève, substantif féminin. Note qui passe deux fois plus vite que celle qui la précède: ainsi la noire est brève après une blanche pointée, la croche après une noire pointée. On ne pourrait pas de même appeler brève une note qui vaudrait la moitié de la précédente: ainsi la noire n'est pas une brève après la blanche simple, ni la croche après la noire, à moins qu'il ne soit question de syncope.

C'est autre chose dans le plain-chant. Pour répondre exactement à la quantité des syllabes, la brève y vaut la moitié de la longue; de plus, la longue a quelquefois une queue pour la distinguer de la brève qui n'en a jamais, ce qui est précisément l'opposé de la musique, où la ronde, qui n'a point de queue, est double de la blanche qui en a une. (Voyez Mesure, Valeur des notes.)

[-96-] Brève est aussi le nom que donnaient nos anciens musiciens, et que donnent encore aujourd'hui les Italiens à cette vieille figure de note que nous appelons carrée. Il y avait deux sortes de brèves: savoir, la droite ou parfaite, qui se divise en trois parties égales, et vaut trois rondes ou semi-brèves dans la mesure triple, et la brève altérée ou imparfaite, qui se divise en deux parties égales, et ne vaut que deux semi-brèves dans la mesure double. Cette dernière sorte de brève est celle qui s'indique par le signe du C barré; et les Italiens nomment encore alla breve la mesure à deux temps fort vites, dont ils se servent dans les musiques da capella. (Voyez Alla breve.)

Broderies, Doubles, Fleurtis. Tout cela se dit en musique de plusieurs notes de goût que le musicien ajoute à sa partie dans l'exécution, pour varier un chant souvent répété, pour orner des passages trop simples, ou pour faire briller la légèreté de son gosier ou de ses doigts. Rien ne montre mieux le bon ou le mauvais goût d'un musicien que le choix et l'usage qu'il fait de ces ornements. La vocale française est fort retenue sur les broderies; elle le devient même davantage de jour en jour, et, si l'on excepte le célèbre Jélyotte et mademoiselle Fel, aucun acteur français ne se hasarde plus au théâtre à faire des doubles; car le chant français, ayant pris un ton plus traînant et plus lamentable encore depuis quelques années, ne les comporte plus. Les Italiens s'y donnent carrière: c'est chez eux à qui en fera davantage, émulation [-97-] qui mène toujours à en faire trop. Cependant l'accent de leur mélodie étant très-sensible, ils n'ont pas à craindre que le vrai chant disparaisse sous ces ornements que l'auteur même y a souvent supposés.

A l'égard des instruments, on fait ce qu'on veut dans un solo, mais jamais symphoniste qui brode ne fut souffert dans un bon orchestre.

Bruit, substantif masculin. C'est en général toute émotion de l'air qui se rend sensible à l'organe auditif. Mais, en musique, le mot bruit est opposé au mot son, et s'entend de toute sensation de l'ouïe qui n'est pas sonore et appréciable. On peut supposer, pour expliquer la différence qui se trouve à cet égard entre le bruit et le son, que ce dernier n'est appréciable que par le concours de ses harmoniques, et que le bruit ne l'est point parce qu'il en est dépourvu. Mais outre que cette manière d'appréciation n'est pas facile à concevoir si l'émotion de l'air, causée par le son, fair vibrer avec une corde les aliquotes de cette corde, on ne voit pas pourquoi l'émotion de l'air, causée par le bruit, ébranlant cette même corde, n'ébranlerait pas de même ses aliquotes. Je ne sache pas qu'on ait observé aucune propriété de l'air qui puisse faire soupçonner que l'agitation qui produit le son et celle qui produit le bruit prolongé ne soient pas de même nature, et que l'action et réaction de l'air et du corps sonore, ou de l'air et du corps bruyant, se fassent par des lois différentes dans l'un et dans l'autre effet.

[-98-] Ne pourrait-on pas conjecturer que le bruit n'est point d'une autre nature que le son; qu'il n'est lui-même que la somme d'une multitude confuse de sons divers, qui se font entendre à la fois, et contrarient en quelque sorte mutuellement leurs ondulations? Tous les corps élastiques semblent être plus sonores à mesure que leur matière est plus homogène, que le degré de cohésion est plus égal partout, et que le corps n'est pas, pour ainsi dire, partagé en une multitude de petites masses qui, ayant des solidités différentes, résonnent conséquemment à différents tons.

Pourquoi le bruit ne serait-il pas du son, puisqu'il en excite? car tout bruit fait résonner les cordes d'un clavecin, non quelques-unes, comme fait un son, mais toutes ensemble, parce qu'il n'y en a pas une qui ne trouve son unisson ou ses harmoniques. Pourquoi le bruit ne serait-il pas du son, puisque avec des sons on fait du bruit? Touchez à la fois toutes les touches d'un clavier, vous produirez une sensation totale qui ne sera que du bruit, et qui ne prolongera son effet par la résonnance des cordes que comme tout autre bruit qui ferait résonner les mêmes cordes. Pourquoi le bruit ne serait-il pas du son, puisqu'un son trop fort n'est plus qu'un véritable bruit, comme une voix qui crie à pleine tête, et surtout comme le son d'une grosse cloche qu'on entend dans le clocher même? car il est impossible de l'apprécier, si, sortant du clocher, on n'adoucit le son par l'éloignement.

Mais, me dira-t-on, d'où vient ce changement [-99-] d'un son excessif en bruit? c'est que la violence des vibrations rend sensible la résonnance d'un si grand nombre d'aliquotes, que le mélange de tant de sons divers fait alors son effet ordinaire et n'est plus que du bruit. Ainsi les aliquotes qui résonnent ne sont pas seulement la moitié, le tiers, le quart, et toutes les consonnances, mais la septième partie, la neuvième, la centième, et plus encore; tout cela fait ensemble un effet semblable à celui de toutes les touches d'un clavecin frappées à la fois: et voilà comment le son devient bruit.

On donne aussi, par mépris, le nom de bruit à une musique étourdissante et confuse, où l'on entend plus de fracas que d'harmonie, et plus de clameurs que de chant: Ce n'est que du bruit; cet opéra fait beaucoup de bruit et peu d'effet.

Bucoliasme. Ancienne chanson des bergers. (Voyez Chanson.)

C.

C. Cette lettre était, dans nos anciennes musiques, le signe de la prolation mineure imparfaite; d'où la même lettre est restée parmi nous celui de la mesure à quatre temps, laquelle renferme exactement les mêmes valeurs de notes. (Voyez Mode, Prolation.)

C barré. Signe de la mesure à quatre temps vites, ou à deux temps posés: il se marque en traversant le C de haut en bas par une ligne perpendiculaire à la portée.

C sol ut, C sol fa ut, ou simplement C. Caractère [-100-] ou terme de musique qui indique la première note de la gamme, que nous appelons ut. (Voyez Gamme.) C'est aussi l'ancien signe d'une des trois clefs de la musique. (Voyez Clef.)

Cacophonie, substantif féminin. Union discordante de plusieurs sons mal choisis ou mal accordés. Ce mot vient de [kakos], mauvais, et de [phone], son. Ainsi, c'est mal à propos que la plupart des musiciens prononcent cacaphonie. Peut-être feront-ils à la fin passer cette prononciation comme ils ont déjà fait passer celle de colophane.

Cadence, substantif féminin. Terminaison d'une phrase harmonique sur un repos ou sur un accord parfait, ou, pour parler plus généralement, c'est tout passage d'un accord dissonant à un accord quelconque; car on ne peut jamais sortit d'un accord dissonant que par un acte de cadence. Or, comme toute phrase harmonique est nécessairement liée par des dissonances exprimées ou sous-entendues, il s'ensuit que toute l'harmonie n'est proprement qu'une suite de cadences.

Ce qu'on appelle acte de cadence résulte toujours de deux sons fondamentaux, dont l'un annonce la cadence, et l'autre la termine.

Comme il n'y a point de dissonance sans cadence, il n'y a point non plus de cadence sans dissonance, exprimée ou sous-entendue; car, pour faire sentir le repos, il faut que quelque chose d'antérieur le suspende, et ce quelque chose ne peut être que la dissonance ou le sentiment implicite de la dissonance: autrement les deux accords étant également [-101-] parfaits, on pourrait se reposer sur le premier; le second ne s'annoncerait point et ne serait pas nécessaire. L'accord formé sur le premier son d'une cadence doit donc toujours être dissonant, c'est-à-dire porter ou supposer une dissonance.

A l'égard du second, il peut être consonnant ou dissonant, selon qu'on veut établir ou éluder le repos. S'il est consonnant, la cadence est pleine; s'il est dissonant, la cadence est évitée ou imitée.

On compte ordinairement quatre espèces de cadences: savoir, cadence parfaite, cadence imparfaite ou irrégulière, cadence interrompue et cadence rompue: ce sont les dénominations que leur a données Monsieur Rameau, et dont on verra ci-après les raisons.

I. Toutes les fois qu'après un accord de septième la basse-fondamentale descend de quinte sur un accord parfait, c'est une cadence parfaite pleine, qui procède toujours d'une dominante tonique à la tonique; mais si la cadence parfaite est évitée par une dissonance ajoutée à la seconde note, on peut commencer une seconde cadence en évitant la première sur cette seconde note, éviter derechef cette seconde cadence, et en commencer une troisième sur la troisième note, enfin continuer ainsi tant qu'on veut, en montant de quarte ou descendant de quinte sur toutes les cordes du ton, et cela forme une succession de cadences parfaites évitées. Dans cette succession, qui est sans contredit la plus harmonique, deux parties, savoir, celles qui font la septième et la quinte, descendent sur la tierce et [-102-] l'octave de l'accord suivant, tandis que deux autres parties, savoir, celles qui font la tierce et l'octave, restent pour faire à leur tour la septième et la quinte, et descendent ensuite alternativement avec les deux autres. Ainsi une telle succession donne une harmonie descendante: elle ne doit jamais s'arrêter qu'à une dominante tonique pour tomber ensuite sur la tonique par une cadence pleine. (Planche A, figure 1. [ROUDIC4 02GF])

II. Si la basse-fondamentale, au lieu de descendre de quinte après un accord de septième, descend seulement de tierce, la cadence s'appelle interrompue: celle-ci ne peut jamais être pleine; mais il faut nécessairement que la seconde note de cette cadence porte un autre accord dissonant. On peut de même continuer à descendre de tierce ou monter de sixte par des accords de septième; ce qui fait une deuxième succession de cadences évitées, mais bien moins parfaite que la précédente: car la septième, qui se sauve sur la tierce dans la cadence parfaite, se sauve ici sur l'octave, ce qui rend moins d'harmonie, et fait même sous-entendre deux octaves; de sorte que, pour les éviter, il faut retrancher la dissonance ou renverser l'harmonie.

Puisque la cadence interrompue ne peut jamais être pleine, il s'ensuit qu'une phrase ne peut finir par elle; mais il faut recourir à la cadence parfaite pour faire entendre l'accord dominant. (Figure 2. [ROUDIC4 02GF])

La cadence interrompue forme encore, par sa succession, une harmonie descendante; mais il n'y a qu'un seul son qui descende. Les trois autres restent [-103-] en place pour descendre, chacun à son tour, dans une marche semblable. (Figure 2. [ROUDIC4 02GF])

Quelques-uns prennent mal à propos pour une cadence interrompue un renversement de la cadence parfaite, où la basse, après un accord de septième, descend de tierce portant un accord de sixte; mais chacun voit qu'une telle marche, n'étant point fondamentale, ne peut constituer une cadence particulière.

III. Cadence rompue, est celle où la basse-fondamentale, au lieu de monter de quarte après un accord de septième, comme dans la cadence parfaite, monte seulement d'un degré. Cette cadence s'évite le plus souvent par une septième sur la seconde note. Il est certain qu'on ne peut la faire pleine que par licence, car alors il y a nécessairement défaut de liaison. (Voyez figure 3. [ROUDIC4 02GF])

Une succession de cadences rompues évitées est encore descendante; trois sons y descendent, et l'octave reste seule pour préparer la dissonance; mais une telle succession est dure, mal modulée, et se pratique rarement.

IV. Quand la basse descend, par un intervalle de quinte, de la dominante sur la tonique, c'est, comme je l'ai dit, un acte de cadence parfaite.

Si au contraire la basse monte par quinte de la tonique à la dominante, c'est un acte de cadence irrégulière ou imparfaite. Pour l'annoncer, on ajoute une sixte majeure à l'accord de la tonique; d'où cet accord prend le nom de sixte ajoutée. (Voyez Accord.) Cette sixte, qui fait dissonance [-104-] sur la quinte, est aussi traitée comme dissonance sur la basse-fondamentale, et, comme telle, obligée de se sauver en montant diatoniquement sur la tierce de l'accord suivant.

La cadence imparfaite forme une opposition presque entière à la cadence parfaite. Dans le premier accord de l'une et de l'autre, on divise la quarte qui se trouve entre la quinte et l'octave par une dissonance qui y produit une nouvelle tierce, et cette dissonance doit aller se résoudre sur l'accord suivant par une marche fondamentale de quinte. Voilà ce que ces deux cadences ont de commun: voici maintenant ce qu'elles ont d'opposé.

Dans la cadence parfaite, le son ajouté se prend au haut de l'intervalle de quarte, auprès de l'octave formant tierce avec la quinte, et produit une dissonance mineure qui se sauve en descendant, tandis que la basse-fondamentale monte de quarte ou descend de quinte de la dominante à la tonique, pour établir un repos parfait. Dans la cadence imparfaite, le son ajouté se prend au bas de l'intervalle de quarte auprès de la quinte, et, formant tierce avec l'octave, il produit une dissonance majeure qui se sauve en montant, tandis que la basse-fondamentale descend de quarte ou monte de quinte de la tonique à la dominante pour établir un repos imparfait.

Monsieur Rameau, qui a le premier parlé de cette cadence, et qui en admet plusieurs renversements, nous défend, dans son Traité de l'Harmonie, page 117, d'admettre celui où le son ajouté est au [-105-] grave portant un accord de septième, et cela par une raison peu solide dont j'ai parlé au mot Accord. Il a pris cet accord de septième pour fondamental; de sorte qu'il fait sauver une septième par une autre septième, une dissonance par une dissonance pareille, par un mouvement semblable sur la basse-fondamentale. Si une telle manière de traiter les dissonances pouvait se tolérer, il faudrait se boucher les oreilles et jeter les règles au feu. Mais l'harmonie, sous laquelle cet auteur a mis une si étrange basse-fondamentale, est visiblement renversée d'une cadence imparfaite, évitée par une septième ajoutée sur la seconde note. (Voyez Planche A, figure 4. [ROUDIC4 02GF]) Et cela est si vrai, que la basse-continue qui frappe la dissonance est nécessairement obligée de monter diatoniquement pour la sauver, sans quoi le passage ne vaudrait rien. J'avoue que dans le même ouvrage, page 272, Monsieur Rameau donne un exemple semblable avec la vraie basse-fondamentale; mais puisqu'il improuve en termes formels le renversement qui résulte de cette basse, un tel passage ne sert qu'à montrer dans son livre une contradiction de plus; et bien que dans un ouvrage postérieur (Génération Harmonique, page 186) le même auteur semble reconnaître le vrai fondement de ce passage, il en parle si obscurément, et dit encore si nettement que la septième est sauvée par une autre, qu'on voit bien qu'il ne fait ici qu'entrevoir, et qu'au fond il n'a pas changé d'opinion: de sorte qu'on est en droit de rétorquer contre lui le reproche qu'il fait à Masson de [-106-] n'avoir pas su voir la cadence imparfaite dans un de ses renversements.

La même cadence imparfaite se prend encore de la sous-dominante à la tonique. On peut aussi l'éviter, et lui donner de cette manière une succession de plusieurs notes, dont les accords formeront une harmonie ascendante, dans laquelle la sixte et l'octave montent sur la tierce et la quinte de l'accord, tandis que la tierce et la quinte restent pour faire l'octave et préparer la sixte.

Nul auteur, que je sache, n'a parlé, jusqu'à Monsieur Rameau, de cette ascension harmonique; lui-même ne la fait qu'entrevoir; et il est vrai qu'on ne pourrait ni pratiquer une longue suite de pareilles cadences, à cause des sixtes majeures qui éloigneraient la modulation, ni même en remplir, sans précaution, toute l'harmonie.

Après avoir exposé les règles et la constitution des diverses cadences, passons aux raisons que Monsieur d'Alembert donne, d'après Monsieur Rameau, de leurs dénominations.

La cadence parfaite consiste dans une marche de quinte en descendant; et, au contraire, l'imparfaite consiste dans une marche de quinte en montant: en voici la raison. Quand je dis, ut sol, sol est déjà renfermé dans l'ut, puisque tout son, comme ut, porte avec lui sa douzième, dont sa quinte sol est l'octave; ainsi, quand on va d'ut à sol, c'est le son générateur qui passe à son produit, de manière pourtant que l'oreille désire toujours de revenir à ce premier générateur: au contraire, quand [-107-] on dit sol ut, c'est le produit qui retourne au générateur; l'oreille est satisfaite et ne désire plus rien. De plus, dans cette marche sol ut, le sol se fait encore entendre dans ut; ainsi l'oreille entend à la fois le générateur et son produit: au lieu que, dans la marche ut sol, l'oreille qui, dans le premier son, avait entendu ut et sol, n'entend plus, dans le second, que sol sans ut. Ainsi le repos ou la cadence de sol à ut, a plus de perfection que la cadence ou le repos d'ut à sol.

Il semble, continue Monsieur d'Alembert, que dans les principes de Monsieur Rameau on peut encore expliquer l'effet de la cadence rompue et de la cadence interrompue. Imaginons, pour cet effet, qu'après un accord de septième, sol si re fa, on monte diatoniquement par une cadence rompue à l'accord la ut mi sol; il est visible que cet accord est renversé de l'accord de sous-dominante ut mi sol la: ainsi la marche de cadence rompue équivaut à cette succession sol si re fa, ut mi sol la, qui n'est autre chose qu'une cadence parfaite, dans laquelle ut, au lieu d'être traitée comme tonique, est rendue sous-dominante. Or, toute tonique, dit Monsieur d'Alembert, peut toujours être rendue sous-dominante, en changeant de mode: j'ajouterai qu'elle peut même porter l'accord de sixte-ajoutée, sans en changer.

A l'égard de la cadence interrompue, qui consiste à descendre d'une dominante sur une autre par l'intervalle de tierce en cette sorte sol si re fa, mi sol si re, il semble qu'on peut encore l'expliquer. En effet, le second accord mi sol si re est renversé [-108-] de l'accord de sous-dominante sol si re mi: ainsi la cadence interrompue équivaut à cette succession, sol si re fa, sol si re mi, où la note sol, après avoir été traitée comme dominante, est rendue sous-dominante en changeant de mode; ce qui est permis et dépend du compositeur.

Ces explications sont ingénieuses, et montrent quel usage on peut faire du double emploi dans les passages qui semblent s'y rapporter le moins. Cependant l'intention de Monsieur d'Alembert n'est sûrement pas qu'on s'en serve réellement dans ceux-ci pour la pratique, mais seulement pour l'intelligence du renversement. Par exemple, le double emploi de la cadence interrompue sauverait la dissonance fa par la dissonance mi, ce qui est contraire aux règles, à l'esprit des règles, et surtout au jugement de l'oreille; car dans la sensation du second accord, sol si re mi, à la suite du premier, sol si re fa, l'oreille s'obstine plutôt à rejeter le re du nombre des consonnances, que d'admettre le mi pour dissonant. En général les commençants doivent savoir que le double emploi peut être admis sur un accord de septième à la suite d'un accord consonnant, mais que sitôt qu'un accord de septième en suit un semblable, le double emploi ne peut avoir lieu. Il est bon qu'ils sachent encore qu'on ne doit changer de ton par nul autre accord dissonant que le sensible; d'où il suit que dans la cadence rompue on ne peut supposer aucun changement de ton.

Il y a une autre espèce de cadence, que les musiciens [-109-] ne regardent point comme telle, et qui, selon la définition, en est pourtant une véritable; c'est le passage de l'accord de septième diminuée sur la note sensible à l'accord de la tonique. Dans ce passage il ne se trouve aucune liaison harmonique, et c'est le second exemple de ce défaut dans ce qu'on appelle cadence. On pourrait regarder les transitions enharmoniques comme des manières d'éviter cette même cadence, de même qu'on évite la cadence parfaite d'une dominante à sa tonique par une transition chromatique: mais je me borne à expliquer ici les dénominations établies.

Cadence est, en terme de chant, ce battement de gosier que les Italiens appellent trillo, que nous appelons autrement tremblement, et qui se fait ordinairement sur la pénultième note d'une phrase musicale, d'où sans doute il a pris le nom de cadence. On dit, Cette actrice a une belle cadence; ce chanteur bat mal la cadence, et cetera.

Il y a deux sortes de cadences: l'une est la cadence pleine; elle consiste à ne commencer le battement de voix qu'après en avoir appuyé la note supérieure: l'autre s'appelle cadence brisée, et l'on y fait le battement de voix sans aucune préparation. (Voyez l'exemple de l'une et de l'autre, Planche B, figure 13. [ROUDIC4 03GF])

Cadence (la) est une qualité de la bonne musique, qui donne à ceux qui l'exécutent ou qui l'écoutent un sentiment vif de la mesure, en sorte qu'ils la marquent et la sentent tomber à propos, sans qu'ils y pensent et comme par instinct. Cette qualité est surtout requise dans les airs à danser: [-110-] Ce menuet marque bien la cadence; cette chaconne manque de cadence. La cadence, en ce sens étant une qualité, porte ordinairement l'article défini la; au lieu que la cadence harmonique porte, comme individuelle, l'article numérique: Une cadence parfaite; trois cadences évitées, et cetera.

Cadence signifie encore la conformité des pas du danseur avec la mesure marquée par l'instrument: Il sort de cadence; il est bien en cadence. Mais il faut observer que la cadence ne se marque pas toujours comme se bat la mesure. Ainsi le maître de musique marque le mouvement du menuet en frappant au commencement de chaque mesure; au lieu que le maître à danser ne bat que de deux en deux mesures, parce qu'il en faut autant pour former les quatre pas du menuet.

Cadencé, adjectif. Une musique bien cadencée est celle où la cadence est sensible, où le rhythme et l'harmonie concourent le plus parfaitement qu'il est possible à faire sentir le mouvement: car le choix des accords n'est pas indifférent pour marquer les temps de la mesure, et l'on ne doit pas pratiquer indifféremment la même harmonie sur le frappé et sur le levé. De même il ne suffit pas de partager les mesures en valeurs égales pour en faire sentir les retours égaux: mais le rhythme ne dépend pas moins de l'accent qu'on donne à la mélodie que des valeurs qu'on donne aux notes; car on peut avoir des temps très-égaux en valeurs, et toutefois très-mal cadencés: ce n'est pas assez que l'égalité y soit, il faut encore qu'on la sente.

[-111-] Cadenza, substantif féminin. Mot italien, par lequel on indique un point d'orgue non écrit, et que l'auteur laisse à la volonté de celui qui exécute la partie principale, afin qu'il y fasse, relativement au caractère de l'air, les passages les plus convenables à sa voix, à son instrument ou à son goût.

Ce point d'orgue s'appelle cadenza parce qu'il se fait ordinairement sur la première note d'une cadence finale, et il s'appelle aussi arbitrio à cause de la liberté qu'on y laisse à l'exécutant de se livrer à ses idées et de suivre son propre goût. La musique française, surtout la vocale, qui est extrêmement servile, ne laisse au chanteur aucune pareille liberté, dont même il serait fort embarrassé de faire usage.

Canarder, verbe neutre. C'est, en jouant du hautbois, tirer un son nasillard et rauque, approchant du cri du canard; c'est ce qui arrive aux commençants, et surtout dans le bas, pour ne pas serrer assez l'anche des lèvres. Il est aussi très-ordinaire à ceux qui chantent la haute-contre de canarder; parce que la haute-contre est une voix factice et forcée qui se sent toujours de la contrainte avec laquelle elle sort.

Canarie, substantif féminin. Espèce de gigue dont l'air est d'un mouvement encore plus vif que celui de la gigue ordinaire: c'est pourquoi l'on le marque quelquefois par 6/16: cette danse n'est plus en usage aujourd'hui. (Voyez Gigue.)

Canevas, substantif masculin. C'est ainsi qu'on appelle à l'Opéra de Paris des paroles que le musicien ajuste aux [-112-] notes d'un air à parodier. Sur ces paroles, qui ne signifient rien, le poète en ajuste d'autres qui ne signifient pas grand'chose, où l'on ne trouve, pour l'ordinaire, pas plus d'esprit que de sens, où la prosodie française est ridiculement estropiée, et qu'on appelle encore avec grande raison des canevas.

Canon, substantif masculin. C'était dans la musique ancienne une règle ou méthode pour déterminer les rapports des intervalles. L'on donnait aussi le nom de canon à l'instrument par lequel on trouvait ces rapports; et Ptolomée a donné le même nom au livre que nous avons de lui sur les rapports de tous les intervalles harmoniques. En général, on appelait sectio canonis la division du monocorde par tous ces intervalles, et canon universalis le monocorde ainsi divisé, ou la table qui le representait. (Voyez Monocorde.)

Canon, en musique moderne, est une sorte de fugue qu'on appelle perpétuelle, parce que les parties, partant l'une après l'autre, répètent sans cesse le même chant.

Autrefois, dit Zarlin, on mettait à la tête des fugues perpétuelles, qu'il appelle fughe in conseguenza, certains avertissements qui marquaient comment il fallait chanter ces sortes de fugues; et ces avertissements, étant proprement les règles de ces fugues, s'intitulaient canoni, règles, canons. De là, prenant le titre pour la chose, on a, par métonymie, nommé canon cette espèce de fugue.

Les canons les plus aisés à faire et les plus communs [-113-] se prennent à l'unisson ou à l'octave, c'est-à-dire que chaque partie répète sur le même ton le chant de celle qui la précède. Pour composer cette espèce de canon, il ne faut qu'imaginer un chant à son gré, y ajouter en partition autant de parties qu'on veut, à voix égales, puis, de toutes ces parties chantées successivement, former un seul air; tâchant que cette succession produise un tout agréable, soit dans l'harmonie, soit dans le chant.

Pour exécuter un tel canon, celui qui doit chanter le premier part seul, chantant de suite l'air entier, et le recommençant aussitôt sans interrompre la mesure. Dès que celui-ci a fini le premier couplet, qui doit servir de sujet perpétuel, et sur lequel le canon entier a été composé, le second entre, et commence ce même premier couplet, tandis que le premier entré poursuit le second: les autres partent de même successivement, dès que celui qui les précède est à la fin du même premier couplet; en recommençant ainsi sans cesse, on ne trouve jamais de fin générale, et l'on poursuit le canon aussi longtemps qu'on veut.

L'on peut encore prendre une fugue perpétuelle à la quinte ou à la quarte, c'est-à-dire que chaque partie répétera le chant de la précédente une quinte ou une quarte plus haut ou plus bas. Il faut alors que le canon soit imaginé tout entier, di prima intenzione, comme disent les Italiens, et que l'on ajoute des bémols ou des dièses aux notes dont les degrés naturels ne rendraient pas exactement, à la quinte ou à la quarte, le chant de la partie [-114-] précédente. On ne doit avoir égard ici à aucune modulation, mais seulement à l'identité du chant: ce qui rend la composition du canon plus difficile; car à chaque fois qu'une partie reprend la fugue elle entre dans un nouveau ton; elle en change presque à chaque note, et, qui pis est, nulle partie ne se trouve à la fois dans le même ton qu'une autre; ce qui fait que ces sortes de canons, d'ailleurs peu faciles à suivre, ne font jamais un effet agréable, quelque bonne qu'en soit l'harmonie, et quelque bien chantés qu'ils soient.

Il y a une troisième sorte de canons, très-rares, tant à cause de l'excessive difficulté, que parce que, ordinairement dénués d'agréments, ils n'ont d'autre mérite que d'avoir coûté beaucoup de peine à faire: c'est ce qu'on pourrait appeler double canon renversé, tant par l'inversion qu'on y met dans le chant des parties, que par celle qui se trouve entre les parties mêmes en les chantant. Il y a un tel artifice dans cette espèce de canons, que, soit qu'on chante les parties dans l'ordre naturel, soit qu'on renverse le papier pour les chanter dans un ordre rétrograde, en sorte que l'on commence par la fin, et que la basse devienne le dessus, on a toujours une bonne harmonie et un canon régulier. Voyez (Planche D, figure 11 [ROUDIC4 05GF]) deux exemples de cette espèce de canons tirés de Bontempi, lequel donne aussi des règles pour les composer. Mais on trouvera le vrai principe de ces règles au mot Système, dans l'exposition de celui de Monsieur Tartini.

Pour faire un canon dont l'harmonie soit un peu [-115-] variée, il faut que les parties ne se suivent pas trop promptement, que l'une n'entre que long-temps après l'autre. Quand elles se suivent si rapidement, comme à la pause ou demi-pause, on n'a pas le temps d'y faire passer plusieurs accords, et le canon ne peut manquer d'être monotone; mais c'est un moyen de faire sans beaucoup de peine des canons à tant de parties qu'on veut; car un canon de quatre mesures seulement sera déjà à huit parties, si elles se suivent à la demi-pause; et, à chaque mesure qu'on ajoutera, l'on gagnera encore deux parties.

L'empereur Charles VI, qui était grand musicien et composait très-bien, se plaisait beaucoup à faire et chanter des canons. L'Italie est encore pleine de fort beaux canons qui ont été faits pour ce prince par les meilleurs maîtres de ce pays-là.

Cantabile. Adjectif italien, qui signifie chantable, commode à chanter. Il se dit de tous les chants dont, en quelque mesure que ce soit, les intervalles ne sont pas trop grands ni les notes trop précipitées, de sorte qu'on peut les chanter aisément sans forcer ni gêner la voix. Le mot cantabile passe aussi peu à peu dans l'usage français. On dit, Parlez-moi du cantabile; un beau cantabile me plaît plus que tous vos airs d'exécution.

Cantate, substantif féminin. Sorte de petit poème lyrique, qui se chante avec des accompagnements, et qui, bien que fait pour la chambre, doit recevoir du musicien la chaleur et les graces de la musique imitative et théâtrale. Les cantates sont ordinairement composées [-116-] de trois récitatifs et d'autant d'airs. Celles qui sont en récits, et les airs en maximes, sont toujours froides et mauvaises; le musicien doit les rebuter. Les meilleures sont celles où, dans une situation vive et touchante, le principal personnage parle lui-même; car nos cantates sont communément à voix seule. Il y en a pourtant quelques-unes à deux voix en forme de dialogue, et celles-là sont encore agréables quand on y sait introduire de l'intérêt. Mais comme il faut toujours un peu d'échafaudage pour faire une sorte d'exposition et mettre l'auditeur au fait, ce n'est pas sans raison que les cantates ont passé de mode, et qu'on leur a substitué, même dans les concerts, des scènes d'opéra.

La mode des cantates nous est venue d'Italie, comme on le voit par leur nom, qui est italien; et c'est l'Italie aussi qui les a proscrites la première. Les cantates qu'on y fait aujourd'hui sont de véritables pièces dramatiques à plusieurs acteurs, qui ne diffèrent des opéra qu'en ce que ceux-ci se représentent au théâtre, et que les cantates ne s'exécutent qu'en concert: de sorte que la cantate est sur un sujet profane ce qu'est l'oratorio sur un sujet sacré.

Cantatille, substantif féminin diminutif de cantate, n'est en effet qu'une cantate fort courte, dont le sujet est lié par quelques vers de récitatif, en deux ou trois airs en rondeau pour l'ordinaire avec des accompagnements de symphonie. Le genre de la cantatille vaut moins encore que celui de la cantate, auquel [-117-] on l'a substitué parmi nous. Mais, comme on n'y peut développer ni passions ni tableaux, et qu'elle n'est susceptible que de gentillesse, c'est une ressource pour les petits faiseurs de vers et pour les musiciens sans génie.

Cantique, substantif masculin. Hymne que l'on chante en l'honneur de la Divinité.

Les premiers et les plus anciens cantiques furent composés à l'occasion de quelque événement mémorable, et doivent être comptés entre les plus anciens monuments historiques.

Ces cantiques étaient chantés par des choeurs de musique et souvent accompagnés de danses, comme il paraît par l'Écriture. La plus grande pièce qu'elle nous offre en ce genre, est le Cantique des Cantiques, ouvrage attribué à Salomon, et que quelques auteurs prétendent n'être que l'épithalame de son mariage avec la fille du roi d'Égypte. Mais les théologiens montrent sous cet emblème l'union de Jésus-Christ et de l'Église. Le sieur de Cahusac ne voyait dans le Cantique des Cantiques qu'un opéra très-bien fait: les scènes, les récits, les duo, les choeurs, rien n'y manquait selon lui, et il ne doutait pas même que cet opéra n'eût été représenté.

Je ne sache pas qu'on ait conservé le nom de cantique à aucun des chants de l'Église romaine: si ce n'est le Cantique de Siméon, celui de Zacharie, et le Magnificat, appelé le Cantique de la Vierge. Mais parmi nous on appelle cantique tout ce qui se chante dans nos temples, excepté les psaumes, qui conservent leur nom.

[-118-] Les Grecs donnaient encore le nom de cantiques à certains monologues passionnés de leurs tragédies, qu'on chantait sur le mode hypodorien, ou sur l'hypophrygien, comme nous l'apprend Aristote au dix-neuvième de ses problèmes.

Canto. Ce mot italien, écrit dans une partition sur la portée vide du premier violon, marque qu'il doit jouer à l'unisson sur la partie chantante.

Caprice, substantif masculin. Sorte de pièce de musique libre, dans laquelle l'auteur, sans s'assujettir à aucun sujet, donne carrière à son génie et se livre à tout le feu de la composition. Le caprice de Rebel était estimé dans son temps. Aujourd'hui les caprices de Locatelli donnent de l'exercice à nos violons.

Caractères de Musique. Ce sont les divers signes qu'on emploie pour représenter tous les sons de la mélodie, et toutes les valeurs des temps et de la mesure; de sorte qu'à l'aide de ces caractères on puisse lire et exécuter la musique exactement comme elle a été composée, et cette manière d'écrire s'appelle noter. (Voyez Notes.)

Il n'y a que les nations de l'Europe qui sachent écrire leur musique. Quoique dans les autres parties du monde chaque peuple ait aussi la sienne, il ne paraît pas qu'aucun d'eux ait poussé ses recherches jusqu'à des caractères pour la noter. Au moins est-il sûr que les Arabes ni les Chinois, les deux peuples étrangers qui ont le plus cultivé les lettres, n'ont ni l'un ni l'autre de pareils caractères. A la vérité les Persans donnent des noms de villes de [-119-] leur pays ou des parties du corps humain aux quarante-huit sons de leur musique: ils disent, par exemple, pour donner l'intonation d'un air, Allez de cette ville à celle-là, ou allez du doigt au coude; mais ils n'ont aucun signe propre pour exprimer sur le papier ces mêmes sons: et quant aux Chinois, on trouve dans le Père du Halde qu'ils furent étrangement surpris de voir les jésuites noter et lire sur cette même note tous les airs chinois qu'on leur faisait entendre.

Les anciens Grecs se servaient pour caractères dans leur musique, ainsi que dans leur arithmétique, des lettres de leur alphabet; mais au lieu de leur donner dans la musique une valeur numéraire qui marquât les intervalles, ils se contentaient de les employer comme signes, les combinant en diverses manières, les mutilant, les accouplant, les couchant, les retournant différemment, selon les genres et les modes, comme on peut voir dans le recueil d'Alypius. Les Latins les imitèrent en se servant, à leur exemple, des lettres de l'alphabet; et il nous en reste encore la lettre jointe au nom de chaque note de notre échelle diatonique et naturelle.

Gui Arétin imagina les lignes, les portées, les signes particuliers qui nous sont demeurés sous le nom de notes, et qui sont aujourd'hui la langue musicale et universelle de toute l'Europe. Comme ces derniers signes, quoique admis unanimement et perfectionnés depuis l'Arétin, ont encore de grands défauts, plusieurs ont tenté de leur substituer d'autres notes: de ce nombre ont été Parran, [-120-] Souhaitti, Sauveur, Dumas, et moi-même. Mais comme, au fond, tous ces systèmes, en corrigeant d'anciens défauts auxquels on est tout accoutumé, ne faisaient qu'en substituer d'autres dont l'habitude est encore à prendre, je pense que le public a très-sagement fait de laisser les choses comme elles sont, et de nous renvoyer, nous et nos systèmes, au pays des vaines spéculations.

Carillon. Sorte d'air fait pour être exécuté par plusieurs cloches accordées à différents tons. Comme on fait plutôt le carillon pour les cloches que les cloches pour le carillon, l'on n'y fait entrer qu'autant de sons divers qu'il y a de cloches. Il faut observer, de plus, que tous leurs sons ayant quelque permanence, chacun de ceux qu'on frappe doit faire harmonie avec celui qui le précède et avec celui qui le suit; assujettissement qui, dans un mouvement gai, doit s'étendre à toute une mesure et même au-delà, afin que les sons qui durent ensemble ne dissonent point à l'oreille. Il y a beaucoup d'autres observations à faire pour composer un bon carillon, et qui rendent ce travail plus pénible que satisfaisant; car c'est toujours une sotte musique que celle des cloches, quand même tous les sons en seraient exactement justes, ce qui n'arrive jamais. On trouvera (Planche A, figure 14 [ROUDIC4 02GF]) l'exemple d'un carillon consonnant, composé pour être exécuté sur une pendule à neuf timbres faite par Monsieur Romilly, célèbre horloger. On conçoit que l'extrême gêne, à laquelle assujettissent le concours harmonique des sons voisins et le petit nombre [-121-] des timbres, ne permet guère de mettre du chant dans un semblable air.

Cartelles. Grandes feuilles de peau d'âne préparées, sur lesquelles on entaille les traits des portées pour pouvoir y noter tout ce qu'on veut en composant, et l'effacer ensuite avec une éponge; l'autre côté, qui n'a point de portées, peut servir à écrire et barbouiller, et s'efface de même, pourvu qu'on n'y laisse pas trop vieillir l'encre. Avec une cartelle un compositeur soigneux en a pour sa vie, et épargne bien des rames de papier réglé; mais il y a ceci d'incommode, que la plume passant continuellement sur les lignes entaillées, gratte et s'émousse facilement. Les cartelles viennent toutes de Rome ou de Naples.

Castrato, substantif masculin. Musicien qu'on a privé dans son enfance des organes de la génération, pour lui conserver la voix aiguë qui chante la partie appelée dessus ou soprano. Quelque peu de rapport qu'on aperçoive entre deux organes si différents, il est certain que la mutilation de l'un prévient et empêche dans l'autre cette mutation qui survient aux hommes à l'âge nubile, et qui baisse tout-à-coup leur voix d'une octave. Il se trouve en Italie des pères barbares qui, sacrifiant la nature à la fortune, livrent leurs enfants à cette opération, pour le plaisir des gens voluptueux et cruels qui osent rechercher le chant de ces malheureux. Laissons aux honnêtes femmes des grandes villes les ris modestes, l'air dédaigneux et les propos plaisants dont ils sont l'éternel objet; mais faisons entendre, [-122-] s'il se peut, la voix de la pudeur et de l'humanité qui crie et s'élève contre cet infame usage; et que les princes qui l'encouragent par leurs recherches, rougissent une fois de nuire en tant de façons à la conservation de l'espèce humaine.

Au reste, l'avantage de la voix se compense dans les castrati par beaucoup d'autres pertes. Ces hommes qui chantent si bien, mais sans chaleur et sans passion, sont sur le théâtre les plus maussades acteurs du monde; ils perdent leur voix de très-bonne heure, et prennent un embonpoint dégoûtant; ils parlent et prononcent plus mal que les vrais hommes, et il y a même des lettres, telles que l'r, qu'ils ne peuvent point prononcer du tout.

Quoique le mot castrato ne puisse offenser les plus délicates oreilles, il n'en est pas de même de son synonyme français; preuve évidente que ce qui rend les mots indécents ou déshonnêtes dépend moins des idées qu'on leur attache, que de l'usage de la bonne compagnie, qui les tolère ou les proscrit à son gré.

On pourrait dire cependant que le mot italien s'admet comme représentant une profession, au lieu que le mot français ne représente que la privation qui y est jointe.

Catabaucalèse. Chanson des nourrices chez les anciens. (Voyez Chanson.)

Catacoustique, substantif féminin. Science qui a pour objet les sons réfléchis, ou cette partie de l'acoustique qui considère les propriétés des échos. Ainsi la catacoustique [-123-] est à l'acoustique ce que la catoptrique est à l'optique.

Cataphonique, substantif féminin. Science des sons réfléchis, qu'on appelle aussi catacoustique. (Voyez l'article précédent.)

Cavatine, substantif féminin. Sorte d'air pour l'ordinaire assez court, qui n'a ni reprise, ni seconde partie, et qui se trouve souvent dans des récitatifs obligés. Ce changement subit du récitatif au chant mesuré, et le retour inattendu du chant mesuré au récitatif, produisent un effet admirable dans les grandes expressions, comme sont toujours celles du récitatif obligé.

Le mot cavatina est italien; et quoique je ne veuille pas, comme Brossard, expliquer dans un dictionnaire français tous les mots techniques italiens, surtout lorsque ces mots ont des synonymes dans notre langue, je me crois pourtant obligé d'expliquer ceux de ces mêmes mots qu'on emploie dans la musique notée, parce qu'en exécutant cette musique, il convient d'entendre les termes qui s'y trouvent, et que l'auteur n'y a pas mis pour rien.

Centoniser, verbe neutre. Terme de plain-chant. C'est composer un chant de traits recueillis et arrangés pour la mélodie qu'on a en vue. Cette manière de composer n'est pas de l'invention des symphoniastes modernes, puisque, selon l'abbé Le Boeuf, saint Grégoire lui-même a centonisé.

Chaconne, substantif féminin. Sorte de pièce de musique faite pour la danse, dont la mesure est bien marquée et le mouvement modéré. Autrefois il y avait des [-124-] chaconnes à deux temps et à trois; mais on n'en fait plus qu'à trois. Ce sont pour l'ordinaire des chants qu'on appelle couplets, composés et variés en diverses manières sur une basse contrainte de quatre en quatre mesures, commençant presque toujours par le second temps pour prévenir l'interruption. On s'est affranchi peu à peu de cette contrainte de la basse, et l'on n'y a presque plus aucun égard.

La beauté de la chaconne consiste à trouver des chants qui marquent bien le mouvement, et, comme elle est souvent fort longue, à varier tellement les couplets qu'ils contrastent bien ensemble, et qu'ils réveillent sans cesse l'attention de l'auditeur. Pour cela, on passe et repasse à volonté du majeur au mineur, sans quitter pourtant beaucoup le ton principal; et du grave au gai, ou du tendre au vif, sans presser ni ralentir jamais la mesure.

La chaconne est née en Italie, et elle y était autrefois fort en usage, de même qu'en Espagne. On ne la connaît plus aujourd'hui qu'en France dans nos opéra.

Chanson. Espèce de petit poème lyrique fort court, qui roule ordinairement sur des sujets agréables, auquel on ajoute un air pour être chanté dans des occasions familières, comme à table, avec ses amis, avec sa maîtresse, et même seul, pour éloigner quelques instants l'ennui, si l'on est riche, et pour supporter plus doucement la misère et le travail, si l'on est pauvre.

L'usage des chansons semble être une suite naturelle de celui de la parole, et n'est en effet pas [-125-] moins général; car partout où l'on parle, on chante. Il n'a fallu pour les imaginer que déployer ses organes, donner un tour agréable aux idées dont on aimait à s'occuper, et fortifier par l'expression dont la voix est capable le sentiment qu'on voulait rendre, ou l'image qu'on voulait peindre. Aussi les anciens n'avaient-ils point encore l'art d'écrire, qu'ils avaient déjà des chansons. Leurs lois et leurs histoires, les louanges des dieux et des héros, furent chantées avant d'être écrites. Et de là vient, selon Aristote, que le même nom grec fut donné aux lois et aux chansons.

Toute la poésie lyrique n'était proprement que des chansons: mais je dois me borner ici à parler de celle qui portait plus particulièrement ce nom, et qui en avait mieux le caractère selon nos idées.

Commençons par les airs de table. Dans les premiers temps, dit Monsieur de La Nauze, tous les convives, au rapport de Dicéarque, de Plutarque et d'Artémon, chantaient ensemble et d'une seule voix les louanges de la Divinité. Ainsi ces chansons étaient de véritables péans ou cantiques sacrés. Les dieux n'étaient point pour eux des trouble-fêtes, et ils ne dédaignaient pas de les admettre dans leurs plaisirs.

Dans la suite, les convives chantaient successivement, chacun à son tour, tenant une branche de myrte, qui passait de la main de celui qui venait de chanter à celui qui chantait après lui. Enfin, quand la musique se perfectionna dans la Grèce, et qu'on employa la lyre dans les festins, il n'y [-126-] eut plus, disent les auteurs déjà cités, que les habiles gens qui fussent en état de chanter à table, du moins en s'accompagnant de la lyre. Les autres, contraints de s'en tenir à la branche de myrte, donnèrent lieu à un proverbe grec, par lequel on disait qu'un homme chantait au myrte, quand on voulait le taxer d'ignorance.

Ces chansons accompagnées de la lyre, et dont Terpandre fut l'inventeur, s'appellent scolies, mot qui signifie oblique ou tortueux, pour marquer, selon Plutarque, la difficulté de la chanson, ou, comme le veut Artémon, la situation irrégulière de ceux qui chantaient; car comme il fallait être habile pour chanter ainsi, chacun ne chantait pas à son rang, mais seulement ceux qui savaient la musique, lesquels se trouvaient dispersés çà et là et placés obliquement l'un par rapport à l'autre.

Les sujets des scolies se tiraient non-seulement de l'amour et du vin, ou du plaisir en général, comme aujourd'hui, mais encore de l'histoire, de la guerre, et même de la morale. Telle est la chanson d'Aristote sur la mort d'Hermias son ami et son allié, laquelle fit accuser son auteur d'impiété.

"O vertu! qui malgré les difficultés que vous présentez aux faibles mortels, êtes l'objet charmant de leurs recherches! vertu pure et aimable! ce fut toujours aux Grecs un destin digne d'envie de mourir pour vous, et de souffrir avec constance les maux les plus affreux. Telles sont les semences d'immortalité que vous répandez dans tous les coeurs. Les fruits en sont plus précieux [-127-] que l'or, que l'amitié des parents, que le sommeille le plus tranquille. Pour vous le divin Hercule et les fils de Léda supportèrent mille travaux, et le succès de leurs exploits annonça votre puissance. C'est par amour pour vous qu'Achille et Ajax descendirent dans l'empire de Pluton, et c'est en vue de votre céleste beauté que le prince d'Atarne s'est aussi privé de la lumière du soleil. Prince à jamais célèbre par ses actions, les filles de mémoire chanteront sa gloire toutes les fois qu'elles chanteront le culte de Jupiter hospitalier, et le prix d'une amitié durable et sincere."

Toutes leurs chansons morales n'étaient pas si graves que celle-là. En voici une d'un goût différent, tirée d'Athénée:

"Le premier de tous les biens est la santé; le second, la beauté; le troisième, les richesses amassées sans fraude; et le quatrième, la jeunesse qu'on passe avec ses amis."

Quant aux scolies qui roulent sur l'amour et le vin, on en peut juger par les soixante-dix odes d'Anacréon qui nous restent: mais, dans ces sortes de chansons mêmes, on voyait encore briller cet amour de la patrie et de la liberté dont tous les Grecs étaient transportés.

"Du vin et de la santé, dit une de ces chansons, pour ma Clitagora et pour moi, avec le secours des Thessaliens." C'est qu'outre que Clitagora était Thessalienne, les Athéniens avaient autrefois reçu du secours des Thessaliens contre la tyrannie des Pisistratides.

[-128-] Ils avaient aussi des chansons pour les diverses professions: telles étaient les chansons des bergers, dont une espèce, appelée bucoliasme, était le véritable chant de ceux qui conduisaient le bétail; et l'autre, qui est proprement la pastorale, en était l'agréable imitation: la chanson des moissonneurs, appelée le lytierse, du nom d'un fils de Midas, qui s'occupait par goût à faire la moisson: la chanson des meuniers, appelée hymée ou épiaulie; comme celle-ci tirée de Plutarque, Moulez, meule, moulez, car Pittacus, qui règne dans l'auguste Mitylène, aime à moudre; parce que Pittacus était grand mangeur: la chanson des tisserands, qui s'appelait éline: la chanson yule des ouvriers en laine: celle des nourrices, qui s'appelait catabaucalèse ou nunnie: la chanson des amants, appelée nomion: celle des femmes, appelée calyce; harpalice, celle des filles. Ces deux dernières, attendu le sexe, étaient aussi des chansons d'amour.

Pour des occasions particulières, ils avaient la chanson des noces, qui s'appelait hyménée, épithalame: la chanson de Datis, pour des occasions joyeuses: les lamentations, l'ialem, et le linos, pour des occasions funèbres et tristes. Ce linos se chantait aussi chez les Égyptiens, et s'appelait par eux maneros, du nom d'un de leurs princes, au deuil duquel il avait été chanté. Par un passage d'Euripide, cité par Athénée, on voit que le linos pouvait aussi marquer la joie.

Enfin il y avait encore des hymnes ou chansons en l'honneur des dieux et des héros; telles étaient [-129-] les iules de Cérès et Proserpine, la philelie d'Apollon, les upinges de Diane, et cetera.

Ce genre passa des Grecs aux Latins, et plusieurs odes d'Horace sont des chansons galantes ou bachiques. Mais cette nation, plus guerrière que sensuelle, fit, durant très-long-temps, un médiocre usage de la musique et des chansons, et n'a jamais approché, sur ce point, des graces de la volupté grecque. Il paraît que le chant resta toujours rude et grossier chez les Romains: ce qu'ils chantaient aux noces était plutôt des clameurs que des chansons, et il n'est guère à présumer que les chansons satiriques des soldats aux triomphes de leurs généraux eussent une mélodie fort agréable.

Les modernes ont aussi leurs chansons de différentes espèces, selon le génie et le goût de chaque nation. Mais les Français l'emportent sur toute l'Europe dans l'art de les composer, sinon pour le tour et la mélodie des airs, au moins pour le sel, la grace et la finesse des paroles; quoique, pour l'ordinaire, l'esprit et la satire s'y montrent bien mieux encore que le sentiment et la volupté. Ils se sont plus à cet amusement, et y ont excellé dans tous les temps, témoin les anciens troubadours. Cet heureux peuple est toujours gai, tournant tout en plaisanterie: les femmes y sont fort galantes, les hommes fort dissipés; et le pays produit d'excellent vin: le moyen de n'y pas chanter sans cesse? Nous avons encore d'anciennes chansons de Thibault, comte de Champagne, l'homme le plus galant de son siècle, mises en musique par Guillaume de Machault. Marot en fit [-130-] beaucoup qui nous restent; et, grace aux airs d'Orlande et de Claudin, nous en avons aussi plusieurs de la Pléiade de Charles IX. Je ne parlerai point des chansons plus modernes, par lesquelles les musiciens Lambert, Du Bousset, La Garde, et autres, ont acquis un nom, et dont on trouve autant de poètes qu'il y a de gens de plaisir parmi le peuple du monde qui s'y livre le plus, quoique non pas tous aussi célèbres que le comte de Coulanges et l'abbé de l'Atteignant. La Provence et le Languedoc n'ont point non plus dégénéré de leur premier talent; on voit toujours régner dans ces provinces un air de gaieté qui porte sans cesse leurs habitants au chant et à la danse. Un Provençal menace, dit-on, son ennemi d'une chanson, comme un Italien menacerait le sien d'un coup de stylet: chacun a ses armes. Les autres pays ont aussi leurs provinces chansonnières: en Angleterre, c'est l'Écosse; en Italie, c'est Venise. (Voyez Barcarolles.)

Nos chansons sont de plusieurs sortes; mais en général elles roulent ou sur l'amour, ou sur le vin, ou sur la satire. Les chansons d'amour sont, les airs tendres, qu'on appelle encore airs sérieux; les romances, dont le caractère est d'émouvoir l'ame insensiblement par le récit tendre et naïf de quelque histoire amoureuse et tragique; les chansons pastorales et rustiques, dont plusieurs sont faites pour danser, comme les musettes, les gavottes, les branles, et cetera.

Les chansons à boire sont assez communément des airs de basse ou des rondes de table: c'est [-131-] avec beaucoup de raison qu'on en fait peu pour les dessus; car il n'y a pas une idée de débauche plus crapuleuse et plus vile que celle d'une femme ivre.

A l'égard des chansons satiriques, elles sont comprises sous le nom de vaudevilles, et lancent indifféremment leurs traits sur le vice et sur la vertu, en les rendant également ridicules; ce qui doit proscrire le vaudeville de la bouche des gens de bien.

Nous avons encore une espèce de chanson qu'on appelle parodie: ce sont des paroles qu'on ajuste comme on peut sur des airs de violon ou d'autres instruments, et qu'on fait rimer tant bien que mal, sans avoir égard à la mesure des vers, ni au caractère de l'air, ni au sens des paroles, ni le plus souvent à l'honnêteté. (Voyez Parodie.)

Chant, substantif masculin. Sorte de modification de la voix humaine, par laquelle on forme des sons variés et appréciables. Observons que pour donner à cette définition toute l'universalité qu'elle doit avoir, il ne faut pas seulement entendre par sons appréciables ceux qu'on peut assigner par les notes de notre musique, et rendre par les touches de notre clavier, mais tous ceux dont on peut trouver ou sentir l'unisson, et calculer les intervalles de quelque manière que ce soit.

Il est très-difficile de déterminer en quoi la voix qui forme la parole diffère de la voix qui forme le chant. Cette différence est sensible, mais on ne voit pas bien clairement en quoi elle consiste; et [-132-] quand on veut le chercher, on ne le trouve pas. Monsieur Dodard a fait des observations anatomiques, à la faveur desquelles il croit, à la vérité, trouver dans les différentes situations du larynx la cause de ces deux sortes de voix; mais je ne sais si ces observations, ou les conséquences qu'il en tire, sont bien certaines. (Voyez Voix.) Il semble ne manquer aux sons qui forment la parole que la permanence pour former un véritable chant; il paraît aussi que les diverses inflexions qu'on donne à la voix en parlant forment des intervalles qui ne sont point harmoniques, qui, ne font pas partie de nos systèmes de musique, et qui, par conséquent, ne pouvant être exprimés en note, ne sont pas proprement du chant pour nous.

Le chant ne semble pas naturel à l'homme. Quoique les sauvages de l'Amérique chantent, parce qu'ils parlent, le vrai sauvage ne chanta jamais. Les muets ne chantent point; ils ne forment que des voix sans permanence, des mugissements sourds que le besoin leur arrache; je douterais que le sieur Pereyre, avec tout son talent, pût jamais tirer d'eux aucun chant musical. Les enfants crient, pleurent, et ne chantent point. Les premières expressions de la nature n'ont rien en eux de mélodieux ni de sonore, et ils apprennent à chanter, comme à parler, à notre exemple. Le chant mélodieux et appréciable n'est qu'une imitation paisible et artificielle des accents de la voix parlante ou passionnée: on crie et l'on se plaint sans chanter; mais on imite en chantant les cris et les plaintes; et comme [-133-] de toutes les imitations la plus intéressante est celle des passions humaines, de toutes les manières d'imiter, la plus agréable est le chant.

Chant, appliqué plus particulièrement à notre musique, en est la partie mélodieuse; celle qui résulte de la durée et de la succession des sons; celle d'où dépend toute l'expression, et à laquelle tout le reste est subordonné. (Voyez Musique, Mélodie.) Les chants agréables frappent d'abord, ils se gravent facilement dans la mémoire; mais ils sont souvent l'écueil des compositeurs, parce qu'il ne faut que du savoir pour entasser des accords, et qu'il faut du talent pour imaginer de chants gracieux. Il y a dans chaque nation des tours de chant triviaux et usés, dans lesquels les mauvais musiciens retombent sans cesse; il y en a de baroques, qu'on n'use jamais, parce que le public les rebute toujours. Inventer des chants nouveaux appartient à l'homme de génie; trouver de beaux chants appartient à l'homme de goût.

Enfin, dans son sens le plus resserré, chants se dit seulement de la musique vocale; et; dans celle qui est mêlée de symphonie, on appelle parties de chant celles qui sont destinées pour les voix.

Chant Ambrosien. Sorte de plain-chant dont l'invention est attribuée à saint Ambroise, archevêque de Milan. (Voyez Plain-chant.)

Chant grégorien. Sorte de plain-chant dont l'invention est attribuée à saint Grégoire, pape, et qui a été substitué ou préféré dans la plupart des [-134-] églises au chant ambrosien. (Voyez Plain-chant.)

Chant en ison, ou Chant égal. On appelle ainsi un chant ou une psalmodie qui ne roule que sur deux sons, et ne forme par conséquent qu'un seul intervalle. Quelques ordres religieux n'ont dans leurs églises d'autre chant que le chant en ison.

Chant sur le livre. Plain-chant ou contre-point à quatre parties, que les musiciens composent et chantent impromptu sur une seule: savoir, le livre de choeur qui est au lutrin; en sorte qu'excepté la partie notée, qu'on met ordinairement à la taille, les musiciens affectés aux trois autres parties n'ont que celle-là pour guide, et composent chacun la leur en chantant.

Le chant sur le livre demande beaucoup de science, d'habitude et d'oreille dans ceux qui l'exécutent, d'autant plus qu'il n'est pas toujours aisé de rapporter les tons du plain-chant à ceux de notre musique. Cependant il y a des musiciens d'église si versés dans cette sorte de chant, qu'ils y commencent et poursuivent même des fugues, quand le sujet en peut comporter, sans confondre et croiser les parties, ni faire de faute dans l'harmonie.

Chanter, verbe neutre. C'est, dans l'acception la plus générale, former avec la voix des sons variés et appréciables. (Voyez Chant.) Mais c'est plus communément faire diverses inflexions de voix, sonores, agréables à l'oreille, par des intervalles admis dans la musique et dans les règles de la modulation.

On chante plus ou moins agréablement, à proportion [-135-] qu'on a la voix plus ou moins agréable et sonore, l'oreille plus ou moins juste, l'organe plus ou moins flexible, le goût plus ou moins formé, et plus ou moins de pratique de l'art du chant. A quoi l'on doit ajouter, dans la musique imitative et théâtrale, le degré de sensibilité qui nous affecte plus ou moins des sentiments que nous avons à rendre. On a aussi plus ou moins de disposition à chanter selon le climat sous lequel ou est né, et selon le plus ou moins d'accent de sa langue naturelle; car plus la langue est accentuée, et par conséquent mélodieuse et chantante, plus aussi ceux qui la parlent ont naturellement de facilité à chanter.

On a fait un art du chant; c'est-à-dire que, des observations sur les voix qui chantaient le mieux, on a composé des règles pour faciliter et perfectionner l'usage de ce don naturel. (Voyez Maître a chanter.) Mais il reste bien des découvertes à faire sur la manière la plus facile, la plus courte et la plus sûre d'acquérir cet art.

Chanterelle, substantif féminin. Celle des cordes du violon et des instruments semblables qui a le son le plus aigu. On dit d'une symphonie qu'elle ne quitte pas la chanterelle, lorsqu'elle ne roule qu'entre les sons de cette corde et ceux qui lui sont les plus voisins, comme sont presque toutes les parties de violon des opéra de Lulli et des symphonies de son temps.

Chanteur, musicien qui chante dans un concert.

Chantre, substantif masculin. Ceux qui chantent au choeur dans les églises catholiques s'appellent chantres. On ne [-136-] dit point chanteur à l'église, ni chantre dans un concert.

Chez les réformés on appelle chantre celui qui entonne et soutient le chant des psaumes dans le temple; il est assis au-dessous de la chaire du ministre sur le devant; sa fonction exige une voix très-forte, capable de dominer sur celle de tout le peuple, et de se faire entendre jusqu'aux extrémités du temple. Quoiqu'il n'y ait ni prosodie ni mesure dans notre manière de chanter les psaumes, et que le chant en soit si lent qu'il est facile à chacun de le suivre, il me semble qu'il serait nécessaire que le chantre marquât une sorte de mesure. La raison en est que le chantre se trouvant fort éloigné de certaines parties de l'église, et le son parcourant assez lentement ces grands intervalles, sa voix se fait à peine entendre aux extrémités, qu'il a déjà pris un autre ton et commencé d'autres notes; ce qui devient d'autant plus sensible en certains lieux, que le son arrivant encore beaucoup plus lentement d'une extrémité à l'autre que du milieu où est le chantre, la masse d'air qui remplit le temple se trouve partagée à la fois en divers sons fort discordants, qui enjambent sans cesse les uns sur les autres et choquent fortement une oreille exercée; défaut que l'orgue même ne fait qu'augmenter, parce qu'au lieu d'être au milieu de l'édifice comme le chantre, il ne donne le ton que d'une extrémité.

Or, le remède à cet inconvénient me paraît très-simple; car comme les rayons visuels se communiquent [-137-] à l'instant de l'objet à l'oeil, ou du moins avec une vitesse incomparablement plus grande que celle avec laquelle le son se transmet du corps sonore à l'oreille, il suffit de substituer l'un à l'autre pour avoir dans toute l'étendue du temple un chant bien simultané et parfaitement d'accord: il ne faut pour cela que placer le chantre, ou quelqu'un chargé de cette partie de sa fonction, de manière qu'il soit à la vue de tout le monde, et qu'il se serve d'un bâton de mesure dont le mouvement s'aperçoive aisément de loin, comme, par exemple, un rouleau de papier; car alors, avec la précaution de prolonger assez la première note pour que l'intonation en soit partout entendue avant qu'on poursuive, tout le reste du chant marchera bien ensemble, et la discordance dont je parle disparaîtra infailliblement. On pourrait même, au lieu d'un homme, employer un chronomètre dont le mouvement serait encore plus égal dans une mesure si lente.

Il résulterait de là deux autres avantages: l'un que, sans presque altérer le chant des psaumes, il serait aisé d'y introduire un peu de prosodie, et d'y observer du moins les longues et les brèves les plus sensibles; l'autre, que ce qu'il y a de monotonie et de langueur dans ce chant pourrait, selon la première intention de l'auteur, être effacé par la basse et les autres parties, dont l'harmonie est certainement la plus majestueuse et la plus sonore qu'il soit possible d'entendre.

Chapeau, substantif masculin. Trait demi-circulaire, dont on [-138-] couvre deux ou plusieurs notes, et qu'on appelle plus communément liaison. (Voyez Liaison.)

Chasse, substantif féminin. On donne ce nom à certains airs ou à certaines fanfares de cors ou d'autres instruments, qui réveillent, à ce qu'on dit, l'idée des tons que ces mêmes cors donnent à la chasse.

Chevrotter, verbe neutre. C'est, au lieu de battre nettement et alternativement du gosier les deux sons qui forment la cadence ou le trille (voyez ces mots), en battre un seul à coups précipités, comme plusieurs doubles-croches détachées et à l'unisson, ce qui se fait en forçant du poumon l'air contre la glotte fermée, qui sert alors de soupape, en sorte qu'elle s'ouvre par secousses pour livrer passage à cet air, et se referme à chaque instant par une mécanique semblable à celle du tremblant de l'orgue. Le chevrottement est la désagréable ressource de ceux qui, n'ayant aucun trille, en cherchent l'imitation grossière; mais l'oreille ne peut supporter cette substitution, et un seul chevrottement au milieu du plus beau chant du monde suffit pour le rendre insupportable et ridicule.

Chiffrer. C'est écrire sur les notes de la basse des chiffres ou autres caractères indiquant les accords que ces notes doivent porter, pour servir de guide à l'accompagnateur. (Voyez Chiffres, Accord.)

Chiffres. Caractères qu'on place au-dessus ou au-dessous des notes de la basse, pour indiquer les accords qu'elles doivent porter. Quoique parmi ces caractères il y en ait plusieurs qui ne sont pas des [-139-] chiffres, on leur en a généralement donné le nom, parce que c'est la sorte de signes qui s'y présente le plus fréquemment.

Comme chaque accord est composé de plusieurs sons, s'il avait fallu exprimer chacun de ces sons par un chiffre, on aurait tellement multiplié et embrouillé les chiffres, que l'accompagnateur n'aurait jamais eu le temps de les lire au moment de l'exécution. On s'est donc appliqué, autant qu'on a pu, à caractériser chaque accord par un seul chiffre; de sorte que ce chiffre peut suffire pour indiquer, relativement à la basse, l'espèce de l'accord, et par conséquent tous les sons qui doivent le composer. Il y a même un accord qui se trouve chiffré en ne le chiffrant point; car, selon la précision des chiffres, toute note qui n'est point chiffrée, ou ne porte aucun accord, ou porte l'accord parfait.

Le chiffre qui indique chaque accord est ordinairement celui qui répond au nom de l'accord: ainsi l'accord de seconde se chiffre 2; celui de septième 7; celui de sixte 6, et cetera. Il y a des accords qui portent un double nom, et qu'on exprime aussi par un double chiffre: tels sont les accords de sixte-quarte, de sixte-quinte, de septième et sixte, et cetera. Quelquefois même on en met trois, ce qui rentre dans l'inconvénient qu'on voulait éviter: mais comme la composition des chiffres est venue du temps et du hasard, plutôt que d'une étude réfléchie, il n'est pas étonnant qu'il s'y trouve des fautes et des contradictions.

Voici une table de tous les chiffres pratiqués dans [-140-] l'accompagnement; sur quoi l'on observera qu'il y a plusieurs accords qui se chiffrent diversement en différents pays, ou dans le même pays par différents auteurs, ou quelquefois par le même. Nous donnons toutes ces manières, afin que chacun, pour chiffrer, puisse choisir celle qui lui paraîtra la plus claire, et pour accompagner, rapporter chaque chiffre à l'accord qui lui convient, selon la manière de chiffrer de l'auteur.

[-141-] TABLE GÉNÉRALE DE TOUS LES CHIFFRES DE L'ACCOMPAGNEMENT.

Nota. On a ajouté une étoile à ceux qui sont plus usités en France aujourd'hui.

Chiffres.     Noms des Accords.

* ........... Accord parfait.
8 ........... Idem.
5 ........... Idem.
3 ........... Idem.
5/3 ......... Idem.
3 [rob] ..... Accord parfait, tierce mineure.
[rob] 3 ..... Idem.
* [rob] ..... Idem.
5/[rob] ..... Idem.
3 [x] ....... Accord parfait, tierce majeure.
[x] 3 ....... Idem.
* [x] ....... Idem.
5/[x] ....... Idem.
3 [sqb] ..... Accord parfait, tierce naturelle.
[sqb] 3 ..... Idem.
* [sqb] ..... Idem.
5/[sqb] ..... Idem.
6/3 ......... Accord de sixte.
[-142-] * 6 . Accord de sixte.
Les différentes sixtes, dans cet accord, se marquent par 
un accident au chiffre, comme les tierces dans l'accord 
parfait.
* 6/4 ....... Accord de sixte-quarte.
6 ........... Idem.
7/5/3 ....... Accord de septième.
7/5 ......... Idem.
7/3 ......... Idem.
* 7 ......... Idem.
* 7/[x] ..... Septième avec tierce majeure.
* 7/[rob].... Avec tierce mineure.
* 7/[sqb] ... Avec tierce naturelle.
7 [rob] ..... Accord de septième mineure.
* [rob] 7 ... Idem.
7 [x] ....... Accord de septième majeure.
* [x] 7 ..... Idem.
7 [sqb] ..... De septième naturelle.
* [sqb] 7 ... Idem.
* 7/[5/] .... Septième avec la quinte fausse.
7/5[rob] .... Idem.
* 7 ......... Septième diminuée.
7 [rob] ..... Idem.
[rob] 7 ..... Idem.
[-143-] 7[rob]/[5/] Septième diminuée. 
7[rob]/5[rob] ..... Idem.
[rob]7/[5/] ....... Idem.
[rob]7/[rob]5 ......Idem.
7[rob]/5[rob]/3 ....Idem.
et cetera
* [x] 7 ..... Septième superflue.
7 [x] ....... Idem.
[7/] ........ Idem.
7/2 ......... Idem.
7[x]/4/2 .... Idem.
[x]7/5/4/2 .. Idem.
et cetera
7[x]/6[rob] . Septième superflue avec sixte mineure.
* X7/[rob]6 . Idem.
X7/6[rob]/2 . Idem.
X7/[rob]6/4 . Idem.
et cetera
[-144-] * 7/2 ....... Septième et seconde.
* 6/5 ....... Grande sixte.
6 ........... Idem.
* [5/] ...... Fausse-quinte.
5[rob] ...... Idem.
[rob]5 ...... Idem.
6/[rob]5 .... Idem.
6/5 ......... Idem.
6/[5/] ...... Fausse-quinte et sixte majeure.
* X6/[5/] ... Idem.
X6/[rob]5 ... Idem.
6[x]/5[rob] . Idem.
4/3 ......... Petite sixte.
6/4/3 ....... Idem.
* [6/] ...... Idem.
6 ........... Idem.
[x][6/] ..... Idem majeure.
X6/4/3 ...... Idem.
et cetera
* X[6/] ..... Petite sixte superflue.
X6/4/3 ...... Idem.
[-145-] [x]6 ....... Petite sixte superflue.
X6/5/3 ...... Idem, avec la quinte.
X6/5 ........ Idem.
6/[4/]/3 .... Petite sixte, avec la quarte superflue.
6/X4/3 ...... Idem.
* [6/]/X4 ... Idem.
X4/3 ........ Idem.
* 2 ......... Accord de seconde.
4/2 ......... Idem.
6/2 ......... Idem.
* 5/2 ....... Seconde et quinte.
6/4 ......... Triton.
6/4X ........ Idem.
6/X4 ........ Idem.
6/[4/] ...... Idem.
6/4/2 ....... Idem.
4/2 ......... Idem.
[-146-] 4X/2 ....... Triton.
X4/2 ........ Idem.
4X .......... Idem.
* X4 ........ Idem.
[4/] ........ Idem.
4X/3[rob] ... Triton avec tierce mineure.
* [4/]/[rob] ....... Idem.
6/4/3[rob] .. Idem.
* X4/[rob] .. Idem.
* X2 ........ Seconde superflue.
X4/X2 ....... Idem.
[4/]/[2/] ... Idem.
6/4/[2/] .... Idem.
et cetera
* 9 ......... Accord de neuvième.
9/5 ......... Idem.
9/3 ......... Idem.
* 9/7 ....... Neuvième avec la septième.
9/7/5 ....... Idem.
* 4 ......... Quarte ou onzième.
[-147-] 5/4 . Quarte ou onzième. 
* 4/9 ....... Quarte et neuvième.
* 4/7 ....... Septième et quarte.
* X5 ........ Quinte superflue.
5X .......... Idem.
X5/9 ........ Idem.
X5/9/7 ...... Idem.
* X5/[rob]4 . Quinte superflue et quarte.
5X/4[rob] ... Idem.
* 7/6 ....... Septième et sixte.
* 9/6 ....... Neuvième et sixte.

[-148-] Quelques auteurs avaient introduit l'usage de couvrir d'un trait toutes les notes de la basse qui passaient sous un même accord; c'est ainsi que les jolies cantates de Monsieur Clérambault sont chiffrées: mais cette invention était trop commode pour durer; elle montrait aussi trop clairement à l'oeil toutes les syncopes d'harmonie. Aujourd'hui, quand on soutient le même accord sous quatre différentes notes de basse, ce sont quatre chiffres différents qu'on leur fait porter, de sorte que l'accompagnateur, induit en erreur, se hâte de chercher l'accord même qu'il a sous la main. Mais c'est la mode en France de charger les basses d'une confusion de chiffres inutiles: on chiffre tout, jusqu'aux accords les plus évidents, et celui qui met le plus de chiffres croit être le plus savant. Une basse ainsi hérissée de chiffres triviaux rebute l'accompagnateur, et lui fait souvent négliger les chiffres nécessaires. L'auteur doit supposer, ce me semble, que l'accompagnateur sait les éléments de l'accompagnement, qu'il sait placer une sixte sur une médiante, une fausse-quinte sur une note sensible, une septième sur une dominante, et cetera. Il ne doit donc pas chiffrer des accords de cette évidence, à moins qu'il ne faille annoncer un changement de ton. Les chiffres ne sont faits que pour déterminer le choix de l'harmonie dans les cas douteux, ou le choix des sons dans les accords qu'on ne doit pas remplir: du reste, c'est très-bien fait d'avoir des basses chiffrées exprès pour les écoliers. Il faut que les chiffres montrent à ceux-ci l'application [-149-] des règles: pour les maîtres, il suffit d'indiquer les exceptions.

Monsieur Rameau, dans sa Dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement, a trouvé un grand nombre de défauts dans les chiffres établis. Il a fait voir qu'ils sont trop nombreux et pourtant insuffisants, obscurs, équivoques; qu'ils multiplient inutilement les accords; et qu'ils n'en montrent en aucune manière la liaison.

Tous ces défauts viennent d'avoir voulu rapporter les chiffres aux notes arbitraires de la basse-continue, au lieu de les rapporter immédiatement à l'harmonie fondamentale. La basse-continue fait sans doute une partie de l'harmonie, mais elle n'en fait pas le fondement; cette harmonie est indépendante des notes de cette basse, et elle a son progrès déterminé, auquel la basse même doit assujettir sa marche. En faisant dépendre les accords et les chiffres qui les annoncent des notes de la basse et de leurs différentes marches, on ne montre que des combinaisons de l'harmonie; au lieu d'en montrer la basse, on multiplie à l'infini le petit nombre des accords fondamentaux, et l'on force en quelque sorte l'accompagnateur de perdre de vue à chaque instant la véritable succession harmonique.

Après avoir fait de très-bonnes observations sur la mécanique des doigts dans la pratique de l'accompagnement, Monsieur Rameau propose de substituer à nos chiffres d'autres chiffres beaucoup plus simples, qui rendent cet accompagnement tout-à-fait indépendant de la basse-continue; de sorte que, [-150-] sans égard à cette basse et même sans la voir, on accompagnerait sur les chiffres seuls avec plus de précision qu'on ne peut faire par la méthode établie avec le concours de la basse et des chiffres.

Les chiffres inventés par Monsieur Rameau indiquent deux choses: Première l'harmonie fondamentale dans les accords parfaits, qui n'ont aucune succession nécessaire, mais qui constatent toujours le ton; Seconde la succession harmonique déterminée par la marche régulière des doigts dans les accords dissonants.

Tout cela se fait au moyen de sept chiffres seulement. I. Une lettre de la gamme indique le ton, la tonique et son accord: si l'on passe d'un accord parfait à un autre, on change de ton; c'est l'affaire d'une nouvelle lettre. II. Pour passer de la tonique à un accord dissonant, Monsieur Rameau n'admet que six manières, à chacune desquelles il assigne un caractère particulier; savoir:

1. Un X pour l'accord sensible; pour la septième diminuée, il suffit d'ajouter un bémol sous cet X.

2. Un 2 pour l'accord de seconde sur la tonique.

3. Un 7 pour son accord de septième.

4. Cette abréviation aj. pour sa sixte ajoutée.

5. Ces deux chiffres 3/4 relatifs à cette tonique pour l'accord qu'il appelle de tierce-quarte, et qui revient à l'accord de neuvième sur la seconde note.

6. Enfin ce chiffre 4 pour l'accord de quarte et quinte sur la dominante.

III. Un accord dissonant est suivi d'un accord parfait ou d'un autre accord dissonant: dans le [-151-] premier cas, l'accord s'indique par une lettre; le second se rapporte à la mécanique des doigts. (Voyez Doigter.) C'est un doigt qui doit descendre diatoniquement, ou deux, ou trois. On indique cela par autant de points l'un sur l'autre, qu'il faut descendre de doigts. Les doigts qui doivent descendre par préférence sont indiqués par la mécanique; les dièses ou bémols qu'ils doivent faire sont connus par le ton ou substitués dans les chiffres aux points correspondants; ou bien, dans le chromatique et l'enharmonique, on marque une petite ligne inclinée en descendant ou en montant depuis la ligne d'une note connue, pour marquer qu'elle doit descendre ou monter d'un semi-ton. Ainsi tout est prévu, et ce petit nombre de signes suffit pour exprimer toute bonne harmonie possible.

On sent bien qu'il faut supposer ici que toute dissonance se sauve en descendant; car s'il y en avait qui se dussent sauver en montant, s'il y avait des marches de doigts ascendantes dans des accords dissonants, les points de Monsieur Rameau seraient insuffisants pour exprimer cela.

Quelque simple que soit cette méthode, quelque favorable qu'elle paraisse pour la pratique, elle n'a point eu de cours: peut-être a-t on cru que les chiffres de Monsieur Rameau ne corrigeaient un défaut que pour en substituer un autre; car s'il simplifie les signes, s'il diminue le nombre des accords, non seulement il n'exprime point encore la véritable harmonie fondamentale, mais il rend de plus ces [-152-] signes tellement dépendants les uns des autres, que si l'on vient à s'égarer ou à se distraire un instant, à prendre un doigt pour un autre, on est perdu sans ressource, les points ne signifient plus rien, plus de moyen de se remettre jusqu'à un nouvel accord parfait. Mais avec tant de raisons de préférence, n'a-t-il point fallu d'autres objections encore pour faire rejeter la méthode de Monsieur Rameau? Elle était nouvelle; elle était proposée par un homme supérieur en génie à tous ses rivaux: voilà sa condamnation.

Choeur, substantif masculin. Morceau d'harmonie complète à quatre parties ou plus, chanté à la fois par toutes les voix et joué par tout l'orchestre. On cherche dans les choeurs un bruit agréable et harmonieux, qui charme et remplisse l'oreille. Un beau choeur est le chef-d'oeuvre d'un commençant, et c'est par ce genre d'ouvrage qu'il se montre suffisamment instruit de toutes les règles de l'harmonie. Les Français passent en France pour réussir mieux dans cette partie qu'aucune autre nation de l'Europe.

Le choeur, dans la musique française, s'appelle quelquefois grand-choeur, par opposition au petit-choeur, qui est seulement composé de trois parties; savoir, deux dessus, et la haute-contre qui leur sert de basse. On fait de temps en temps entendre séparément ce petit-choeur, dont la douceur contraste agréablement avec la bruyante harmonie du grand.

On appelle encore petit-choeur, à l'opéra de Paris, [-153-] un certain nombre des meilleurs instruments de chaque genre, qui forment comme un petit orchestre particulier autour du clavecin et de celui qui bat la mesure. Ce petit-choeur est destiné pour les accompagnements qui demandent le plus de délicatesse et de précision.

Il y a des musiques à deux ou plusieurs choeurs qui se répondent et chantent quelquefois tous ensemble: on en peut voir un exemple dans l'opéra de Jephté. Mais cette pluralité de choeurs simultanés, qui se pratique assez souvent en Italie, est peu usitée en France: on trouve qu'elle ne fait pas un bien grand effet, que la composition n'en est pas fort facile, et qu'il faut un trop grand nombre de musiciens pour l'exécuter.

Chorion. Nome de la musique grecque, qui se chantait en l'honneur de la mère des dieux, et qui, dit-on, fut inventé par Olympe Phrygien.

Choriste, substantif masculin. Chanteur non récitant, et qui ne chante que dans les choeurs.

On appelle aussi choristes les chantres d'église qui chantent au choeur: Une antienne à deux choristes.

Quelques musiciens étrangers donnent encore le nom de choriste à un petit instrument destiné à donner le ton pour accorder les autres. (Voyez Ton.)

Chorus. Faire chorus, c'est répéter en choeur à l'unisson ce qui vient d'être chanté à voix seule.

Chreses ou Chresis. Une des parties de l'ancienne mélopée qui apprend au compositeur à [-154-] mettre un tel arrangement dans la suite diatonique des sons, qu'il en résulte une bonne modulation et une mélodie agréable. Cette partie s'applique à différentes successions de sons, appelées par les anciens agoge, euthia, anacamptos. (Voyez Tirade.)

Chromatique, adjectif pris quelquefois substantivement. Genre de musique qui procède par plusieurs semi-tons consécutifs. Ce mot vient du grec [Chroma], qui signifie couleur, soit parce que les Grecs marquaient ce genre par des caractères rouges ou diversement colorés; soit, disent les auteurs, parce que le genre chromatique est moyen entre les deux autres, comme la couleur est moyenne entre le blanc et le noir; ou, selon d'autres, parce que ce genre varie et embellit le diatonique par ses semi-tons, qui font dans la musique le même effet que la variété des couleurs fait dans la peinture.

Boëce attribue à Timothée de Milet l'invention du genre chromatique; mais Athénée la donne à Épigonus.

Aristoxène divise ce genre en trois espèces, qu'il appelle molle, hémiolion et tonicum, dont on trouvera les rapports (Planche M, figure 5. numéro A [ROUDIC4 13GF]), le tétracorde étant supposé divisé en 60 parties égales.

Ptolomée ne divise ce même genre qu'en deux espèces, molle ou anticum, qui procède par de plus petits intervalles, et intensum, dont les intervalles sont plus grands. (Même figure, numéro B. [ROUDIC4 13GF])

Aujourd'hui le genre chromatique consiste à donner une telle marche à la basse-fondamentale, que les parties de l'harmonie, ou du moins quelques-unes, [-155-] puissent procéder par semi-tons tant en montant qu'en descendant, ce qui se trouve plus fréquemment dans le mode mineur, à cause des altérations auxquelles la sixième et la septième notes y sont sujettes par la nature même du mode.

Les semi-tons successifs pratiqués dans le chromatique ne sont pas tous du même genre, mais presque alternativement mineurs et majeurs, c'est-à-dire chromatiques et diatoniques: car l'intervalle d'un ton mineur contient un semi-ton mineur ou chromatique, et un semi-ton majeur ou diatonique, mesure que le tempérament rend commune à tous les tons; de sorte qu'on ne peut procéder par deux semi-tons mineurs conjoints et successifs sans entrer darts l'enharmonique; mais deux semi-tons majeurs se suivent deux fois dans l'ordre chromatique de la gamme.

La route élémentaire de la basse-fondamentale pour engendrer le chromatique ascendant est de descendre de tierce et remonter de quarte alternativement, tous les accords portant la tierce majeure. Si la basse-fondamentale procède de dominante en dominante par des cadences parfaites évitées, elle engendre le chromatique descendant. Pour produire à la fois l'un et l'autre, on entrelace la cadence parfaite et l'interrompue, en les évitant.

Comme à chaque note on change de ton dans le chromatique, il faut borner et régler ces successions de peur de s'égarer. On se souviendra pour cela que l'espace le plus convenable pour les mouvements chromatiques est entre la dominante et la tonique [-156-] en montant, et entre la tonique et la dominante en descendant. Dans le mode majeur on peut encore descendre chromatiquement de la dominante sur la seconde note. Ce passage est fort commun en Italie, et, malgré sa beauté, commence à l'être un peu trop parmi nous.

Le genre chromatique est admirable pour exprimer la douleur et l'affliction; ses sons renforcés en montant arrachent l'ame. Il n'est pas moins énergique en descendant; on croit alors entendre de vrais gémissements. Chargé de son harmonie, ce même genre devient propre à tout, mais son remplissage, en étouffant le chant, lui ôte une partie de son expression; et c'est alors au caractère du mouvement à lui rendre ce dont le prive la plénitude de son harmonie. Au reste, plus ce genre a d'énergie, moins il doit être prodigué: semblable à ces mets délicats dont l'abondance dégoûte bientôt, autant il charme sobrement ménagé, autant devient-il rebutant quand on le prodigue.

Chronomètre, substantif masculin. Nom générique des instruments qui servent à mesurer le temps. Ce mot est composé de [chronos], temps, et de [metron], mesure.

On dit, en ce sens, que les montres, les horloges, sont des chronomètres.

Il y a néanmoins quelques instruments qu'on a appelés en particulier chronomètres, et nommément un que Monsieur Sauveur décrit dans ses Principes d'acoustique: c'était un pendule particulier qu'il destinait à déterminer exactement les mouvements en musique. L'Affilard, dans ses Principes dédiés [-157-] aux dames religieuses, avait mis à la tête de tous les airs des chiffres qui exprimaient le nombre des vibrations de ce pendule pendant la durée de chaque mesure.

Il y a une trentaine d'années qu'on vit paraître le projet d'un instrument semblable, sous le nom de métromètre, qui battait la mesure tout seul; mais il n'a réussi ni dans un temps ni dans l'autre. Plusieurs prétendent cependant qu'il serait fort à souhaiter qu'on eût un tel instrument pour fixer avec précision le temps de chaque mesure dans une pièce de musique: on conserverait par ce moyen plus facilement le vrai mouvement des airs, sans lequel ils perdent leur caractère, et qu'on ne peut connaître après la mort des auteurs que par une espèce de tradition, fort sujette à s'éteindre ou à s'altérer. On se plaint déjà que nous avons oublié les mouvements d'un grand nombre d'airs, et il est à croire qu'on les a ralentis tous. Si l'on eût pris la précaution dont je parle, et à laquelle on ne voit pas d'inconvénient, on aurait aujourd'hui le plaisir d'entendre ces mêmes airs tels que l'auteur les faisait exécuter.

A cela les connaisseurs en musique ne demeurent pas sans réponse. Ils objecteront, dit Monsieur Diderot ( Mémoires sur différents sujets de mathématiques), contre tout chronomètre en général, qu'il n'y a peut-être pas dans un air deux mesures qui soient exactement de la même durée, deux choses contribuant nécessairement à ralentir les unes et à précipiter les autres, le goût et l'harmonie dans [-158-] les pieces à plusieurs parties, le goût et le pressentiment de l'harmonie dans les solo. Un musicien qui sait son art n'a pas joué quatre mesures d'un air qu'il en saisit le caractère, et qu'il s'y abandonne; il n'y a que le plaisir de l'harmonie qui le suspende. Il veut ici que les accords soient frappés, là qu'ils soient dérobés; c'est-à-dire qu'il chante ou joue plus ou moins lentement d'une mesure à l'autre, et même d'un temps et d'un quart de temps à celui qui le suit.

A la vérité cette objection, qui est d'une grande force pour la musique française, n'en aurait aucune pour l'italienne, soumise irrémissiblement à la plus exacte mesure: rien même ne montre mieux l'opposition parfaite de ces deux musiques, puisque ce qui est beauté dans l'une serait dans l'autre le plus grand défaut. Si la musique italienne tire son énergie de cet asservissement à la rigueur de la mesure, la la française cherche la sienne à maîtriser à son gré cette même mesure, à la presser, à la ralentir, selon que l'exige le goût du chant ou le degré de flexibilité des organes du chanteur.

Mais quand on admettrait l'utilité d'un chronomètre, il faut toujours, continue Monsieur Diderot, commencer par rejeter tous ceux qu'on a proposés jusqu'à présent, parce qu'on y a fait du musicien et du chronomètre deux machines distinctes, dont l'une ne peut jamais bien assujettir l'autre: cela n'a presque pas besoin d'être prouvé; il n'est pas possible que le musicien ait pendant toute sa pièce l'oeil au mouvement, et l'oreille au bruit du pendule; et, [-159-] s'il s'oublie un instant, adieu le frein qu'on a prétendu lui donner.

J'ajouterai que, quelque instrument qu'on pût trouver pour régler la durée de la mesure, il serait impossible, quand même l'exécution en serait de la dernière facilité, qu'il eût jamais lieu dans la pratique. Les musiciens, gens confiants, et faisant, comme bien d'autres, de leur propre goût la règle du bon, ne l'adopteraient jamais; ils laisseraient le chronomètre, et ne s'en rapporteraient qu'à eux du vrai caractère et du vrai mouvement des airs. Ainsi le seul bon chronomètre que l'on puisse avoir, c'est un habile musicien qui ait du goût, qui ait bien lu la musique qu'il doit faire exécuter, et qui sache en battre la mesure. Machine pour machine, il vaut mieux s'en tenir à celle-ci.

Circonvolution, substantif féminin. Terme de plain-chant. C'est une sorte de périélèse qui se fait en insérant entre la pénultième, et la dernière note de l'intonation d'une pièce de chant trois autres notes; savoir, une au-dessus, et deux au-dessous de la dernière note, lesquelles se lient avec elle, et forment un contour de tierce avant que d'y arriver; comme si vous avez ces trois notes, mi, fa, mi, pour terminer l'intonation, vous y interpolerez par circonvolution ces trois autres, fa, re, re, et vous aurez alors votre intonation terminée de cette sorte, mi, fa, fa, re, re, mi, et cetera. (Voyez Périélèse.)

Citharistique, substantif féminin. Genre de musique et de poésie approprié à l'accompagnement de la cithare. Ce genre, dont Amphion, fils de Jupiter et d'Antiope, [-160-] fut l'inventeur, prit depuis le nom de lyrique.

Clavier, substantif masculin. Portée générale ou somme des sons de tout le système qui résulte de la position relative des trois clefs. Cette position donne une étendue de douze lignes, et par conséquent de vingt-quatre degrés, ou de trois octaves et une quarte. Tout ce qui excède en haut ou en bas cet espace ne peut se noter qu'à l'aide d'une ou plusieurs lignes postiches ou accidentelles, ajoutées aux cinq qui composent la portée d'une clef. Voyez (Planche A, figure 5. [ROUDIC4 02GF]) l'étendue générale du clavier.

Les notes ou touches diatoniques du clavier, lesquelles sont toujours constantes, s'expriment par des lettres de l'alphabet, à la différence des notes de la gamme, qui, étant mobiles et relatives à la modulation, portent des noms qui expriment ces rapports. (Voyez Gamme et Solfier.)

Chaque octave du clavier comprend treize sons; sept diatoniques et cinq chromatiques, représentés sur le clavier instrumental par autant de touches. (Voyez Planche I., figure 1. [ROUDIC4 10GF]) Autrefois ces treize touches répondaient à quinze cordes; savoir, une de plus entre le re dièse et le mi naturel, l'autre entre le sol dièse et le la; et ces deux cordes qui formaient des intervalles enharmoniques, et qu'on faisait sonner à volonté au moyen de deux touches brisées, furent regardées alors comme la perfection du système; mais en vertu de nos règles de modulation, ces deux ont été retranchées, parce qu'il en aurait fallu mettre partout. (Voyez Clef, Portée.)

[-161-] Clef, substantif féminin. Caractère de musique qui se met au commencement d'une portée, pour déterminer le degré d'élévation de cette portée dans le clavier général, et indiquer les noms de toutes les notes qu'elle contient dans la ligne de cette clef.

Anciennement on appelait clefs les lettres par lesquelles on désignait les sons de la gamme. Ainsi la lettre A était la clef de la note la; C, la clef d'ut; E, la clef de mi, et cetera. A mesure que le système s'étendit, on sentit l'embarras et l'inutilité de cette multitude de clefs. Gui d'Arezzo, qui les avait inventées, marquait une lettre ou clef au commencement de chacune des lignes de la portée; car il ne plaçait point encore de notes dans les espaces. Dans la suite on ne marqua plus qu'une des sept clefs au commencement d'une des lignes seulement, celle-là suffisant pour fixer la position de toutes les autres selon l'ordre naturel. Enfin, de ces sept lignes ou clefs, on en choisit quatre qu'on nomma claves signatae ou clefs marquées, parce qu'on se contentait d'en marquer une sur une des lignes, pour donner l'intelligence de toutes les autres; encore en retrancha-t-on bientôt une des quatre, savoir, le gamma, dont on s'était servi pour désigner le sol d'en bas, c'est-à-dire l'hipoproslambanomène ajoutée au système des Grecs.

En effet Kircher prétend que si l'on est au fait des anciennes écritures, et qu'on examine bien la figure de nos clefs, on trouvera qu'elles se rapportent chacune à la lettre un peu dé figurée de la note qu'elle représente. Ainsi la clef de sol était [-162-] originairement un G, la clef d'ut un C, et la clef de fa une F.

Nous avons donc trois clefs à la quinte l'une de l'autre: la clef d'F ut fa, ou de fa, qui est la plus basse; la clef d'ut ou de C sol ut, qui est une quinte au-dessus de la première; et la clef de sol ou de G re sol, qui est une quinte au-dessus de celle d'ut, dans l'ordre marqué Planche A, figure 5 [ROUDIC4 02GF]. Sur quoi l'on doit remarquer que, par un reste de l'ancien usage, la clef se pose toujours sur une ligne et jamais dans un espace. On doit savoir aussi que la clef de fa se fait de trois manières différentes: l'une dans la musique imprimée; une autre dans la musique écrite ou gravée, et la dernière dans le plain-chant. Voyez ces trois figures. (Planche M, figure 8. [ROUDIC4 13GF])

En ajoutant quatre lignes au-dessus de la clef de sol, et trois lignes au-dessous de la clef de fa, ce qui donne de part et d'autre la plus grande étendue de lignes stables, on voit que le système total des notes, qu'on peut placer sur les degrès relatifs à ces clefs, se monte à vingt-quatre, c'est-à-dire trois octaves et une quarte, depuis le fa qui se trouve au-dessous de la première ligne, jusqu'au si qui se trouve au-dessus de la dernière, et tout cela forme ensemble ce qu'on appelle le clavier général; par où l'on peut juger que cette étendue a fait longtemps celle du système. Aujourd'hui qu'il acquiert sans cesse de nouveaux degrés, tant à l'aigu qu'au grave, on marque ces degrés sur des lignes postiches, qu'on ajoute en haut ou en bas selon le besoin.

[-163-] Au lieu de joindre ensemble toutes les lignes, comme j'ai fait (Planche A, figure 5. [ROUDIC4 02GF]) pour marquer le rapport des clefs, on les sépare de cinq en cinq, parce que c'est à peu près aux degrés compris dans dans cet espace qu'est bornée l'étendue d'une voix commune. Cette collection de cinq lignes s'appelle portée, et l'on y met une clef pour déterminer le nom des notes, le lieu des semi-tons, et montrer quelle place la portée occupe dans le clavier.

De quelque manière qu'on prenne dans le clavier cinq lignes consécutives, on y trouve une clef comprise, et quelquefois deux; auquel cas on en retranche une comme inutile. L'usage a même prescrit celle des deux qu'il faut retrancher, et celle qu'il faut poser; ce qui a fixé aussi le nombre des positions assignées à chaque clef.

Si je fais une portée des cinq premières lignes du clavier, en commençant par le bas, j'y trouve la clef de fa sur la quatrième ligne: voilà donc une position de clef, et cette position appartient évidemment aux notes les plus graves; aussi est-elle celle de la clef de basse.

Si je veux gagner une tierce dans le haut, il faut ajouter une ligne au-dessus; il en faut donc retrancher une au-dessous, autrement la portée aurait plus de cinq lignes. Alors la clef de fa se trouve transportée de la quatrième ligne à la troisième, et la clef d'ut se trouve aussi sur la cinquième; mais comme deux clefs sont inutiles, on retranche ici celle d'ut. On voit que la portée de cette clef est d'une tierce plus élevée que la précédente.

[-164-] En abandonnant encore une ligne en bas pour en gagner une en haut, on a une troisième portée où la clef de fa se trouverait sur la deuxième ligne, et celle d'ut sur la quatrième. Ici l'on abandonne la clef de fa, et l'on prend celle d'ut. On a encore gagné une tierce à l'aigu, et on l'a perdue au grave.

En continuant ainsi de ligne en ligne, on passe successivement par quatre positions différentes de la clef d'ut. Arrivant à celle de sol, on la trouve posée sur la deuxième ligne, et puis sur la première; cette position embrasse les cinq plus hautes lignes, et donne le diapason le plus aigu que l'on puisse établir par les clefs.

On peut voir (Planche A, figure 6. [ROUDIC4 02GF]) cette succession des clefs du grave à l'aigu; ce qui fait en tout huit portées, clefs ou positions de clefs différentes.

De quelque caractère que puisse être une voix ou un instrument, pourvu que son étendue n'excède pas à l'aigu ou au grave celle du clavier général, on peut dans ce nombre lui trouver une portée et une clef convenables, et il y en a en effet de déterminées pour toutes les parties de la musique. (Voyez Parties.) Si l'étendue d'une partie est fort grande, que le nombre de lignes qu'il faudrait ajouter au-dessus ou au-dessous devienne incommode, alors on change la clef dans le courant de l'air. On voit clairement par la figure quelle clef il faudrait prendre pour élever ou baisser la portée, de quelque clef qu'elle soit armée actuellement.

[-165-] On voit aussi que pour rapporter une clef à l'autre il faut les rapporter toutes deux sur le clavier général, au moyen duquel on voit ce que chaque note de l'une des clefs est à l'égard de l'autre. C'est par cet exercice réitéré qu'on prend l'habitude de lire aisément les partitions.

Il suit de cette mécanique qu'on peut placer telle note qu'on voudra de la gamme sur une ligne ou sur un espace quelconque de la portée, puisqu'on a le choix de huit différentes positions, nombre des notes de l'octave. Ainsi l'on pourrait noter un air entier sur la même ligne, en changeant la clef à chaque degré. La figure 7 [ROUDIC4 02GF] montre par la suite des clefs la suite des notes re, fa, la, ut, mi, sol, si, re, montant de tierce en tierce, et toutes placées sur la même ligne. La figure suivante 8 [ROUDIC4 02GF] représente sur la suite des mêmes clefs la note ut, qui paraît descendre de tierce en tierce sur toutes les lignes de la portée et au-delà, et qui cependant, au moyen des changements de clef, garde toujours l'unisson. C'est sur des exemples semblables qu'on doit s'exercer pour connaître au premier coup d'oeil le jeu de toutes les clefs.

Il y a deux de leurs positions, savoir, la clef de sol sur la première ligne, et la clef de fa sur la troisième, dont l'usage paraît s'abolir de jour en jour. La première peut sembler moins nécessaire, puisqu'elle ne rend qu'une position toute semblable à celle de fa sur la quatrième ligne, dont elle diffère pourtant de deux octaves. Pour la clef de fa, il est évident qu'en l'ôtant tout-à-fait de la [-166-] troisième ligne, on n'aura plus de position équivalente, et que la composition du clavier, qui est complète aujourd'hui, deviendra par là défectueuse.

Clef transposée. On appelle ainsi toute clef armée de dièses ou de bémols. Ces signes y servent à changer le lieu des deux semi-tons de l'octave, comme je l'ai expliqué au mot bémol, et à établir l'ordre naturel de la gamme sur quelque degré de l'échelle qu'on veuille choisir.

La nécessité de ces altérations naît de la similitude des modes dans tous les tons; car comme il n'y a qu'une formule pour le mode majeur, il faut que tous les degrés de ce mode se trouvent ordonnés de la même façon sur leur tonique; ce qui ne peut se faire qu'à l'aide des dièses ou des bémols. Il en est de même du mode mineur; mais, comme la même combinaison qui donne la formule pour un ton majeur la donne aussi pour un ton mineur sur une autre tonique (voyez Mode), il s'ensuit que pour les vingt-quatre modes il suffit de douze combinaisons; or, si avec la gamme naturelle on compte six modifications par dièses, et cinq par bémols, ou six par bémols, et cinq par dièses, on trouvera ces douze combinaisons auxquelles se bornent toutes les variétés possibles de tons et de modes dans le système établi.

J'explique aux mots dièse et bémol l'ordre selon lequel ils doivent être placés à la clef. Mais pour transposer tout d'un coup la clef convenablement à un ton ou mode quelconque, voici une formule générale, trouvée par Monsieur de Boisgelou, conseiller [-167-] au Grand-Conseil, et qu'il a bien voulu me communiquer.

Prenant l'ut naturel pour terme de comparaison, nous appellerons intervalles mineurs la quarte ut fa, et tous les intervalles du même ut à une note bémolisée quelconque; tout autre intervalle est majeur. Remarquez qu'on ne doit pas prendre par dièse la note supérieure d'un intervalle majeur, parce qu'alors on ferait un intervalle superflu: mais il faut chercher la même chose par bémol, ce qui donnera un intervalle mineur. Ainsi l'on ne composera pas en la dièse, parce que la sixte ut la, étant majeure naturellement, deviendrait superflue par ce dièse; mais on prendra la note si bémol, qui donne la même touche par un intervalle mineur; ce qui rentre dans la règle.

On trouvera (Planche N, figure 5. [ROUDIC4 14GF]) une table des douze sons de l'octave divisée par intervalles majeurs et mineurs, sur laquelle on transposera la clef de la manière suivante, selon le ton et le mode où l'on veut composer.

Ayant pris une de ces douze notes pour tonique ou fondamentale, il faut voir d'abord si l'intervalle qu'elle fait avec ut est majeur ou mineur: s'il est majeur, il faut des dièses; s'il est mineur, il faut des bémols. Si cette note est l'ut lui-même, l'intervalle est nul, et il ne faut ni bémol ni dièse.

Pour déterminer à présent combien il faut de dièses ou bémols, soit a le nombre qui exprime l'intervalle d'ut à la note en question. La formule par diése sera

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 167; text: a, 1, 2, 7] [ROUDIC1 02GF],

et le reste donnera le [-168-] nombre des dièses qu'il faut mettre à la clef. La formule par bémols sera

[Rousseau, Dictionnaire A-M, 168; text: a, 1, 5, 7] [ROUDIC1 02GF],

et le reste sera le nombre des bémols qu'il faut mettre à la clef.

Je veux, par exemple, composer en la, mode majeur. Je vois d'abord qu'il faut des dièses, parce que la fait un intervalle majeur avec ut. L'intervalle est une sixte dont le nombre est 6; j'en retranche 1; je multiplie le reste 5 par 2, et du produit 10 rejetant 7 autant de fois qu'il se peut, j'ai le reste 3, qui marque le nombre de dièses dont il faut armer la clef pour le ton majeur de la.

Que si je veux prendre fa, mode majeur, je vois, par la table, que l'intervalle est mineur, et qu'il faut par conséquent des bémols. Je retranche donc 1 du nombre 4 de l'intervalle; je multiplie par 5 le reste 3, et du produit 15 rejetant 7 autant de fois qu'il se peut, j'ai 1 de reste: c'est un bémol qu'il faut mettre à la clef.

On voit par là que le nombre des dièses ou des bémols de la clef ne peut jamais passer six, puisqu'ils doivent être le reste d'une division par sept.

Pour les tons mineurs il faut appliquer la même formule des tons majeurs, non sur la tonique, mais sur la note qui est une tierce mineure au-dessus de cette même tonique sur sa médiante.

Ainsi, pour composer en si, mode mineur, je transposerai la clef comme pour le ton majeur de re. Pour fa, dièse mineur, je la transposerai comme pour la majeur, et cetera.

Les musiciens ne déterminent les transpositions [-169-] qu'à force de pratique, ou en tâtonnant; mais la règle que je donne est démontrée générale et sans exception.

Comarchios. Sorte de nome pour les flûtes dans l'ancienne musique des Grecs.

Comma, substantif masculin. Petit intervalle qui se trouve dans quelques cas entre deux sons produits sous le même nom par des progressions différentes.

On distingue trois espèces de comma. Première Le mineur, dont la raison est de 2025 à 2048; ce qui est la quantité dont le si dièse, quatrième quinte de sol dièse, pris comme tierce majeure de mi, est surpassé par l'ut naturel qui lui correspond. Ce comma est la différence du semi-ton majeur au semi-ton moyen.

Seconde Le comma majeur est celui qui se trouve entre le mi produit par la progression triple comme quatrième quinte, en commençant par ut, et le même mi, ou sa réplique, considéré comme tierce majeure de ce même ut. La raison en est de 80 à 81. C'est le comma ordinaire, et il est la différence du ton majeur au ton mineur.

Troisième Enfin le comma maxime, qu'on appelle comma de Pythagore, a son rapport de 524288 à 531441, et il est l'excès du si dièse, produit par la progression triple comme douzième quinte de l'ut sur le même ut élevé par ses octaves au degré correspondant.

Les musiciens entendent par comma la huitième ou la neuvième partie d'un ton, la moitié de ce qu'ils appellent un quart de ton. Mais on peut assurer qu'ils ne savent ce qu'ils veulent dire en s'exprimant [-170-] ainsi, puisque, pour des oreilles comme les nôtres, un si petit intervalle n'est appréciable que par le calcul. (Voyez Intervalle.)

Compair, adjectif corrélatif de lui-même. Les tons compairs, dans le plain-chant, sont l'authente, et le plagal qui lui correspond. Ainsi le premier ton est compair avec le second, le troisième avec le quatrième, et ainsi de suite: chaque ton pair est compair avec l'impair qui le précède. (Voyez Tons de l'église.)

Complément d'un intervalle est la quantité qui lui manque pour arriver à l'octave: ainsi la seconde et la septième, la tierce et la sixte, la quarte et la quinte, sont compléments l'une de l'autre. Quand il n'est question que d'un intervalle, complément et renversement sont la même chose. Quant aux espèces, le juste est complément du juste, le majeur du mineur, le superflu du diminué, et réciproquement. (Voyez Intervalle.)

Composé, adjectif. Ce mot a trois sens en musique; deux par rapport aux intervalles, et un par rapport à la mesure.

I. Tout intervalle qui passe l'étendue de l'octave est un intervalle composé, parce qu'en retranchant l'octave on simplifie l'intervalle sans le changer. Ainsi la neuvième, la dixième, la douzième, sont des intervalles composés: le premier, de la seconde et de l'octave; le deuxième, de la tierce et de l'octave; le troisième, de la quinte et de l'octave, et cetera.

II. Tout intervalle qu'on peut diviser musicalement en deux intervalles peut encore être considéré [-171-] comme composé. Ainsi la quinte est composée de deux tierces, la tierce de deux secondes, la seconde majeure de deux semi-tons; mais le semi-ton n'est point composé, parce qu'on ne peut plus le diviser ni sur le clavier ni par notes. C'est le sens du discours qui, des deux précédentes acceptions, doit déterminer celle selon laquelle un intervalle est dit composé.

III. On appelle mesures composées toutes celles qui sont désignées par deux chiffres. (Voyez Mesure.)

Composer, verbe actif. Inventer de la musique nouvelle, selon les règles de l'art.

Compositeur, substantif masculin. Celui qui compose de la musique ou qui sait les règles de la composition. Voyez au mot Composition l'exposé des connaissances nécessaires pour savoir composer. Ce n'est pas encore assez pour former un vrai compositeur: toute la science possible ne suffit point sans le génie qui la met en oeuvre. Quelque effort que l'on puisse faire, quelque acquis que l'on puisse avoir, il faut être né pour cet art; autrement on n'y fera jamais rien que de médiocre. Il en est du compositeur comme du poète: si la nature en naissant ne l'a formé tel;

S'il n'a reçu du ciel l'influence secrète,

Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

Ce que j'entends par génie n'est point ce goût bizarre et capricieux qui sème partout le baroque et le difficile, qui ne sait orner l'harmonie qu'à force de dissonances, de contrastes et de bruit; c'est ce feu intérieur qui brûle, qui tourmente le compositeur malgré lui, qui lui inspire incessamment des [-172-] chants nouveaux et toujours agréables, des expressions vives, naturelles, et qui vont au coeur; une harmonie pure, touchante, majestueuse, qui renforce et pare le chant sans l'étouffer. C'est ce divin guide qui a conduit Corelli, Vinci, Perez, Rinaldo, Jomelli, Durante, plus savant qu'eux tous, dans le sanctuaire de l'harmonie; Leo, Pergolèse, Hasse, Terradéglias, Galuppi, dans celui du bon goût et de l'expression.

Composition, substantif féminin. C'est l'art d'inventer et d'écrire des chants, de les accompagner d'une harmonie convenable, de faire, en un mot, une pièce complète de musique avec toutes ses parties.

La connaissance de l'harmonie et de ses règles est le fondement de la composition. Sans doute, il faut savoir remplir des accords, préparer, sauver des dissonances, trouver des basses-fondamentales, et posséder toutes les autres petites connaissances élémentaires; mais avec les seules règles de l'harmonie, on n'est pas plus près de savoir la composition qu'on ne l'est d'être un orateur avec celles de la grammaire. Je ne dirai point qu'il faut, outre cela, bien connaître la portée et le caractère des voix et des instruments, les chants qui sont de facile ou difficile exécution, ce qui fait de l'effet et ce qui n'en fait pas; sentir le caractère des différentes mesures, celui des différentes modulations, pour appliquer toujours l'une et l'autre à propos; savoir toutes les règles particulières établies par convention, par goût, par caprice, ou par pédanterie, comme les fugues, les imitations, les sujets [-173-] contraints, et cetera. Toutes ces choses ne sont encore que des préparatifs à la composition: mais il faut trouver en soi-même la source des beaux chants, de la grande harmonie, les tableaux, l'expression; être enfin capable de saisir ou de former l'ordonnance de tout un ouvrage, d'en suivre les convenances de toute espèce, et de se remplir de l'esprit du poète, sans s'amuser à courir après les mots. C'est avec raison que nos musiciens ont donné le nom de paroles aux poèmes qu'ils mettent en chant. On voit bien, par leur manière de les rendre, que ce ne sont en effet pour eux que des paroles. Il semble, surtout depuis quelques années, que les règles des accords aient fait oublier ou négliger toutes les autres, et que l'harmonie n'ait acquis plus de facilité qu'aux dépens de l'art en général. Tous nos artistes savent le remplissage, à peine en avons-nous qui sachent la composition.

Au reste, quoique les règles fondamentales du contre-point soient toujours les mêmes, elles ont plus ou moins de rigueur selon le nombre des parties; car à mesure qu'il y a plus de parties, la composition devient plus difficile, et les règles sont moins sévères. La composition à deux parties s'appelle duo, quand les deux parties chantent également, c'est-à-dire quand le sujet se trouve partagé entre elles: que si le sujet est dans une partie seulement, et que l'autre ne fasse qu'accompagner, on appelle alors la première récit ou solo; et l'autre, accompagnement, ou basse-continue, si c'est une basse. Il en est de même du trio ou de la composition à [-174-] trois parties, du quatuor, du quinque, et cetera. (Voyez ces mots.)

On donne aussi le nom de compositions aux pièces mêmes de musique faites dans les règles de la composition: c'est pourquoi les duo, trio, quatuor, dont je viens de parler, s'appellent des compositions.

On compose ou pour les voix seulement, ou pour les instruments, ou pour les instruments et les voix. Le plain-chant et les chansons sont les seules compositions qui ne soient que pour les voix, encore y joint-on souvent quelque instrument pour les soutenir. Les compositions instrumentales sont pour un choeur d'orchestre, et alors elles s'appellent symphonies, concerts; ou pour quelque espèce particulière d'instrument, et elles s'appellent pièces, sonates. (Voyez ces mots.)

Quant aux compositions destinées pour les voix et pour les instruments, elles se divisent communément en deux espèces principales; savoir, musique latine ou musique d'église, et musique française. Les musiques destinées pour l'église, soit psaumes, hymnes, antiennes, répons, portent en général le nom de motets. (Voyez Motet.) La musique française se divise encore en musique de théâtre, comme nos opéra, et en musique de chambre, comme nos cantates ou cantatilles. (Voyez Cantate, Opéra.)

Généralement la composition latine passe pour demander plus de science et de règles, et la française plus de génie et de goût.

Dans une composition l'auteur a pour sujet le son [-175-] physiquement considéré, et pour objet le seul plaisir de l'oreille; ou bien il s'élève à la musique imitative, et cherche à émouvoir ses auditeurs par des effets moraux. Au premier égard, il suffit qu'il cherche de beaux sons et des accords agréables; mais au second il doit considérer la musique par ses rapports aux accents de la voix humaine, et par les conformités possibles entre les sons harmoniquement combinés et les objets imitables. On trouvera dans l'article opéra quelques idées sur les moyens d'élever et d'ennoblir l'art, en faisant de la musique une langue plus éloquente que le discours même.

Concert, substantif masculin. Assemblée de musiciens qui exécutent des pièces de musique vocale et instrumentale. On ne se sert guère du mot de concert que pour une assemblée d'au moins sept ou huit musiciens, et pour une musique à plusieurs parties. Quant aux anciens, comme ils ne connaissaient pas le contre-point, leurs concerts ne s'exécutaient qu'à l'unisson ou à l'octave; et ils en avaient rarement ailleurs qu'aux théâtres et dans les temples.

Concert spirituel. Concert qui tient lieu de spectacle public à Paris durant les temps où les autres spectacles sont fermés. Il est établi au château des Tuileries; les concertants y sont très-nombreux, et la salle est fort bien décorée: on y exécute des motets, des symphonies, et l'on se donne aussi le plaisir d'y défigurer de temps en temps quelques airs italiens.

Concertant, adjectif. Parties concertantes sont, selon [-176-] l'abbé Brossard, celles qui ont quelque chose à réciter dans une pièce ou dans un concert; et ce mot sert à les distinguer des parties qui ne sont que de choeur.

Il est vieilli dans ce sens, s'il l'a jamais eu. L'on dit aujourd'hui parties récitantes, mais on se sert de celui de concertant en parlant du nombre de musiciens qui exécutent dans un concert, et l'on dira: Nous étions vingt-cinq concertants; une assemblée de huit à dix concertants.

Concerto, substantif masculin. Mot italien francisé, qui signifie généralement une symphonie faite pour être exécutée par tout un orchestre; mais on appelle plus particulièrement concerto une pièce faite pour quelque instrument particulier, qui joue seul de temps en temps avec un simple accompagnement, après un commencement en grand orchestre; et la pièce continue ainsi toujours alternativement entre le même instrument récitant et l'orchestre en choeur. Quant aux concerto où tout se joue en rippieno, et où nul instrument ne récite, les Français les appellent quelquefois trio, et les Italiens sinfonie.

Concordant, ou basse-taille, ou baryton; celle des parties de la musique qui tient le milieu entre la taille et la basse. Le nom de concordant n'est guère en usage que dans les musiques d'église, non plus que la partie qu'il désigne; partout ailleurs cette partie s'appelle basse-taille, et se confond avec la basse. Le concordant est proprement la partie qu'en Italie on appelle tenor. (Voyez Parties.)

Concours, substantif masculin. Assemblée de musiciens et de [-177-] connaisseurs autorisés, dans laquelle une place vacante de maître de musique ou d'organiste est emportée, à la pluralité des suffrages, par celui qui a fait le meilleur motet, ou qui s'est distingué par la meilleure exécution.

Le concours était en usage autrefois dans la plupart des cathédrales; mais, dans ces temps malheureux où l'esprit d'intrigue s'est emparé de tous les états, il est naturel que le concours s'abolisse insensiblement, et qu'on lui substitue des moyens plus aisés de donner à la faveur ou à l'intérêt le prix qu'on doit au talent et au mérite.

Conjoint, adjectif. Tétracorde conjoint est, dans l'ancienne musique, celui dont la corde la plus grave est à l'unisson de la corde la plus aiguë du tétracorde qui est immédiatement au-dessous de lui, ou dont la corde la plus aiguë est à l'unisson de la plus grave du tétracorde qui est immédiatement au-dessus de lui. Ainsi, dans le système des Grecs, tous les cinq tétracordes sont conjoints par quelque côté: savoir, premier le tétracorde méson conjoint au tétracorde hypaton; second le tétracorde synnéménon conjoint au tétracorde méson; troisième le tétracorde hyperboléon conjoint au tétracorde diézeugménon: et comme le tétracorde auquel un autre était conjoint lui était conjoint réciproquement, cela eût fait en tout six tétracordes, c'est-à-dire plus qu'il n'y en avait dans le système, si le tétracorde méson, étant conjoint par ses deux extrémités, n'eût été pris deux fois pour une.

Parmi nous, conjoint se dit d'un intervalle ou degré. [-178-] On appelle degrés conjoints ceux qui sont tellement disposés entre eux que le son le plus aigu du degré inférieur se trouve à l'unisson du son le plus grave du degré supérieur. Il faut de plus qu'aucun des degrés conjoints ne puisse être partagé en d'autres degrés plus petits, mais qu'ils soient eux-mêmes les plus petits qu'il soit possible, savoir ceux d'une seconde. Ainsi ces deux intervalles, ut re, et re mi, sont conjoints, mais ut re et fa sol ne le sont pas, faute de la première condition; ut mi et mi sol ne le sont pas non plus, faute de la seconde.

Marche par degrés conjoints signifie la même chose que marche diatonique. (Voyez Degré diatonique.)

Conjointes, substantif féminin. Tétracorde des conjointes. (Voyez Synnéménon.)

Connexe, adjectif. Terme de plain-chant. (Voyez Mixte.)

Consonnance, substantif féminin. C'est, selon l'étymologie du mot, l'effet de deux ou plusieurs sons entendus à la fois; mais on restreint communément la signification de ce terme aux intervalles formés par deux sons dont l'accord plaît à l'oreille, et c'est en ce sens que j'en parlerai dans cet article.

De cette infinité d'intervalles qui peuvent diviser les sons, il n'y en a qu'un très-petit nombre qui fassent des consonnances; tous les autres choquent l'oreille, et sont appelés pour cela dissonances. Ce n'est pas que plusieurs de celles-ci ne soient employées dans l'harmonie; mais elles ne le sont qu'avec des précautions, dont les consonnances, [-179-] toujours agréables par elles-mêmes, n'ont pas également besoin.

Les Grecs n'admettaient que cinq consonnances; savoir, l'octave, la quinte, la douzième, qui est la réplique de la quinte, la quarte, et l'onzième, qui est sa réplique. Nous y ajoutons les tierces et les sixtes majeures et mineures, les octaves doubles et triples, et, en un mot, les diverses répliques de tout cela sans exception, selon toute l'étendue du système.

On distingue les consonnances en parfaites ou justes, dont l'intervalle ne varie point, et en imparfaites, qui peuvent être majeures ou mineures. Les consonnances parfaites sont l'octave, la quinte et la quarte; les imparfaites sont les tierces et les sixtes.

Les consonnances se divisent encore en simples et composées. Il n'y a de consonnances simples que la tierce et la quarte: car la quinte, par exemple, est composée de deux tierces; la sixte est composée de tierce et de quarte, et cetera.

Le caractère physique des consonnances se tire de leur production dans un même son, ou, si l'on veut, du frémissement des cordes. De deux cordes bien d'accord formant entre elles un intervalle d'octave, ou de douzième qui est l'octave de la quinte, ou de dix-septième majeure qui est la double octave de la tierce majeure, si l'on fait sonner la plus grave, l'autre frémit et résonne. A l'égard de la sixte majeure et mineure, de la tierce mineure, de la quinte et de la tierce majeure simples, qui [-180-] toutes sont des combinaisons et des renversements des précédentes consonnances, elles se trouvent non directement, mais entre les diverses cordes qui frémissent au même son.

Si je touche la corde ut, les cordes montées à son octave ut, à la quinte sol de cette octave, à la tierce mi de la double octave, même aux octaves de tout cela, frémiront toutes et résonneront à la fois; et quand la première corde serait seule, on distinguerait encore tous ces sons dans sa résonnance. Voilà donc l'octave, la tierce majeure et la quinte directes. Les autres consonnances se trouvent aussi par combinaisons: savoir la tierce mineure, de mi au sol; la sixte mineure, du même mi à l'ut d'en haut; la quarte, du sol à ce même ut; et la sixte majeure, du même sol au mi qui est au-dessus de lui.

Telle est la génération de toutes les consonnances. Il s'agirait de rendre raison des phénomènes.

Premièrement, le frémissement des cordes s'explique par l'action de l'air et le concours des vibrations. (Voyez Unisson.) Second Que le son d'une corde soit toujours accompagné de ses harmoniques (voyez ce mot), cela paraît une propriété du son qui dépend de sa nature, qui en est inséparable, et qu'on ne saurait expliquer qu'avec des hypothèses qui ne sont pas sans difficulté. La plus ingénieuse qu'on ait jusqu'à présent imaginée sur cette matière est sans contredit celle de Monsieur de Mairan, dont Monsieur Rameau dit avoir fait son profit.

[-181-] Troisième A l'égard du plaisir que les consonnances font à l'oreille à l'exclusion de tout autre intervalle, on en voit clairement la source dans leur génération. Les consonnances naissent toutes de l'accord parfait, produit par un son unique, et réciproquement l'accord parfait se forme par l'assemblage des consonnances. Il est donc naturel que l'harmonie de cet accord se communique à ses parties, que chacune d'elles y participe, et que tout autre intervalle qui ne fait pas partie de cet accord n'y participe pas. Or, la nature, qui a doué les objets de chaque sens de qualités propres à le flatter, a voulu qu'un son quelconque fût toujours accompagné d'autres sons agréables, comme elle a voulu qu'un rayon de lumière fût toujours formé des plus belles couleurs. Que si l'on presse la question, et qu'on demande encore d'où naît le plaisir que cause l'accord parfait à l'oreille, tandis qu'elle est choquée du concours de tout autre son, que pourrait-on répondre à cela, sinon de demander à son tour pourquoi le vert plutôt que le gris réjouit la vue, et pourquoi le parfum de la rose enchante, tandis que l'odeur du pavot déplaît?

Ce n'est pas que les physiciens n'aient expliqué tout cela; et que n'expliquent-ils point? Mais que toutes ces explications sont conjecturales, et qu'on leur trouve peu de solidité quand on les examine de près! Le lecteur en jugera par l'exposé des principales, que je vais tâcher de faire en peu de mots.

Ils disent donc que la sensation du son étant [-182-] produite par les vibrations du corps sonore propagées jusqu'au tympan par celles que l'air reçoit de ce même corps, lorsque deux sons se font entendre ensemble, l'oreille est affectée à la fois de leurs diverses vibrations. Si ces vibrations sont isochrones, c'est-à-dire qu'elles s'accordent à commencer et finir en même temps, ce concours forme l'unisson; et l'oreille, qui saisit l'accord de ces retours égaux et bien concordants, en est agréablement affectée. Si les vibrations d'un des deux sons sont doubles en durée de celles de l'autre, durant chaque vibration du plus grave, l'aigu en fera précisément deux; et à la troisième ils partiront ensemble. Ainsi, de deux en deux, chaque vibration impaire de l'aigu concourra avec chaque vibration du grave; et cette fréquente concordance qui constitue l'octave, selon eux moins douce que l'unisson, le sera plus qu'aucune autre consonnance. Après vient la quinte, dont l'un des sons fait deux vibrations, tandis que l'autre en fait trois; de sorte qu'ils ne s'accordent qu'à chaque troisième vibration de l'aigu; ensuite la double octave, dont l'un des sons fait quatre vibrations pendant que l'autre n'en fait qu'une, s'accordant seulement à chaque quatrième vibration de l'aigu. Pour la quarte, les vibrations se répondent de quatre en quatre à l'aigu, et de trois en trois au grave: celles de la tierce majeure sont comme 4 et 5; de la sixte majeure, comme 3 et 5; de la tierce mineure, comme 5 et 6; et de la sixte mineure, comme 5 et 8. Au-delà de ces nombres il n'y a plus que leurs multiples qui [-183-] produisent des consonnances, c'est-à-dire des octaves de celles-ci; tout le reste est dissonant.

D'autres, trouvant l'octave plus agréable que l'unisson, et la quinte plus agréable que l'octave, en donnent pour raison que les retours égaux des vibrations dans l'unisson, et leur concours trop fréquent dans l'octave, confondent, identifient les sons, et empêchent l'oreille d'en apercevoir la diversité. Pour qu'elle puisse avec plaisir comparer les sons, il faut bien, disent-ils, que les vibrations s'accordent par intervalles, mais non pas qu'elles se confondent trop souvent; autrement, au lieu de deux sons, on croirait n'en entendre qu'un, et l'oreille perdrait le plaisir de la comparaison. C'est ainsi que du même principe on déduit à son gré le pour et le contre, selon qu'on juge que les expériences l'exigent.

Mais premièrement toute cette explication n'est, comme on voit, fondée que sur le plaisir qu'on prétend que reçoit l'ame par l'organe de l'ouïe du concours des vibrations; ce qui, dans le fond, n'est déjà qu'une pure supposition. De plus il faut supposer encore, pour autoriser ce système, que la première vibration de chacun des deux corps sonores commence exactement avec celle de l'autre; car de quelque peu que l'une précédât, elles ne concourraient plus dans le rapport déterminé, peut-être même ne concourraient-elles jamais, et par conséquent l'intervalle sensible devrait changer, la consonnance n'existerait plus, ou ne serait plus la même. Enfin il faut supposer que les diverses vibrations [-184-] des deux sons d'une consonnance frappent l'organe sans confusion, et transmettent au cerveau la sensation de l'accord sans se nuire mutuellement: chose difficile à concevoir et dont j'aurai occasion de parler ailleurs.

Mais, sans disputer sur tant de suppositions, voyons ce qui doit s'ensuivre de ce système. Les vibrations ou les sons de la dernière consonnance, qui est la tierce mineure, sont comme 5 et 6, et l'accord en est fort agréable. Que doit-il naturellement résulter de deux autres sons dont les vibrations seraient entre elles comme 6 et 7? une consonnance un peu moins harmonieuse, à la vérité, mais encore assez agréable, à cause de la petite différence des raisons; car elles ne diffèrent que d'un trente-sixième. Mais qu'on me dise comment il se peut faire que deux sons, dont l'un fait cinq vibrations pendant que l'autre en fait six, produisent une consonnance agréable, et que deux sons, dont l'un fait six vibrations pendant que l'autre en fait sept, produisent une dissonance aussi dure. Quoi! dans l'un de ces rapports les vibrations s'accordent de six en six, et mon oreille est charmée; dans l'autre elles s'accordent de sept en sept, et mon oreille est écorchée! Je demande encore comment il se fait qu'après cette première dissonance la dureté des autres n'augmente pas en raison de la composition des rapports: pourquoi, par exemple, la dissonance qui résulte du rapport de 89 à 90 n'est pas beaucoup plus choquante que celle quirésulte du rapport de 12 à 13. Si le retour plus ou [-185-] moins fréquent du concours des vibrations était la cause du degré de plaisir ou de peine que me font les accords, l'effet serait proportionné à cette cause, et je n'y trouve aucune proportion. Donc ce plaisir et cette peine ne viennent point de là.

Il reste encore à faire attention aux altérations dont une consonnance est susceptible sans cesser d'être agréable à l'oreille, quoique ces altérations dérangent entièrement le concours périodique des vibrations, et que ce concours même devienne plus rare à mesure que l'altération est moindre. Il reste à considérer que l'accord de l'orgue ou du clavecin ne devrait offrir à l'oreille qu'une cacophonie d'autant plus horrible que ces instruments seraient accordés avec plus de soin, puisque, excepté l'octave, il ne s'y trouve aucune consonnance dans son rapport exact.

Dira-t-on qu'un rapport approché est supposé tout-à-fait exact, qu'il est reçu pour tel par l'oreille, et qu'elle supplée par instinct ce qui manque à la justesse de l'accord? je demande alors pourquoi cette inégalité de jugement et d'appréciation par laquelle elle admet des rapports plus ou moins rapprochés, et en rejette d'autres selon la diverse nature des consonnances. Dans l'unisson, par exemple, l'oreille ne supplée rien; il est juste ou faux, point de milieu. De même encore dans l'octave, si l'intervalle n'est exact, l'oreille est choquée; elle n'admet point d'approximation. Pourquoi en admet-elle plus dans la quinte, et moins dans la tierce majeure? Une explication vague, sans [-186-] preuve, et contraire au principe qu'on veut établir, ne rend point raison de ces différences.

Le philosophe qui nous a donné des principes d'acoustique, laissant à part tous ces concours de vibrations, et renouvelant sur ce point le système de Descartes, rend raison du plaisir que les consonnances font à l'oreille par la simplicité des rapports qui sont entre les sons qui les forment. Selon cet auteur et selon Descartes, le plaisir diminue à mesure que ces rapports deviennent plus composés; et quand l'esprit ne les saisit plus ce sont de véritables dissonances: ainsi c'est une opération de l'esprit qu'ils prennent pour le principe du sentiment de l'harmonie. D'ailleurs, quoique cette hypothèse s'accorde avec le résultat des premières divisions harmoniques, et qu'elle s'étende même à d'autres phénomènes qu'on remarque dans les beaux-arts, comme elle est sujette aux mêmes objections que la précédente, il n'est pas possible à la raison de s'en contenter.

Celle de toutes qui paraît la plus satisfaisante a pour auteur Monsieur Estève, de la société royale de Montpellier. Voici là-dessus comment il raisonne.

Le sentiment du son est inséparable de celui de ses harmoniques; et puisque tout son porte avec soi ses harmoniques ou plutôt son accompagnement, ce même accompagnement est dans l'ordre de nos organes. Il y a dans le son le plus simple une gradation de sons qui sont et plus faibles et plus aigus, qui adoucissent par nuances le son principal, et le font perdre dans la grande vitesse [-187-] des sons les plus hauts. Voilà ce que c'est qu'un son, l'accompagnement lui est essentiel, en fait la douceur et la mélodie. Ainsi toutes les fois que cet adoucissement, cet accompagnement, ces harmoniques, seront renforcés et mieux développés, les sons seront plus mélodieux, les nuances mieux soutenues. C'est une perfection, et l'ame y doit être sensible.

Or les consonnances ont cette propriété que les harmoniques de chacun des deux sons concourant avec les harmoniques de l'autre, ces harmoniques se soutiennent mutuellement, deviennent plus sensibles, durent plus long-temps, et rendent ainsi plus agréable l'accord des sons qui les donnent.

Pour rendre plus claire l'application de ce principe, Monsieur Estève a dressé deux tables, l'une des consonnances, et l'autre des dissonances qui sont dans l'ordre de la gamme; et ces tables sont tellement disposées, qu'on voit dans chacune le concours ou l'opposition des harmoniques de deux sons qui forment chaque intervalle.

Par la table des consonnances, on voit que l'accord de l'octave conserve presque tous ses harmoniques, et c'est la raison de l'identité qu'on suppose dans la pratique de l'harmonie entre les deux sons de l'octave; on voit que l'accord de la quinte ne conserve que trois harmoniques, que la quarte n'en conserve que deux, qu'enfin les consonnances imparfaites n'en conservent qu'un, excepté la sixte majeure qui en porte deux.

Par la table des dissonances, on voit qu'elles ne [-188-] se conservent aucun harmonique, excepté la seule septième mineure qui conserve son quatrième harmonique, savoir, la tierce majeure de la troisième octave du son aigu.

De ces observations l'auteur conclut que plus entre deux sons il y aura d'harmoniques concourants, plus l'accord en sera agréable; et voilà les consonnances parfaites: plus il y aura d'harmoniques détruits, moins l'ame sera satisfaite de ces accords; voilà les consonnances imparfaites: que s'il arrive qu'aucun harmonique ne soit conservé, les sons seront privés de leur douceur et de leur mélodie; ils seront aigres et comme décharnés, l'ame s'y refusera; et au lieu de l'adoucissement qu'elle éprouvait dans les consonnances, ne trouvant partout qu'une rudesse soutenue, elle éprouvera un sentiment d'inquiétude désagréable qui est l'effet de la dissonance.

Cette hypothèse est sans contredit la plus simple, la plus naturelle, la plus heureuse de toutes: mais elle laisse pourtant encore quelque chose à désirer pour le contentement de l'esprit, puisque les causes qu'elle assigne ne sont pas toujours proportionnelles aux différences des effets; que, par exemple, elle confond dans la même catégorie la tierce mineure et la septième mineure, comme réduites également à un seul harmonique, quoique l'une soit consonnante, l'autre dissonante, et que l'effet à l'oreille en soit très-différent.

A l'égard du principe d'harmonie imaginé par Monsieur Sauveur, et qu'il faisait consister dans les battements, [-189-] comme il n'est en nulle façon soutenable, et qu'il n'a été adopté de personne, je ne m'y arrêterai pas ici, et il suffira de renvoyer le lecteur à ce que j'en ai dit au mot Battement.

Consonnant, adjectif. Un intervalle consonnant est celui qui donne une consonnance ou qui en produit l'effet, ce qui arrive en certains cas aux dissonances par la force de la modulation. Un accord consonnant est celui qui n'est composé que de consonnances.

Contra, substantif masculin. Nom qu'on donnait autrefois à la partie qu'on appelait plus communément altus, et qu'aujourd'hui nous nommons haute-contre. (Voyez Haute-contre.)

Contraint, adjectif. Ce mot s'applique, soit à l'harmonie, soit au chant, soit à la valeur des notes, quand par la nature du dessein on s'est assujetti à une loi d'uniformité dans quelqu'une de ces trois parties. (Voyez Basse-Contrainte.)

Contraste, substantif masculin. Opposition de caractères. Il y a contraste dans une pièce de musique lorsque le mouvement passe du lent au vite, ou du vite au lent; lorsque le diapason de la mélodie passe du grave à l'aigu, ou de l'aigu au grave; lorsque le chant passe du doux au fort, ou du fort au doux; lorsque l'accompagnement passe du simple au figuré, ou du figuré au simple; enfin, lorsque l'harmonie a des jours et des pleins alternatifs: et le contraste le plus parfait est celui qui réunit à la fois toutes ces oppositions.

Il est très-ordinaire aux compositeurs qui manquent [-190-] d'invention d'abuser du contraste, et d'y chercher, pour nourrir l'attention, les ressources que leur génie ne leur fournit pas. Mais le contraste, employé à propos et sobrement ménagé, produit des effets admirables.

Contra-tenor. Nom donné, dans les commencements du contre-point, à la partie qu'on a depuis nommée tenor ou taille. (Voyez Taille.)

Contre-chant, substantif masculin. Nom donné par Gerson et par d'autres à ce qu'on appelait alors plus communément déchant ou contre-point. (Voyez ces mots.)

Contre-danse. Air d'une sorte de danse du même nom, qui s'exécute à quatre, à six, et à huit personnes, et qu'on danse ordinairement dans les bals après les menuets, comme étant plus gaie et occupant plus de monde. Les airs des contre-danses sont le plus souvent à deux temps: ils doivent être bien cadencés, brillants et gais, et avoir cependant beaucoup de simplicité; car, comme on les reprend très-souvent, ils deviendraient insupportables s'ils étaient chargés. En tout genre les choses les plus simples sont celles dont on se lasse le moins.

Contre-fugue ou Fugue renversée, substantif féminin. Sorte de fugue dont la marche est contraire à celle d'une autre fugue qu'on a établie auparavant dans le même morceau. Ainsi, quand la fugue s'est fait entendre en montant de la tonique à la dominante, ou de la dominante à la tonique, la contre-fugue doit se faire entendre en descendant de la dominante à la tonique, ou de la tonique à la dominante, et vice versâ: du reste, ces règles sont entièrement [-191-] semblables à celles de la fugue. (Voyez Fugue.)

Contre-harmonique, adjectif. Nom d'une sorte de proportion. (Voyez Proportion.)

Contre-partie, substantif féminin. Ce terme ne s'emploie en musique que pour signifier une des deux parties d'un duo considérée relativement à l'autre.

Contre-point, substantif masculin. C'est à peu près la même chose que composition; si ce n'est que composition peut se dire des chants, et d'une seule partie, et que contre-point ne se dit que de l'harmonie, et d'une composition à deux ou plusieurs parties différentes.

Ce mot de contre-point vient de ce qu'anciennement les notes ou signes des sons étaient de simples points, et qu'en composant à plusieurs parties, on plaçait ainsi ces points l'un sur l'autre, ou l'un contre l'autre.

Aujourd'hui le nom de contre-point s'applique spécialement aux parties ajoutées sur un sujet donné, pris ordinairement du plain-chant. Le sujet peut être à la taille ou à quelque autre partie supérieure; et l'on dit alors que le contre-point est sous le sujet: mais il est ordinairement à la basse, ce qui met le sujet sous le contre-point. Quand le contre-point est syllabique ou note sur note, on l'appelle contre-point simple; contre-point figuré, quand il s'y trouve différentes figures ou valeurs de notes, et qu'on y fait des desseins, des fugues, des imitations: on sent bien que tout cela ne peut se faire qu'à l'aide de la mesure, et que ce plain-chant devient [-192-] alors de véritable musique. Une composition faite et exécutée ainsi sur-le-champ, et sans préparation sur un sujet donné, s'appelle chant sur le livre, parce qu'alors chacun compose impromptu sa partie ou son chant sur le livre du choeur. (Voyez Chant sur le livre.)

On a long-temps disputé si les anciens avaient connu le contre-point: mais par tout ce qui nous reste de leur musique et de leurs écrits, principalement par les règles de pratique d'Aristoxène, livre troisième, on voit clairement qu'ils n'en eurent jamais la moindre notion.

Contre-sens, substantif masculin. Vice dans lequel tombe le musicien, quand il rend une autre pensée que celle qu'il doit rendre. La musique, dit Monsieur d'Alembert, n'étant et ne devant être qu'une traduction des paroles qu'on met en chant, il est visible qu'on y peut tomber dans des contre-sens; et ils n'y sont guère plus faciles à éviter que dans une véritable traduction. Contre-sens dans l'expression, quand la musique est triste au lieu d'être gaie, gaie au lieu d'être triste, légère au lieu d'être grave, grave au lieu d'être légère, et cetera. Contre-sens dans la prosodie, lorsqu'on est bref sur des syllabes longues, long sur des syllabes brèves, qu'on n'observe pas l'accent de la langue, et cetera. Contre-sens dans la déclamation, lorsqu'on y exprime par les mêmes modulations des sentiments opposés ou différents, lorsqu'on y rend moins les sentiments que les mots, lorsqu'on s'y appesantit sur des détails sur lesquels on doit glisser, lorsque les répétitions sont [-193-] entassées hors de propos. Contre-sens dans la ponctuation, lorsque la phrase de musique se termine par une cadence parfaite dans les endroits où le sens est suspendu, ou forme un repos imparfait quand le sens est achevé. Je parle ici des contre-sens pris dans la rigueur du mot; mais le manque d'expression est peut-être le plus énorme de tous. J'aime encore mieux que la musique dise autre chose que ce qu'elle doit dire, que de parler et ne rien dire du tout.

Contre-temps, substantif masculin. Mesure à contre-temps est celle où l'on pause sur le temps faible, où l'on glisse sur le temps fort, et où le chant semble être en contre-sens avec la mesure. (Voyez Syncope.)

Copiste, substantif masculin. Celui qui fait profession de copier de la musique.

Quelque progrès qu'ait fait l'art typographique, on n'a jamais pu l'appliquer à la musique avec autant de succès qu'à l'écriture, soit parce que les goûts de l'esprit étant plus constants que ceux de l'oreille, on s'ennuie moins vite des mêmes livres que des mêmes chansons; soit par les difficultés particulières que la combinaison des notes et des lignes ajoute à l'impression de la musique; car si l'on imprime premièrement les portées et ensuite les notes, il est impossible de donner à leurs positions relatives la justesse nécessaire; et si le caractère de chaque note tient à une portion de la portée, comme dans notre musique imprimée, les lignes s'ajustent si mal entre elles, il faut une si prodigieuse quantité de caractères, et le tout fait [-194-] un si vilain effet à l'oeil, qu'on a quitté cette manière avec raison pour lui substituer la gravure. Mais, outre que la gravure elle-même n'est pas exempte d'inconvénients, elle a toujours celui de multiplier trop ou trop peu les exemplaires ou les parties, de mettre en partition ce que les uns voudraient en parties séparées, ou en parties séparées ce que d'autres voudraient en partition, et de n'offrir guère aux curieux que de la musique déjà vieille qui court dans les mains de tout le monde. Enfin il est sûr qu'en Italie, le pays de la terre où l'on fait le plus de musique, on a proscrit depuis long-temps la note imprimée sans que l'usage de la gravure ait pu s'y établir: d'où je conclus qu'au jugement des experts celui de la simple copie est le plus commode.

Il est plus important que la musique soit nettement et correctement copiée que la simple écriture, parce que celui qui lit et médite dans son cabinet aperçoit, corrige aisément les fautes qui sont dans son livre, et que rien ne l'empêche de suspendre sa lecture ou de la recommencer: mais, dans un concert, ou chacun ne voit que sa partie, et où la rapidité et la continuité de l'exécution ne laissent le temps de revenir sur aucune faute, elles sont toutes irréparables: souvent un morceau sublime est estropié, l'exécution est interrompue ou même arrêtée, tout va de travers, partout manque l'ensemble et l'effet, l'auditeur est rebuté et l'auteur deshonoré par la seule faute du copiste.

De plus, l'intelligence d'une musique difficile [-195-] dépend beaucoup de la manière dont elle est copiée; car outre la netteté de la note, il y a divers moyens de présenter plus clairement au lecteur les idées qu'on veut lui peindre et qu'il doit rendre. On trouve souvent la copie d'un homme plus lisible que celle d'un autre, qui pourtant note plus agréablement; c'est que l'un ne veut que plaire aux yeux, et que l'autre est plus attentif aux soins utiles. Le plus habile copiste est celui dont la musique s'exécute avec le plus de facilité, sans que le musicien même devine pourquoi. Tout cela m'a persuadé que ce n'était pas faire un article inutile que d'exposer un peu en détail le devoir et les soins d'un bon copiste: tout ce qui tend à faciliter l'exécution n'est point indifférent à la perfection d'un art dont elle est toujours le plus grand écueil. Je sens combien je vais me nuire à moi-même, si l'on compare mon travail à mes règles; mais je n'ignore pas que celui qui cherche l'utilité publique doit avoir oublié la sienne. Homme de lettres, j'ai dit de mon état tout le mal que j'en pense; je n'ai fait que de la musique française, et n'aime que l'italienne; j'ai montré toutes les misères de la société, quand j'étais heureux par elle: mauvais copiste, j'expose ici ce que font les bons. O vérité! mon intérêt ne fut jamais rien devant toi; qu'il ne souille en rien le culte que je t'ai voué.

Je suppose d'abord que le copiste est pourvu de toutes les connaissances nécessaires à sa profession. Je lui suppose de plus les talents qu'elle exige pour être exercée supérieurement. Quels sont ces talents, [-196-] et quelles sont ces connaissances? Sans en parler expressément, c'est de quoi cet article pourra donner une suffisante idée. Tout ce que j'oserai dire ici, c'est que tel compositeur qui se croit un fort habile homme, est bien loin d'en savoir assez pour copier correctement la composition d'autrui.

Comme la musique écrite, surtout en partition, est faite pour être lue de loin par les concertants, la première chose que doit faire le copiste est d'employer les matériaux les plus convenables pour rendre sa note bien lisible et bien nette. Ainsi il doit choisir de beau papier fort, blanc, médiocrement fin, et qui ne perce point: on préfère celui qui n'a pas besoin de laver, parce que le lavage avec l'alun lui ôte un peu de sa blancheur. L'encre doit être très-noire sans être luisante ni gommée; la réglure fine, égale, et bien marquée, mais non pas noire comme la note; il faut, au contraire, que les lignes soient un peu pâles, afin que les croches, doubles-croches, les soupirs, demi-soupirs, et autres petits signes, ne se confondent pas avec elles, et que la note sorte mieux. Loin que la pâleur des lignes empêche de lire la musique à une certaine distance, elle aide au contraire à la netteté; et quand même la ligne échapperait un moment à la vue, la position des notes l'indique assez le plus souvent. Les régleurs ne rendent que du travail mal fait; si le copiste veut se faire honneur, il doit régler son papier lui-même.

Il y a deux formats de papier réglé: l'un pour la musique française, dont la longueur est de bas [-197-] en haut; l'autre pour la musique italienne, dont la longueur est dans le sens des lignes. On peut employer pour les deux le même papier en le coupant et réglant en sens contraire; mais, quand on l'achète réglé, il faut renverser les noms chez les papetiers de Paris, demander du papier à l'italienne quand on le veut à la française, et à la française quand on le veut à l'italienne: ce quiproquo importe peu dès qu'on en est prévenu.

Pour copier une partition, il faut compter les portées qu'enferme l'accolade, et choisir du papier qui ait, par page, le même nombre de portées, ou un multiple de ce nombre, afin de ne perdre aucune portée, ou d'en perdre le moins qu'il est possible quand le multiple n'est pas exact.

Le papier à l'italienne est ordinairement à dix portées, ce qui divise chaque page en deux accolades de cinq portées chacune pour les airs ordinaires; savoir, deux portées pour les deux dessus de violon, une pour la quinte, une pour le chant, et une pour la basse. Quand on a des duo ou des parties de flûtes, de hautbois, de cors, de trompettes, alors, à ce nombre de portées on ne peut plus mettre qu'une accolade par page, à moins qu'on ne trouve le moyen de supprimer quelque portée inutile, comme celle de la quinte, quand elle marche sans cesse avec la basse.

Voici maintenant les observations qu'on doit faire pour bien distribuer la partition. Première Quelque nombre de parties de symphonie qu'on puisse avoir, il faut toujours que les parties de violon, comme [-198-] principales, occupent le haut de l'accolade où les yeux se portent plus aisément; ceux qui les mettent au-dessous de toutes les autres et immédiatement sur la quinte pour la commodité de l'accompagnateur, se trompent; sans compter qu'il est ridicule de voir dans une partition les parties de violon au-dessous, par exemple, de celles des cors qui sont beaucoup plus basses. Seconde Dans toute la longueur de chaque morceau, l'on ne doit jamais rien changer au nombre des portées, afin que chaque partie ait toujours la sienne au même lieu: il vaut mieux laisser des portées vides, ou, s'il le faut absolument, en charger quelqu'une de deux parties, que d'étendre ou resserrer l'accolade inégalement. Cette règle n'est que pour la musique italienne; car l'usage de la gravure a rendu les compositeurs français plus attentifs à l'économie de l'espace qu'à la commodité de l'exécution. Troisième Ce n'est qu'à toute extrémité qu'on doit mettre deux parties sur une même portée; c'est surtout ce qu'on doit éviter pour les parties de violon; car, outre que la confusion y serait à craindre, il y aurait équivoque avec la double-corde; il faut aussi regarder si jamais les parties ne se croisent, ce qu'on ne pourrait guère écrire sur la même portée d'une manière nette et lisible. Quatrième Les clefs une fois écrites et correctement armées ne doivent plus se répéter non plus que le signe de la mesure, si ce n'est dans la musique française, quand, les accolades étant inégales, chacun ne pourrait plus reconnaître sa partie; mais, dans les parties séparées, on doit répéter [-199-] la clef au commencement de chaque portée, ne fût-ce que pour marquer le commencement de la ligne, au défaut de l'accolade.

Le nombre des portées ainsi fixé, il faut faire la division des mesures, et ces mesures doivent être toutes égales en espace comme en durée, pour mesurer en quelque sorte le temps au compas et guider la voix par les yeux. Cet espace doit être assez étendu dans chaque mesure pour recevoir toutes les notes qui peuvent y entrer, selon sa plus grande subdivision. On ne saurait croire combien ce soin jette de clarté sur une partition, et dans quel embarras on se jette en le négligeant. Si l'on serre une mesure sur une ronde, comment placer les seize doubles-croches que contient peut-être une autre partie dans la même mesure? Si l'on se règle sur la partie vocale, comment fixer l'espace des ritournelles? En un mot, si l'on ne regarde qu'aux divisions d'une des parties, comment y rapporter les divisions souvent contraires des autres parties?

Ce n'est pas assez de diviser l'air en mesures égales, il faut aussi diviser les mesures en temps égaux. Si dans chaque partie on proportionne ainsi l'espace à la durée, toutes les parties et toutes les notes simultanées de chaque partie se correspondront avec une justesse qui fera plaisir aux yeux, et facilitera beaucoup la lecture d'une partition. Si, par exemple, on partage une mesure à quatre temps en quatre espaces bien égaux entre eux et dans chaque partie, qu'on étende les noires, qu'on rapproche [-200-] les croches, qu'on resserre les doubles-croches à proportion et chacune dans son espace, sans qu'on ait besoin de regarder une partie en copiant l'autre, toutes les notes correspondantes se trouveront plus exactement perpendiculaires que si on les eût confrontées en les écrivant; et l'on remarquera dans le tout la plus exacte proportion, soit entre les diverses mesures d'une même partie, soit entre les diverses parties d'une même mesure.

A l'exactitude des rapports il faut joindre, autant qu'il se peut, la netteté des signes. Par exemple on n'écrira jamais de notes inutiles, mais sitôt qu'on s'aperçoit que deux parties se réunissent et marchent à l'unisson, l'on doit renvoyer de l'une à l'autre lorsqu'elles sont voisines et sur la même clef. A l'égard de la quinte, sitôt qu'elle marche à l'octave de la basse, il faut aussi l'y renvoyer. La même attention de ne pas inutilement multiplier les signes, doit empêcher d'écrire pour la symphonie les piano aux entrées du chant, et les forte quand il cesse; partout ailleurs il les faut écrire exactement sous le premier violon et sous la basse, et cela suffit dans une partition où toutes les parties peuvent et doivent se régler sur ces deux-là.

Enfin le devoir du copiste écrivant une partition est de corriger toutes les fausses notes qui peuvent se trouver dans son original. Je n'entends pas par fausses notes les fautes de l'ouvrage, mais celles de la copie qui lui sert d'original. La perfection de la sienne est de rendre fidèlement les idées de l'auteur: bonnes ou mauvaises, ce n'est pas son affaire; [-201-] car il n'est pas auteur ni correcteur, mais copiste. Il est bien vrai que si l'auteur a mis par mégarde une note pour une autre, il doit la corriger; mais si ce même auteur a fait par ignorance une faute de composition, il la doit laisser. Qu'il compose mieux lui-même, s'il veut ou s'il peut, à la bonne heure; mais sitôt qu'il copie, il doit respecter son original. On voit par là qu'il ne suffit pas au copiste d'être bon harmoniste et de bien savoir la composition, mais qu'il doit de plus être exercé dans les divers styles, reconnaître un auteur par sa manière, et savoir bien distinguer ce qu'il a fait de ce qu'il n'a pas fait. Il y a de plus une sorte de critique propre à restituer un passage par la comparaison d'un autre, à remettre un fort ou un doux où il a été oublié, à détacher des phrases liées mal à propos, à restituer même des mesures omises; ce qui n'est pas sans exemple, même dans des partitions. Sans doute, il faut du savoir et du goût pour rétablir un texte dans toute sa pureté: l'on me dira que peu de copistes le font, je répondrai que tous le devraient faire.

Avant de finir ce qui regarde les partitions, je dois dire comment on y rassemble des parties séparées; travail embarrassant pour bien des copistes, mais facile et simple quand on s'y prend avec méthode.

Pour cela, il faut d'abord compter avec soin les mesures dans toutes les parties, pour s'assurer qu'elles sont correctes, ensuite on pose toutes les parties l'une sur l'autre, en commençant par la [-202-] basse, et la couvrant successivement des autres parties dans le même ordre qu'elles doivent avoir sur la partition. On fait l'accolade d'autant de portées qu'on a de parties; on la divise en mesures égales, puis mettant toutes ces parties ainsi rangées devant soi et à sa gauche, on copie d'abord la première ligne de la première partie, que je suppose être le premier violon; on y fait une légère marque en crayon à l'endroit où l'on s'arrête; puis on la transporte renversée à sa droite. On copie de même la première ligne du second violon, renvoyant au premier partout où ils marchent à l'unisson, puis, faisant une marque comme ci-devant, on renverse la partie sur la précédente à sa droite; et ainsi de toutes les parties l'une après l'autre. Quand on est à la basse, on parcourt des yeux toute l'accolade pour vérifier si l'harmonie est bonne, si le tout est bien d'accord, et si l'on ne s'est point trompé. Cette première ligne faite, on prend ensemble toutes les parties qu'on a renversées l'une sur l'autre à sa droite, on les renverse derechef à sa gauche, et elles se retrouvent ainsi dans le même ordre et dans la même situation où elles étaient quand on a commencé: on recommence la seconde accolade à la petite marque en crayon, l'on fait une autre marque à la fin de la seconde ligne, et l'on poursuit comme ci-devant, jusqu'à ce que le tout soit fait.

J'aurai peu de choses à dire sur la manière de tirer une partition en parties séparées; car c'est l'opération la plus simple de l'art, et il suffira d'y [-203-] faire les observations suivantes. Première Il faut tellement comparer la longueur des morceaux à ce que peut contenir une page, qu'on ne soit jamais obligé de tourner sur un même morceau dans les parties instrumentales, à moins qu'il n'y ait beaucoup de mesures à compter qui en laissent le temps. Cette règle oblige de commencer à la page verso tous les morceaux qui remplissent plus d'une page; et il n'y en a guère qui en remplissent plus de deux. Seconde Les doux et les forts doivent être écrits avec la plus grande exactitude sur toutes les parties, même ceux où rentre et cesse le chant, qui ne sont pas pour l'ordinaire écrits sur la partition. Troisième On ne doit point couper une mesure d'une ligne à l'autre, mais tâcher qu'il y ait toujours une barre à la fin de chaque portée. Quatrième Toutes les lignes postiches qui excèdent, en haut ou en bas, les cinq de la portée, ne doivent point être continues, mais séparées à chaque note, de peur que le musicien, venant à les confondre avec celles de la portée, ne se trompe de note et ne sache plus où il est. Cette règle n'est pas moins nécessaire dans les partitions, et n'est suivie par aucun copiste français. Cinquième Les parties de hautbois qu'on tire sur les parties de violon pour un grand orchestre, ne doivent pas être exactement copiées comme elles sont dans l'original; mais, outre l'étendue que cet instrument a de moins que le violon, outre les doux, qu'il ne peut faire de même, outre l'agilité qui lui manque, ou qui lui va mal dans certaines vitesses, la force du hautbois doit être ménagée, pour marquer mieux [-204-] les notes principales, et donner plus d'accent à la musique. Si j'avais à juger du goût d'un simphoniste sans l'entendre, je lui donnerais à tirer sur la partie de violon la partie de hautbois: tout copiste doit savoir le faire. Sixième Quelquefois les parties de cors et de trompettes ne sont pas notées sur le même ton que le reste de l'air; il faut les transposer au ton, ou bien, si on les copie telles qu'elles sont, il faut écrire au haut le nom de la véritable tonique. Corni in D sol re, corni in E la fa, et cetera. Septième Il ne faut point bigarrer la partie de quinte ou de viola de la clef de basse et de la sienne, mais transporter à la clef de viola tous les endroits où elle marche avec la basse; et il y a là-dessus encore une autre attention à faire, c'est de ne jamais laisser monter la viola au-dessus des parties de violon, de sorte que, quand la basse monte trop haut, il n'en faut pas prendre l'octave, mais l'unisson, afin que la viola ne sorte jamais du medium qui lui convient. Huitième La partie vocale ne se doit copier qu'en partition avec la basse, afin que le chanteur se puisse accompagner lui-même, et n'ait pas la peine ni de tenir sa partie à la main, ni de compter ses pauses: dans les duo ou trio, chaque partie de chant doit contenir, outre la basse, sa contre-partie; et quand on copie un récitatif obligé, il faut pour chaque partie d'instrument ajouter la partie du chant à la sienne, pour le guider au défaut de la mesure. Neuvième Enfin, dans les parties vocales, il faut avoir soin de lier ou détacher les croches, afin que le chanteur voie clairement celles [-205-] qui appartiennent à chaque syllabe. Les partitions qui sortent des mains des compositeurs sont sur ce point très-équivoques, et le chanteur ne sait la plupart du temps comment distribuer la note sur la parole. Le copiste versé dans la prosodie, et qui connaît également l'accent du discours et celui du chant, détermine le partage des notes et prévient l'indécision du chanteur. Les paroles doivent être écrites bien exactement sous les notes, et correctes quant aux accents et à l'orthographe; mais on n'y doit mettre ni points ni virgules, les répétitions fréquentes et irrégulières rendant la ponctuation grammaticale impossible; c'est à la musique à ponctuer les paroles: le copiste ne doit pas s'en mêler; car ce serait ajouter des signes que le compositeur s'est chargé de rendre inutiles.

Je m'arrête pour ne pas étendre à l'excès cet article: j'en ai dit trop pour tout copiste instruit qui a une bonne main et le goût de son métier; je n'en dirais jamais assez pour les autres. J'ajouterai seulement un mot en finissant: il y a bien des intermédiaires entre ce que le compositeur imagine et ce qu'entendent les auditeurs. C'est au copiste de rapprocher ces deux termes le plus qu'il est possible, d'indiquer avec clarté tout ce qu'on doit faire pour que la musique exécutée rende exactement à l'oreille du compositeur ce qui s'est peint dans sa tête en la composant.

Corde sonore. Toute corde tendue dont on peut tirer du son. De peur de m'égarer dans cet article, j'y transcrirai en partie celui de Monsieur d'Alembert, et [-206-] n'y ajouterai du mien que ce qui lui donne un rapport plus immédiat au son et à la musique.

"Si une corde tendue est frappée en quelqu'un de ses points par une puissance quelconque, elle s'éloignera jusqu'à une certaine distance de la situation qu'elle avait étant en repos, reviendra ensuite et fera des vibrations en vertu de l'élasticité que sa tension lui donne, comme en fait un pendule qu'on tire de son aplomb. Que si, de plus, la matière de cette corde est elle-même assez élastique ou assez homogène pour que le même mouvement se communique à toutes ses parties, en frémissant elle rendra du son, et sa résonnance accompagnera toujours ses vibrations. Les géomètres ont trouvé les lois de ces vibrations; et les musiciens celles des sons qui en résultent.

On savait depuis long-temps, par l'expérience et par des raisonnements assez vagues, que, toutes choses d'ailleurs égales, plus une corde était tendue, plus ses vibrations étaient promptes; qu'à tension égale, les cordes faisaient leurs vibrations plus ou moins promptement en même raison qu'elles étaient moins ou plus longues, c'est-à-dire que la raison des longueurs était toujours inverse de celle du nombre des vibrations. Monsieur Taylor, célèbre géomètre anglais, est le premier qui ait démontré les lois des vibrations des cordes avec quelque exactitude, dans son savant ouvrage intitulé, Methodus incrementorum directa et inversa, 1715; et ces mêmes lois ont été démontrées encore [-207-] depuis par Monsieur Jean Bernoulli, dans le second tome des Mémoires de l'Académie impériale de Pétersbourg." De la formule qui résulte de ces lois, et qu'on peut trouver dans l'Encyclopédie, article Corde, je tire les trois corollaires suivants, qui servent de principes à la théorie de la musique.

I. Si deux cordes de même matière sont égales en longueur et en grosseur, les nombres de leurs vibrations en temps égaux seront comme les racines des nombres qui expriment le rapport des tensions des cordes.

II. Si les tensions et les longueurs sont égales, les nombres des vibrations en temps égaux seront en raison inverse de la grosseur ou du diamètre des cordes.

III. Si les tensions et les grosseurs sont égales, les nombres des vibrations en temps égaux seront en raison inverse des longueurs.

Pour l'intelligence de ces théorèmes je crois devoir avertir que la tension des cordes ne se représente pas par les poids tendants, mais par les racines de ces mêmes poids; ainsi les vibrations étant entre elles comme les racines carrées des tensions, les poids tendants sont entre eux comme les cubes des vibrations, et cetera.

Des lois des vibrations des cordes se déduisent celles des sons qui résultent de ces mêmes vibrations dans la corde sonore. Plus une corde fait de vibrations dans un temps donné, plus le son qu'elle rend est aigu; moins elle fait de vibrations, plus le son est grave; en sorte que les sons suivant entre [-208-] eux les rapports des vibrations, leurs intervalles s'expriment par les mêmes rapports: ce qui soumet toute la musique au calcul.

On voit par les théorèmes précédents qu'il y a trois moyens de changer le son d'une corde; savoir, en changeant le diamètre, c'est-à-dire la grosseur de la corde, ou sa longueur, ou sa tension. Ce que ces altérations produisent successivement sur une même corde, on peut le produire à la fois sur diverses cordes, en leur donnant différents degrés de grosseur, de longueur, ou de tension. Cette méthode combinée est celle qu'on met en usage dans la fabrique, l'accord et le jeu du clavecin, du violon, de la basse, de la guitare, et autres pareils instruments composés de cordes de différentes grosseurs et différemment tendues, lesquelles ont par conséquent des sons différents. De plus, dans les uns, comme le clavecin, ces cordes ont différentes longueurs fixes par lesquelles les sons se varient encore, et dans les autres, comme le violon, les cordes, quoique égales en longueur fixe, se raccourcissent ou s'alongent à volonté sous les doigts du joueur, et ces doigts avancés ou reculés sur le manche font alors la fonction de chevalets mobiles, qui donnent à la corde ébranlée par l'archet autant de sons divers que de diverses longueurs. A l'égard des rapports des sons et de leurs intervalles relativement aux longueurs des cordes et à leurs vibrations, voyez Son, Intervalle, Consonnance.

La corde sonore, outre le son principal qui résulte de toute sa longueur, rend d'autres sons accessoires [-209-] moins sensibles, et ces sons semblent prouver que cette corde ne vibre pas seulement dans toute sa longueur, mais fait vibrer aussi ses aliquotes chacune en particulier selon la loi de leurs dimensions. A quoi je dois ajouter que cette propriété qui sert ou doit servir de fondement à toute l'harmonie, et que plusieurs attribuent, non à la corde sonore, mais à l'air frappé du son, n'est pas particulière aux cordes seulement, mais se trouve dans tous les corps sonores. (Voyez Corps sonore, Harmonique.)

Une autre propriété non moins surprenante de la corde sonore, et qui tient à la précédente, est que si le chevalet qui la divise n'appuie que légèrement et laisse un peu de communication aux vibrations d'une partie à l'autre, alors, au lieu du son total de chaque partie ou de l'une des deux, on n'entendra que le son de la plus grande aliquote commune aux deux parties. (Voyez Sons harmoniques.)

Le mot de corde se prend figurément en composition pour les sons fondamentaux du mode, et l'on appelle souvent corde d'harmonie les notes de basse qui, à la faveur de certaines dissonances, prolongent la phrase, varient, et entrelacent la modulation.

Corde-a-jouer ou Corde-a-vide. (Voyez Vide.)

Cordes mobiles. (Voyez Mobile.)

Cordes stables. (Voyez Stable.)

Corps-de-voix, substantif masculin. Les voix ont divers degrés de force ainsi que d'étendue. Le nombre de ces degrés [-210-] que chacune embrasse porte le nom de corps-de-voix, quand il s'agit de force, et de volume, quand il s'agit d'étendue. (Voyez Volume.) Ainsi de deux voix semblables formant le même son, celle qui remplit le mieux l'oreille et se fait entendre de plus loin est dite avoir plus de corps. En Italie, les premières qualités qu'on recherche dans les voix sont la justesse et la flexibilité; mais en France on exige surtout un bon corps-de-voix.

Corps sonore, substantif masculin. On appelle ainsi tout corps qui rend ou peut rendre immédiatement du son. Il ne suit pas de cette définition que tout instrument de musique soit un corps sonore; on ne doit donner ce nom qu'à la partie de l'instrument qui sonne elle-même, et sans laquelle il n'y aurait point de son. Ainsi, dans un violoncelle ou dans un violon, chaque corde est un corps sonore: mais la caisse de l'instrument, qui ne fait que répercuter et réfléchir le son, n'est point le corps sonore et n'en fait point partie. On doit avoir cet article présent à l'esprit toutes les fois qu'il sera parlé du corps sonore dans cet ouvrage.

Coryphée, substantif masculin. Celui qui conduisait le choeur dans les spectacles des Grecs et battait la mesure dans leur musique. (Voyez Battre la mesure.)

Coulé, participe pris substantivement. Le coulé se fait lorsqu'au lieu de marquer en chantant chaque note d'un coup de gosier, ou d'un coup d'archet sur les instruments à corde, ou d'un coup de langue sur les instruments à vent, on passe deux ou plusieurs notes sous la même articulation en prolongeant [-211-] la même inspiration, ou en continuant de tirer ou de pousser le même coup d'archet sur toutes les notes couvertes d'un coulé. Il y a des instruments, tels que le clavecin, le tympanon, et cetera, sur lesquels le coulé paraît presque impossible à pratiquer; et cependant on vient à bout de l'y faire sentir par un toucher doux et lié, très-difficile à décrire, et que l'écolier apprend plus aisément de l'exemple du maître que de ses discours. Le coulé se marque par une liaison qui couvre toutes les notes qu'il doit embrasser.

Couper, verbe actif. On coupe une note lorsqu'au lieu de la soutenir durant toute sa valeur, on se contente de la frapper au moment qu'elle commence, passant en silence le reste de sa durée. Ce mot ne s'emploie que pour les notes qui ont une certaine longueur; on se sert du mot détacher pour celles qui passent plus vite.

Couplet. Nom qu'on donne dans les vaudevilles et autres chansons à cette partie du poème qu'on appelle strophe dans les odes. Comme tous les couplets sont composés sur la même mesure de vers, on les chante aussi sur le même air: ce qui fait estropier souvent l'accent et la prosodie, parce que deux vers français n'en sont pas moins dans la même mesure, quoique les longues et brèves n'y soient pas dans les mêmes endroits.

Couplet se dit aussi des doubles et variations qu'on fait sur un même air, en le reprenant plusieurs fois avec de nouveaux changements, mais toujours sans défigurer le fond de l'air, comme [-212-] dans les Folies d'Espagne et dans de vieilles chaconnes. Chaque fois qu'on reprend ainsi l'air en le variant différemment, on fait un nouveau couplet. (Voyez Variations.)

Courante, substantif féminin. Air propre à une espèce de danse, ainsi nommée à cause des allées et des venues dont elle est remplie plus qu'aucune autre. Cet air est ordinairement d'une mesure à trois temps graves, et se note en triple de blanches avec deux reprises. Il n'est plus en usage, non plus que la danse dont il porte le nom.

Couronne, substantif féminin. Espèce de C renversé avec un point dans le milieu, qui se fait ainsi: [signum]

Quand la couronne, qu'on appelle aussi point de repos, est à la fois dans toutes les parties sur la note correspondante, c'est le signe d'un repos général; on doit y suspendre la mesure, et souvent même on peut finir par cette note. Ordinairement la partie principale y fait à sa volonté quelque passage, que les Italiens appellent cadenza, pendant que toutes les autres prolongent et soutiennent le son qui leur est marqué, ou même s'arrêtent tout-à-fait. Mais si la couronne est sur la note finale d'une seule partie, alors on l'appelle en franqais point d'orgue, et elle marque qu'il faut continuer le son de cette note jusqu'à ce que les autres parties arrivent à leur conclusion naturelle. On s'en sert aussi dans les canons pour marquer l'endroit où toutes les parties peuvent s'arrêter quand on veut finir. (Voyez Repos, Canon, Point d'orgue.)

Crier. C'est forcer tellement la voix en chantant [-213-] que les sons n'en soient plus appréciables, et ressemblent plus à des cris qu'à du chant. La musique française veut être criée: c'est en cela que consiste sa plus grande expression.

Croche, substantif féminin. Note de musique qui ne vaut en durée que le quart d'une blanche ou la moitié d'une noire. Il faut par conséquent huit croches pour une ronde ou pour une mesure à quatre temps. (Voyez Mesure, Valeur des notes.)

On peut voir (Planche D, figure 9 [ROUDIC4 05GF]) comment se fait la croche, soit seule ou chantée seule sur une syllabe, soit liée avec d'autres croches quand on en passe plusieurs dans un même temps en jouant, ou sur une même syllabe en chantant. Elles se lient ordinairement de quatre en quatre dans les mesures à quatre temps et à deux, de trois en trois dans la mesure à six-huit, selon la division des temps, et de six en six dans la mesure à trois temps, selon la division des mesures.

Le nom de croche a été donné à cette espèce de note à cause de l'espèce de crochet qui la distingue.

Crochet. Signe d'abréviation dans la note. C'est un petit trait en travers sur la queue d'une blanche ou d'une noire, pour marquer sa division en croches, gagner de la place, et prévenir la confusion. Ce crochet désigne par conséquent quatre croches au lieu d'une blanche, ou deux au lieu d'une noire, comme on voit planche D [ROUDIC4 05GF], à l'exemple A de la figure 10, où les trois portées accolées signifient exactement la même chose. La ronde, n'ayant point de queue, ne peut porter de crochet; mais on en peut cependant [-214-] faire aussi huit croches par abréviation, en la divisant en deux blanches ou quatre noires, auxquelles on ajoute des crochets. Le copiste doit soigneusement distinguer la figure du crochet, qui n'est qu'une abréviation, de celle de la croche, qui marque une valeur réelle.

Crome, substantif féminin. Ce pluriel italien signifie croches. Quand ce mot se trouve écrit sous des notes noires, blanches, ou rondes, il signifie la même chose que signifierait le crochet, et marque qu'il faut diviser chaque note en croches, selon sa valeur. (Voyez Crochet.)

Croque-note ou Croque-sol, substantif masculin. Nom qu'on donne par dérision à ces musiciens ineptes, qui, versés dans la combinaison des notes, et en état de rendre à livre ouvert les compositions les plus difficiles, exécutent au surplus sans sentiment, sans expression, sans goût. Un croque-sol, rendant plutôt les sons que les phrases, lit la musique la plus énergique sans y rien comprendre, comme un maître d'école pourrait lire un chef-d'oeuvre d'éloquence écrit avec les caractères de sa langue dans une langue qu'il n'entendrait pas.

D.

D. Cette lettre signifie la même chose dans la musique française que P dans l'italienne, c'est-à-dire doux. Les Italiens l'emploient aussi quelquefois de même pour le mot dolce, et ce mot dolce n'est pas seulement opposé à fort, mais à rude.

D. C. (Voyez Da capo.)

[-215-] D la re, D sol re, ou simplement D. Deuxième note de la gamme naturelle ou diatonique, laquelle s'appelle autrement re. (Voyez Gamme.)

Da capo. Ces deux mots italiens se trouvent fréquemment écrits à la fin des airs en rondeau, quelquefois tout au long, et souvent en abrégé par ces deux lettres D. C. Ils marquent qu'ayant fini la seconde partie de l'air, il en faut reprendre le commencement jusqu'au point final. Quelquefois il ne faut pas reprendre tout-à-fait au commencement, mais à un lieu marqué d'un renvoi. Alors, au lieu de ces mots da capo, on trouve écrits ceux-ci, Al segno.

Dactylique, adjectif. Nom qu'on donnait, dans l'ancienne musique, à cet espèce de rhythme dont la mesure se partageait en deux temps égaux. (Voyez Rhythme.)

On appelait aussi dactylique une sorte de nome où ce rhythme était fréquemment employé, tel que le nome harmathias et le nome orthien.

Julius Pollux révoque en doute si le dactylique était une sorte d'instrument ou une forme de chant, doute qui se confirme par ce qu'en dit Aristide Quintilien dans son second livre, et qu'on ne peut résoudre qu'en supposant que le mot dactylique signifiait à la fois un instrument et un air, comme parmi nous les mots musette et tambourin.

Débit, substantif masculin. Récitation précipitée. (Voyez l'article suivant.)

Débiter, verbe actif. pris en sens neutre. C'est presser à dessein le mouvement du chant, et le rendre d'une [-216-] manière approchante de la rapidité de la parole; sens qui n'a lieu, non plus que le mot, que dans la musique française. On défigure toujours les airs en les débitant, parce que la mélodie, l'expression, la grace, y dépendent toujours de la précision du mouvement, et que presser le mouvement c'est le détruire. On défigure encore le récitatif français en le débitant, parce qu'alors il en devient plus rude, et fait mieux sentir l'opposition choquante qu'il y a parmi nous entre l'accent musical et celui du discours. A l'égard du récitatif italien, qui n'est qu'un parler harmonieux, vouloir le débiter, ce serait vouloir parler plus vite que la parole, et par conséquent bredouiller; de sorte qu'en quelque sens que ce soit, le mot débit ne signifie qu'une chose barbare, qui doit être proscrite de la musique.

Décaméride, substantif féminin. C'est le nom de l'un des éléments du système de Monsieur Sauveur, qu'on peut voir dans les Mémoires de l'Académie des sciences, année 1701.

Pour former un système général qui fournisse le meilleur tempérament, et qu'on puisse ajuster à tous les systèmes, cet auteur, après avoir divisé l'octave en 43 parties, qu'il appelle mérides, et subdivisé chaque méride en 7 parties, qu'il appelle eptamérides, divise encore chaque eptaméride en 10 autres parties, auxquelles il donne le nom de décamérides. L'octave se trouve ainsi divisée en 3010 parties égales, par lesquelles on peut exprimer sans erreur sensible les rapports de tous les intervalles de la musique.

[-217-] Ce mot est formé de [deka], dix, et de [meris], partie.

Déchant ou Discant, substantif masculin. Terme ancien par lequel on désignait ce qu'on a depuis appelé contre-point. (Voyez Contre-point.)

Déclamation, substantif féminin. C'est, en musique, l'art de rendre par les inflexions et le nombre de la mélodie, l'accent grammatical et l'accent oratoire. (Voyez Accent, Récitatif.)

Déduction, substantif féminin. Suite de notes montant diatoniquement ou par degrés conjoints. Ce terme n'est guère en usage que dans le plain-chant.

Degré, substantif masculin. Différence de position ou d'élévation qui se trouve entre deux notes placées dans une même portée. Sur la même ligne ou dans le même espace, elles sont au même degré; et elles y seraient encore, quand même l'une des deux serait haussée ou baissée d'un semi-ton par un dièse ou par un bémol: au contraire elles pourraient être à l'unisson, quoique posées sur différents degrés, comme l'ut bémol et le si naturel, le fa dièse et le sol bémol, et cetera.

Si deux notes se suivent diatoniquement, de sorte que l'une étant sur une ligne, l'autre soit dans l'espace voisin, l'intervalle est d'un degré; de deux, si elles sont à la tierce; de trois, si elles sont à la quarte; de sept, si elles sont à l'octave, et cetera.

Ainsi, en ôtant 1 du nombre exprimé par le nom de l'intervalle, on a toujours le nombre des degrés diatoniques qui séparent les deux notes.

Ces degrés diatoniques ou simplement degrés, sont encore appelés degrés conjoints, par opposition [-218-] aux degrés disjoints, qui sont composés de plusieurs degrés conjoints. Par exemple, l'intervalle de seconde est un degré conjoint, mais celui de tierce est un degré disjoint, composé de deux degrés conjoints, et ainsi des autres. (Voyez Conjoint, Disjoint, Intervalle.)

Démancher, verbe neutre. C'est sur les instruments à manche, tels que le violoncelle, le violon, et cetera, ôter la main gauche de sa position naturelle pour l'avancer sur une opposition plus haute ou plus à l'aigu. (Voyez Position.) Le compositeur doit connaître l'étendue qu'a l'instrument sans démancher, afin que quand il passe cette étendue et qu'il démanche, cela se fasse d'une manière praticable.

Demi-jeu, a demi-jeu, ou simplement a demi. Terme de musique instrumentale qui répond à l'italien sotto voce, ou mezza voce, ou mezzo forte, et qui indique une manière de jouer qui tienne le milieu entre le fort et le doux.

Demi-mesure, substantif féminin. Espace de temps qui dure la moitié d'une mesure. Il n'y a proprement de demi-mesure que dans les mesures dont les temps sont en nombre pair; car dans la mesure à trois temps, la première demi-mesure commence avec le temps fort, et la seconde à contre-temps, ce qui les rend inégales.

Demi-pause, substantif féminin. Caractère de musique qui se fait comme il est marqué dans la figure 9 de la Planche D [ROUDIC4 05GF], et qui marque un silence, dont la durée doit être égale à celle d'une demi-mesure à quatre temps, ou d'une blanche. Comme il y a des mesures [-219-] de différentes valeurs, et que celle de la demi-pause ne varie point, elle n'équivaut à la moitié d'une mesure que quand la mesure entière vaut une ronde; à la différence de la pause entière, qui vaut toujours exactement une mesure grande ou petite. (Voyez Pause.)

Demi-soupir. Caractère de musique qui se fait comme il est marqué dans la figure 9 de la Planche D [ROUDIC4 05GF], et qui marque un silence, dont la durée est égale à celle d'une croche ou de la moitié d'un soupir. (Voyez Soupir.)

Demi-temps. Valeur qui dure exactement la moitié d'un temps. Il faut appliquer au demi-temps par rapport au temps ce que j'ai dit ci-devant de la demi-mesure par rapport à la mesure.

Demi-ton. Intervalle de musique valant à peu près la moitié d'un ton, et qu'on appelle plus communément semi-ton. (Voyez Semi-ton.)

Descendre, verbe neutre. C'est baisser la voix, vocem remittere; c'est faire succéder les sons de l'aigu au grave, ou du haut au bas. Cela se présente à l'oeil par notre manière de noter.

Dessin, substantif masculin. C'est l'invention et la conduite du sujet, la disposition de chaque partie, et l'ordonnance générale du tout.

Ce n'est pas assez de faire de beaux chants et une bonne harmonie, il faut lier tout cela par un sujet principal, auquel se rapportent toutes les parties de l'ouvrage, et par lequel il soit un. Cette unité doit régner dans le chant, dans le mouvement, dans le caractère, dans l'harmonie, dans la [-220-] modulation: il faut que tout cela se rapporte à une idée commune qui le réunisse. La difficulté est d'associer ces préceptes avec une élégante variété, sans laquelle tout devient ennuyeux. Sans doute le musicien, aussi-bien que le poète et le peintre, peut tout oser en faveur de cette variété charmante, pourvu que, sous prétexte de contraster, on ne nous donne pas pour des ouvrages bien dessinés des musiques toutes hachées, composées de petits morceaux étranglés, et de caractères si opposés, que l'assemblage en fasse un tout monstrueux:

Non ut placidis coeant immitia; non ut

Serpentes avibus geminentur, tigribus agni.

C'est donc dans une distribution bien entendue, dans une juste proportion entre toutes les parties, que consiste la perfection du dessin, et c'est surtout en ce point que l'immortel Pergolèse a montré son jugement, son goût, et a laissé si loin derrière lui tous ses rivaux. Son Stabat Mater, son Orfeo, sa Serva Padrona, sont, dans trois genres différents, trois chefs-d'oeuvre de dessin également parfaits.

Cette idée du dessin général d'un ouvrage s'applique aussi en particulier à chaque morceau qui le compose. Ainsi l'on dessine un air, un duo, un choeur, et cetera. Pour cela, après avoir imaginé son sujet, on le distribue, selon les règles d'une bonne modulation, dans toutes les parties où il doit être entendu, avec une telle proportion qu'il ne s'efface point de l'esprit des auditeurs, et qu'il ne se [-221-] représente pourtant jamais à leur oreille qu'avec les graces de la nouveauté. C'est une faute de dessin de laisser oublier son sujet; c'en est une plus grande de le poursuivre jusqu'à l'ennui.

Dessiner, verbe actif. Faire le dessin d'une pièce ou d'un morceau de musique. (Voyez Dessin.) Ce compositeur dessine bien ses ouvrages; voilà un choeur fort mal dessiné.

Dessus, substantif masculin. La plus aiguë des parties de la musique, celle qui règne au-dessus de toutes les autres. C'est dans ce sens qu'on dit, dans la musique instrumentale, dessus de violon, dessus de flûte ou de hautbois, et en général dessus de symphonie.

Dans la musique vocale, le dessus s'exécute par des voix de femmes, d'enfants, et encore par des castrati, dont la voix, par des rapports difficiles à concevoir, gagne une octave en haut, et en perd une en bas, au moyen de cette mutilation.

Le dessus se divise ordinairement en premier et second, et quelquefois même en trois. La partie vocale qui exécute le second dessus s'appelle bas-dessus, et l'on fait aussi des récits à voix seule pour cette partie. Un beau bas-dessus plein et sonore n'est pas moins estimé en Italie que les voix claires et aiguës; mais on n'en fait aucun cas en France. Cependant, par un caprice de la mode, j'ai vu fort applaudir à l'Opéra de Paris une mademoiselle Gondré, qui en effet avait un fort beau bas-dessus.

Détaché, participe pris substantivement. Genre d'exécution par lequel, au lieu de soutenir des [-222-] notes durant toute leur valeur, on les sépare par des silences pris sur cette même valeur. Le détaché tout-à-fait bref et sec, se marque sur les notes par des points allongés.

Détonner, verbe neutre. C'est sortir de l'intonation, c'est altérer mal à propos la justesse des intervalles, et par conséquent chanter faux. Il y a des musiciens dont l'oreille est si juste qu'ils ne détonnent jamais; mais ceux-là sont rares. Beaucoup d'autres ne détonnent point par une raison contraire; car pour sortir du ton il faudrait y être entré. Chanter sans clavecin, crier, forcer sa voix en haut ou en bas, et avoir plus d'égard au volume qu'à la justesse, sont des moyens presque sûrs de se gâter l'oreille et de détonner.

Diacommatique, adjectif. Nom donné par Monsieur Serre à une espèce de quatrième genre, qui consiste en certaines transitions harmoniques, par lesquelles la même note restant en apparence sur le même degré, monte ou descend d'un comma, en passant d'un accord à un autre avec lequel elle paraît faire liaison.

Par exemple, sur ce passage de basse 32/fa 27/re dans le mode majeur d'ut, le 80/la, tierce majeure de la première note, reste pour devenir quinte de re: or la quinte juste de 27/re ou de 54/re, n'est pas 80/la, mais 81/la; ainsi le musicien qui entonne le la doit naturellement lui donner les deux intonations consécutives 80/la 81/la, lesquelles diffèrent d'un comma.

[-223-] De même dans la Folie d'Espagne, au troisième temps de la troisième mesure: on peut y concevoir que la tonique 80/re monte d'un comma pour former la seconde 81/re du mode majeur d'ut, lequel se déclare dans la mesure suivante et se trouve ainsi subitement amené par ce paralogisme musical, par ce double emploi du re.

Lors encore que, pour passer brusquement du mode mineur de la en celui d'ut majeur, on change l'accord de septième diminuée sol dièse, si, re, fa, en accord de simple septième sol, si, re, fa, le mouvement chromatique du sol dièse au sol naturel est bien le plus sensible, mais il n'est pas le seul; le re monte aussi d'un mouvement diacommatique de 80/re à 81/re, quoique la note le suppose permanent sur le même degré.

On trouvera quantité d'exemples de ce genre diacommatique, particulièrement lorsque la modulation passe subitement du majeur au mineur, ou du mineur au majeur. C'est surtout dans l'adagio, ajoute Monsieur Serre, que les grands maîtres, quoique guidés uniquement par le sentiment, font usage de ce genre de transitions, si propre à donner à la modulation une apparence d'indécision, dont l'oreille et le sentiment éprouvent souvent des effets qui ne sont point équivoques.

Diacoustique, substantif féminin. C'est la recherche des propriétés du son réfracté en passant à travers différents milieux, c'est-à-dire d'un plus dense dans un plus rare, et au contraire. Comme les rayons [-224-] visuels se dirigent plus aisément que les sons par des lignes sur certains points, aussi les expériences de la diacoustique sont-elles infiniment plus difficiles que celles de la dioptrique. (Voyez Son.)

Ce mot est formé du grec [dia], par, et d'[akouo], j'entends.

Diagramme, substantif masculin. C'était, dans la musique ancienne, la table ou le modèle qui présentait à l'oeil l'étendue générale de tous les sons d'un système, ou ce que nous appelons aujourd'hui échelle, gamme, clavier. (Voyez ces mots. )

Dialogue, substantif masculin. Composition à deux voix ou deux instruments qui se répondent l'un à l'autre, et qui souvent se réunissent. La plupart des scènes d'opéra sont, en ce sens, des dialogues, et les duo italiens en sont toujours: mais ce mot s'applique plus précisément à l'orgue; c'est sur cet instrument qu'un organiste joue des dialogues, en se répondant avec différents jeux ou sur différents claviers.

Diapason, substantif masculin. Terme de l'ancienne musique par lequel les Grecs exprimaient l'intervalle ou la consonnance de l'octave. (Voyez Octave.)

Les facteurs d'instruments de musique nomment aujourd'hui diapasons certaines tables où sont marquées les mesures de ces instruments et de toutes leurs parties.

On appelle encore diapason l'étendue convenable à une voix ou à un instrument. Ainsi quand une voix se force, on dit qu'elle sort du diapason, et l'on dit la même chose d'un instrument dont les cordes sont trop lâches ou trop tendues, qui ne rend que [-225-] peu de son, ou qui rend un son désagréable, parce que le ton en est trop haut ou trop bas.

Ce mot est formé de [dia], par, et [pason], toutes; parce que l'octave embrasse toutes les notes du système parfait.

Diapente, substantif féminin. Nom donné par les Grecs à l'intervalle que nous appelons quinte, et qui est la seconde des consonnances. (Voyez Consonnance, Intervalle, Quinte.)

Ce mot est formé de [dia], par, et de [pente], cinq, parce qu'en parcourant cet intervalle diatoniquement on prononce cinq différents sons.

Diapenter, en latin Diapentissare, verbe neutre. Mot barbare employé par Muris et par nos anciens musiciens. (Voyez Quinter.)

Diaphonie, substantif féminin. Nom donné par les Grecs à tout intervalle ou accord dissonant, parce que les deux sons, se choquant mutellement, se divisent, pour ainsi dire, et font sentir désagréablement leur différence. Gui Arétin donne aussi le nom de diaphonie à ce qu'on a depuis appelé discant, à cause des deux parties qu'on y distingue.

Diaptose, intercidence ou petite chute, substantif féminin. C'est, dans le plain-chant, une sorte de périélèse ou de passage qui se fait sur la dernière note d'un chant, ordinairement après un grand intervalle en montant. Alors pour assurer la justesse de cette finale, on la marque deux fois, en séparant cette répétition par une troisième note, que l'on baisse d'un degré en manière de note sensible, comme ut si ut, ou mi re mi.

[-226-] Diaschisma, substantif masculin. C'est, dans la musique ancienne, un intervalle faisant la moitié du semi-ton mineur.

Le rapport en est de 24 à [sqrt] 600, et par conséquent irrationnel.

Diastème, substantif masculin. Ce mot, dans la musique ancienne, signifie proprement intervalle, et c'est le nom que donnaient les Grecs à l'intervalle simple, par opposition à l'intervalle composé, qu'ils appelaient système. (Voyez Intervalle, Système.)

Diatessaron. Nom que donnaient les Grecs à l'intervalle que nous appelons quarte, et qui est la troisième des consonnances. (Voyez Consonnance, Intervalle, Quarte.)

Ce mot est composé de [dia], par, et du génitif de [tessares], quatre, parce qu'en parcourant diatoniquement cet intervalle, on prononce quatre différents sons.

Diatesseroner, en latin Diatesseronare, verbe neutre. Mot barbare employé par Muris et par nos anciens musiciens. (Voyez Quarter.)

Diatonique, adjectif. Le genre diationique est celui des trois qui procède par tons et semi-tons majeurs, selon la division naturelle de la gamme, c'est-à-dire celui dont le moindre intervalle est d'un degré conjoint; ce qui n'empêche pas que les parties ne puissent procéder par de plus grands intervalles, pourvu qu'ils soient tous pris sur des degrés diatoniques.

Ce mot vient du grec [dia], par, et de [tonos], ton, c'est-à-dire passant d'un ton à un autre.

Le genre diatonique des Grecs résultait de l'une [-227-] des trois règles principales qu'ils avaient établies pour l'accord des tétracordes. Ce genre se divisait en plusieurs espèces, selon les divers rapports dans lesquels se pouvait diviser l'intervalle qui le déterminait; car cet intervalle ne pouvait se resserrer au-delà d'un certain point sans changer de genre. Ces diverses espèces du même genre sont appelées [chroas], couleurs, par Ptolomée, qui en distingue six; mais la seule en usage dans la pratique était celle qu'il appelle diatonique-ditonique, dont le tétracorde était composé d'un semi-ton faible et de deux tons majeurs. Aristoxène divise ce même genre en deux espèces seulement; savoir, le diatonique tendre ou mol, et le syntonique ou dur. Ce dernier revient au diatonique de Ptolomée. (Voyez les rapports de l'un et de l'autre, Planche M, figure 5. [ROUDIC4 13GF])

Le genre diatonique moderne résulte de la marche consonnante de la basse sur les cordes d'un même mode, comme on peut le voir par la figure 7 de la Planche K [ROUDIC4 11GF]. Les rapports en ont été fixés par l'usage des mêmes cordes en divers tons; de sorte que si l'harmonie a d'abord engendré l'échelle diatonique, c'est la modulation qui l'a modifiée; et cette échelle, telle que nous l'avons aujourd'hui, n'est exacte ni quant au chant ni quant à l'harmonie, mais seulement quant au moyen d'employer les mêmes sons à divers usages.

Le genre diatonique est sans contredit le plus naturel des trois, puisqu'il est le seul qu'on peut employer sans changer de ton; aussi l'intonation [-228-] en est-elle incomparablement plus aisée que celle des deux autres, et l'on ne peut guère douter que les premiers chants n'aient été trouvés dans ce genre: mais il faut remarquer que, selon les lois de la modulation, qui permet et qui prescrit même le passage d'un ton et d'un mode à l'autre, nous n'avons presque point, dans notre musique, de diatonique bien pur. Chaque ton particulier est bien, si l'on veut, dans le genre diatonique; mais on ne saurait passer de l'un à l'autre sans quelque transition chromatique, au moins sous-entendue dans l'harmonie. Le diatonique pur, dans lequel aucun des sons n'est altéré ni par la clef ni accidentellement, est appelé par Zarlin diatono-diatonique, et il en donne pour exemple le plain-chant de l'église. Si la clef est armée d'un bémol, pour lors c'est, selon lui, le diatonique mol, qu'il ne faut pas confondre avec celui d'Aristoxène. (Voyez Mol.) A l'égard de la transposition par dièse, cet auteur n'en parle point, et l'on ne la pratiquait pas encore de son temps. Sans doute il lui aurait donné le nom de diatonique dur, quand même il en aurait résulté un mode mineur, comme celui d'E la mi: car dans ces temps où l'on n'avait point encore les notions harmoniques de ce que nous appelons tons et modes, et où l'on avait déjà perdu les autres notions que les anciens attachaient aux mêmes mots, on regardait plus aux altérations particulières des notes qu'aux rapports généraux qui en résultaient. (Voyez Transposition.)

[-229-] Sons ou Cordes diatoniques. Euclide distingue sous ce nom, parmi les sons mobiles, ceux qui ne participent point du genre épais, même dans le chromatique et l'enharmonique. Ces sons, dans chaque genre, sont au nombre de cinq; savoir, le troisième de chaque tétracorde; et ce sont les mêmes que d'autres auteurs appellent apycni. (Voyez Apycni, Genre, Tétracorde.)

Diazeuxis, substantif féminin. Mot grec qui signifie division, séparation, disjonction. C'est ainsi qu'on appelait, dans l'ancienne musique, le ton qui séparait deux tétracordes disjoints, et qui, ajouté à l'un des deux, en formait la diapente. C'est notre ton majeur, dont le rapport est de 8 à 9, et qui est en effet la différence de la quinte à la quarte.

La diazeuxis se trouvait, dans leur musique, entre la mèse et la paramèse, c'est-à-dire entre le son le plus aigu du second tétracorde et le plus grave du troisième, ou bien entre la nète synnéménon et la paramèse hyperboléon, c'est-à-dire entre le troisième et le quatrième tétracorde, selon que la disjonction se faisait dans l'un ou dans l'autre lieu; car elle ne pouvait se pratiquer à la fois dans tous les deux.

Les cordes homologues des deux tétracordes entre lesquels il y avait diazeuxis sonnaient la quinte, au lieu qu'elles sonnaient la quarte quand ils étaient conjoints.

Diéser, verbe actif. C'est armer la clef de dièses, pour changer l'ordre et le lieu des semi-tons majeurs; ou donner à quelque note un dièse accidentel, [-230-] soit pour le chant, soit pour la modulation. (Voyez Dièse.)

Diésis, substantif masculin. C'est, selon le vieux Bacchius, le plus petit intervalle de l'ancienne musique. Zarlin dit que Philolaüs, pythagoricien, donna le nom de diésis au limma: mais il ajoute peu après que le diésis de Pythagore est la différence du limma et de l'apotome. Pour Aristoxène, il divisait sans beaucoup de façons le ton en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre. De cette dernière division résultait le dièse enharmonique mineur ou quart-de-ton; de la seconde, le dièse mineur chromatique ou le tiers d'un ton; et de la troisième, le dièse majeur qui faisait juste un demi-ton.

Dièse ou Diésis chez les modernes n'est pas proprement, comme chez les anciens, un intervalle de musique, mais un signe de cet intervalle, qui marque qu'il faut élever le son de la note devant laquelle il se trouve au-dessus de celui qu'elle devrait avoir naturellement, sans cependant la faire changer de degré ni même de nom. Or, comme cette élévation se peut faire du moins de trois manières dans les genres établis, il y a trois sortes de dièses; savoir:

Première Le dièse enharmonique mineur ou simple dièse, qui se figure par une croix de saint André, ainsi [signum]. Selon tous nos musiciens qui suivent la pratique d'Aristoxène, il élève la note d'un quart de ton; mais il n'est proprement que l'excès du semi-ton majeur sur le semi-ton mineur. Ainsi du mi naturel au fa bémol il y a un dièse enharmonique, [-231-] dont le rapport est de 125 à 128.

Seconde Le dièse chromatique, double dièse ou dièse ordinaire, marqué par une double croix [x], élève la note d'un semi-ton mineur. Cet intervalle est égal à celui du bémol, c'est-à-dire la différence du semi-ton majeur au ton mineur; ainsi, pour monter d'un ton depuis le mi naturel, il faut passer au fa dièse. Le rapport de ce dièse est de 24 à 25. (Voyez sur cet article une remarque essentielle au mot Semi-ton.)

Troisième Le dièse enharmonique majeur ou triple dièse, marqué par une croix triple [signum], élève, selon les aristoxéniens, la note d'environ trois quarts de ton. Zarlin dit qu'il l'élève d'un semi-ton mineur; ce qui ne saurait s'entendre de notre semi-ton, puisque alors ce dièse ne différerait en rien de notre dièse chromatique.

De ces trois dièses, dont les intervalles étaient tous pratiqués dans la musique ancienne, il n'y a plus que le chromatique qui soit en usage dans la nôtre, l'intonation des dièses enharmoniques étant pour nous d'une difficulté presque insurmontable, et leur usage étant d'ailleurs aboli par notre système tempéré.

Le dièse, de même que le bémol, se place toujours à gauche devant la note qui le doit porter; et devant ou après le chiffre, il signifie la même chose que devant une note. (Voyez Chiffres.) Les dièses qu'on mêle parmi les chiffres de la basse-continue ne sont souvent que de simples croix, comme le dièse enharmonique; mais cela ne saurait [-232-] causer d'équivoque, puisque celui-ci n'est plus en usage.

Il y a deux manières d'employer le dièse; l'une accidentelle, quand, dans le cours du chant, on le place à la gauche d'une note. Cette note, dans les modes majeurs, se trouve le plus communément la quatriéme du ton; dans les modes mineurs, il faut le plus souvent deux dièses accidentels, surtout en montant, savoir, un sur la sixième note, et un autre sur la septième. Le dièse accidentel n'altère que la note qui le suit immédiatement, ou tout au plus celles qui, dans la même mesure, se trouvent sur le même degré, et quelquefois à l'octave, sans aucun signe contraire.

L'autre manière est d'employer le dièse à la clef, et alors il agit dans toute la suite de l'air, et sur toutes les notes qui sont placées sur le même degré où est le dièse, à moins qu'il ne soit contrarié par quelque bémol ou bécarre, ou bien que la clef ne change.

La position des dièses à la clef n'est pas arbitraire, non plus que celle des bémols; autrement les deux semi-tons de l'octave seraient sujets à se trouver entre eux hors des intervalles prescrits. Il faut donc appliquer aux dièses un raisonnement semblable à celui que nous avons fait au bémol; et l'on trouvera que l'ordre des dièses qui convient à la clef est celui des notes suivantes, en commençant par fa et montant successivement de quinte, ou descendant de quarte jusqu'au la, auquel on s'arrête ordinairement, parce que le dièse du mi, [-233-] qui le suivrait, ne diffère point du fa sur nos claviers.

Ordre des dièses a la clef.

Fa, ut, sol, re, la, et cetera.

Il faut remarquer qu'on ne saurait employer un dièse à la clef sans employer aussi ceux qui le précèdent: ainsi le dièse de l'ut ne se pose qu'avec celui du fa, celui du sol qu'avec les deux précédents, et cetera.

J'ai donné au mot Clef transposée une formule pour trouver tout d'un coup si un ton ou mode doit porter des dièses à la clef, et combien.

Voilà l'acception du mot dièse, et son usage dans la pratique. Le plus ancien manuscrit où j'en aie vu le signe employé est celui de Jean de Muris; ce qui me fait croire qu'il pourrait bien être de son invention: mais il ne paraît avoir, dans ses exemples, que l'effet du bécarre; aussi cet auteur donne-t-il toujours le nom de diésis au semi-ton majeur.

On appelle dièses, dans les calculs harmoniques, certains intervalles plus grands qu'un comma, et moindres qu'un semi-ton, qui font la différence d'autres intervalles engendrés par les progressions et rapports des consonnances. Il y a trois de ces dièses: Premier le dièse majeur, qui est la différence du semi-ton majeur au semi-ton mineur, et dont le rapport est de 125 à 128; second le dièse mineur, qui est la différence du semi-ton mineur au dièse majeur; et en rapport de 3072 à 3125; troisième et le dièse maxime, [-234-] en rapport de 243 à 250, qui est la différence du ton mineur au semi-ton maxime. (Voyez Semi-ton.)

Il faut avouer que tant d'acceptions diverses du même mot dans le même art ne sont guère propres qu'à causer de fréquentes équivoques, et à produire un embrouillement continuel.

Diézeugménon, génitif féminin pluriel. Tétracorde diézeugménon ou des séparées, est le nom que donnaient les Grecs à leur troisième tétracorde quand il était disjoint d'avec le second. (Voyez Tétracorde.)

Diminué, adjectif. Intervalle diminué est tout intervalle mineur dont on retranche un semi-ton par un dièse à la note inférieure, ou par un bémol à la supérieure. A l'égard des intervalles justes que forment les consonnances parfaites, lorsqu'on les diminue d'un semi-ton, l'on ne doit point les appeler diminués, mais faux, quoiqu'on dise quelquefois mal à propos quarte diminuée, au lieu de dire fausse-quarte, et octave diminuée, au lieu de dire fausse-octave.

Diminution, substantif féminin. Vieux mot qui signifiait la division d'une note longue, comme une ronde ou une blanche, entre plusieurs autres notes de moindre valeur. On entendait encore par ce mot tous les fredons et autres passages qu'on a depuis appelés roulements ou roulades. (Voyez ces mots.)

Dioxie, substantif féminin. C'est, au rapport de Nicomaque, un nom que les anciens donnaient quelquefois à la consonnance de la quinte, qu'ils appelaient plus communément diapente. (Voyez Diapente.)

[-235-] Direct, adjectif. Un intervalle direct est celui qui fait un harmonique quelconque sur le son fondamental qui le produit: ainsi la quinte, la tierce majeure, l'octave, et leurs répliques, sont rigoureusement les seuls intervalles directs. Mais, par extension, l'on appelle encore intervalles directs tous les autres, tant consonnants que dissonants, que fait chaque partie avec le son fondamental pratique, qui est ou doit être au-dessous d'elle: ainsi la tierce mineure est un intervalle direct sur un accord en tierce mineure, et de même la septième ou la sixte ajoutée sur les accords qui portent leur nom.

Accord direct est celui qui a le son fondamental au grave, et dont les parties sont distribuées, non pas selon leur ordre le plus naturel, mais selon leur ordre le plus rapproché. Ainsi l'accord parfait direct n'est pas octave, quinte et tierce, mais tierce, quinte et octave.

Discant ou Déchant, substantif masculin. C'était, dans nos anciennes musiques, cette espèce de contre-point que composaient sur-le-champ les parties supérieures en chantant impromptu sur le tenor ou la basse; ce qui fait juger de la lenteur avec laquelle devait marcher la musique pour pouvoir être exécutée de cette manière par des musiciens aussi peu habiles que ceux de ce temps-là. "Discantat, dit Jean Muris, qui simul cum uno vel pluribus dulciter cantat, ut ex distinctis sonis sonus unus fiat, non unitate simplicitatis, sed dulcis concordisque mixtionis unione." Après avoir expliqué ce qu'il entend par consonnances et le choix qu'il convient [-236-] de faire entre elles, il reprend aigrement les chanteurs de son temps qui les pratiquaient presque indifféremment. "De quel front, dit-il, si nos règles sont bonnes, osent déchanter ou composer le discant ceux qui n'entendent rien au choix des accords, qui ne se doutent pas même de ceux qui sont plus ou moins concordants, qui ne savent ni desquels il faut s'abstenir, ni desquels on doit user le plus fréquemment, ni dans quels lieux il les faut employer, ni rien de ce qu'exige la pratique de l'art bien entendu? S'ils rencontrent, c'est par hasard: leurs voix errent sans règle sur le tenor: qu'elles s'accordent, si Dieu le veut; ils jettent leurs sons à l'aventure, comme la pierre que lance au but une main maladroite, et qui de cent fois le touche à peine une." Le bon magister Muris apostrophe ensuite ces corrupteurs de la pure et simple harmonie, dont son siècle abondait ainsi que le nôtre. "Heu! proh dolor! His temporibus aliqui suum defectum inepto proverbio colorare moliuntur. Iste est, inquiunt, novus discantandi modus, novis scilicet uti consonantiis. Offendunt ii intellectum eorum qui tales defectus agnoscunt, offendunt sensum; nam inducere cùm deberent delectationem, adducunt tristitiam. O incongruum proverbium! o mala coloratio! irrationabilis excusatio! o magnus abusus, magna ruditas, magna bestialitas, ut asinus sumatur pro homine, capra pro leone, ovis pro pisce, serpens pro salmone! Sic enim concordiae confunduntur cum discordiis, ut nullatenùs [-237-] una distinguatur ab aliâ. O! si antiqui periti musicae doctores tales audissent discantatores, quid dixissent? quid fecissent? Sic discantantem increparent, et dicerent: Non hunc discantum quo uteris de me sumis. Non tuum cantum unum et concordantem cum me facis. De quo te intromittis? Mihi non congruis, mihi adversarius, scandalum tu mihi es; ô utinam taceres! Non concordas, sed deliras et discordas."

Discordant, adjectif. On appelle ainsi tout instrument dont on joue et qui n'est pas d'accord, toute voix qui chante faux, toute partie qui ne s'accorde pas avec les autres. Une intonation qui n'est pas juste fait un ton faux. Une suite de tons faux fait un chant discordant: c'est la différence de ces deux mots.

Disdiapason, substantif masculin. Nom que donnaient les Grecs à l'intervalle que nous appelons double octave.

Le disdiapason est à peu près la plus grande étendue que puissent parcourir les voix humaines sans se forcer: il y en a même assez peu qui l'entonnent bien pleinement. C'est pourquoi les Grecs avaient borné chacun de leurs modes à cette étendue, et lui donnaient le nom de système parfait. (Voyez Mode, Genre, Système.)

Disjoint, adjectif. Les Grecs donnaient le nom relatif de disjoints à deux tétracordes qui se suivaient immédiatement, lorsque la corde la plus grave de l'aigu était un ton au-dessus de la plus aiguë du grave, au lieu d'être la même. Ainsi les deux tétracordes hypaton et diézeugménon étaient disjoints, [-238-] et les deux tétracordes synnéménon et hyperboléon l'étaient aussi. (Voyez Tétracorde.)

On donne parmi nous le nom de disjoints aux intervalles qui ne se suivent pas immédiatement, mais sont séparés par un autre intervalle. Ainsi ces deux intervalles ut mi et sol si sont disjoints. Les degrés qui ne sont pas conjoints, mais qui sont composés de deux ou plusieurs degrés conjoints, s'appellent aussi degrés disjoints. Ainsi chacun des deux intervalles dont je viens de parler forme un degré disjoint.

Disjonction. C'était, dans l'ancienne musique, l'espace qui séparait la mèse de la paramèse, ou en général un tétracorde du tétracorde voisin, lorsqu'ils n'étaient pas conjoints. Cet espace était d'un ton, et s'appelait en grec diazeuxis.

Dissonance, substantif féminin. Tout son qui forme avec un autre un accord désagréable à l'oreille, ou mieux tout intervalle qui n'est pas consonnant. Or, comme il n'y a point d'autres consonnances que celles que forment entre eux et avec le fondamental les sons de l'accord parfait, il s'ensuit que tout autre intervalle est une véritable dissonance; même les anciens comptaient pour telles les tierces et les sixtes qu'ils retranchaient des accords consonnants.

Le terme de dissonance vient de deux mots, l'un grec, l'autre latin, qui signifient sonner à double. En effet, ce qui rend la dissonance désagréable est que les sons qui la forment, loin de s'unir à l'oreille, se repoussent, pour ainsi dire, et sont [-239-] entendus par elle comme deux sons distincts, quoique frappés à la fois.

On donne le nom de dissonance tantôt à l'intervalle et tantôt à chacun des deux sons qui le forment. Mais quoique deux sons dissonent entre eux, le nom de dissonance se donne plus spécialement à celui des deux qui est étranger à l'accord.

Il y a une infinité de dissonances possibles; mais comme, dans la musique, on exclut tous les intervalles que le système reçu ne fournit pas, elles se réduisent à un petit nombre; encore pour la pratique ne doit-on choisir parmi celles-là que celles qui conviennent au genre et au mode, et enfin exclure même de ces dernières celles qui ne peuvent s'employer selon les règles prescrites. Quelles sont ces règles? ont-elles quelque fondement naturel, ou sont-elles purement arbitraires? Voilà ce que je me propose d'examiner dans cet article.

Le principe physique de l'harmonie se tire de la production de l'accord parfait par la résonnance d'un son quelconque; toutes les consonnances en naissent, et c'est la nature même qui les fournit. Il n'en va pas ainsi de la dissonance, du moins telle que nous la pratiquons. Nous trouvons bien, si l'on veut, sa génération dans les progressions des intervalles consonnants et dans leurs différences, mais nous n'apercevons pas de raison physique qui nous autorise à l'introduire dans le corps même de l'harmonie. Le Père Mersenne se contente de montrer la génération par le calcul et les divers [-240-] rapports des dissonances, tant de celles qui sont rejetées, que de celles qui sont admises; mais il ne dit rien du droit de les employer. Monsieur Rameau dit en termes formels que la dissonance n'est pas naturelle à l'harmonie, et qu'elle n'y peut être employée que par le secours de l'art; cependant, dans un autre ouvrage, il essaie d'en trouver le principe dans les rapports des nombres et les proportions harmonique et arithmétique, comme s'il y avait quelque identité entre les propriétés de la quantité abstraite et les sensations de l'ouïe: mais après avoir bien épuisé des analogies, après bien des métamorphoses de ces diverses proportions les unes dans les autres, après bien des opérations et d'inutiles calculs, il finit par établir, sur de légères convenances, la dissonance qu'il s'est tant donné de peine à chercher. Ainsi, parce que dans l'ordre des sons harmoniques la proportion arithmétique lui donne, par les longueurs des cordes, une tierce mineure au grave (remarquez qu'elle la donne à l'aigu par le calcul des vibrations), il ajoute au grave de la sous-dominante une nouvelle tierce mineure. La proportion harmonique lui donne une tierce mineure à l'aigu (elle la donnerait au grave par les vibrations), et il ajoute à l'aigu de la dominante une nouvelle tierce mineure. Ces tierces ainsi ajoutées ne font point, il est vrai, de proportions avec les rapports précédents; les rapports mêmes qu'elles devraient avoir se trouvent altérés: mais n'importe; Monsieur Rameau fait tout valoir pour le mieux; la proportion lui sert pour introduire [-241-] la dissonance, et le défaut de proportion pour la faire sentir.

L'illustre géomètre qui a daigné interpréter au public le système de Monsieur Rameau ayant supprimé tous ces vains calculs, je suivrai son exemple, ou plutôt je transcrirai ce qu'il dit de la dissonance: et Monsieur Rameau me devra des remerciements d'avoir tiré cette explication des Éléments de musique, plutôt que de ses propres écrits.

Supposant qu'on connaisse les cordes essentielles du ton selon le système de Monsieur Rameau, savoir, dans le ton d'ut, la tonique ut, la dominante sol, et la sous-dominante fa, on doit savoir aussi que ce même ton d'ut a les deux cordes ut et sol communes avec le ton de sol, et les deux cordes ut et fa communes avec le ton de fa. Par conséquent cette marche de basse ut sol peut appartenir au ton d'ut ou au ton de sol, comme la marche de basse fa ut ou ut fa peut appartenir au ton d'ut ou au ton de fa. Donc quand on passe d'ut à fa ou à sol dans une basse fondamentale, on ignore encore jusque là dans quel ton l'on est; il serait pourtant avantageux de le savoir, et de pouvoir par quelque moyen distinguer le générateur de ses quintes.

On obtiendra cet avantage en joignant ensemble les sons sol et fa dans une même harmonie, c'est-à-dire en joignant à l'harmonie sol si re de la quinte sol l'autre quinte fa, en cette manière, sol si re fa; ce fa ajouté étant la septième de sol fait dissonance; c'est pour cette raison que l'accord sol si re fa est appelé accord dissonant ou accord de septième: il [-242-] sert à distinguer la quinte sol du générateur ut, qui porte toujours sans mélange et sans altération l'accord parfait ut mi sol ut, donné par la nature même. (Voyez Accord, Consonnance, Harmonie.) Par là on voit que quand on passe d'ut à sol, on passe en même temps d'ut à fa, parce que le fa se trouve compris dans l'accord de sol, et le ton d'ut se trouve par ce moyen entièrement déterminé, parce qu'il n'y a que ce ton seul auquel les sons fa et sol appartiennent à la fois.

Voyons maintenant, continue Monsieur d'Alembert, ce que nous ajouterons à l'harmonie fa la ut de la quinte fa au-dessous du générateur, pour distinguer cette harmonie de celle de ce même générateur. Il semble d'abord que l'on doive y ajouter l'autre quinte sol, afin que le générateur ut passant à fa passe en même temps à sol, et que le ton soit déterminé par là; mais cette introduction de sol dans l'accord fa la ut donnerait deux secondes de suite, fa sol, sol la, c'est-à-dire deux dissonances dont l'union serait trop désagréable à l'oreille: inconvénient qu'il faut éviter; car si, pour distinguer le ton, nous altérons l'harmonie de cette quinte fa, il ne faut l'altérer que le moins qu'il est possible.

C'est pourquoi, au lieu de sol, nous prendrons sa quinte re, qui est le son qui en approche le plus; et nous aurons pour la sous-dominante fa l'accord fa la ut re, qu'on appelle accord de grande-sixte ou sixte-ajoutée.

On peut remarquer ici l'analogie qui s'observe [-243-] entre l'accord de la dominante sol et celui de la sous-dominante fa.

La dominante sol, en montant au-dessus du générateur, a un accord tout composé de tierces en montant depuis sol; sol si re fa. Or la sous-dominante fa étant au-dessous du générateur ut, on trouvera, en descendant d'ut vers fa par tierces, ut la fa re, qui contient les mêmes sons que l'accord fa la ut re donne à la sous-dominante fa.

On voit de plus que l'altération de l'harmonie des deux quintes ne consiste que dans la tierce mineure re fa ou fa re, ajoutée de part et d'autre à l'harmonie de ces deux quintes.

Cette explication est d'autant plus ingénieuse qu'elle montre à la fois l'origine, l'usage, la marche de la dissonance, son rapport intime avec le ton, et le moyen de déterminer réciproquement l'un par l'autre. Le défaut que j'y trouve, mais défaut essentiel qui fait tout crouler, c'est l'emploi d'une corde étrangère au ton, comme corde essentielle du ton, et cela par une fausse analogie qui, servant de base au système de Monsieur Rameau, le détruit en s'évanouissant.

Je parle de cette quinte au-dessous de la tonique, de cette sous-dominante, entre laquelle et la tonique on n'aperçoit pas la moindre liaison qui puisse autoriser l'emploi de cette sous-dominante, non-seulement comme corde essentielle du ton, mais même en quelque qualité que ce puisse être. En effet qu'y a-t-il de commun entre la résonnance, le frémissement des unissons d'ut, et le son de sa quinte en-dessous? Ce n'est point parce que la corde [-244-] entière est un fa que ses aliquotes résonnent au son d'ut, mais parce qu'elle est un multiple de la corde ut; et il n'y a aucun des multiples de ce même ut qui ne donne un semblable phénomène. Prenez le septuple, il frémira et résonnera dans ses parties ainsi que le triple: est-ce à dire que le son de ce septuple ou ses octaves soient des cordes essentielles du ton? tant s'en faut, puisqu'il ne forme pas même avec la tonique un rapport commensurable en notes.

Je sais que Monsieur Rameau a prétendu qu'au son d'une corde quelconque une autre corde à sa douzième en dessous frémissait sans résonner; mais outre que c'est un étrange phénomène en acoustique qu'une corde sonore qui vibre et ne résonne pas, il est maintenant reconnu que cette prétendue expérience est une erreur, que la corde grave frémit parce qu'elle se partage, et qu'elle paraît ne pas résonner parce qu'elle ne rend dans ses parties que l'unisson de l'aigu, qui ne se distingue pas aisément.

Que Monsieur Rameau nous dise donc qu'il prend la quinte en dessous, parce qu'il trouve la quinte en dessus, et que ce jeu des quintes lui paraît commode pour établir son système, on pourra le féliciter d'une ingénieuse invention; mais qu'il ne l'autorise point d'une expérience chimérique, qu'il ne se tourmente point à chercher dans les renversements des proportions harmonique et arithmétique les fondements de l'harmonie, ni à prendre les propriétés des nombres pour celles des sons.

Remarquez encore que si la contre-génération qu'il suppose pouvait avoir lieu, l'accord de la sous-dominante [-245-] fa ne devrait point porter une tierce majeure, mais mineure, parce que le la bémol est l'harmonique véritable qui lui est assigné par ce renversement 1/ut 1/3/fa 1/5/la [rob]. De sorte qu'à ce compte la gamme du mode majeur devrait avoir naturellement la sixte mineure; mais elle l'a majeure, comme quatrième quinte ou comme quinte de la seconde note: ainsi voilà encore une contradiction.

Enfin remarquez que la quatrième note donnée par la série des aliquotes, d'où naît le vrai diatonique naturel, n'est point l'octave de la prétendue sous-dominante dans le rapport de 4 à 3, mais une autre quatrième note toute différente dans le rapport de 11 à 8, ainsi que tout théoricien doit l'apercevoir au premier coup d'oeil.

J'en appelle maintenant à l'expérience et à l'oreille des musiciens. Qu'on écoute combien la cadence imparfaite de la sous-dominante à la tonique est dure et sauvage en comparaison de cette même cadence dans sa place naturelle, qui est de la tonique à la dominante. Dans le premier cas peut-on dire que l'oreille ne désire plus rien après l'accord de la tonique? n'attend-on pas, malgré qu'on en ait, une suite ou une fin? Or qu'est-ce qu'une tonique après laquelle l'oreille désire quelque chose? peut-on la regarder comme une véritable tonique, et n'est-on pas alors réellement dans le ton de fa, tandis qu'on pense être dans celui d'ut? Qu'on observe combien l'intonation diatonique et successive de la quatrième note et de la note sensible, tant [-246-] en montant qu'en descendant, paraît étrangère au mode et même pénible à la voix. Si la longue habitude y accoutume l'oreille et la voix du musicien, la difficulté des commençants à entonner cette note doit lui montrer assez combien elle est peu naturelle. On attribue cette difficulté aux trois tons consécutifs; ne devrait-on pas voir que ces trois tons consécutifs, de même que la note qui les introduit, donnent une modulation barbare qui n'a nul fondement dans la nature? Elle avait assurément mieux guidé les Grecs lorsqu'elle leur fit arrêter leur tétracorde précisément au mi de notre échelle, c'est-à-dire à la note qui précède cette quatrième: ils aimèrent mieux prendre cette quatrième en dessous, et ils trouvèrent ainsi avec leur seule oreille ce que toute notre théorie harmonique n'a pu encore nous faire apercevoir.

Si le témoignage de l'oreille et celui de la raison se réunissent, au moins dans le système donné, pour rejeter la prétendue sous-dominante non-seulement du nombre des cordes essentielles du ton, mais du nombre des sons qui peuvent entrer dans l'échelle du mode, que devient toute cette théorie des dissonances? que devient l'explication du mode mineur? que devient tout le système de Monsieur Rameau?

N'apercevant donc ni dans la physique ni dans le calcul la véritable génération de la dissonance, je lui cherchais une origine purement mécanique; et c'est de la manière suivante que je tâchais de l'expliquer dans l'Encyclopédie, sans m'écarter du système pratique de Monsieur Rameau.

[-247-] Je suppose la nécessité de la dissonance reconnue. (Voyez Harmonie et Cadence.) Il s'agit de voir où l'on doit prendre cette dissonance et comment il faut l'employer.

Si l'on compare successivement tous les sons de l'échelle diatonique avec le son fondamental dans chacun des deux modes, on n'y trouvera pour toute dissonance que la seconde et la septième, qui n'est qu'une seconde renversée, et qui fait réellement seconde avec l'octave. Que la septième soit renversée de la seconde, et non la seconde de la septième, c'est ce qui est évident par l'expression des rapports; car celui de la seconde 8, 9, étant plus simple que celui de la septième 9, 16, l'intervalle qu'il représente n'est pas par conséquent l'engendré, mais le générateur.

Je sais bien que d'autres intervalles altérés peuvent devenir dissonants; mais si la seconde ne s'y trouve pas exprimée ou sous-entendue, ce sont seulement des accidents de modulation auxquels l'harmonie n'a aucun égard, et ces dissonances ne sont point alors traitées comme telles. Ainsi c'est une chose certaine qu'où il n'y a point de seconde il n'y a point de dissonance; et la seconde est proprement la seule dissonance qu'on puisse employer.

Pour réduire toutes les consonnances à leur moindre espace ne sortons point des bornes de l'octave, elles y sont toutes contenues dans l'accord parfait. Prenons donc cet accord parfait, sol si re sol, et voyons en quel lieu de cet accord, que je ne suppose encore dans aucun ton, nous pourrions [-248-] placer une dissonance, c'est-à-dire une seconde, pour la rendre le moins choquante à l'oreille qu'il est possible. Sur le la entre le sol et le si elle ferait une seconde avec l'un et avec l'autre, et par conséquent dissonerait doublement. Il en serait de même entre le si et le re, comme entre tout intervalle de tierce: reste l'intervalle de quarte entre le re et le sol. Ici l'on peut introduire un son de deux manières: première on peut ajouter la note fa, qui fera seconde avec le sol et tierce avec le re; seconde ou la note mi, qui fera seconde avec le re et tierce avec le sol. Il est évident qu'on aura de chacune de ces deux manières la dissonance la moins dure qu'on puisse trouver; car elle ne dissonera qu'avec un seul son, et elle engendrera une nouvelle tierce, qui, aussi-bien que les deux précédentes, contribuera à la douceur de l'accord total. D'un côté nous aurons l'accord de septième, et de l'autre celui de sixte ajoutée, les deux seuls accords dissonants admis dans le système de la basse-fondamentale.

Il ne suffit pas de faire entendre la dissonance, il faut la résoudre: vous ne choquez d'abord l'oreille que pour la flatter ensuite plus agréablement. Voilà deux sons joints: d'un côté la quinte et la sixte, de l'autre la septième et l'octave: tant qu'ils feront ainsi la seconde, ils resteront dissonants; mais que les parties qui les font entendre s'éloignent d'un degré, que l'une monte ou que l'autre descende diatoniquement, votre seconde de part et d'autre sera devenue une tierce; c'est-à-dire une des plus agréables consonnances. Ainsi après sol [-249-] fa vous aurez sol mi ou fa la; et après re mi, mi ut ou re fa: c'est ce qu'on appelle sauver la dissonance.

Reste à déterminer lequel des deux sons joints doit monter ou descendre, et lequel doit rester en place: mais le motif de détermination saute aux yeux. Que la quinte ou l'octave restent comme cordes principales, que la sixte monte et que la septième descende, comme sons accessoires, comme dissonances. De plus, si, des deux sons joints, c'est à celui qui a le moins de chemin à faire de marcher par préférence, le fa descendra encore sur le mi après la septième, et le mi de l'accord de sixte ajoutée montera sur le fa; car il n'y a point d'autre marche plus courte pour sauver la dissonance.

Voyons maintenant quelle marche doit faire le son fondamental relativement au mouvement assigné à la dissonance. Puisque l'un des deux sons joints reste en place, il doit faire liaison dans l'accord suivant. L'intervalle que doit former la basse-fondamentale en quittant l'accord, doit donc être déterminé sur ces deux conditions: première que l'octave du son fondamental précédent puisse rester en place après l'accord de septième, la quinte après l'accord de sixte-ajoutée; seconde que le son sur lequel se résout la dissonance soit un des harmoniques de celui auquel passe la basse-fondamentale. Or le meilleur mouvement de la basse étant par intervalle de quinte, si elle descend de quinte dans le premier cas, ou qu'elle monte de quinte dans le second, toutes les conditions seront parfaitement [-250-] remplies, comme il est évident par la seule inspection de l'exemple, Planche A, figure 9. [ROUDIC4 02GF]

De là on tire un moyen de connaître à quelle corde du ton chacun de ces deux accords convient le mieux. Quelles sont dans chaque ton les deux cordes les plus essentielles? c'est la tonique et la dominante. Comment la basse peut-elle marcher en descendant de quinte sur deux cordes essentielles du ton? c'est en passant de la dominante à la tonique: donc la dominante est la corde à laquelle convient le mieux l'accord de septième. Comment la basse en montant de quinte peut-elle marcher sur deux cordes essentielles du ton? c'est en passant de la tonique à la dominante: donc la tonique est la corde à laquelle convient l'accord de sixte-ajoutée. Voilà pourquoi, dans l'exemple, j'ai donné un dièse au fa de l'accord qui suit celui-là; car le re étant dominante tonique, doit porter la tierce majeure. La basse peut avoir d'autres marches; mais ce sont là les plus parfaites, et les deux principales cadences. (Voyez Cadence.)

Si l'on compare ces deux dissonances avec le son fondamental, on trouve que celle qui descend est une septième mineure, et celle qui monte une sixte majeure, d'où l'on tire cette nouvelle règle que les dissonances majeures doivent monter et les mineures descendre; car en général un intervalle majeur a moins de chemin à faire en montant, et un intervalle mineur en descendant, et en général aussi, dans les marches diatoniques, les moindres intervalles sont à préférer.

[-251-] Quand l'accord de septième porte tierce majeure, cette tierce fait avec la septième une autre dissonance, qui est la fausse quinte, ou, par renversement, le triton. Cette tierce vis-à-vis de la septième s'appelle encore dissonance majeure, et il lui est prescrit de monter, mais c'est en qualité de note sensible; et sans la seconde, cette prétendue dissonance n'existerait point ou ne serait point traitée comme telle.

Une observation qu'il ne faut pas oublier est que les deux seules notes de l'échelle qui ne se trouvent point dans les harmoniques des deux cordes principales ut et sol, sont principalement celles qui s'y trouvent introduites par la dissonance, et achèvent par ce moyen la gamme diatonique, qui sans cela serait imparfaite: ce qui explique comment le fa et le la, quoique étrangers au mode, se trouvent dans son échelle, et pourquoi leur intonation, toujours rude malgré l'habitude, éloigne l'idée du ton principal.

Il faut remarquer encore que ces deux dissonances, savoir, la sixte majeure et la septième mineure, ne diffèrent que d'un semi-ton, et différeraient encore moins si les intervalles étaient bien justes. A l'aide de cette observation l'on peut tirer du principe de la résonnance une origine très-approchée de l'une et de l'autre, comme je vais le montrer.

Les harmoniques qui accompagnent un son quelconque ne se bornent pas à ceux qui composent l'accord parfait: il y en a une infinité [-252-] d'autres moins sensibles à mesure qu'ils deviennent plus aigus et leurs rapports plus composés, et ces rapports sont exprimés par la série naturelle des aliquotes 1/2 1/3 1/4 1/5 1/6 1/7, et cetera. Les six premiers termes de cette série donnent les sons qui composent l'accord parfait et ses répliques; le septième en est exclus: cependant ce septième terme entre comme eux dans la résonnance totale du son générateur, quoique moins sensiblement; mais il n'y entre point comme consonnance; il y entre donc comme dissonance, et cette dissonance est donnée par la nature. Reste à voir son rapport avec celles dont je viens de parler.

Or, ce rapport est intermédiaire entre l'un et l'autre, et fort rapproché de tous deux; car le rapport de la sixte majeure est 3/5, et celui de la septième mineure 9/16. Ces deux rapports réduits aux mêmes termes sont 48/80 et 45/80.

Le rapport de l'aliquote 1/7 rapproché au simple par ses octaves est 4/7, et ce rapport réduit au même terme avec les précédents, se trouve intermédiaire entre les deux de cette manière 336/562 320/560 315/560, où l'on voit que ce rapport moyen ne diffère de la sixte majeure que d'un 1/35 ou à peu près deux comma, et de la septième mineure que d'un 1/112, qui est beaucoup moins qu'un comma. Pour employer les mêmes sons dans le genre diatonique et dans divers modes, il a fallu les altérer; mais cette altération n'est pas assez grande pour nous faire perdre la trace de leur origine.

J'ai fait voir, au mot Cadence, comment l'introduction [-253-] de ces deux principales dissonances, la septième et la sixte-ajoutée, donne le moyen de lier une suite d'harmonie en la faisant monter ou descendre à volonté par l'entrelacement des dissonances.

Je ne parle point ici de la préparation de la dissonance, moins parce qu'elle a trop d'exceptions pour en faire une règle générale, que parce que ce n'en est pas ici le lieu. (Voyez Préparer.) A l'égard des dissonances par supposition ou par suspension, voyez aussi ces deux mots. Enfin je ne dis rien non plus de la septième diminuée, accord singulier dont j'aurai occasion de parler au mot Enharmonique.

Quoique cette manière de concevoir la dissonance en donne une idée assez nette, comme cette idée n'est point tirée du fond de l'harmonie, mais de certaines convenances entre les parties, je suis bien éloigné d'en faire plus de cas qu'elle ne mérite, et je ne l'ai jamais donnée que pour ce qu'elle valait; mais on avait jusqu'ici raisonné si mal sur la dissonance, que je ne crois pas avoir fait en cela pis que les autres. Monsieur Tartini est le premier, et jusqu'à présent le seul qui ait déduit une théorie des dissonances des vrais principes de l'harmonie. Pour éviter d'inutiles répétitions, je renvoie là-dessus au mot Système, où j'ai fait l'exposition du sien. Je m'abstiendrai de juger s'il a trouvé ou non celui de la nature; mais je dois remarquer au moins que les principes de cet auteur paraissent avoir dans leurs conséquences cette universalité [-254-] et cette connexion qu'on ne trouve guère que dans ceux qui mènent à la vérité.

Encore une observation avant de finir cet article. Tout intervalle commensurable est réellement consonnant; il n'y a de vraiment dissonants que ceux dont les rapports sont irrationnels; car il n'y a que ceux-là auxquels on ne puisse assigner aucun son fondamental commun. Mais passé le point où les harmoniques naturels sont encore sensibles, cette consonnance des intervalles commensurables ne s'admet plus que par induction. Alors ces intervalles font bien partie du système harmonique, puisqu'ils sont dans l'ordre de sa génération naturelle et se rapportent au son fondamental commun; mais ils ne peuvent être admis comme consonnants par l'oreille, parce qu'elle ne les aperçoit point dans l'harmonie naturelle du corps sonore. D'ailleurs plus l'intervalle se compose, plus il s'élève à l'aigu du son fondamental: ce qui se prouve par la génération réciproque du son fondamental et des intervalles supérieurs. (Voyez le système de Monsieur Tartini.) Or, quand la distance du son fondamental au plus aigu de l'intervalle générateur ou engendré excède l'étendue du système musical ou appréciable, tout ce qui est au-delà de cette étendue devant être censé nul, un tel intervalle n'a point de fondement sensible, et doit être rejeté de la pratique, ou seulement admis comme dissonant. Voilà, non le système de Monsieur Rameau, ni celui de Monsieur Tartini, ni le mien, mais le texte de la nature, qu'au reste je n'entreprends pas d'expliquer.

[-255-] Dissonance majeure, est celle qui se sauve en montant. Cette dissonance n'est telle que relativement à la dissonance mineure; car elle fait tierce ou sixte majeure sur le vrai son fondamental, et n'est autre que la note sensible dans un accord dominant, ou la sixte-ajoutée dans son accord.

Dissonance mineure, est celle qui se sauve en descendant: c'est toujours la dissonance proprement dite, c'est-à-dire la septième du vrai son fondamental.

La dissonance majeure est aussi celle qui se forme par un intervalle superflu, et la dissonance mineure est celle qui se forme par un intervalle diminué. Ces diverses acceptions viennent de ce que le mot même de dissonance est équivoque, et signifie quelquefois un intervalle et quelquefois un simple son.

Dissonant, participle. (Voyez Dissoner.)

Dissoner, verbe neutre. Il n'y a que les sons qui dissonent, et un son dissone quand il forme dissonance avec un autre son. On ne dit pas qu'un intervalle dissone, on dit qu'il est dissonant.

Dithyrambe, substantif masculin. Sorte de chanson grecque en l'honneur de Bacchus, laquelle se chantait sur le mode phrygien, et se sentait du feu et de la gaieté qu'inspire le dieu auquel elle était consacrée. Il ne faut pas demander si nos littérateurs modernes, toujours sages et compassés, se sont récriés sur la fougue et le désordre des dithyrambes. C'est fort mal fait sans doute de s'enivrer, surtout en l'honneur de la divinité; mais j'aimerais mieux encore être ivre moi-même que de n'avoir que ce sot bon sens qui [-256-] mesure sur la froide raison tous les discours d'un homme échauffé par le vin.

Diton, substantif masculin. C'est, dans la musique grecque, un intervalle composé de deux tons, c'est-à-dire une tierce majeure. (Voyez Intervalle, Tierce.)

Divertissement, substantif masculin. C'est le nom qu'on donne à certains recueils de danses et de chansons qu'il est de règle à Paris d'insérer dans chaque acte d'un opéra, soit ballet, soit tragédie; divertissement importun dont l'auteur a soin de couper l'action dans quelque moment intéressant, et que les acteurs assis et les spectateurs debout ont la patience de voir et d'entendre.

Dix-huitième, substantif féminin. Intervalle qui comprend dix-sept degrés conjoints, et par conséquent dix-huit sons diatoniques, en comptant les deux extrêmes. C'est la double-octave de la quarte. (Voyez Quarte.)

Dixième, substantif féminin. Intervalle qui comprend neuf degrés conjoints, et par conséquent dix sons diatoniques, en comptant les deux qui le forment. C'est l'octave de la tierce ou la tierce de l'octave; et la dixième est majeure ou mineure, comme l'intervalle simple, dont elle est la réplique. (Voyez Tierce.)

Dix-neuvième, substantif féminin. Intervalle qui comprend dix-huit degrés conjoints, et par conséquent dix-neuf sons diatoniques, en comptant les deux extrêmes. C'est la double-octave de la quinte. (Voyez Quinte.)

Dix-septième, substantif féminin. Intervalle qui comprend seize degrés conjoints, et par conséquent dix-sept sons diatoniques, en comptant les deux extrêmes. C'est [-257-] la double-octave de la tierce; et la dix-septième est majeure ou mineure comme elle.

Toute corde sonore rend avec le son principal celui de sa dix-septième majeure, plutôt que celui de sa tierce simple ou de sa dixième, parce que cette dix-septième est produite par une aliquote de la corde entière, savoir, la cinquième partie; au lieu que les <4/5> que donnerait la tierce, ni les 2/5 que donnerait la dixième, ne sont pas une aliquote de cette même corde. (Voyez Son, Intervalle, Harmonie.)

Do. Syllabe que les Italiens substituent en solfiant à celle d'ut, dont ils trouvent le son trop sourd. Le même motif a fait entreprendre à plusieurs personnes, et entre autres à Monsieur Sauveur, de changer les noms de toutes les syllabes de notre gamme; mais l'ancien usage a toujours prévalu parmi nous. C'est peut-être un avantage; il est bon de s'accoutumer à solfier par des syllabes sourdes, quand on n'en a guère de plus sonores à leur substituer dans le chant.

Dodécacorde. C'est le titre donné par Henri Glaréan à un gros livre de sa composition, dans lequel, ajoutant quatre nouveaux tons aux huit usités de son temps, et qui restent encore aujourd'hui dans le chant ecclésiastique romain, il pense avoir rétabli dans leur pureté les douze modes d'Aristoxène, qui cependant en avait treize; mais cette prétention a été réfutée par J. B. Doni, dans son Traité des Genres et des Modes.

Doigter, verbe neutre. C'est faire marcher d'une manière convenable et régulière les doigts sur quelque instrument, [-258-] et principalement sur l'orgue ou le clavecin, pour en jouer le plus facilement et le plus nettement qu'il est possible.

Sur les instruments à manche, tels que le violon et le violoncelle, la plus grande règle du doigter consiste dans les diverses positions de la main gauche sur le manche; c'est par là que les mêmes passages peuvent devenir faciles ou difficiles, selon les positions et selon les cordes sur lesquelles on peut prendre ces passages; c'est quand un symphoniste est parvenu à passer rapidement, avec justesse et précision, par toutes ces différentes positions, qu'on dit qu'il possède bien son manche. (Voyez Position.)

Sur l'orgue ou le clavecin, le doigter est autre chose. Il y a deux manières de jouer sur ces instruments; savoir, l'accompagnement et les pièces. Pour jouer des pièces, on a égard à la facilité de l'exécution et à la bonne grace de la main. Comme il y a un nombre excessif de passages possibles dont la plupart demandent une manière particulière de faire marcher les doigts, et que d'ailleurs chaque pays et chaque maître a sa règle, il faudrait sur cette partie des détails que cet ouvrage ne comporte pas, et sur lesquels l'habitude et la commodité tiennent lieu de règles, quand une fois on a la main bien posée. Les préceptes généraux qu'on peut donner sont, premier de placer les deux mains sur le clavier, de manière qu'on n'ait rien de gêné dans l'attitude: ce qui oblige d'exclure communément le pouce de la main droite, parce que les deux pouces posés sur le clavier, et principalement sur les touches [-259-] blanches, donneraient aux bras une situation contrainte et de mauvaise grace. Il faut observer aussi que les coudes soient un peu plus élevés que le niveau du clavier, afin que la main tombe comme d'elle-même sur les touches, ce qui dépend de la hauteur du siége; second de tenir le poignet à peu près à la hauteur du clavier, c'est-à-dire au niveau du coude; les doigts écartés de la largeur des touches, et un peu recourbés sur elles, pour être prêts à tomber sur des touches différentes; troisième de ne point porter successivement le même doigt sur deux touches consécutives, mais d'employer tous les doigts de chaque main. Ajoutez à ces observations les règles suivantes, que je donne avec confiance, parce que je les tiens de Monsieur Duphli, excellent maître de clavccin, et qui possède surtout la perfection du doigter.

Cette perfection consiste en général dans un mouvement doux, léger, et régulier.

Le mouvement des doigts se prend à leur racine, c'est-à-dire à la jointure qui les attache à la main.

Il faut que les doigts soient courbés naturellement, et que chaque doigt ait son mouvement propre indépendant des autres doigts. Il faut que les doigts tombent sur les touches et non qu'ils les frappent, et de plus, qu'ils coulent de l'une à l'autre en se succédant, c'est-à-dire qu'il ne faut quitter une touche qu'après en avoir pris une autre. Ceci regarde particulièrement le jeu français.

Pour continuer un roulement, il faut s'accoutumer à passer le pouce par-dessous tel doigt que [-260-] ce soit, et à passer tel autre doigt par-dessus le pouce. Cette manière est excellente, surtout quand il se rencontre des dièses ou des bémols; alors faites en sorte que le pouce se trouve sur la touche qui précède le dièse ou le bémol, ou placez-le immédiatement après: par ce moyen vous vous procurerez autant de doigts de suite que vous aurez de notes à faire.

Évitez autant qu'il se pourra de toucher du pouce ou du cinquième doigt une touche blanche, surtout dans les roulements de vitesse.

Souvent on exécute un même roulement avec les deux mains, dont les doigts se succèdent pour lors consécutivement. Dans ces roulements les mains passent l'une sur l'autre; mais il faut observer que le son de la première touche sur laquelle passe une des mains soit aussi lié au son précédent que s'ils étaient touchés de la même main.

Dans le genre de musique harmonieux et lié, il est bon de s'accoutumer à substituer un doigt à la place d'un autre sans relever la touche: cette manière donne des facilités pour l'exécution et prolonge la durée des sons.

Pour l'accompagnement, le doigter de la main gauche est le même que pour les pièces, parce qu'il faut toujours que cette main joue les basses qu'on doit accompagner: ainsi les règles de Monsieur Duphli y servent également pour cette partie, excepté dans les occasions où l'on veut augmenter le bruit au moyen de l'octave, qu'on embrasse du pouce et du petit doigt; car alors, au lieu de doigter, la [-261-] main entière se transporte d'une touche à l'autre. Quant à la main droite, son doigter consiste dans l'arrangement des doigts, et dans les marches qu'on leur donne pour faire entendre les accords et leur succession: de sorte que quiconque entend bien la mécanique des doigts en cette partie, possède l'art de l'accompagnement. Monsieur Rameau a fort bien expliqué cette mécanique dans sa Dissertation sur l'accompagnement; et je crois ne pouvoir mieux faire que de donner ici un précis de la partie de cette dissertation qui regarde le doigter.

Tout accord peut s'arranger par tierces. L'accord parfait, c'est-à-dire l'accord d'une tonique ainsi arrangé sur le clavier, est formé par trois touches qui doivent être frappées du second, du quatrième et du cinquième doigt. Dans cette situation c'est le doigt le plus bas, c'est-à-dire le second, qui touche la tonique; dans les deux autres faces, il se trouve toujours un doigt au moins au-dessous de cette même tonique il faut le placer à la quarte. Quant au troisième doigt, qui se trouve au-dessus ou au-dessous des deux autres, il faut le placer à la tierce de son voisin.

Une règle générale pour la succession des accords est qu'il doit y avoir liaison entre eux, c'est-à-dire que quelqu'un des sons de l'accord précédent doit être prolongé sur l'accord suivant et entrer dans son harmonie. C'est de cette règle que se tire toute la mécanique du doigter.

Puisque pour passer régulièrement d'un accord à un autre il faut que quelque doigt reste en [-262-] place, il est évident qu'il n'y a que quatre manières de succession régulière entre deux accords parfaits; savoir, la basse-fondamentale montant ou descendant de tierce ou de quinte.

Quand la basse procède par tierces, deux doigts restent en place; en montant, ceux qui formaient la tierce et la quinte restent pour former l'octave et la tierce, tandis que celui qui formait l'octave descend sur la quinte; en descendant, les doigts qui formaient l'octave et la tierce restent pour former la tierce et la quinte, tandis que celui qui faisait la quinte monte sur l'octave.

Quand la basse procède par quintes, un doigt seul reste en place et les deux autres marchent; en montant, c'est la quinte qui reste pour faire l'octave, tandis que l'octave et la tierce descendent sur la tierce et sur la quinte; en descendant, l'octave reste pour faire la quinte, tandis que la tierce et la quinte montent sur l'octave et sur la tierce. Dans toutes ces successions les deux mains ont toujours un mouvement contraire.

En s'exerçant ainsi sur divers endroits du clavier, on se familiarise bientôt au jeu des doigts sur chacune de ces marches, et les suites d'accords parfaits ne peuvent plus embarrasser.

Pour les dissonances, il faut d'abord remarquer que tout accord dissonant complet occupe les quatre doigts, lesquels peuvent être arrangés tous par tierces, ou trois par tierces, et l'autre joint à quelqu'un des premiers faisant avec lui un intervalle de seconde. Dans le premier cas, c'est le plus [-263-] bas des doigts, c'est-à-dire l'index, qui sonne le son fondamental de l'accord; dans le second cas, c'est le supérieur des deux doigts joints. Sur cette observation l'on connaît aisément le doigt qui fait la dissonance, et qui par conséquent doit descendre pour la sauver.

Selon les différents accords consonnants ou dissonants qui suivent un accord dissonant, il faut faire descendre un doigt seul, ou deux, ou trois. A la suite d'un accord dissonant, l'accord parfait qui le sauve se trouve aisément sous les doigts. Dans une suite d'accords dissonants, quand un doigt seul descend, comme dans la cadence interrompue, c'est toujours celui qui a fait la dissonance, c'est-à-dire l'inférieur des deux joints, ou le supérieur de tous, s'ils sont arrangés par tierces. Faut-il faire descendre deux doigts, comme dans la cadence parfaite, ajoutez à celui dont je viens de parler son voisin au-dessous, et, s'il n'en a point, le supérieur de tous: ce sont les deux doigts qui doivent descendre. Faut-il en faire descendre trois, comme dans la cadence rompue, conservez le fondamental sur sa touche, et faites descendre les trois autres.

La suite de toutes ces différentes successions bien étudiée vous montre le jeu des doigts dans toutes les phrases possibles; et comme c'est des cadences parfaites que se tire la succession la plus commune des phrases harmoniques, c'est aussi à celles-là qu'il faut s'exercer davantage; on y trouvera toujours deux doigts marchant et s'arrêtant [-264-] alternativement. Si les deux doigts d'en haut descendent sur un accord où les deux inférieurs restent en place, dans l'accord suivant les deux supérieurs restent, et les deux inférieurs descendent à leur tour; ou bien ce sont les deux doigts extrêmes qui font le même jeu avec les deux moyens.

On peut trouver encore une succession harmonique ascendante par dissonances, à la faveur de la sixte-ajoutée: mais cette succession, moins commune que celle dont je viens de parler, est plus difficile à ménager, moins prolongée, et les accords se remplissent rarement de tous leurs sons. Toutefois la marche des doigts aurait encore ici ses règles; et en supposant un entrelacement de cadences imparfaites, on y trouverait toujours, ou les quatre doigts par tierces ou deux doigts joints: dans le premier cas, ce serait aux deux inférieurs à monter, et ensuite aux deux supérieurs alternativement; dans le second, le supérieur des deux doigts joints doit monter avec celui qui est au-dessus de lui, et, s'il n'y en a point, avec le plus bas de tous, et cetera.

On n'imagine pas jusqu'à quel point l'étude du doigter, prise de cette manière, peut faciliter la pratique de l'accompagnement. Après un peu d'exercice, les doigts prennent insensiblement l'habitude de marcher comme d'eux-mêmes; ils préviennent l'esprit et accompagnent avec une facilité qui a de quoi surprendre. Mais il faut convenir que l'avantage de cette méthode n'est pas sans inconvénient, car, sans parler des octaves et des quintes [-265-] de suite qu'on y rencontre à tout moment, il résulte de tout ce remplissage une harmonie brute et dure dont l'oreille est étrangement choquée, surtout dans les accords par supposition.

Les maîtres enseignent d'autres manières de doigter, fondées sur les mêmes principes, sujettes, il est vrai, à plus d'exceptions, mais par lesquelles, retranchant des sons, on gêne moins la main par trop d'extension, l'on évite les octaves et les quintes de suite, et l'on rend une harmonie, non pas aussi pleine, mais plus pure et plus agréable.

Dolce. (Voyez D.)

Dominant, adjectif. Accord dominant ou sensible est celui qui se pratique sur la dominante du ton, et qui annonce la cadence parfaite. Tout accord parfait majeur devient dominant sitôt qu'on lui ajoute la septième mineure.

Dominante, substantif féminin. C'est des trois notes essentielles du ton celle qui est une quinte au-dessus de la tonique. La tonique et la dominante déterminent le ton; elles y sont chacune la fondamentale d'un accord particulier; au lieu que la médiante, qui constitue le mode, n'a point d'accord à elle, et fait seulement partie de celui de la tonique.

Monsieur Rameau donne généralement le nom de dominante à toute note qui porte un accord de septième, et distingue celle qui porte l'accord sensible par le nom de dominante-tonique; mais, à cause de la longueur du mot, cette addition n'est pas adoptée des artistes; ils continuent d'appeler simplement dominante la quinte de la tonique, et [-266-] ils n'appellent pas dominantes, mais fondamentales, les autres notes portant accord de septième; ce qui suffit pour s'expliquer, et prévient la confusion.

Dominante, dans le plain-chant est la note que l'on rebat le plus souvent, à quelque degré que l'on soit de la tonique. Il y a dans le plain-chant dominante et tonique, mais point de médiante.

Dorien, adjectif. Le mode dorien était un des plus anciens de la musique des Grecs, et c'était le plus grave ou le plus bas de ceux qu'on a depuis appelés authentiques.

Le caractère de ce mode était sérieux et grave, mais d'une gravité tempérée; ce qui le rendait propre pour la guerre et pour les sujets de religion.

Platon regarde la majesté du mode dorien comme très-propre à conserver les bonnes moeurs; et c'est pour cela qu'il en permet l'usage dans sa République.

Il s'appelait dorien parce que c'était chez les peuples de ce nom qu'il avait été d'abord en usage. On attribue l'invention de ce mode à Thamiris de Thrace, qui, ayant eu le malheur de défier les muses et d'être vaincu, fut privé par elles de la lyre et des yeux.

Double, adjectif. Intervalles doubles ou redoublés sont tous ceux qui excèdent l'étendue de l'octave. En ce sens, la dixième est double de la tierce, et la douzième, double de la quinte. Quelques-uns donnent aussi le nom d'intervalles doubles à ceux qui sont composés de deux intervalles égaux, comme la [-267-] fausse-quinte qui est composée de deux tierces mineures.

Double, substantif masculin. On appelle doubles des airs d'un chant simple en lui-même, qu'on figure et qu'on double par l'addition de plusieurs notes qui varient et ornent le chant sans le gâter: c'est ce que les Italiens appellent variazioni. (Voyez Variations.)

Il y a cette différence des doubles aux broderies ou fleurtis, que ceux-ci sont à la liberté du musicien, qu'il peut les faire ou les quitter quand il lui plaît pour reprendre le simple. Mais le double ne se quitte point, et sitôt qu'on l'a commencé, il faut le poursuivre jusqu'à la fin de l'air.

Double est encore un mot employé à l'Opéra de Paris pour désigner les acteurs en sous-ordre qui remplacent les premiers acteurs dans les rôles que ceux-ci quittent par maladie ou par air, ou lorsqu'un opéra est sur ses fins et qu'on en prépare un autre. Il faut avoir entendu un opéra en doubles pour concevoir ce que c'est qu'un tel spectacle, et quelle doit être la patience de ceux qui veulent bien le fréquenter en cet état. Tout le zèle des bons citoyens français bien pourvus d'oreilles à l'épreuve suffit à peine pour tenir à ce détestable charivari.

Doubler, verbe actif. Doubler un air, c'est y faire des doubles; doubler un rôle, c'est y remplacer l'acteur principal. (Voyez Double.)

Double-corde, substantif féminin. Manière de jeu sur le violon, laquelle consiste à toucher deux cordes à la fois faisant deux parties différentes. La double-corde [-268-] fait souvent beaucoup d'effet. Il est difficile de jouer très-juste sur la double-corde.

Double-croche, substantif féminin. Note de musique qui ne vaut que le quart d'une noire, ou la moitié d'une croche. Il faut par conséquent seize doubles-croches pour une ronde ou pour une mesure à quatre temps. (Voyez Mesure, Valeur des notes.)

On peut voir la figure de la double-croche liée ou détachée dans la figure 9 de la planche D [ROUDIC4 05GF]. Elle s'appelle double-croche à cause du double-crochet qu'elle porte à sa queue, et qu'il faut pourtant bien distinguer du double-crochet proprement dit, qui fait le sujet de l'article suivant.

Double-crochet, substantif masculin. Signe d'abréviation qui marque la division des notes en doubles-croches, comme le simple crochet marque leur division en croches simples. (Voyez Crochet.) Voyez aussi la figure et l'effet du double-crochet, figure 10 de la Planche D, à l'exemple B [ROUDIC4 05GF].

Double-emploi, substantif masculin. Nom donné par Monsieur Rameau aux deux différentes manières dont on peut considérer et traiter l'accord de sous-dominante; savoir, comme accord fondamental de sixte-ajoutée, ou comme accord de grande-sixte, renversé d'un accord fondamental de septième. En effet, ces deux accords portent exactement les mêmes notes, se chiffrent de même, s'emploient sur les mêmes cordes du ton; de sorte que souvent on ne peut discerner celui que l'auteur a voulu employer qu'à l'aide de l'accord suivant qui le sauve, et qui est différent dans l'un et dans l'autre cas.

[-269-] Pour faire ce discernement, on considère le progrès diatonique des deux notes qui font la quinte et la sixte, et qui, formant entre elles un intervalle de seconde, sont l'une ou l'autre la dissonance de l'accord. Or ce progrès est déterminé par le mouvement de la basse. Si donc de ces deux notes la supérieure est dissonante, elle montera d'un degré dans l'accord suivant; l'inférieure restera en place, et l'accord sera une sixte ajoutée. Si c'est l'inférieure qui est dissonante, elle descendra dans l'accord suivant; la supérieure restera en place, et l'accord sera celui de grande-sixte. Voyez les deux cas du double-emploi, Planche D, figure 12 [ROUDIC4 05GF].

A l'égard du compositeur, l'usage qu'il peut faire du double-emploi est de considérer l'accord qui le comporte sous une face pour y entrer, et sous l'autre pour en sortir; de sorte qu'y étant arrivé comme à un accord de sixte-ajoutée, il le sauve comme un accord de grande-sixte, et réciproquement.

Monsieur d'Alembert a fait voir qu'un des principaux usages du double-emploi est de pouvoir porter la succession diatonique de la gamme jusqu'à l'octave sans changer de mode, du moins en montant; car en descendant on en change. On trouvera (Planche D, figure 13 [ROUDIC4 05GF]) l'exemple de cette gamme et de sa basse-fondamentale. Il est évident, selon le système de Monsieur Rameau, que toute la succession harmonique qui en résulte est dans le même ton; car on n'y emploie à la rigueur que les trois accords, de la tonique, de la dominante, et de la sous-dominante: ce dernier [-270-] donnant par le double-emploi celui de septième de la seconde note, qui s'emploie sur la sixième.

A l'égard de ce qu'ajoute Monsieur d'Alembert dans ses Éléments de musique, page 80, et qu'il répète dans l'Encyclopédie, article Double-emploi; savoir que l'accord de septième re fa la ut, quand même on le regarderait comme renversé de fa la ut re, ne peut être suivi de l'accord ut mi sol ut, je ne puis être de son avis sur ce point.

La preuve qu'il en donne est que la dissonance ut du premier accord ne peut être sauvée dans le second; et cela est vrai, puisqu'elle reste en place: mais dans cet accord de septième re fa la ut renversé de cet accord fa la ut re de sixte-ajoutée, ce n'est point ut, mais re qui est la dissonance; laquelle par conséquent doit être sauvée en montant sur mi, comme elle fait réellement dans l'accord suivant; tellement que cette marche est forcée dans la basse même, qui de re ne pourrait sans faute retourner à ut, mais doit monter à mi pour sauver la dissonance.

Monsieur d'Alembert fait voir ensuite que cet accord re fa la ut, précédé et suivi de celui de la tonique, ne peut s'autoriser par le double emploi; et cela est encore très-vrai, puisque cet accord, quoique chiffré d'un 7, n'est traité comme accord de septième ni quand on y entre ni quand on en sort, ou du moins qu'il n'est point nécessaire de le traiter comme tel, mais simplement comme un renversement de la sixte-ajoutée, dont la dissonance est à la basse: sur quoi l'on ne doit pas oublier que cette [-271-] dissonance ne se prépare jamais. Ainsi, quoique dans un tel passage il ne soit pas question du double-emploi, que l'accord de septième n'y soit qu'apparent et impossible à sauver dans les règles, cela n'empêche pas que le passage ne soit bon et régulier, comme je viens de le prouver aux théoriciens, et comme je vais le prouver aux artistes par un exemple de ce passage, qui sûrement ne sera condamné d'aucun d'eux, ni justifié par aucune autre basse-fondamentale que la mienne. (Voyez Planche D, figure 14. [ROUDIC4 05GF])

J'avoue que ce renversement de l'accord de sixte-ajoutée, qui transporte la dissonance à la basse, a été blâmé par Monsieur Rameau; cet auteur, prenant pour fondamental l'accord de septième qui en résulte, a mieux aimé faire descendre diatoniquement la basse-fondamentale, et sauver une septième par une autre septième, que d'expliquer cette septième par un renversement. J'avais relevé cette erreur et beaucoup d'autres dans des papiers qui depuis long-temps avaient passé dans les mains de Monsieur d'Alembert, quand il fit ses Éléments de Musique; de sorte que ce n'est pas son sentiment que j'attaque, c'est le mien que je défends.

Au reste, on ne saurait user avec trop de réserve du double-emploi; et les plus grands maîtres sont les plus sobres à s'en servir.

Double-fugue, substantif féminin. On fait une double-fugue, lorsqu'à la suite d'une fugue déjà annoncée on annonce une autre fugue d'un dessin tout différent; et il faut que cette seconde fugue ait sa réponse et [-272-] ses rentrées ainsi que la première, ce qui ne peut guère se pratiquer qu'à quatre parties. (Voyez Fugue.) On peut avec plus de parties faire entendre à la fois un plus grand nombre encore de différentes fugues; mais la confusion est toujours à craindre, et c'est alors le chef-d'oeuvre de l'art de les bien traiter. Pour cela il faut, dit Monsieur Rameau, observer autant qu'il est possible de ne les faire entrer que l'une après l'autre; surtout la première fois, que leur progression soit renversée, qu'elles soient caractérisées différemment, et que, si elles ne peuvent être entendues ensemble, au moins une portion de l'une s'entende avec une portion de l'autre. Mais ces exercices pénibles sont plus faits pour les écoliers que pour les maîtres: ce sont les semelles de plomb qu'on attache aux pieds des jeunes coureurs, pour les faire courir plus légèrement quand ils en sont délivrés.

Double-octave, substantif féminin. Intervalle composé de deux octaves, qu'on appelle autrement quinzième, et que les Grecs appelaient disdiapason.

La double-octave est en raison doublée de l'octave simple, et c'est le seul intervalle qui ne change pas de nom en se composant avec lui-même.

Double-triple. Ancien nom de la triple de blanches ou de la mesure à trois pour deux, laquelle se bat à trois temps, et contient une blanche pour chaque temps. Cette mesure n'est plus en usage qu'en France, où même elle commence à s'abolir.

Doux, adjectif. pris adverbialement. Ce mot en musique est opposé à fort, et s'écrit au-dessus des [-273-] portées pour la musique française, et au-dessous pour l'italienne, dans les endroits où l'on veut faire diminuer le bruit, tempérer et radoucir l'éclat et la véhémence du son, comme dans les échos et dans les parties d'accompagnement. Les Italiens écrivent dolce, et plus communément piano dans le même sens; mais leurs puristes en musique soutiennent que ces deux mots ne sont pas synonymes, et que c'est par abus que plusieurs auteurs les emploient comme tels. Ils disent que piano signifie simplement une modération de son, une diminution de bruit, mais que dolce indique, outre cela, une manière de jouer più soave, plus douce, plus liée, et répondant à peu près au mot louré des Français.

Le doux a trois nuances qu'il faut bien distinguer; savoir, le demi-jeu, le doux, et le très-doux. Quelque voisines que paraissent être ces trois nuances, un orchestre entendu les rend très-sensibles et très-distinctes.

Douzième, substantif féminin. Intervalle composé de onze degrés conjoints, c'est-à-dire de douze sons diatoniques en comptant les deux extrêmes: c'est l'octave de la quinte. (Voyez Quinte.)

Toute corde sonore rend avec le son principal celui de la douzième, plutôt que celui de la quinte, parce que cette douzième est produite par une aliquote de la corde entière qui est le tiers; au lieu que les deux tiers, qui donneraient la quinte, ne sont pas une aliquote de cette même corde.

Dramatique, adjectif. Cette épithète se donne à la musique imitative, propre aux pièces de théâtre [-274-] qui se chantent, comme les opéra. On l'appelle aussi musique lyrique. (Voyez Imitation.)

Duo, substantif masculin. Ce nom se donne en général à toute musique à deux parties; mais on en restreint aujourd'hui le sens à deux parties récitantes, vocales ou instrumentales, à l'exclusion des simples accompagnements qui ne sont comptés pour rien. Ainsi l'on appelle duo une musique à deux voix, quoiqu'il y ait une troisième partie pour la basse-continue, et d'autres pour la symphonie. En un mot, pour constituer un duo il faut deux parties principales, entre lesquelles le chant soit également distribué.

Les règles du duo, et en général de la musique à deux parties, sont les plus rigoureuses pour l'harmonie: on y défend plusieurs passages, plusieurs mouvements qui seraient permis à un plus grand nombre de parties; car tel passage ou tel accord, qui plaît à la faveur d'un troisième ou d'un quatrième son, sans eux choquerait l'oreille. D'ailleurs on ne serait par pardonnable de mal choisir, n'ayant que deux sons à prendre dans chaque accord. Ces règles étaient encore bien plus sévères autrefois; mais on s'est relâché sur tout cela dans ces derniers temps où tout le monde s'est mis à composer.

On peut envisager le duo sous deux aspects, savoir, simplement comme un chant à deux parties, tel, par exemple, que le premier verset du Stabat de Pergolèse, duo le plus parfait et le plus touchant qui soit sorti de la plume d'aucun musicien; ou [-275-] comme partie de la musique imitative et théâtrale, tels que sont les duo des scènes d'opéra. Dans l'un et dans l'autre cas, le duo est de toutes les sortes de musique celle qui demande le plus de goût, de choix, et la plus difficile à traiter sans sortir de l'unité de mélodie. On me permettra de faire ici quelques observations sur le duo dramatique, dont les difficultés particulières se joignent à celles qui sont communes à tous les duo.

L'auteur de la Lettre sur l'opéra d'Omphale a sensément remarqué que les duo sont hors de la nature dans la musique imitative; car rien n'est moins naturel que de voir deux personnes se parler à la fois durant un certain temps, soit pour dire la même chose, soit pour se contredire, sans jamais s'écouter ni se répondre; et quand cette supposition pourrait s'admettre en certains cas, ce ne serait pas du moins dans la tragédie, où cette indécence n'est convenable ni à la dignité des personnages qu'on y fait parler, ni à l'éducation qu'on leur suppose. Il n'y a donc que les transports d'une passion violente qui puissent porter deux interlocuteurs héroïques à s'interrompre l'un l'autre, à parler tous deux à la fois; et même, en pareil cas, il est très-ridicule que ces discours simultanés soient prolongés de manière à faire une suite chacun de leur côté.

Le premier moyen de sauver cette absurdité est [-276-] donc de ne placer les duo que dans des situations vives et touchantes, où l'agitation des interlocuteurs les jette dans une sorte de délire capable de faire oublier aux spectateurs et à eux-mêmes ces bienséances théâtrales, qui renforcent l'illusion dans les scènes froides, et la détruisent dans la chaleur des passions. Le second moyen est de traiter le plus qu'il est possible le duo en dialogue. Ce dialogue ne doit pas être phrasé, et divisé en grandes périodes comme celui du récitatif, mais formé d'interrogations, de réponses, d'exclamations vives et courtes, qui donnent occasion à la mélodie de passer alternativement et rapidement d'une partie à l'autre, sans cesser de former une suite que l'oreille puisse saisir. Une troisième attention est de ne pas prendre indifféremment pour sujets toutes les passions violentes, mais seulement celles qui sont susceptibles de la mélodie douce et un peu contrastée, convenable au duo, pour en rendre le chant accentué et l'harmonie agréable. La fureur, l'emportement, marchent trop vite; on ne distingue rien, on n'entend qu'un aboiement confus, et le duo ne fait point effet. D'ailleurs ce retour perpétuel d'injures, d'insultes, conviendrait mieux à des bouviers qu'à des héros, et cela ressemble tout-à-fait aux fanfaronnades de gens qui veulent se faire plus de peur que de mal. Bien moins encore faut-il employer ces propos doucereux d'appas, de chaînes, de flammes, jargon plat et froid que la passion ne connut jamais, et dont la bonne musique n'a pas plus besoin que la bonne poésie. L'instant d'une [-277-] séparation, celui où l'un des deux amants va à la mort ou dans les bras d'un autre, le retour sincère d'un infidèle, le touchant combat d'une mère et d'un fils voulant mourir l'un pour l'autre; tous ces moments d'affliction où l'on ne laisse pas de verser des larmes délicieuses: voilà les vrais sujets qu'il faut traiter en duo avec cette simplicité de paroles qui convient au langage du coeur. Tous ceux qui ont fréquenté les théâtres lyriques savent combien ce seul mot addio peut exciter d'attendrissement et d'émotion dans tout un spectacle. Mais sitôt qu'un trait d'esprit ou un tour phrasé se laisse apercevoir, à l'instant le charme est détruit, et il faut s'ennuyer ou rire.

Voilà quelques-unes des observations qui regardent le poète. A l'égard du musicien, c'est à lui de trouver un chant convenable au sujet, et distribué de telle sorte que, chacun des interlocuteurs parlant à son tour, toute la suite du dialogue ne forme qu'une mélodie, qui, sans changer de sujet, ou du moins sans altérer le mouvement, passe dans son progrès d'une partie à l'autre, sans cesser d'être une et sans enjamber. Les duo qui font le plus d'effet sont ceux des voix égales, parce que l'harmonie en est plus rapprochée; et entre les voix égales celles qui font le plus d'effet sont les dessus, parce que leur diapason plus aigu se rend plus distinct, et que le son en est plus touchant. Aussi les duo de cette espèce sont-ils les seuls employés par les Italiens dans leurs tragédies; et je ne doute pas que l'usage des castrati dans les [-278-] rôles d'hommes ne soit dû en partie à cette observation. Mais quoiqu'il doive y avoir égalité entre les voix, et unité dans la mélodie, ce n'est pas à dire que les deux parties doivent être exactement semblables dans leur tour de chant; car, outre la diversité des styles qui leur convient, il est très-rare que la situation des deux acteurs soit si parfaitement la même qu'ils doivent exprimer leurs sentiments de la même manière: ainsi le musicien doit varier leur accent, et donner à chacun des deux le caractère qui peint le mieux l'état de son ame, surtout dans le récit alternatif.

Quand on joint ensemble les deux parties (ce qui doit se faire rarement et durer peu), il faut trouver un chant susceptible d'une marche par tierces on par sixtes, dans lequel la seconde partie fasse son effet sans distraire de la première. (Voyez Unité de mélodie.) Il faut garder la dureté des dissonances, les sons perçants et renforcés, le fortissimo de l'orchestre pour des instants de désordre et de transports où les acteurs, semblant s'oublier eux-mêmes, portent leur égarement dans l'ame de tout spectateur sensible, et lui font éprouver le pouvoir de l'harmonie sobrement ménagée: mais ces instants doivent être rares, courts, et amenés avec art. Il faut, par une musique douce et affectueuse, avoir déjà disposé l'oreille et le coeur à l'émotion, pour que l'une et l'autre se prêtent à ces ébranlements violents, et il faut qu'ils passent avec la rapidité qui convient à notre faiblesse: car quand l'agitation est trop forte, elle ne peut [-279-] durer, et tout ce qui est au-delà de la nature ne touche plus.

Comme je ne me flatte pas d'avoir pu me faire entendre partout assez clairement dans cet article, je crois devoir y joindre un exemple sur lequel le lecteur comparant mes idées pourra les concevoir plus aisément: il est tiré de l'Olympiade de Monsieur Metastasio: les curieux feront bien de chercher dans la musique du même opéra, par Pergolèse, comment ce premier musicien de son temps et du nôtre a traité ce duo dont voici le sujet.

Mégaclès s'étant engagé à combattre pour son ami dans des jeux où le prix du vainqueur doit être la belle Aristée, retrouve dans cette même Aristée la maîtresse qu'il adore. Charmée du combat qu'il va soutenir et qu'elle attribue à son amour pour elle, Aristée lui dit à ce sujet les choses les plus tendres, auxquelles il répond non moins tendrement, mais avec le désespoir secret de ne pouvoir retirer sa parole, ni se dispenser de faire, aux dépens de tout son bonheur, celui d'un ami auquel il doit la vie. Aristée, alarmée de la douleur qu'elle lit dans ses yeux, et que confirment ses discours équivoques et interrompus, lui témoigne son inquiétude; et Mégaclès, ne pouvant plus supporter à la fois son désespoir et le trouble de sa maîtresse, part sans s'expliquer, et la laisse en proie aux plus vives craintes. C'est dans cette situation qu'ils chantent le duo suivant:

Mégaclès.

Mia vita ...... addio.

[-280-] Ne' giorni tuoi felici

Ricordati di me.

Aristée.

Perchè cosi mi dici,

Anima mia, perchè?

Mégaclès.

Taci, bell' idol mio.

Aristée.

Parla, mio dolce amor.

Ensemble.

Mégaclès. Ah! che parlando,

Aristée. Ah! che tacendo,

}oh Dio!

Tu mi traffigi il cor!

Aristée, à part.

Veggio languir chi adoro,

Ne intendo il suo languir!

Mégaclès, à part.

Di gelosia mi moro,

E non lo posso dir!

Ensemble.

Chi mai provò di questo

Affanno più funesto,

Più barbaro dolor?

Bien que tout ce dialogue semble n'être qu'une suite de la scène, ce qui le rassemble en un seul duo, c'est l'unité de dessin par laquelle le musicien en réunit toutes les parties, selon l'intention du poète.

A l'égard des duo bouffons qu'on emploie dans es intermèdes et autres opéra-comiques, ils ne sont pas communément à voix égales, mais entre basse et dessus. S'ils n'ont pas le pathétique des duo tragiques, en revanche ils sont susceptibles d'une variété plus piquante, d'accents plus différents [-281-] et de caractères plus marqués. Toute la gentillesse de la coquetterie, toute la charge des rôles à manteaux, tout le contraste des sottises de notre sexe et de la ruse de l'autre, enfin toutes les idées accessoires dont le sujet est susceptible; ces choses peuvent concourir toutes à jeter de l'agrément et de l'intérêt dans ces duo, dont les règles sont d'ailleurs les mêmes que des précédents en ce qui regarde le dialogue et l'unité de mélodie. Pour trouver un duo comique parfait à mon gré dans toutes ses parties, je ne quitterai point l'auteur immortel qui m'a fourni les deux autres exemples; mais le citerai le premier duo de la Serva Padrona; Lo conosco a quegl' occhietti, et cetera, et je le citerai hardiment comme un modèle de chant agréable, d'unité de mélodie, d'harmonie simple, brillante et pure, d'accent, de dialogue et de goût, auquel rien ne peut manquer, quand il sera bien rendu, que des auditeurs qui sachent l'entendre et l'estimer ce qu'il vaut.

Duplication, substantif féminin. Terme de plain-chant. L'intonation par duplication se fait par une sorte de périélèse, en doublant la pénultième note du mot qui termine l'intonation: ce qui n'a lieu que lorsque cette pénultième note est immédiatement au-dessous de la dernière. Alors la duplication sert à la marquer davantage, en manière de note sensible.

Dur, adjectif. On appelle ainsi tout ce qui blesse l'oreille par son âpreté. Il y a des voix dures et glapissantes, des instruments aigres et durs, des compositions [-282-] dures. La dureté du bécarre lui fit donner autrefois le nom de B dur. Il y a des intervalles durs dans la mélodie: tel est le progrès diatonique des trois tons, soit en montant, soit en descendant, et telles sont en général toutes les fausses relations. Il y a dans l'harmonie des accords durs, tels que sont le triton, la quinte superflue, et en général toutes les dissonances majeures. La dureté prodiguée révolte l'oreille et rend une musique désagréable; mais, ménagée avec art, elle sert au clair-obscur, et ajoute à l'expression.


Return to the 18th-Century Filelist

Return to the TFM home page